[IYAQCDPDLDDG] Chapitre III

Philibert éclata d’un rire franc et joyeux, comme si Urien avait lancé une excellente plaisanterie.

« Je connais bien des endroits calmes où vous pourriez vous rendre pour prendre quelque repos, mon brave et bouillant Urien, mais aucun où il vous soit loisible d’aller ce soir. Car je vous vais à présent, de par ma mansuétude, couper les oneilles avec supplice et exorbitation des yeux, ainsi que l’on dit plaisamment à La Tour. Et si l’accueil d’Arnaud n’a pas eu l’honneur de plaire à nos compains, j’espère de tout cœur qu’ils trouveront le mien plus à leur goût.

Je reconnais que j’ai été surpris de vous revoir, il y a un instant, messire de Havras. Je suppose que notre ami Hugo est parvenu à vous secourir d’une quelconque façon, ce qui expliquerait sa disparition. Mais ne croyez pas que je m’en offusque, je suis bien au contraire ravi de vous rencontrer à nouveau.

Abrégeons cependant les mondanités. Je pense que votre nouvelle connaissance, mon vieil ami Gormont de Montselgues, déclinera l’offre, mais j’espère que vous saurez vous montrer plus sages. Veuillez déposer toute arme que vous pourriez avoir et vous rendre, en échange de quoi non seulement vous aurez la vie sauve, mais en outre il ne vous sera fait aucun mal. Je m’en porte garant. Vous servirez plus tard -n’y voyez, je vous en prie, aucune offense- de monnaie d’échange pour récupérer quelques-uns de mes amis retenus prisonniers à Massillargues.

Si vous refusez, je demanderai à la joyeuse coterie que vous voyez ici assemblée de bien vouloir vous saisir et vous brûler tout vifs après, comme bien vous pensez, de longues et savantes tortures. »

« Ah ! Que tout ceci est laid ! Monsieur de Montet, je suis déçu... vous êtes méchant, méchant, méchant. Mais j'ai une meilleure offre à vous faire. Déposez les armes, prenez vos phalles et vos cornes et repartez vous honorer les uns les autres ou je perce la gidouille de chaque monstre de votre armée.»

Urien éclata alors de rire. Les événements récents l'avaient, semblait-il, rendu encore plus fou qu'avant et apparemment insensible à toute peur. Il semblait s'amuser de la situation et prenait le risque de provoquer ouvertement un sorcier accompagné d'une armée entière de créatures baveuses.

« Et moi qui espérais que vous m'accorderiez un duel en guise d'au revoir, mais puisque vous nous accordez, de par votre mansuétude, une autre option, autant saisir l'occasion. Rendons donc les armes... puisque ma jambe blessée m'empêchera certainement de tuer toutes vos troupes d'un seul coup.»

Il marqua une pause et eut son habituel et très large sourire.

« J'espère au moins que vous m'échangerez contre deux ou trois personnes !»

Leustant soupira. Il ne lui restait que deux options : mourir héroïquement - mais stupidement selon lui - en affrontant Philibert, sa clique de mutants et Urien, ou faire comme l'autre félon, feindre la rémission en attendant de trouver une meilleure alternative ou une faille pour s'échapper de cette situation pour le moins merdique. Il choisit de faire confiance à son intellect pour la suite, mais il avait besoin de temps dans l'immédiat.

"Et j'espère également qu'il en sera de même pour moi." finit par dire Leustant en posant son épée au sol.

Il se dit qu'à cet instant les hommes-bêtes pouvaient aussi bien décider de les tuer sur-le-champ, et par ce geste il se fermait toute possibilité de se défendre. Mais cela aurait-il fait une différence avec le résultat d'une lutte aussi vaine qu'acharnée ? Peut-être aurait-il tué tout au plus deux monstres avant de mourir, ce qui était dérisoire.

« Il va sans dire, mon bon Urien, mon cher Leustant, que vous ne serez pas échangés contre le premier laboureur venu. » répondit courtoisement Philibert. « Wolfram, vos amis vous donnent un exemple salutaire. Je vous engage à le suivre. Nous ne sommes pas précisément du même bord, mais je n’ai qu’une parole : vous aurez la vie sauve si vous vous rendez. »

« N’en croyez rien. » coupa Gormont, dont la voix commençait à trembler. « Il n’y a aucune confiance à placer en ce démon. Ceux qui se seront rendus ne tarderont pas à envier le sort de ceux qui auront péri les armes à la main. C’est du reste ce que je compte faire, dussé-je le faire seul. »

Gormont tira l’épée en guise de conclusion. Wolfram, quant à lui, semblait encore indécis. Dans son état, il se ferait probablement capturer s’il résistait. Sans doute valait-il mieux éviter quelques coups et se rendre. Cependant, les mises en garde de Gormont sonnaient juste, et une chance même infime de mourir au combat lui éviterait peut-être un sort bien pire des mains des hommes-bêtes.

« Que ceux qui ont encore un peu de sens déposent toutes leurs armes à terre et s’avancent vers moi, à pied et sans hâte. » reprit Philibert. « Wolfram, vous ne semblez pas en état de vous battre. Rendez-vous honorablement. »

À ces mots, Hugo, qui tremblait de tous ses membres, sauta de la selle d’Urien.

« Messire Urien, sauf votre respect, ce fut un plaisir et un honneur de vous connaître, mais là, comme qui dirait, je vous suis plus. Il nous ment comme il nous a menti tout au long du voyage. »

« Ma foi, si vous vouliez que j'aille à pied, il ne fallait pas me jeter du haut d'une falaise !» s'exclama Urien. « Donner mes armes est déplaisant, mais si vous voulez me voir marcher au milieu de vos rangs pendant plusieurs jours avec une jambe cassée, vous pouvez d'ores et déjà abandonner l'idée et vous rentrer votre propre épée dans l'arrière train. Peut-être devrais-je faire comme les autres crétins et me battre, finalement ? Au moins, mourir me dispenserait d'écouter vos revendications irréalisables.»

Il regarda Hugo s'éloigner et dit « Adieu, brave halfling ! Puissiez-vous connaître un fin glorieuse... je vous promets de détourner les yeux lorsqu'ils dévoreront vos entrailles après vous avoir tudé avec supplices, lacération et violence.»

Les hommes-bêtes s’agitaient de plus en plus, apparemment mécontents de voir les choses traîner ainsi. Quelques-uns lançaient aux chevaliers ce qui devait être d’affreuses injures ou frappaient leur bouclier de leur arme, certains même commençaient à s’approcher, avant d’être rappelés dans le rang par un grognement ou un coup de poing de leurs chefs. Philibert, toujours aussi calme, ouvrit la bouche pour répondre aux bravades d’Urien, mais le son rauque d’une corne l’interrompit.

Toute la harde sembla oublier d’un coup les chevaliers et les hommes-bêtes se mirent à murmurer entre eux dans leur langue faite de braiments, leurs têtes tournées vers le nord-ouest, à l’opposé du Puech. D’autres sonneries vinrent de cette direction et Philibert échangea quelques mots avec l’une des créatures qui l’escortaient, un homme-bête de haute taille mais voûté, lourdement appuyé sur un bâton noueux.



« Il n’est pas question de vous faire aller à pied comme un vilain, rassurez-vous. » répondit enfin Philibert. « Il ne s’agit que de vous lier pour nous assurer que ne nous fausserez pas compagnie, rien de plus. Cessez donc de discuter, chaque instant compte si vous voulez sauver votre peau. Les cors que vous entendez n’annoncent rien de bon pour vous ni pour nous. »

Sur un geste de Philibert, une demi-douzaine d’hommes-bêtes aux larges épaules sortirent des rangs en bousculant leurs congénères sans ménagement. Ils avaient gardé leur armes à la ceinture et tenaient en main des cordes, attendant que Leustant et Urien mettent pied à terre.

A l'instant où tous les hommes-bêtes tournèrent la tête dans la même direction, Urien hésita à partir dans l'opposée à bride abattue, mais quelques créatures plus hargneuses que les autres se mirent bientôt à porter de nouveau leurs yeux mesquins sur lui. L'information que venait de lui fournir Philibert était intéressante, malgré tout. Si une forte troupe allait venir du nord-ouest et qu'elle n'était pas alliée à Philibert, un grand chaos allait sans doute s'ensuivre si les deux forces venaient à se rencontrer. De plus, Urien n'était pas connu au Puech ni dans aucun village du coin et pouvait expliquer n'être qu'un brave chevalier de la Quête de passage, sans attache avec qui que ce fut dans la région.
Lentement, il rengaina son long couteau. Plus lentement encore, il commença à descendre de selle avec moult précautions en vue de s'épargner des douleurs inutiles après avoir, au préalable, liberé son bras droit resté jusqu'à lors en écharpe. Il tira son épée à deux mains demeurée accrochée à son arnachement sans geste brusque et la présenta à ses nouveaux gardiens. Fouillant dans ses bagages avec un peu plus d'empressement, car il sentait que son manège commençait à sérieusement agacer l'assistance et qu'il risquait fort de se faire couper les oneilles s'il continuait ainsi, Urien en tira un linge dont il couvrit son arme. Faisant quelques pas en trainant la patte, il leur tendit son arme.

« C'est une bonne épée. Ne t'avise pas de la souiller avec tes grosses mains pleines de doigts, le vilain.»

Puis, à un autre, il tendit son couteau de guerre avant de présenter ses poignets pour qu'on les lie.

« Que l'on ne vienne point me dire après celà que je ne suis pas un homme coopératif et serviable.»

Un homme-bête massif à face de sanglier s’approcha du bon Urien, lui mit sans ménagement les bras dans le dos et commença de lui lier les poignets pendant que d’autres s’avançaient vers Leustant et Wolfram, les pressant de mettre pied à terre par d’expressifs et horrifiques grognements. Le cercle des hommes-bêtes se rétrécissait dangereusement du côté de Gormont, qui jetait à présent des regards désespérés tout autour de lui, l’épée nue.

Ce fut en essayant de détourner son esprit de l’infecte odeur de ses geôliers qu’Urien crut remarquer une grande agitation tout à l’entour. Encore une fois, la forêt était emplie de bruits de pas précipités et de branches écartées ; les hommes-bêtes en étaient à l’évidence conscients et saisissaient déjà leurs armes en se lançant les uns les autres des appels ou des ordres.

Il y eut un instant de silence presque complet. Même l’homme-sanglier cessa de lier les mains d’Urien. Un long grognement fit sursauter les chevaliers : dans la pénombre entre les arbres, à l’orée de la clairière, un loup difforme et gigantesque défiait la harde.



Il lança un hurlement à couper l’appétit d’un halfling et se jeta sur un homme-bête à trois bras dont il déchira l’échine. Ce fut le signal de l’attaque : des douzaines de cors firent éclater leur cri rauque et une nouvelle horde velue et malodorante investit la clairière. Pour autant que les chevaliers en pouvaient juger, il s’agissait encore et toujours d’hommes-bêtes, mais ils n’eurent guère le loisir d’observer plus en détail les nouveaux venus.

Philibert lança tout haut un ordre dans une langue incompréhensible qui devait être celle des hommes-bêtes, car tous s’éloignèrent soudain des chevaliers et reformèrent autour d’eux un large cercle. Le combat faisait déjà rage non loin et bientôt sans doute, atteindrait le centre de la clairière. Profitant de la confusion ambiante, Hugo grimpa lestement sur la selle de Gormont alors qu’Urien se débarrassait en hâte de ses liens et ramassait ses armes en jurant.

« Puisque des invités imprévus ont jugé bon de se joindre à la fête, vous allez devoir vous passer de torture, messeigneurs. » lança Philibert aux chevaliers. « Nous allons passer immédiatement au sacrifice, si vous le voulez bien. »

L’homme-bête à capuche se dressa soudain et se mit à frapper le sol de son bâton. Il éleva un crâne de sa main droite et des volutes de fumée vinrent se lover autour de lui.



La brume magique cerna en un instant les chevaliers. Elle se tordait, remuait en tout sens et des visages grimaçants et moqueurs s’y dessinaient par endroits avant de s’évanouir. La clameur du combat se faisait toujours plus forte mais ils ne voyaient plus des hommes-bêtes que le sorcier encapuchonné. La brume se changea en flammes terrifiques et dévorantes qui s’élevaient bien au-dessus de leurs têtes et se rapprochaient à chaque seconde, pendant qu’Urien grimpait péniblement en selle. Les chevaux étaient devenus incontrôlables et reculaient en désordre devant le feu magique.

Leustant avait repris tant bien que mal son épée mais les armes ne servaient plus de rien. La crinière de sa monture commençait à prendre feu et Hugo tentait d’éteindre les flammes de ses épais cheveux bouclés quand le sortilège reflua soudain. Le mur de feu se faisait moins haut et moins dense et l’on distinguait une mêlée acharnée de l’autre côté.

Le sorcier homme-bête était secoué de spasmes et s’effondra sur ses genoux. Il s’appuyait sur son bâton pour ne pas tomber au sol. Son aspect était à présent encore plus abominable qu’auparavant : on eût dit un cadavre récent de pestiféré, à moitié pourri et couverts de bubons. Les flammes s’évanouirent tout à fait quand il s’écroula avec un dernier râle et les chevaliers se retrouvèrent au milieu d’un large cercle d’herbe roussie, en pleine bataille.

Gormont, toujours avec Hugo en croupe, tenta immédiatement de percer les lignes des hommes-bêtes et distribua de grands coups d’épée pour se tailler un chemin hors de la clairière. Ils ne se trouvaient pas au cœur des combats et la mêlée n’était pas aussi dense qu’à quelques toises de là, où Philibert et sa garde menaient une terrible résistance, à grand renfort de sorcellerie et de flammes multicolores.

Avant qu’ils aient pu décider que faire, les combats gagnèrent le cercle d’herbe noire et ils furent pris dans la confusion. Leustant vit une dernière fois Gormont pourfendre ce qui ressemblait à une façon d’homme-crabe avant de le perdre de vue. Plusieurs hommes-bêtes se tournaient à présent dans leur direction, dominés par une haute et massive silhouette qui rappelait vaguement quelque chose à Urien.

« J'ai déjà vu cette tête de phalle-là.» déclara Urien en observant la troupe d'hommes-bêtes approcher, puis, donnant de l'éperon (avec modération pour ce qui était du gauche) il s'élança droit devant lui avec un court «j'vais régler mes comptes !*», l'épée à deux mains haut levée.
Alors qu'il arrivait sur la bande, il fit décrire à sa lame un arc terrible dont la course implacable décrocha de ses épaules le chef du premier ennemi à portée.
Deux lances tentèrent alors de l'embrocher et le chevalier eut à peine le temps d'arrêter le mouvement entrainant de son arme avant de se coucher sur sa selle. Reprenant sa bride en main, il fit s'arrêter sa monture qui avait traversé la troupe comme l'éclair. Faisant volte-face, Urien se mit en position pour un deuxième passage. D'autres monstres venaient déjà dans sa direction, mais il voulait, avant de partir, se débarrasser de celui qui avait eu l'outrecuidance de démolir sa précieuse armure.

Furieux comme à leur habitude, les hommes-bêtes se mirent en branle et attaquèrent sans attendre la charge du chevalier de la Quête qui bondit à leur rencontre sans tarder.
Alors que le choc allait survenir, une forme emergea subitement par la droite, surprenant le bon Urien qui était sur le point de porter son attaque.
Un ennemi à tête de chevreau, plus rapide et vicieux que les autres, venait d'effectuer un saut inhumain sur lui et l'entraina dans sa chute, lui faisant vider les étriers et lui faisant heurter le sol avec violence.

Sonné, Urien secoua la tête pour reprendre ses esprits. La bête féroce qui l'avait mis au tapis était déjà sur lui, prête à l'occire de manière terrificque. Incapable de se lever dans un délai si bref, le chevalier roula sur le côté, mettant en échec son adversaire dont l'arme primitive heurta le sol gelé avec un bruit sourd. Sans attendre, Urien envoya un puissant coup de pied dans le tibia caprin de la bête avant de hurler et de balancer un flot interminable de jurons particulièrement grossiers alors que la douleur lui faisait prendre conscience du fait qu'il venait de frapper avec la mauvaise jambe. Se remettant péniblement debout tandis que son adversaire accomplissait un mouvement similaire, Urien en profita pour observer la situation. Le temps perdu dans l'accomplissement de ces actions avait permis aux autres, manifestement bousculés par le passage de la jument dépourvue de cavalier, de revenir sur lui. D'un coup de poing, le chevalier envoya au tapis le bouc sauteur puis, tirant son couteau, l'égorgea proprement d'un coup net.
Avant même de parvenir à portée de bras, un gors s'effondra, l'arme d'Urien, devenue pour l'occasion projectile mortel, fichée entre les deux yeux.
Un autre, particulièrement puant et pourvu d'une lance et d'un bouclier, porta alors un coup d'estoc. Il demeura immobile, le visage figé dans une expression niaise. Son coup, s'il avait bien touché le chevalier au flanc gauche, lui causant une légère entaille, n'avait pas eu l'efficacité escomptée et l'homme-bête fut bien en peine de comprendre, avec son peu de cervelle, comment son adversaire était parvenu à se glisser entre son arme et son bouclier. L'instant d'après, il se trouva soulevé au dessus du sol et alla s'écraser la tête la première dans la gadoue. Habitué aux bagarres depuis l'enfance, Urien se sentait dans son élément lorsqu'on en venait à se battre sans règles définies. A vrai dire, il n'avait jamais brillé en joute et devait bien avouer detester cette activité dans laquelle on l'obligeait à tenir sa lance de cavalerie dans la main qui lui servait habituellement à manier son écu, mais il se montrait redoutable à mains nues, et ce même lorsqu'il n'avait qu'une seule jambe à disposition.

Le coup qu'il venait d'employer était un fameux mouvement de lutte connu à Havras sous le nom de "marteau de Maximin" et force était de constater qu'il se révélait toujours aussi efficace lorsqu'on parvenait à pénétrer la défense d'un opposant.
Plongeant pour éviter deux nouveaux adversaires difformes, Urien arriva à proximité de son épée à deux mains qu'il ramassa dans le même mouvement.

Essoufflé et endolori à cause des nombreux chocs qu'il venait de subir, le chevalier de Havras se mit en garde, plaçant sa jambe gauche en retrait pour éviter de prendre appui sur elle. Il était clair qu'il allait au dela de ses propres limites à cet instant et qu'il ne tiendrait pas un tel rythme bien longtemps, mais sa survie était à ce prix.
Ses deux ennemis revinrent sur lui ensemble. Ne pouvant esquiver dans son état, Urien pivota simplement en utilisant son pied droit, abandonnant toute idée de défense pour lancer une attaque aussi dévastastrice que possible. Il envoya son épée dans le cou d'un des monstres qui s'effondra dans une gerbe de sang poisseux. L'autre, surpris, fit un bond de côté pour éviter le corps de son camarade. Par un geste plus digne d'un cabri que d'un homme, il sauta sur le chevalier qui tomba à la renverse en tentant d'éviter l'attaque. Par un merveilleux réflexe, Urien était parvenu à épargner son visage en plaçant son bras droit devant, mais il s'en tirait pour le coup avec une belle estafilade qui allait presque du poignet au coude.

Sa situation était critique. Une nouvelle fois à terre, un ennemi dressé devant lui, il vit sa dernière heure venir.
Il ferma les yeux et attendit, incapable d'autre chose, mais aucun coup ne vient. A la place, il sentit un liquide chaud et collant lui maculer le visage. Etonné, il rouvrit les paupières et fut stupéfait de voir son adversaire s'effondrer.
La joie fut cependant de courte durée car une nouvelle menace se profilait. Brandissant une large masse encore dégoulinante du sang de son camarade, le géant de l'embuscade précédente lui faisait face.

A sa grande surprise, le mastodonte le laissa se relever, une expression empreinte de sadisme sur la figure. Il était clair qu'il voulait son duel. Sans doute regrettait-il de ne pas avoir pu finir le travail la fois dernière.

« Essayons d'éviter une troisième manche.» dit Urien, le souffle court.
Le deux adversaires s'observèrent pendant un instant qui parut interminable. L'un sautillant sur sa seule patte valide, l'autre tâtant son arme en se léchant les babines avec grossierté.
L'instant d'après, leurs armes s'entrechoquèrent. Après quelques échanges dont la violence faisait jaillir des étincelles, il parut évident que le chevalier ne tiendrait pas la distance, tant il était abattu, fatigué et physiquement inférieur.
Apparemment résigné, Urien se laissa tomber à genoux et lâcha son épée. Malgré les invectives de la créature qui voulait le voir continuer le combat, le chevalier n'esquissa plus le moindre geste, dans l'attente du coup de grâce.
Déçu, l'homme-bête s'approcha pour en finir. Il brandit haut son gourdin, arma son coup et déclara quelque chose dans une langue aux sonorités rauques et idiotes.
Mais le chevalier n'avait en vérité pas dit son dernier mot et ne comptait en tout cas pas mourir ici. Par un stratagème douteux mais toujours efficace, il aveugla son adversaire à l'aide de la terre rendue meuble et boueuse par le piétinement incessant qu'elle venait de subir durant ces quelques combats.
Pris par surprise par ce vilain tour, le monstre se fit percer la gidouille tandis même qu'il tentait de s'essuyer les yeux, puis, repoussé vers l'arrière par le chevalier de la Quête qui utilisa tout son poids pour le faire basculer, il s'écrasa sur la tête d'un de ses compagnons morts. Le sort voulu qu'il tomba sur celui qui avait reçu le couteau d'Urien et, par un angle de chute malheureux, le géant se trancha les bourses sur la lame qui dépassait.

Laissant le colosse agoniser dans son sang avec force hurlements horrifiques, Urien siffla sa jument qui revint à lui complètement terrorisée mais fidèle avant tout. C'était bien la seule créature en ce monde à lui porter une telle confiance.
Après avoir récupéré ses armes et être remonté en selle avec difficulté, Urien contempla le carnage auquel tout le monde se livrait à l'entour. Visiblement, les autres mutants qu'il avait vu arriver dans sa direction avaient été interceptés avant de parvenir jusqu'à lui.

Pour la première fois depuis le début de cette nouvelle attaque, il chercha Leustant et Wolfram du regard, mais ne les trouva point. Son combat n'avait duré au final qu'une poignée de minutes, mais les choses évoluaient vite dans une mêlée. Il pensa alors à ce que Philibert avait dit juste avant le début de l'attaque. Il avait décidément encore moins de parole que lui. Malgré tout, le chevalier de la Quête se dit qu'il était temps que le vieil homme comprenne que les dieux ne voulaient pas lui accorder la tête du grand Urien. Alors que des monstres, isolés ou en bandes, venaient déjà dans sa direction, Urien partit, un léger sourire aux lèvres, dans la direction dans laquelle il avait vu partir Gormont, quelques instants plus tôt.
Plusieurs hommes-bêtes lui faisaient déjà barrage. Il lui faudrait se tailler un chemin avec les force qu'il lui restait.

(* Hinard style)

Une giclée de sang provenant du cou tranché de l'homme-bête que Leustant venait d'occir avait presque éteint le feu qui commençait à prendre dans la crinière de son destrier, le jeune chevalier errant n'eut qu'à étouffer le reste des flammes avec un pan de sa cape dont les bords étaient maintenant à la fois déchirés, brûlés et souillés de sang, de boue et de merdre.

Il lui fallait à tout prix sortir de ce pétrin. Décidément, l'aventure c'était plus risqué que ce qu'il avait imaginé. Autour de lui c'était un beau bordel : les hommes-bêtes étaient partout, certains s'affrontaient entre eux, mais Leustant n'arrivait pas à distinguer ceux de Philibert des autres, pour lui ils étaient tous des mutants abjects et dangereux et il doutait sérieusement que les nouveaux arrivants soient venus pour le sauver. Il décida donc de choisir une direction et de garder le cap en taillant dans la masse pour s'en extirper. Il fit pivoter sa monture dans la direction qu'il avait choisi tout en donnant de grands coups d'épée à l'aveuglette autour de lui, et lança l'animal au galop en martelant ses flancs de ses éperons.

Une brèche ne tarda pas à s’ouvrir devant le jeune Castagnet. Il eut d’abord à taillader quelques hideuses figures et à trancher quelques membres difformes pour se frayer un chemin à travers la masse grouillante, mais bientôt sa monture prit de la vitesse et les pauvres êtres assez téméraires ou maladroits pour se trouver sur sa route étaient jetés dans la neige le crâne fracassé. S’il n’avait pas la noblesse du défunt Ronhéron, le destrier de Leustant, un fois lancé au galop, était un trop rude adversaire pour le ramassis de mutants qui formait le gros des deux bandes d’hommes-bêtes. Leur indiscipline les empêchait de faire front contre le chevalier qui put bientôt se croire tiré d’affaire. La clairière s’arrêtait à quelques toises devant lui et si les bois n’étaient peut-être pas très sûrs, ils le seraient sans doute davantage que cette clairière maudite.

Leustant sentit soudain que l’on agrippait sa jambe droite. Une affreuse créature se hissa jusque sur sa selle par de grotesques contorsions et entreprit de lui lacérer le visage avec supplice.



Les morsures et les griffures de la bête répugnante ne rencontraient que l’acier des plates mais Leustant était presque immobilisé. Il parvint à décrocher la mâchoire du mutant d’un coup de pommeau mais celui-ci ne relâcha pas sa prise. Pire, son destrier n’était plus guidé et les combats qui le cernaient, sans parler de celui qui se déroulait sur son échine, commençaient à le faire paniquer. D’autres hommes-bêtes saisissaient l’occasion et grimpaient tant bien que mal au harnachement du cheval.

Le mutant poussa un terrible hurlement et leva le bras pour donner un ultime coup de griffes en direction du visage de Leustant, mais l'épée de Leustant vint à sa rencontre et ce fut un moignon sanglant qui s’abattit. Leustant frappa derechef et fendit le crâne du monstre avant de le jeter en pâture à ses congénères. Il avait tout juste eu le temps de se préparer à un nouvel assaut quand une grande clameur éclata derrière lui, accompagnée de la plus épouvantable puanteur qu'on pût imaginer.



Le plus énorme et contrefait des trolls avançait lourdement en écrasant les combattants sur son passage. Il labourait les rangs sans se soucier de qui il touchait et un vent de panique souffla sur la clairière.

Urien pensait avoir déjà poussé ses forces dans leurs plus extrêmes retranchements, mais il lui fallait continuer de frapper sans relâche. Il avait cru distinguer Leustant l’espace d’un instant, mais il n’avait plus guère le loisir de s’en assurer. Il parvenait encore à repousser les rejetons du Chaos qui se jetaient maladroitement sur lui, mais le poids du nombre avait lentement raison de lui.

Le troll qui venait de faire son apparition semblait avancer au hasard, mais Urien remarqua que des hommes-bêtes le guidaient tant bien que mal de leurs longs aiguillons. L’immense bête faisait place nette autour d’elle et à mesure qu’elle approchait, nombre d’adversaires d’Urien tournèrent les talons. Le sire de Havras songeait à en faire autant quand sa jument se mit à boitiller, incapable de faire un pas en avant. Le troll était presque à portée de crachat quand Urien vit l’énorme homme-bête qu’il croyait avoir occis, gisant dans la neige, la gidouille vidée de sa tripaille, mais encore vif, le poing serré autour de la patte arrière du cheval. Avant que le chevalier ait pu agir en quoi que ce fût, un gigantesque pied de troll s’abattit sur la tête de l’homme-bête et projeta force cervelle et esquilles dans la neige déjà sanglante de la clairière.

Le troll faillit tuder Urien de ses larges bras, érafla la croupe de sa jument, manquant de la coucher sur le flanc, puis se désintéressa de lui pour saisir deux hommes-bêtes qu’il projeta au loin, comme par jeu. La confusion semée par le troll avait laissé de larges brèches dans la mêlée et Urien s’y engouffra, harcelé par une terrible douleur qui lui rappelait que frapper avec une jambe infirme était une mauvaise idée. Sa jument échappait presque à sa maîtrise et ne songeait plus qu’à fuir la place sans se soucier des corps qu’elle écrasait de ses sabots.

L’orée des bois avançait à toute vitesse à la rencontre d’Urien. Il sentit enfin les sombres frondaisons des arbres au-dessus de sa tête et sut qu’il avait quitté la clairière et peut-être échappé à la mort. Sa jument continuait néanmoins sa course, sourde aux ordres tant sa terreur était grande. Urien se retourna et vit un chef homme-bête hurler sa victoire aux cieux, une tête tranchée d’un ennemi à la main, debout sur un monceau de cadavres. Autour de lui, la bataille continuait.


L’arrivée impromptue mais finalement providentielle du troll bicéphale avait semé une telle panique que Leustant avait pu s’éclipser sans demander son reste. Il ne trouvait plus sur son chemin que quelques fuyards qu’il fauchait d’un hâtif coup de taille. Malheureusement, le troll était suivi d’une bande de massifs hommes-bêtes aux larges cornes, qui semblaient l’avoir poussé devant eux pour dégager la voie à peu de frais. Le chef victorieux qui se tenait l’instant d’avant sur son tas de cadavres fut coupé de ses suivants et taillé en pièce. Les nouveaux venus dépassaient d’une bonne tête la plupart de leurs congénères mais paraissaient étrangement décatis, maladifs comme certains des hommes-bêtes que Leustant avait affrontés lors de l’embuscade qui avait coûté la vie à Girard et Celdric. Un nuage de mouches bourdonnait autour d’eux.

Ils laissèrent quelques débris de troupes rescapés de leur assaut prendre la fuite et resserrèrent les rangs. Plus aucun combattant ne paraissait accorder la moindre attention à Leustant. Certains se ralliaient à la bannière crasseuse des grands hommes-bêtes, qui, pour autant que le jeune Castagnet en put juger, représentait une gueule difforme vomissant on ne savait quelles horreurs ; d’autres à l’inverse fuyaient dans le plus grand désordre quand une nouvelle troupe arriva et arrêta net la déroute. Philibert s’avançait à cheval au milieu de sa garde, nimbé de flammes magiques. Pendant qu’il éteignait sa barbe qui venait de prendre feu, les deux bandes se toisaient avec des cris et bêlements horrifiques. Les rangs de chacune des troupes s’ouvrirent et Philibert entama un impressionnant combat singulier avec un chef adverse, qui lui tenait tête sans difficulté quoiqu’il fût à pied.



Alors que les champions échangeaient passes d’armes et sortilèges, l’un des suivants de Philibert brandit sa hache en direction de Leustant, sans doute pour ordonner qu’on le saisisse. Plusieurs hommes-bêtes se lancèrent à ses trousses mais la monture du chevalier, quoique diminuée, était encore trop leste pour eux. Leustant disparut à travers les arbres.

Urien était enfin parvenu à calmer sa jument. Elle haletait, ruisselante de sueur et poussant des hennissements effrayés. Il entendit un galop et Leustant surgit entre deux châtaigniers. De là où ils étaient, ils ne pouvaient voir ce qui se passait dans la clairière, mais les cris et le fracas des armes leur disait assez que le combat continuait de plus belle.

Urien jeta un regard autour de lui. Les bois paraissaient tranquilles, mais grouillaient sans doute de mutants de toute sorte.

Il ressentit soudain un choc à l’arrière du crâne. Il s’apprêtait à scruter de nouveau la pénombre à la recherche de quelque rôdeur quand Leustant, qui n’avait pu retenir une exclamation de surprise, lui montra du doigt une silhouette sombre perchée sur une branche basse. Sauf erreur, il s’agissait d’un jeune garçon au visage assez déplaisant, pourvu de grandes pattes d’oiseau.

« Haha ! Encore les cons ! Je vous encule ! Je vous encule tous ! »

Urien plissa les yeux et observa le petit plume-au-cul avec stupeur et, étrangement, un certain dépit tant il faisait peine à voir en comparaison des énormes abominations qui luttaient à quelques toises de là.

« Un ami à vous ? » demanda-t-il à Leustant. Puis il se souvint d'avoir déjà entendu parler d'un enfant au cul emplumé.
« Attendez... n'aviez-vous pas dit l'avoir tudé avec force supplice, ce gamin insolent ? Il semblerait que vous ayez surestimé le tranchant de votre épée... ou sous-estimé l'opiniâtreté de ce petit démon.»

Parler était difficile pour Urien qui avait toutes les peines du monde à reprendre son souffle après ces instants de lutte acharnée. Il prit malgré tout la peine de s'adresser au petit mutant qui l'insultait du haut de sa branche.

« En voilà de belles promesses, mouflet, mais bien peu convaincantes, j'en ai peur. Descends donc de ta branche si tu veux savoir qui enculera l'autre ou laisse-nous partir sans délai ! »

L’enfant-oiseau éclata d’un rire grêle et particulièrement désagréable.

« Même pas peur, même pas mal ! » fit-il en lançant une pierre de sa fronde à Leustant. « Viendez me chercher, si que vous avez des couilles ! Lèche-verrue ! Mange-merdre ! Je vous encule ! »

« Mangeur de vomi ! Tripoteur de couilles bleues ! Tête de bourse emplumée ! Je te viole la bouche... » Urien leva alors l'index et le majeur bien haut pour que le garçon les voie « ... deux fois ! Racaille de ma merdre, chien de l'enfer d'Yssoudun, sodomite cosmopolite, phalle d'homme-poulpe, fils de pute de Bordeleaux, travesti sylvanien, salopard de rebelle ! Tu as une grande bouche mais autant de couilles que ma jument. Tu voudrais que nous montions te chercher ? Mais, mon pauvre enfant, si tu veux ta pétée, il te va falloir la chercher ici bas.»

Urien avait fini par reprendre un peu de vigueur et de souffle.

« Viens donc, mon petit, aie confiance, et je te jure qu'on verra le jour à travers toi quand j'en aurais fini. Pas de pitié, pas de tendresse, ça va être les douze batailles de Gilles dans tes fesses !»

« Même pas vrai ! » cria le jeune mutant, qui ne s’inquiétait manifestement pas d’être entendu à trois lieues à la ronde. « Qui que t’es, d’abord, et pourquoi que tu viens ici ? T’as une gueule à boire du jus de vérole ! Et ta mère se fait monter dessusse par les boucs, et ta sœur, je l’encule ! Et je t’encule aussi ! »

Il lui envoya une volée de petits cailloux avant de reporter son attention sur Leustant.

« Et toi, je t’encule ! Même pas mal, t’as vu ! même pas mal ! Tu bouffes par le cul et après tu chies par la bouche, et pis le gars qu’est avec toi y t’encule toutes les nuits, et moi aussi je t’encule, et ton épée elle fait même pas mal ! Haha ! Je vous encule ! Et même, je vous chie dessusse ! »

Il sauta lestement sur une branche plus basse et agita son derrière emplumé face aux deux chevaliers, tentant apparemment de joindre le geste à la parole.

« Pot-pot-pot-pot-pot-pot. Au secours ! Y a un piaf qui me menace avec son gros cul emplumé ! Descends d'une branche encore que je t'empale l'arrière train avec mon phalle d'airain. La position est parfaite.»

Fatigué, Urien décida qu'il vallait peut-être mieux en rester là car le danger était encore très présent et chaque minute passée ici les empêchait de mettre un peu de distance entre les mutants et eux.

« Bon, mon garçon, tu es plutôt drôle et je suis certain que tu pourrais faire for... du moins que quelqu'un pourrait faire fortune en t'exhibant dans les rues d'une grande cité. Cependant, tu n'as rien à dire et tu nous fais perdre un temps précieux. Nous allons donc prendre congé, surtout que tu vises trop mal pour être une véritable menace... mais peut-être es-tu juste trop haut et éloigné de nous pour nous atteindre. Rapproche-toi si tu veux toujours nous enculer. Sinon, j'ai une autre idée: et si tu allais voir là-bas si Guinefort y est ?»

Sur ce, Urien pointa du doigt la direction des combats. Il tapota calmement l'encolure de sa monture, qu'il caressa un instant, puis commença à reprendre la route.

« Venez Leustant, nous avons perdu suffisamment de temps avec ce petit sodomite qui nous jalouse car, nous, nous avons des jambes en harmonie avec le reste de nos corps.»

Leustant était tellement abasourdi qu'il en oublia d'esquiver la pierre, heureusement lancée avec peu de force, en sa direction. Elle rebondit sur son épaulière dans un "bonk" sonore.

"Mais... je lui avois tranché la gorge, je m'en souviens. Ces mutants se resgénèrent-ils donc aussi prestement ?"

Urien l'appela et l'enjoint à repartir.

"Au galop, dans ce cas. Je ne tiens point à ce que ce cul-de-piaf nous suive comme il l'a déjà fait pour nous exaspérer."

S’éloigner de la clairière s’avéra plus difficile qu’il n’y paraissait. Leustant et Urien étaient perdus au milieu d’une forêt dense et obscure, sans Philibert ni Gormont pour leur servir de guide. L’aube approchait, mais il était encore impossible de distinguer le moindre sentier parmi les ronces et les taillis enneigés, et les chevaux avançaient lentement. Pis encore, l’enfant mutant ne s’était nullement laissé décourager par les paroles amères des chevaliers et les suivaient à quelque distance en sautillant de branche en branche avec force jets de pierraille et moult « Je vous encule ! » Il les dépassait parfois et venait les narguer en restant tout juste hors de portée, puis se moquait à grands cris de l’insondable bêtise des deux compagnons, qui prenaient à l’évidence un mauvais chemin et périraient misérablement.

Ses pitreries ne s’interrompirent que lorsqu’un cheval se fit entendre. Urien et Leustant avançaient l’un derrière l’autre dans un étroit passage entre les arbres, l’arme au poing, quand le cavalier apparut sur leur gauche. Dans la pénombre, ils reconnurent Gormont, en aussi piteux état qu’eux-mêmes. Son tabard était en lambeaux et il semblait blessé au flanc. Il maintenait en selle Hugo, évanoui et la bouche en sang. Wolfram chevauchait derrière lui, à peine mieux portant.

« Il ne verra pas le matin si nous ne le soignons au plus vite. » fit Gormont, le souffle court, en désignant l’infortuné halfling. « Cette attaque nous a tous sauvé. Vous avez vu que votre coopération n’aurait guère trouvé de récompense. Nous pouvons encore nous échapper si… »

« Je vous encule ! »

« Qu’est cela ? » s’écria Gormont en sursautant.

« C’est la pétée ! » hurla l’enfant-oiseau sur sa branche. « Haha ! Je vous encule ! »

« Oh, ça... juste un oiseau, enfin, en quelque sorte. N'y prêtez pas trop attention. Je l'ai nommé Plume-au-cul car ce nom lui sied. »

L'arrivée du jeune emplumé et la réaction qu'elle avait suscitée chez Gormont aurait provoqué une incontrôlable hilarité s'il avait été plus en forme.

« Je ne me risquerai pas à dire quoi que ce soit sur la suite des événements, mais je crois qu'il y a bien une leçon à tirer de ce qu'il vient d'arriver. Bonnes ou mauvaises, les décisions que nous prenons pèsent bien peu quand le sort a déjà décidé de l'issue d'un événement. Je doute que notre nouvel ami nous suive avec autant d'aise si nous allons en terrain découvert, et nos montures nous sauraient gré de les tirer de cette épouvantable forêt, mais si des chevaliers du Puech sont à vos trousses, je suppose que la chose serait dangereuse.» Il soupira. « Il nous faut du repos. Du repos, des soins et encore du repos. Or nous ne connaissons même pas cette maudite région. Vous êtes notre seul espoir, sire Gormont. Allez et nous vous suivrons.»

Gormont continuait de jeter un regard noir à l’insupportable Plume-au-cul, qui ne cessait de lui adresser des gestes obscènes, mais prit le parti de l’ignorer.

« Moi-même, je ne sais trop où aller. » répondit-il à Urien, la voix affaiblie par la souffrance. « Il importe avant tout de s’éloigner du Puech, bien sûr, mais nous pourrions tomber sur des bandes d’hommes-bêtes en maraude où que nous allions. Les bois doivent grouiller de leur engeance. Nous pouvons nous diriger vers le nord-ouest et les hauteurs, mais nos bêtes sont déjà fatiguées et peineront dans la montée, ou bien descendre vers les rives du Rieusset, à l’est, où les marais nous freineront tout autant. Les deux chemins sont difficiles et aucun ne nous protègera des hommes-bêtes. Pour ma part, je ne saurais dire lequel vaut mieux. Qu’en dites-vous ? »

« Je vous encule ! »

L’enfant sauta sur une branche basse, se balança agilement et envoya ses grandes pattes d’oiseau presque sur la figure de Gormont, mais ne les retira pas assez vite. Gormont, qui avait gardé l’épée en main, venait d’en trancher une. Le jeune mutant parut d’abord sur le point d’éclater de rire, mais la douleur le fit lâcher prise et il s’abattit dans un buisson. Gormont descendit péniblement de sa monture et s’approcha de l’enfant qui gémissait, mais s’arrêta net, muet de stupeur. À la faible lumière de l’aube, on voyait la chair du moignon se tortiller jusqu’à former un embryon de membre. Revenu de sa surprise, Gormont tenta de clouer le mutant au sol d’un coup d’estoc, mais l’hésitation du chevalier lui avait donné le temps de se relever et il s’éloigna vivement à cloche-pied, sa patte encore infirme repliée sous lui. Il grimpa à un arbre et disparut dans l’obscurité.

« Maudite vermine. » grogna Gormont en remontant en selle. « Il vaudrait mieux partir au plus vite. Si ce rebut rencontre une troupe d’hommes-bêtes, il pourrait bien les lancer à nos trousses. Eh bien, quel chemin choisissez-vous ? Les marais ou la montagne ? »

« J'ai eu ma part de marais, depuis notre départ de Massillargues.» répondit Urien. « L'air y est vicié, il y règne saleté et puanteur et l'humidité y est propice au pourrissement. C'est sans doute le pire endroit pour des blessés. Sans parler des crapauds géants. Même si les difficultés de la montagne pourraient nous être mortelles, je propose de passer par les hauteurs.»

Si Urien se devait de considérer l'état de faiblesse de sa monture, il lui semblait tout de même préférable de prendre le risque de passer par les montagnes que de retourner patauger dans un marécage nauséabond.

« Avec un peu de chances, nous trouverons quelque caverne abritée du vent pour passer la nuit. Les montagnes offrent plus facilement refuge aux voyageurs que les marais. Quel est votre avis, Leustant ? »

Leustant ne semblait pas tout à fait du même avis. Les marais n'avaient aucun secret pour lui, puisqu'il avait vécu dans une région marécageuse depuis sa naissance jusqu'à son départ en errance. Tandis que les montagnes... Il avait entendu tant d'histoires à propos d'embuscades dans des défilés et de créatures monstrueuses et affamées de chair humaine vivant dans les cavernes et guettant leurs proies depuis les hauteurs.

"Pour ma part je préfère les marais, même si l'odeur n'est pas celle du dernier parfum à la mode chez les elfes, au moins l'on peut voir l'esnemy approcher alors qu'on ne sait jamais ce qui peut se cacher à l'ombre d'un relief."

Leustant se tourna vers Gormont, attendant qu'il tranche en faveur de l'une ou l'autre des alternatives.

« Dans notre état, même si l'ennemi patauge, nous ne pourrons pas lui échapper. Celà nous fera une belle jambe de le voir venir de loin. Wolfram n'est pas en mesure de décider quoi que ce soit. Gormont, il vous va falloir trancher, je le crains.»

Gormont ne parut pas enchanté de voir le choix lui revenir. Il resta un moment le regard perdu dans l’obscurité environnante, sans mot dire.

« Nous prendrons le chemin du nord-ouest. » fit-il enfin. « Le risque d’y être repérés et assaillis me semble moindre que dans les marais. En outre, il se peut que les hommes du Puech aient renoncé à nous donner la chasse dans les montagnes, mais ils essaieront au moins de mener une battue dans les marais du Rieusset. En route. »

La troupe repartit au galop, Gormont en tête. La nuit touchait à sa fin et le ciel reprenait peu à peu la couleur grise et terne des journées précédentes. Ils ne tardèrent pas à déboucher sur un sentier à demi effacé sous la neige et leur chevauchée se fit plus rapide que parmi les arbres enchevêtrés.

« Nous allons essayer d’atteindre l’ancien château des Espinaux. » dit Gormont alors qu’ils s’engageaient dans un chemin qui grimpait vers les hauteurs. « C’est une forteresse en ruine, qui doit être abandonnée depuis deux bons siècles, pour le moins. À condition de nous montrer prudents, je pense que nous y serons plus en sûreté que parmi les arbres. Nous avons des blessés à protéger du froid et de la neige, et il nous sera également utile de prendre un peu de hauteur pour voir venir d’éventuels visiteurs. Nous aurons peut-être à déloger une ou deux goules, mais la place me paraît préférable à un creux de racine enneigé, sans compter que nous pourrons y allumer un feu sans grand risque d'être remarqués. »

"Si vous êtes sûrs qu'il n'y a que des goules dans les hauteurs, eh bien je vous suis."

Leustant se rappelait de son enfance, quand son père l'avait emmené à la chasse aux escargots géants dans le Marais de la Bave. C'était là qu'il avait vu des goules pour la première fois, alors que la nuit tombait. Elles étaient trois en train de manger un escargot géant mort. Ces créatures étaient si lâches qu'à la vue du chevalier elles s'étaient enfuies. Le baron Frédégast les avait prestement rattrapées grâce à sa monture et les avait transpercées de sa lance.

Il se rappelait les paroles de son père : "quand tu en vois une", disait-il, "il faut toujours la tuer. Individuellement, elles ne présentent pas un grand danger, mais si tu les laisses s'en aller, elles reviendront en plus grand nombre et elles voudront te manger".

[Note de l'historien : le Marais de la Bave est l'ancien nom de la zone connue aujourd'hui sous le nom de "Marais des Goules", la prolifération de ces êtres noctambules ayant fait disparaître quasiment tous les escargots géants qui peuplaient autrefois cette région. On raconte qu'il en existe encore de nos jours, mais ils doivent être extrêmement rares. Le reliquaire de Bavmorve, le dieu-escargot de Sainct-Landouin-sur-Soivre, est probablement constitué de la coquille de l'un des derniers escargots géants ayant vécu dans les environs du village.]

Silencieux, Urien était pour sa part très concentré car il s'attendait à rencontrer des épreuves très physiques en chemin. Se sachant diminué, il lui faudrait toute son attention pour passer les obstacles à venir, d'autant que sa monture était elle aussi à bout.
Il avait malgré tout été heureux de la décision de Gormont et craignait bien moins les goules que l'angoisse de voir arriver un ennemi sans possiblité de fuir pour l'éviter, dans un grand terrain marécageux et découvert.

Alors que les dernières étoiles de la nuit disparaissaient dans un matin brumeux, les difficultés commencèrent. Les sentiers devenaient malaisés et rocailleux, et les bêtes, déjà épuisées, n’avançaient que lentement. Les chevaliers retrouvaient les paysages grandioses mais peu propices aux voyages qu’ils croyaient avoir définitivement laissés derrière eux il y avait de cela quelques jours.



« Nous pouvons remercier Taal pour ce brouillard. » fit Gormont. « Il ne devrait pas nous gêner outre mesure : nous ne sommes plus très loin des Espinaux, et nous ne risquons guère de nous égarer. En revanche, j’espère qu’il rendra notre piste plus difficile à suivre. Si comme je le pense Arnaud a envoyé des hommes dans les marais et que le brouillard s’étend jusque là-bas, je leur souhaite bien du plaisir. »

À ses côtés, Hugo avait repris connaissance mais semblait à deux doigts de la mort ; quant à Wolfram, il ne cessait de grimacer de douleur. Gormont n’avait pris qu’un instant pour panser ses propres blessures, et la chevauchée était à l’évidence éprouvante pour lui.

« Peut-être aurais-je dû vous prévenir immédiatement de la trahison de votre guide, » fit-il à Leustant et Wolfram, « mais je n’avais aucune preuve de ce que j’avançais lorsque je suis enfin parvenu jusqu’à vous. Il fallait avant tout vous sortir de cette souricière qu’était pour vous le Puech, et j’avoue avoir été soulagé de ne pas vous entendre vous soucier de Philibert lors de notre évasion. J’en viens à me demander si vous n’aviez pas déjà quelques soupçons.

J’espère avoir bientôt le temps de vous raconter tout cela plus en détail, mais sachez que le véritable Philibert du Montet est mort il y a de cela quelques mois. Il n’avait plus quitté son sanctuaire de la forêt de l’Elze depuis bien des années, aussi nul ne s’en est aperçu, que je sache. Il a été tué par celui qui usurpe à présent son nom, aidé de quelques complices. Je suppose que son cadavre pourrit à présent dans un fossé, s’ils ne s’en sont pas servi pour quelque ignoble rituel. L’homme qui se fait appeler Philibert du Montet se nomme Raymond de Malbosc. C’est un vassal du baron de La Tour qui s’est laissé entraîner dans les complots de Fontanes. Comme le véritable Philibert du Montet n’avait plus visité Massillargues depuis des décennies et que ni le nom ni le visage de Raymond de Malbosc ne sont connus dans la région, il lui a suffit de prendre les armes et les couleurs de Philibert pour vous berner tous.

Vous avez vu qu’il n’hésite pas à s’allier à des hommes-bêtes. Il n’y a pas à être docteur en sciences occultes pour deviner qu’il pratique la sorcellerie et rend un culte aux Dieux Sombres. Je pense que vous comprenez à présent que les conquêtes du comte de Fontanes n’augurent rien de bon pour la Gasconnie. Si cet homme-là parvient à devenir duc, il y aura du souci à se faire. »

Urien écouta l'histoire d'une oreille attentive. Raymond de Malbosc, il n'oublierait pas ce nom et il n'hesiterait pas à le souiller et le malmener par de bien grasses injures une fois face à l'usurpateur.
A bien y regarder, le chevalier de la Quête constata qu'une fois encore, leur troupe se retrouvait menée par un chevalier dont ils ne savaient rien. Raymond était vassal de la Tour mais fidèle à Fontanes. Qu'en était-il de Gormont ? Vers qui pouvait bien aller son allégeance ? Il y avait ici beaucoup de factions, certaines dont ils n'avaient entendu parler, même. Il était difficile de faire la part des choses.
Gormont connaissait manifestement Malbosc et faisait donc partie de ceux à qui le seigneur Arnaud n'avait pu mentir lors du grand banquet dont on lui avait parlé, pourtant, il avait trahi ce seigneur qui lui faisait assez confiance pour le compter parmi ses conjurés.
Urien n'avait rien vu de l'évasion du Puech et commenca à redouter quelque fourberie insensée. Et si Arnaud avait conclu quelque faux plan d'évasion des messagers de Massillargues pour duper Raymond et Fontanes, deux alliés bien encombrants et qui avaient peut-être trop partie liée avec le chaos pour un simple seigneur local qui ne désirait en réalité qu'accroître son pouvoir personnel sans changer la région en ruines fumantes ?
Ce Gormont pouvait tout aussi bien être vassal de la Tour ou pis encore. Si rien ne permettait pour le moment de douter de lui, au moins l'expérience de leur voyage précédent pourrait-elle servir à garder Urien méfiant.

« Duc, dites-vous ? Ma foi, cette région connaîtra des temps troublés, quoi qu'il advienne, et je doute que l'horreur ait atteint son paroxysme pour le moment. Cependant, la Bretonnie est remplie de chevaliers moins pourris ou plus fanatiques que ceux d'ici, aussi je doute sérieusement que le Roy et la Fée enchanteresse resteraient les bras croisés si une mauvaise situation devait s'installer. Il y aurait certainement une croisade, des pillages, des annexions de terres par des nobles d'autres régions et il n'en ressortirait rien de bon pour les gens du commun de Gasconnie qui auraient à affronter des malheurs supplémentaires, mais je doute qu'un usurpateur vendu au chaos puisse conserver longtemps le pouvoir. Fontanes est gourmant. Au bout du compte, il regrettera ses mauvaises actions, peut-être au bout d'une corde ou sur un bûcher, comme un vulgaire gueux sans nom ni rang.»

« Le comte Albéric est gourmand, sans aucun doute. » répondit Gormont avec une sorte de demi-sourire douloureux. « Mais il sait se montrer patient. Si son ost a volé de succès en succès, ce n’est pas uniquement le fait de sa valeur ou d’un hiver qui pour l’instant lui a été propice ; Albéric s’est assuré qu’aucun de ses puissants voisins ne s’opposerait sérieusement à lui, ce qui me fait penser qu’il prépare sa campagne depuis longtemps. Il a par exemple attendu que le marquis de Perbrancas et le baron de La Tour se brouillent définitivement avant de lancer ses vassaux à l’attaque. Peut-être même a-t-il conclu un pacte avec eux.

Qu’Albéric soit un esclave des dieux du Chaos lui a plutôt réussi, jusqu’à présent. Voilà des années qu’un culte de sorciers infecte la Gasconnie. Il semble qu’il ait réussi à en prendre la tête. Ainsi, il dispose d’agents dans tout le duché, et sans doute au-delà. Je doute cependant qu’il cherche dès à présent à devenir duc. Je ne sais si vous êtes très au fait de la situation à la cour ducale ; sachez que le régent est un lièvre qui obéit à ceux des vassaux qui lui font le plus de peur. Albéric pourrait régner un temps à travers lui. Je suppose qu’ensuite, il chercherait à faire assassiner le jeune duc, précipiterait la Gasconnie dans l’anarchie, puis se poserait en providentiel homme à poigne et se ferait reconnaître comme suzerain par les grands du duché. Le roi est à Couronne ; il se peut qu’il intervienne trop tard pour faire autre chose que confirmer le choix d’Albéric comme duc –s’il intervient.

Je crois que le meilleur espoir que nous avons si nous voulons l’empêcher définitivement de prendre le pouvoir est de révéler qu’il est un sorcier et un serviteur des Dieux Sombres. De nombreuses rumeurs courent déjà parmi le peuple, mais c’est la noblesse qu’il faut convaincre. Si sauver Massillargues et avec elle une bonne part du duché vous importe, je vous conseille de faire route au plus vite vers Perbrancas, La Tour ou une seigneurie de moindre importance, comme Florac ou Maurines. Vous n’avez guère d’autre preuve que votre parole, bien sûr, mais d’autres viendront peut-être la confirmer. »

Si Urien était d'accord sur le fond en ce qui concernait le plan de Fontanes, il pensa malgré tout que si l'Enchanteresse de Bretonnie, sans doute très vigilante lorsqu'il s'agissait du chaos, bougeait, les chevaliers du Graal de tout le Royaume montreraient enfin leur manière d'administrer les punitions. Si la situation allait sûrement être bien différente de celle qu'avait connu Moussillion lors de la trahison de mérovée, les effets seraient similaires. Tout le Royaume reposait sur l'équilibre des forces entre les hauts nobles, en particuliers les ducs. Si un duché sombrait totalement dans l'anarchie, les autres entreraient en guerre les uns contre les autres pour parvenir à un nouvel équilibre.
Urien pensa qu'il y avait une raison simple expliquant l'absence d'arbitrage royal depuis le début des troubles: la couronne était probablement occupée à empêcher Quenelles et Brionne de profiter de la faiblesse de la cour Gasconnienne en insistant sur la légitimité du pouvoir du jeune duc.
Si tel était le cas, la suite des événements serait très intéressante, à partir du moment où un serviteur du chaos viendrait manipuler le duc, lui-même soutenu par le Roy. La pourriture du duché était telle qu'une campagne extrêmement violente allait être nécessaire pour remettre de l'ordre. Il était préférable d'éviter une intervention extérieure qui pouvait mettre en péril l'ordre du royaume, après tout.
La seule solution était donc de convaincre la noblesse locale de rétablir la situation elle-même, Gormont avait dit juste. Dès l'instant où Gormont avait dit ignorer où il leur fallait aller, Urien avait pensé aller chez l'un des rivaux de Fontanes. C'était bien la seule option logique car eux n'étaient pas en mesure de faire quoique ce soit dans leur situation.

« Je n'ai malheureusement aucune chèvre sur moi.» déclara Urien. « Perbrancas serait dans de bien meilleures dispositions si j'avais celà. Je redoute de dire ce que je suis sur le point de dire, car je crois l'homme aussi fou que mon propre père l'était, mais il nous faut aller à la Tour. Raymond était l'un de ses vassaux, il n'ignore certainement rien de son absence, sinon de sa trahison. Le convaincre sera sans doute plus facile que le marquis, quoique difficile quoiqu'il arrive. Le problème reste qu'il peut avoir d'autres vassaux douteux parmi sa cour. J'y vois tout de même notre meilleure chance.»