[IYAQCDPDLDDG] Chapitre II

En ce sombre hiver de la non moins sombre année 1126, la petite ville de Valfons faisait figure d'exception. Alors qu'autour d'elle, tout le nord du duché de Gasconnie plongeait allègrement dans le chaos, elle gardait un commerce florissant, des habitants pleins d'entrain et une milice active et déterminée. On attribuait communément ces trois faits singuliers à la bénédiction des dieux, aux méthodes des marchands valfonsois qui brassaient des fortunes en profitant de toutes les façons possibles de l'anarchie ambiante, à l'abondante production des vignobles locaux et à la récente loi qui confiait les biens des condamnés à mort aux hommes responsables de leur arrestation.

Comme pour narguer le reste de la région, alors que débute notre histoire, Valfons entame ses traditionnelles festivités de la Saint-Philibert, remarquables à bien des égards. En plein hiver, pendant trois jours, les joyeux Valfonsois célèbrent le souvenir du légendaire Philibert du Montet, héros des temps jadis et enfant de la région, en défilant masqués dans les rues, en buvant plus de raison et en fourguant à prix d'or aux étrangers ce qu'ils vendent le reste de l'an pour une bouchée de pain. La foire s'achève, sauf accident, par un grand cortège sillonnant les rues de la ville, mené par un manequin aux couleurs vives (affectueusement surnommé « Lou Philou ») ; après avoir été présenté aux quatre portes de Valfons, ce dernier est traîné jusqu'à la grande place de la Hart (habituellement théâtre des exécutions capitales), où il est brûlé avec force danses, chants, beuveries horrifiques et autres démonstrations d'allégresse populaires.




De par un décret du bienveillant marquis Foulques de Perbrancas, sur une humble demande du conseil des échevins qui gère en son nom les affaires courantes de la ville, les péages habituels des portes et ponts sont supprimés durant les trois jours que dure la foire ; il est ainsi loisible à chacun de se rendre à Valfons et d'y circuler le plus librement du monde. De l'avis général, c'est excellent pour le commerce. C'est aussi excellent pour favoriser les débordements regrettables en tout genre ; mais la milice veille.


Au milieu de la foule compacte et avinée qui grouillait place de la Hart, un homme sec, le visage maigre, cheveu noir, moustache noire, bouc noir et habits noirs, tentait tant bien que mal de rejoindre son auberge. Habituellement, la grande plume (noire) de son feutre lui attirait à elle seule maints regards curieux, et après quelques secondes d'observation, les gens concluaient qu'il s'agissait là de quelque prince ou brigand étranger, à qui il vallait mieux ne point marcher sur les pieds, et tous faisaient place. Aujourd'hui, cependant, vêtement noir et panache noir passaient inaperçus parmi les Valfonsois en costume bariolé. L'homme en était réduit à jouer des coudes en jetant autour de lui un regard noir.

Cet homme tout noir se nommait Ferdinando Anselmo Giovanni Ermenegildo della Spada Sacra, mais on l'appelait parfois Din. À quelques pas derrière lui, perdu dans la place noire de monde, un petit homme sautillait fébrilement en essayant de le rejoindre. Celui-ci était connu sous le seul nom de Beppe, ce qui est plus court et plus commode que Ferdinando Anselmo Giovanni Ermenegildo della Spada Sacra, il faut l'avouer.

Din en était à maudire une fois de plus les Valfonsois et leur fête stupide quand une clameur se fit entendre à sa gauche. Des hommes poussaient des cris et proféraient force jurons et menaces diverses, pendant que d'autres protestaient bruyamment. Le tumulte s'approcha et Din comprit qu'il s'agissait du passage de quelque haut personnage à travers la foule. Un riche marchand, gras et vêtu d'habits luxueux, mais d'un goût exécrable, était précédé de trois robustes valets qui faisaient place nette devant eux par de généreux coups de gourdins. Din fut bientôt pris dans le flot de gens qui fuyaient les bastonneurs et fut forcé de marcher à vive allure pour n'être point jeté au sol et éviter de périr misérablement, piétiné par la populace.

Alors qu'il tentait une audacieuse percée en direction d'une ruelle proche, il heurta de plein fouet un homme bedonnant, le cheveu en bataille. Les deux compères vinrent rouler au sol, jusqu'aux pieds d'un groupe de festoyeurs affublés de déguisements et de masques tous plus grotesques les uns que les autres, un peu en retrait de la foule, devant une taverne que l'on couvrait de lampions colorés en prévision de la soirée. Un grand éclat de rire salua le spectacle des deux hommes contus et trébuchants, suivi de l'arrivée d'un Beppe qui gesticulait frénétiquement et se portait au secours de son maître comme s'il craignait de le voir périr faute de soins.

Deux des fêtards, chopine à la main et déjà légèrement gris, vinrent en riant aider les deux malheureux à se relever et les menèrent au milieu de leurs compagnons, parmi les tabourets et les tonneaux, à l'ombre d'un grand tilleul auquel s'adossait un joueur de cornemuse.




« Ô, chef ! Sers-y donc à boire, qu'ils en ont bieng besoing ! » cria l'un d'eux, un jeune homme brun en habits de bouffon, à l'attention du tavernier qui était accouru pour se joindre à l'allégresse générale.

Son compagnon, un grand et massif barbu, leur fourra dans les mains les verres de vin que le tavernier venait d'apporter, sans leur laisser le temps de dire un mot. « Çà, c'est qu'y faut vite dégager, quand notre brave échevin vient à passer, eh ! » s'exclama-t-il avec un formidable accent gasconnien assorti de maintes tapes énergiques dans le dos de Din. « Vous, vous n'êtes point d'ici, que ça se voye tout de suite. Comment que vous vous appelez, mes cochons ? Moi, c'est Bruneau Lacognée, lui, c'est Martin Croque-Oneille et lui Evroul L'Anchois. » ajouta-t-il en désignant tour à tour le jeune homme brun et un autre de ses compagnons, petit, maigre et nerveux, les cheveux déjà grisonnants.

(Din, Guyon, c'est à vous. Marius arrivera un peu plus tard, mais il ne perd rien pour attendre, ayez confiance. )

Alors qu'il se relevait de cette chute peu glorieuse, aidé par Beppe qui, il l'aurait juré, avait esquissé un sourire, Din récitait un chapelet d'injures bien de chez lui, confirmant en cela à l'assemblée improvisée autour de lui ses origines étrangères.

Lorsque Bruneau lui tapa dans le dos, Din se raidit et fut à deux doigts de dégainer sa rapière, excédé par la fatigue du voyage et la honte de ce vautrage en règle. Mais à la vue du gobelet de vin tendu vers lui, il se ravisa. Il avait la gorge sèche et grand besoin de s'abreuver.

"Signore, sachez qué vous avez à faire à oune gentilhomme dé Tilea et qué je né tolère pas qu'oune manant mé parle sur ce ton et mé démande ainsi mon nome."

Un bref silence suivit cette entrée en matière.
J'en profite pour dire à l'attention de tous que les textes avec l'accent Tiléen, c'est drôle, mais qu'à la longue, ça va me gaver. Aussi vais-je proposer désormais une version doublée en bon françois.

"Cependant", reprit Din, "je veux bien vous proposer un échange : mon surnom contre ce gobelet de vin." Il se saisit dudit gobelet et ajouta : "Sachez que ce gobelet va être vidé par Din, et que si ce breuvage est aussi bon que le petit vin des coteaux près de chez moi, j'oublierai cet incident."

Il vida le gobelet d'un trait et resta un long moment immobile, les yeux dans le vague. Enfin, il dit : "J'oublierai donc cet incident."

Il tendit alors son verre à Bruneau en disant : "Servez-m'en un autre. Et versez-en aussi à mon fidèle Beppe, il l'a bien mérité.". Il s'assit sur une chaise, à l'envers, prenant appui sur le dossier et jeta - enfin - un regard sur l'homme avec qui il était entré en collision.

"Et vous, me direz-vous le nom de celui qui m'a fait choir de la sorte ?"

Le bedonnant personnage resta interdit un instant. Il vida sa chope, arracha sa toque et dit

"Ceution point fait exprès, Monseigneur. A vous vir de prêt, j'vois ben qu'vous êtes point le bon seigneur Eugard, c'est bien dommage. J'm'excuse d'la méprise, Monseigneur."

Il se tut. Un instant.

"EUh, oui, c'est Guyon qu'on me nomme"

Din examina Guyon de pied en cap, et finit par lui demander :

"Qui est ce seigneur Eugard, et en quoi est-il dommage que je ne sois pas lui en ce moment ?"

Guyon se mit à loucher sur ses chausses d'où dépassaient ses orteils crasseux. Il n'aimait guère que les nobles lui adressent la parole si directement, il ne savait jamais trop comment répondre sans passer pour le parfait imbécile qu'il était.

"Bé, le Seigneur Eugard c'est mon seigneur, j'suis comme qui dirait son valet sauf qu'il y a quelques mois, ceution à peu près à la veille des fêtes de l'printemps à Chessy les Mereuils, le ti village où qu'y font du V'lour de Châlons, 'savez c't'sorte d'vinousse un peu sucré à la robe jône comme un soleil, et ben les zodieuses peaux vertes, comme qui disait le chevalier Eugard, sont arrivées pour y foutre un bazar digne d'un port tiléen pendant l'grande croisade, sans vous offusquez monseigneur.

Et mon maistre le Chevalier Eugard de Pont Essart , a dit suivre lé pélcan et tailler en pièce ses adversaires. Sauf que moi, j'ai bien suivi le pélican mais c'est les peaux vertes qu'ont finies par me tailler en tiots morceaux. Quand j'm'ai réveillé, point de seigneur Eugard, ni vif ni pelé ni mort. J'pense qu'il a dû partir pour d'autres aventures et moi, vu que j'suis son valet, faut bien que j'le trouve pour continuer mon métier sans quoi j's'rai plus qu'un vagabond et qu'l'idée m'plaît pas trop.

V'là en quelques mots mon histoire, seigneur Din"

Guyon esquissa un sourire et l'ensemble des manants reculèrent, tant il semblait probable que les choses noirâtres qui lui servaient de dents puissent leur sauter dessus à l'instant.

« Beh, mong péquélet, » fit Bruneau alors que le tavernier resservait du vin à la noble assistance pour la troisième ou quatrième fois, « tu nous a fait ung discours qu'ong dirait celui du premier écheving à l'ang neuf, celui que personne il entrave, tellement que c'était long. J'eng aye soif pour toi. »

« Drôle d'histoire, que tu nous fais. » renchérit le jeune Martin. « Moi, si que j'aurais été larbing, j'aurais bieng été trop content de pouvoir m'eng aller-z-au loin. Que c'est bieng toujours pareil, et sont bieng tous les mêmes : que pour te faire astiquer la godasse, pas de souci, mais quand y faut te payer le coup à boire, pfuit ! mong zob ! » Et il fit le geste à l'appui, pour que l'on comprenne bien.

Bruneau, qui paraissait dangereusement ivre et de moins en moins intimidé par Din, reprit la parole d'une voix pâteuse. « Que comme ça, le noiraud, tu es ung de ces Tiléens de malheur, heing ? » fit-il. « Mon papé il me disait encore pas plus tard qu'hier soir que si qu'ong a la malédictiong des dieux et les mauvaises récoltes et les enfants qu'ils naissent avec la corne au cul, c'est bieng la faute à tous ces étrangers. Comme si qu'on manquait déjà pas assez de paing, faut encore qu'ils nous le viennent piquer, eh ! Et toi, messire, qu'est-ce qui t'amène chez nous, que je me demande ? »

"Beng moi qu'j'trouve que c'est reposant d'être larbing comme que vous dites : t'as un toit souvent plus cossu qu't'peux le permettre et t'as jamais trop faim, et, te fais quelque chose d'légal en plus.

Comme mon seigneur était un beau ch'valier comme qui faut, on nous offrait souvent la coupette où qu'on passait, lui terrassait les montres et moi j'foudroyais les tonneaux" Cette dernière réplique porta au visage de Guyon une grimace encore plus térrifiante que la précédente accompagné d'un son roque et grave. Din se fit la remarque que se devait être un rire....

Suite à l'intervention fâcheuse de Bruneau, le sang de Din ne fit qu'un tour.
Il jeta son verre par dessus son épaule, dégaina sa dague, attrapa le manant par le col et, passant sa jambe derrière celle du paysan, le fit tomber en arrière tout en suivant le mouvement afin d'atterrir sur lui, la dague impatiente de percer cette gorge malpolie.
Tout au long de cette manoeuvre, les personnes réunies alentour purent entendre un florilège d'insultes venue de là-bas...

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Beppe était mort de rire...

Une fois l'homme à terre, Din le regarda droit dans les yeux et dit :

"Si je suis ici, manant bouseux, c'est pour occire de l'orque et débarrasser ta campagne de ces infâmes créatures. Mais je pourrais tout aussi bien débarrasser les beaux paysages de Bretonnie de ta sale personne si tu ne me présente pas tout de suite des excuses et si tu ne décampes pas de ma vue aussi sec !"

Pour ponctuer son intervention, il resserra son étreinte, sa dague piquant dangereusement la gorge grasse du bonhomme Bruneau...

(HRP :

Emmanuel de Couronne a écrit:

Beppe était mort de rire...

Il n'est pas tout à fait seul. )

Un brusque coup de pied heurta douloureusement la main de Din et fit voler sa dague à quelques pas : Martin Croque-Oneille, sans doute le moins ivre de l'assistance, était accouru en hâte à la rescousse de Bruneau. Din n'eut pas même le temps d'esquisser un geste pour saisir son épée avant de recevoir un rude coup sur la nuque. Alors qu'il était encore étourdi par le choc et que Beppe était jeté à terre par un buveur qui n'avait guère apprécié son rire, Din sentit qu'on lui maintenait sans ménagement les bras dans le dos. Derrière lui, une voix narquoise et grinçante qui devait appartenir à Evroul L'Anchois lança : « Tapes-y dessusse, le Bruneau, rentres-y dedans, qu'ong te le tient ! » Ledit Bruneau ne se fit pas prier, et gratifia Din d'un coup de poing dans l'estomac qui lui coupa le souffle.

« Alors, c'est comme ça que tu nous remercies, eh, fils de cating de Tiléeng de mes bottes ? » lui cracha le massif barbu à la figure. « Avec ta sale tête de Strigane, ong aurait dû savoir que tu nous filerais des coups si qu'ong te donnerait à boire ! »

Bruneau ajouta, pour faire bonne mesure, un second coup de poing pendant que deux de ses compagnons retenaient Guyon d'intervenir, à tout hasard. Il n'avait pas l'air bien dangereux, mais c'était tout de même un étranger.

Alors que la troisième édition du coup de poing dans l'estomac se préparait et que Din était à deux doigts de perdre connaissance, Bruneau, attiré par une clameur, jeta un œil par-dessus l'épaule de sa victime. Guyon suivit son regard et vit que la place de la Hart était en pleine panique. Des éclats de voix retentissaient dans le soir et la foule était prise dans une monstrueuse bousculade.

« Ça y est, c'est gagné, la milice est venu rafler les ivrognes. » grogna le tavernier. « Tirez-vous tous si vous voulez point la corde au cou ! » ajouta-t-il avant de se réfugier à l'intérieur de son établissement et de commencer à en claquer les volets à la hâte.

Les buveurs valides quittèrent précipitamment les lieux, traînant avec eux ceux qui l'étaient moins. On libéra sans condition Beppe et Guyon, et Din, lâché soudainement, vint heurter le sol. Bruneau, Evroul et leurs amis n'eurent guère de peine à s'eclipser ; ils connaissaient à l'évidence la ville comme leur poche, et disparurent en un instant dans une ruelle.

Alors que Din se relevait à grand peine, à demi soutenu par un Beppe penaud dont la lèvre saignait abondamment, les vociférations informes des miliciens se rapprochaient dangereusement, et autour d'eux la foule refluait en désordre devant les coups de hampe de vouge et de pavois. À moins de se rendre sagement aux gardes de Valfons, qui pour l'heure se souciaient plus de donner la bastonnade à la populace que d'aucune autre chose, la fuite était à peu près la seule possibilité. La ruelle par laquelle Bruneau et les autres buveurs s'étaient enfuis était la seule issue ; après quelques pas, elle se séparait en trois rues encore plus étroites et obscures.

(Je précise pour ceux qui l'ignorent que les Striganes sont les Tziganes du monde de Ouarameur. Habituellement, on parle plutôt de Striganys, comme en anglais, mais Strigane me paraît une meilleure traduction.)

Encore sonné par les violents coups de poing reçus dans le ventre, et tentant de retrouver un souffle à peu près normal, Din murmura à Beppe :

"Vieni, andiamo via di qui."

Et ils s'éloignèrent des gardes par la ruelle désormais désertée. Au carrefour, ils prirent au hasard la rue de gauche...

Guyon était resté interdit durant toute la rixe. Il ne repris vraiment conscience qu'en voyant Din et son écuyer prendre la tangente. Il vît que le seigneur Din avait égaré sa dague dans la lutte, la saisissant, il partit à la poursuite du tiléen :

"M'SIRE ! M'SIRE ! Vot'e daaaaaague ! Vous oubliez vot'e dague !"

Guyon toute bedaine à l'air pris le chemin de gauche sans un regard pour les miliciens vociférant derrière lui...

De la ruelle étroite que Din et Beppe avaient choisie, les clameurs de la place de la Hart leur semblaient étrangement lointaines et assourdies. Au-dessus de leurs têtes, les toits se rejoignaient en ne laissant apercevoir qu'un mince trait de lumière crépusculaire. Il paraissait peu probable que la milice, dont les méthodes brutales évoquaient plus un régiment à la bataille qu'une troupe de sergents de ville, se vînt risquer en cette venelle. En étendant les bras, on touchait sans peine un mur de chaque main.

Guyon ne tarda pas à rejoindre les deux Tiléens, Din ne pouvant avancer bien vite en son état, et la fameuse dague réintégra prestement son fourreau, ainsi qu'il se devait. Les trois hommes continuèrent à cheminer au hasard. Les paroles du tavernier n'était apparemment pas exagérées : la justice de Valfons n'était connue ni pour sa clémence ni pour sa clairvoyance, et certainement pas pour son intégrité.

Ils commençaient à se sentir plus ou moins perdus dans le dédale des ruelles sombres quand un homme surgit d'un coin de mur et s'arrêta net devant eux, manquant de les heurter. À peine remis de leur surprise, ils n'eurent que le temps de distinguer un individu au visage plutôt rude, le cheveu rare et les épaules larges, un coutelas à la ceinture et un paquet informe dans les bras, avant qu'il ne se mette à les écarter de son chemin avec fort peu de courtoisie.

« Faites place, vous autres ! » lança-t-il. « Mais faites donc place, ou je vous casse la tête ! »

Beppe esquissait un geste de côté pour laisser ce malotru s'en aller aussi loin qu'il le voudrait, quand son regard s'arrêta sur ce qu'ils avaient pris pour un quelconque paquet. Tous trois s'aperçurent qu'il s'agissait d'un jeune enfant, apparemment inconscient.

Tentant, par un gros effort, de se tenir bien droit, sans l'aide de Beppe, Din se plaça de manière à bloquer le passage de l'homme au crâne dégarni. Tout en posant la main sur la garde de sa rapière, il dit :

- "Holà, l'homme. On ne parle pas ainsi aux gens. Et puis, que tenez-vous là, dans les bras ? Ce me semble être un enfant. Quelque chose de louche se trame ici, dirait-on. Prenez garde que je ne rameute la garde qui s'approche céans, et dites-moi plutôt ce que vous faites avec ce petit être."

Din prenait l'air le plus assuré possible, mais en son for intérieur, il craignait quelque nouveau coup qui aurait achevé de bouleverser son estomac...

S'il n'avait pas eu les bras si chargés, l'homme aurait sans doute cherché à se frayer un chemin à la force des poings. La balafre qui marquait sa joue droite et son pourpoint de cuir cloutée laissaient penser qu'il s'agissait de quelque routier ou garde du corps, et il ne paraissait pas le moins du monde impressionné de devoir faire face seul à trois adversaires.

Alors que la situation semblait sur le point de dégénérer, Din toisant toujours l'inconnu avec toute la dignité dont il était encore capable, deux hommes accoururent à la suite du premier, essoufflés et l'épée au clair. L'un d'entre eux, après avoir jeté un œil à Din et aux deux autres, qui continuaient de bloquer la voie, prononça quelques mots dans une langue incompréhensible, aux sonorités vaguement estaliennes, qui devait être le patois local. Il était cependant clair qu'il appelait son compagnon au calme.

« J'insiste pour que vous nous laissiez le passage. » fit-il. « Nous venons d'être attaqués, avec notre maître le marchand Alaudet, par une forte bande d'hommes en armes. Certains de ses gardes sont restés en arrière pour tenter de le défendre. Nous l'avons quitté pour emmener sa fille en sécurité. Elle a été blessée à la tête dans la mêlée, et l'on peut craindre le pire si elle ne reçoit vite des soins. »

Comme pour confirmer ses dires, des cris et des appels à l'aide retentirent derrière lui.

« Ils nous talonnent. Si vous voulez faire quelque chose d'utile, portez secours à mon maître et laissez-nous aller. Le temps presse. »

Sans trop savoir pourquoi, Din ne crut pas un mot de cette histoire. Et il ne pouvait pas tolérer qu'on puisse faire du tort à un enfant. Aussi, il recula d'un ou deux pas et dégaina sa rapière et sa dague...

- "Je n'en crois pas un mot ! Vous êtes les ravisseurs de cet enfant. Guyon ! Va chercher la garde ! Beppe, combatti con me !"

Pas rassuré du tout, Beppe empoigna fébrilement le gourdin accroché à sa ceinture et vint se ranger un peu en arrière de son maître.

Din se tenait aussi assuré qu'il le pouvait, prêt à (tenter de) parer le moindre coup...

L'homme qui portait la fillette dans ses bras était manifestement prêt à soutenir son bon droit à coups de coutelas, mais son compagnon l'arrêta de nouveau.

« Je vous demande pour la dernière fois de nous laisser le passage. » dit-il avec un certain empressement, alors que la rumeur lointaine de combats continuait de se faire entendre. « En nous empêchant la voie, vous mettez en danger de mort la fille de mon maître, et si les choses tournent mal pour elle, je vous jure que vous en répondrez. Nous ne sommes nullement des ravisseurs, ne nous servez pas ce genre de plaisanteries ; je suis Bérard, homme de confiance de maître Alaudet Le Ferrant, bourgeois de Valfons, lequel saura vous châtier s'il en réchappe.

Du reste, puisque vous savez que la milice est derrière vous, vous devriez avoir assez d'intelligence pour comprendre qu'en allant dans cette direction, nous ne pouvons manquer de la rencontrer. Nous avons maintenant assez perdu de temps en palabre avec des brigands de votre espèce. Cessez de faire l'imbécile avec votre rapière et laissez-nous aller immédiatement, ou nous serons forcés de vous combattre. »

"Alors, nous venons avec vous ! Si vous dites vrai, cela fera trois bras de plus pour défendre la petite."
Il s'apprêta alors à suivre les trois hommes."

"Guyon, suivez-nous. Beppe, vieni !"

Guyon se gratta la tête pensivement, ce tiléen était un diable d'homme au sang chaud, il allait de rixe en provocation sans prendre garde à rien. Ca lui plaisiat assez

"Faut écouter le Seigneur Din. J'dirai moué que si vous êtes ben les gardes de l'maistre Alaudet vous serez heureux de nous confier un guide pour qu'on aille chez l'rebouteux et qu'j'veux bien prendre votre fardeau et vous permettre de sauver votre maistre"

Guyon tendit les bras pour recueillir l'enfant.

L'homme qui portait la fillette interrogea du regard le nommé Bérard, qui inclina brièvement le chef.

« Bien, » fit-il à Din et aux deux autres, « venez avec nous si vous le souhaitez. Mais ne pensez pas que nous allons confier cette enfant à des inconnus. »

Sans plus attendre, il s'élança dans la ruelle, la lame toujours dégainée, suivi de ses compagnons. Ils ne ménageaient pas leurs efforts, et bientôt Din sentit qu'il ne tarderait pas à se laisser distancer ; son estomac était encore terriblement douloureux et la nausée le prenait. Malgré tous ses efforts, il manqua de s'effondrer et ne fut retenu que de justesse par Beppe.

Voyant cela, Bérard eut un instant d'hésitation, ne sachant sans doute s'il était préférable de s'échapper au plus vite ou d'être six plutôt que trois pour protéger la fille de son maître.

« Il suffit. » dit-il finalement. « Vous n'êtes pas en état de nous suivre -ni de combattre, à l'évidence. Je vous sais gré de votre aide, mais dans ces conditions, nous devons vous laisser en arrière. En remontant la rue que nous venons d'emprunter jusqu'au carrefour, vous trouverez un endroit facile à tenir, par lequel nos poursuivants passeront sans doute. Défendez-le si vous vous en sentez le cœur, cela nous serait une grande aide. Mais sachez que vous aurez à affronter une rude et nombreuse troupe, et peut-être serait-il plus sage de fuir. Adieu, à présent. »

Les trois hommes s'engouffrèrent dans une ruelle sans attendre de réponse. La brève course qu'il venait de faire avait épuisé les dernières forces de Din, et il lui faudrait au moins quelques instants de repos s'il voulait opposer une résistance même symbolique à un quelconque adversaire. Guyon, en revanche, aurait certainement pu suivre le rythme soutenu de Bérard et de ses hommes, et pouvait encore espérer les rejoindre malgré leur avance, s'il se décidait immédiatement. Sans son soutien, cependant, Din et Beppe n'avaient pas le moindre espoir de tenir le carrefour.

"La maledetta carogna che mi ha sfracellato lo stomaco !"

Din maudissait le Bruneau qui lui avait réduit les entrailles en bouillie. Retrouvant son souffle, il dit alors a ses deux compagnons :

"Bon, remontons la rue et voyons ce que nous pouvons faire. Et puissent les dieux nous éviter une funeste erreur. Avanti, Beppe".

"Ceution de bien estranges personnes" marmonna Guyon en emboitant le pas à Din et son fidèle serviteur "mais ceution des personnes aux nobles coeurs"

L'endroit que leur avait indiqué Bérard était en effet idéal pour une défense improvisée. Deux hommes déterminés pouvaient sans trop de difficulté y interdire le passage d'attaquants plus nombreux. Bien évidemment, une telle résistance ne pouvait guère durer, et si les bandits étaient trop nombreux ou trop coriaces, il faudrait finalement fuir, ce qui était au moins aussi dangereux que de combattre. En outre, des hommes qui connaissaient bien les rues de la ville trouveraient peut-être moyen de contourner leur position, ou pire, de les prendre à revers.

Sous les instructions avisées de Din, Guyon et Beppe rassemblèrent quelques tonneaux et débris variés en une façon de barricade sommaire. De temps à autre, des bruits confus de lutte leur parvenaient, mais nul ne se montrait encore. Din mit ces quelques instants de répit à profit pour se reposer de sa course.

Ils n'eurent guère à attendre. Bientôt, les éclats de voix se rapprochèrent, et trois hommes apparurent devant la barricade, à bout de souffle et manifestement secoués. L'un d'eux était grand, solidement bâti, brun et barbu. Il portait une épée apparemment sanglante et soutenait un homme nettement plus petit, chauve et bedonnant, l'air bien moins martial que son compagnon. Le troisième, qui fermait la marche, semblait blessé à l'épaule gauche et tenait de la main droite une arbalète de petite taille.

Restés un moment interdits devant la défense mise en place par Din, Guyon et Beppe, les trois arrivants s'avançèrent vivement.

« Qui que vous soyez, laissez-nous passer, je vous eng prie ! » fit le grand brun, qui peinait à reprendre son souffle. « Nous sommes poursuivis par une demi-douzaine de brigands bieng armés. Si vous voulez bieng nous aider, il y aura pour vous une bonne récompense. Voici mong maître le marchand Alaudet. » ajouta-t-il en désignant le gros homme qui s'appuyait toujours lourdement sur lui.

« Mong compagnong se nomme Gilbert, et moi-même, Bérard. »

(HRP : Scandaleuses, les pubs de Foroumactif.

Citation :

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Dans un RP gasconnien, c'est presque une agression. )

Din resta interdit quelques instants, puis donna un grand coup de pied de rage dans la barricade improvisée.

"Mais qui est qui, à la fin ?", hurla-t-il. "J'en ai assez d'être le jouet de quelque mauvaise farce. Comment savoir si vous dites vrai ? Oh ! et puis allez tous au diable, je ne bouge plus. Quand quelqu'un aura quelque chose de vrai à me dire, qu'il me fasse signe."

Il s'assit sur une caisse et planta son regard droit devant lui.

Alaudet, Gilbert et Bérard (ou du moins ceux qui se présentaient comme tels) semblèrent un instant oublier tout danger pour fixer Din avec ébahissement. Ce fut encore une fois Bérard qui rompit le silence.

« Je... je ne comprends pas ung mot de ce que vous voulez dire. » commença-t-il. « Sachez que nous n'avons pas ung instant à perdre et que... »

Un bruit soudain se fit entendre dans la rue d'où les trois hommes venaient de surgir.

« Il n'est plus temps, Bérard ! Ils nous ont rattrapés ! » cria Gilbert en plaçant un carreau dans son arbalète.

« Dans ce cas laissez-nous passer derrière cette barricade sans plus de questions. » reprit Bérard. « Il eng va de notre vie, et sans doute de la vôtre. »

Complètement perdu, Din tâcha de raisonner un peu. Finalement, il se dit que de deux choses l'une : soit ces hommes disent vrai et ils recevront sa protection, soit ils mentent et ils recevront sa correction. C'est ainsi qu'il dit à Guyon :

- "Laissez-les passer, Guyon. Et soyons prêts à nous battre. Mais contre qui, ça, je n'en sais rien !"
Aussi confus que son maître, Beppe se rangea à ses côtés, attendant le combat qui allait bientôt se dérouler dans cette ruelle sordide. Ah ! elle est loin, la Tilée...

Visiblement soulagé, Alaudet se hâta de passer la barricade. Sa panique et sa corpulence ne l'aidant guère, il lui fallut l'assistance de Beppe et Bérard pour y parvenir rapidement. Dès qu'il l'eut franchie, il vint s'abattre contre un mur en tremblant ; la nuit était presque tombée et il devenait difficile de bien distinguer les visages dans les ruelles obscures, mais il semblait blessé au front.

Gilbert s'empressa de suivre son maître, mais il était déjà trop tard pour se mettre à l'abri derrière la barricade : deux hommes surgirent en un éclair et le heurtèrent de plein fouet. Alors que Gilbert était jeté au sol et frappé de furieux coups d'épée, trois autres bandits se ruèrent se Bérard ; celui-ci, malgré la rudesse de l'assaut, parvint à mettre à terre l'un d'eux en lui envoyant le lourd pommeau de son épée dans la mâchoire. Les deux autres eurent un mouvement de recul, mais ne tardèrent pas à se ressaisir.

Din et ses compagnons avaient perdu un temps précieux en hésitant à laisser le passage aux hommes d'Alaudet. Gilbert poussait d'affreux hurlements, sans doute déjà blessé à mort et incapable de se défendre ; quant à Bérard, sa force et sa carrure impressionnante ne le sauveraient pas longtemps face à deux bretteurs aussi déterminés que lui-même. S'ils voulaient se porter à leur rescousse, Din, Beppe et Guyon n'avaient d'autre solution que de quitter la relative sécurité de leur barricade.

(Puisque c'est le premier combat du RP, j'ai résumé vos possibilités dans le topic de discussion, pour que tout soit bien clair.)

- "Cette fois, il n'est pas temps de réfléchir, il faut agir ! Guyon ! Défendez Alaudet avec Beppe. Beppe, stai qui e difendi quest'uomo con Guyon ! Moi, je passe de l'autre côté !"

Ragaillardi, Din grimpa sur la barricade, dégaina rapière et dague, et se jeta dans le combat pour prêter main forte à Bérard au cri de

- "Onor e spada !"

"Ceution comme si c'était fait m'sire Din"

La voix impérieuse du tiléen et les hurlements gasconiens avaient tirés Guyon de son attentisme. D'un mouvement expert, il tira son bâton et se mit en garde. Si un brigand s'avançait vers la barricade, il serait bien reçu... et sinon, il aurait toujours l'allonge nécessaire pour en faire tomber un...

L'arrivée de Din fut d'un grand secours pour Bérard, qui commençait à reculer devant ses assaillants. Un court instant, les deux hommes eurent l'avantage. Bérard se battait à la vieille escrime, en larges coups plutôt désordonnés ; sa force et sa vigueur semblaient lui tenir lieu d'habileté. Din était de carrure moindre, mais son style de combat désorientait son adversaire, apparemment peu familier des finesses de l'escrime tiléenne, que l'on avait tendance à mépriser dans la région.

Manifestement conscients que le vent venait de tourner, les deux bandits échangèrent un regard et battirent brusquement en retraite de quelques pas, comme pour tenter de se dégager du combat. L'instant d'après, ils étaient rejoints par leurs compagnons, qui venaient de se débarrasser définitivement de Gilbert. À quatre contre deux, l'issue d'un tel combat était pour le moins douteuse. Din et Bérard continuaient de lutter sans relâche, mais leur valeur était mise à rude épreuve.

Depuis leur barricade, Beppe et Guyon ne tardèrent pas à comprendre que l'ordre de Din aurait pu être mieux inspiré.

« Si vous n'y allez pas vous-même, je vais leur prêter main-forte. » bredouilla Alaudet, qui s'était approché d'eux et avait tiré une dague de sa ceinture. « Je ne sais ce que vous attendez. Ce Tiléen est un fou furieux, il n'a pas la moindre chance de s'en sortir ainsi sans aide, et Bérard non plus. »

Un cri vint donner du poids à son propos : alors qu'il désarmait l'un de ses adversaires d'une botte savante, Din avait été frappé à l'épaule par un autre. À en juger par les jurons qu'il poussait, le coup l'avait cruellement blessé.

Vu que le vent tournait à nouveau (un vrai tourbillon !), Din appela Guyon et Beppe à la rescousse :

- "Beppe ! Guyon ! A nous !"

Maintenant qu'il était blessé, sentant son potentiel offensif diminué, Din décida d'adopter en combat une attitude plus défensive, dans l'espoir d'occuper les malandrins au profit de ses compagnons d'armes.