[IYAQCDPDLDDG] Chapitre II

Lentement Brionne remis son épée en fuerre. Écartant ostensiblement sa main gauche de sa ceinture, il adressa un grand sourire à Din et répondit :
- "Las ! vous m'en voyez fort marri, mais ne puis vous aidier. Je ne suis en cet hostel que depuis peu et n'ai rien remarqué, aucun hustin, avant les criements de la défunte beste à vos pieds.
Votre venue est une bonne encontre : je suis moi aussi en queste d'une merdaille qui porte, bien mal d'ailleurs, le nom de Florian de Clairac -Cornebouc, qu'il rôtisse en enfer-. Il prist par rapture la fille du mien seigneur, le baron de Gransette : Penthésilée. Et si la doulce ne ressemble certes pas à une enfant lorsqu'elle brandit l'épée, elle est encore en sa prime jeunesse !"

Marius relacha son poignard dans sa gaine et considéra le nouveau venu avec indécision, qui était ce nouveau venu? à croire que l'on rentrait dans cette masure comme dans un moulin?

"Votre seigneur est dans la même situation que celui qui nous a envoyé céans : sa fille a été enlevée. Tout porte à croire que nous sommes sur la même piste. Maintenant que nous sommes dans les lieux, entreprenons une fouille minutieuse. Nous sommes six, à présent : je propose donc que nous formions deux groupes de trois."

Après une courte pause, Din poursuivit : "Marius, d'accord pour continuer avec Evariste et Guyon ? Je garde Beppe et me joins à notre nouveau compagnon."

Les six hommes entreprirent d’inspecter rapidement le couloir dans lequel ils se trouvaient. Sur leur droite, l’escalier par lequel le mutant avait en vain tenté de s’escamper ne menait qu’à l’étage supérieur et au grenier -où leur nouveau compagnon, qui en venait, n’avait apparemment rien découvert d’intéressant. Sur le mur d’en face, un autre escalier descendait vers le rez-de-chaussée. En s’y avançant, Din remarqua sur le mur une lanterne accrochée à un clou, qu’il détacha et alluma à la flamme de celle de Brionne.

Droit devant eux, au bout du couloir, une fenêtre donnait sur la rue et surplombait la porte par laquelle Montagnac et ses sbires étaient entrés. À droite de la fenêtre, une arche donnait sur un troisième escalier, plus large et en pierre, qui menait aussi bien à l’étage du dessus qu’au rez-de-chaussée.

"Bon, séparons-nous", fit Din. "Marius et les autres, en haut, et nous en bas. D'accord ?"

Je vous suis, quelques pas en arrière. Si vous apercevez une lumière, faites moi signe, que je souffle mon lumignon.

Din s’avança le premier dans l’étroit escalier, rapière au poing, suivi de Beppe. Brionne fermait la marche.

Le bruit des pas de Marius, d’Évariste et de Guyon s’évanouit peu à peu derrière eux et ils n’entendirent bientôt plus que le grincement des marches de bois sous leurs pieds. Alors que l’escalier décrivait un virage en épingle à cheveux, le regard de Din, accoutumé à l’obscurité ambiante, fut attiré par une faible lumière sur sa droite, au bas des marches.



Après avoir fait signe à Brionne de couvrir sa lanterne, il descendit le plus silencieusement qu’il se pouvait et risqua un œil. La lueur provenait d’une porte entrebâillée. Quand ils furent arrivés à sa hauteur, Din montra sans mot dire l’intérieur de la pièce à ses compagnons. Par l’interstice, on voyait le dos d’un homme vêtu d’une pèlerine usée, la capuche rabattue sur la tête, assis sur un tabouret. Un autre devait se trouver en face de lui, hors de vue, car ils entendaient un vague chuchotement, trop faible pour que l’on puisse en saisir le sens. Ils percevaient aussi un autre bruit de voix, encore plus confus et atténué, comme si quelqu’un chantait ou déclamait dans une pièce proche.

À deux étages de là, Marius ouvrait la marche l’arme à la main, flanqué de Guyon qui serrait contre lui son fidèle gourdin et d’Évariste, qui avait emporté la lanterne découverte par Din quelques instants plus tôt. Après avoir monté l’escalier de pierre en colimaçon, ils étaient arrivés au dernier étage de la demeure avant le grenier. Devant eux, un couloir s’enfonçait en d’horrifiques ténèbres. Un coup d’œil par la seule fenêtre de l’endroit leur indiqua qu’ils se trouvaient encore une fois juste au-dessus de l’entrée de la maison.

Le peu de lumière qui venait de la fenêtre éclairait, sur le mur d’en face, une lourde porte garnie d’impressionnantes ferrures. Elle était solidement verrouillée, mais un judas ouvert permit à Marius de distinguer dans la pénombre d’une petite pièce vide l’un de ces coffres maintes fois cerclés d’acier, où l’on ne range guère que les objets de grande valeur, et qu’il connaissait fort bien pour en avoir pillé plus souvent qu’à son tour.

Brionne posa précautionneusement sa lanterne sur une marche de l'escalier et descendit rejoindre ses compagnons. Il jeta un rapide coup d'œil autour de lui pour chercher une autre issue : peut être une porte ou un escalier permettrait d'éviter l'affrontement ?
Par gestes, il demanda à Din si il ne serait pas sage d'ouvrir davantage la porte pour obtenir plus de renseignements sur les occupants de la pièce.

Tout en serrant davantage la poignée de sa rapière dans son poing, Din répondit par l'affirmative et entreprit d'ouvrir un peu plus la porte...

Brionne parcourut d’un regard le petit couloir obscur dans lequel ils se trouvaient à présent. À moins de vouloir remonter l’escalier, il n’avait que deux issues : la porte entrouverte que Din essayait d’entrouvrir un peu plus sans la faire grincer, et une seconde porte à l’autre extrémité, solidement fermée quant à elle.

Risquant un œil par le mince espace entre la porte et le mur, Din vit que la pièce était occupée par deux hommes assis et sans doute quelque peu somnolents. Ils n’avaient pas de cheminée à leur disposition et restaient emmitouflés dans leurs vêtements, échangeant quelques mots à voix basse sans remarquer qu’on les observait depuis la porte. À la lumière des deux torches accrochées aux murs, Din distingua sur le sol la trappe d’une cave. La rumeur lointaine qu’il entendait venait apparemment de la partie souterraine de la maison.

Brionne montra le pommeau de sa dague et fit le geste d'assommer un homme. Il désigna alors le garde à sa dextre en se l'attribuant, demandant du regard à son nouveau complice nouvel allié, s'il voulait bien se charger du second à senestre ...

Din hocha la tête pour montrer son accord, et il expliqua par quelques gestes l'opération à Beppe.

Puis, prenant une grande inspiration, il ouvrit la porte brusquement et se précipita sur celui des deux hommes qu'il devait réduire au silence...

Avant que l’homme ait pu esquisser un geste, Din était sur lui et l’envoyait rouler à terre, la tête en sang. Son compagnon n’eut que le temps de se lever en hâte de son tabouret alors que Brionne accourait vers lui, Beppe sur ses talons. Face à deux adversaires, il n’avait d’autre choix que de reculer et repoussa la dague de Brionne d’un coup de poing avant d’aller se réfugier dans un coin de mur en tirant une courte épée. L’homme était vigoureux et solidement bâti, mais n’avait rien d’un fin bretteur et Brionne était à son avantage.

Din était sur le point de rejoindre ses compagnons quand il entendit l’homme qu’il croyait avoir assommé se relever derrière lui. Il se retourna à temps pour recevoir un assaut furieux. Alors que l’autre était d’aspect relativement commun, celui qui ferraillait à présent avec lui était presque aussi difforme que le mutant qu’ils avaient abattu à l’étage. Din distinguait maintenant ses traits boursouflés et surtout, à demi dissimulé sous son vêtement, un troisième bras atrophié qui avait poussé juste sous le droit. Ce nouveau monstre horrifique mettait presque autant d’ardeur à se battre que le précédent et sa blessure sanglante au front n’avait pas suffi à l’expédier. Revenu de sa surprise, Din exécuta une rapide passe d’arme et lui perça littéralement le bras gauche de sa rapière. Le mutant, dans un geste instinctif, donna un grand coup de taille au jugé, et son coutelas blessa l’épaule droite du Tiléen, qui trébucha sous le coup de la douleur. Son adversaire battit en retraite en gémissant et tituba jusqu’à la trappe qui devait mener à la cave de la maison.



Il souleva l’un des panneaux de bois et se laissa presque tomber dans l’ouverture. Quand Din arriva devant la trappe, le mutant avait disparu. Une odeur de moisissure monta vers lui et il distingua quelques marches d’un petit escalier de pierre qui disparaissait dans le noir.

Alors qu’il prêtait de nouveau attention à Brionne et Beppe, il vit que le deuxième homme était à présent effondré dans son coin de mur, blessé à la cuisse et désarmé, toujours conscient mais tenu en respect par l’épée de Brionne.

Brionne jeta un encouragement au Tiléen par dessus son épaule :
- Sus à la malebeste, sieur Din, Taïault, Taïault, Tue, Tue, ...avant qu'elle n'ameute ses semblables !

Il se pencha ensuite sur son adversaire visiblement terrifié, appuyant la lame de sa dague sur la gorge découverte :
- Morbeuf ! parles !, a cette heure !, sinon je te laisse confroissé et navré tant que tu regretteras bien tost ne pas être mort. Parles ! où sont les enfants ?
Brionne ne reconnaissait pas sa propre voix : basse, rauque et menaçante. Lui qui était tellement maitre de lui en toutes circonstances sentait une colère et une haine tellement fortes le submerger qu'elles pourraient bien le pousser à mettre ses menaces à exécution.

La face blême et la main portée à sa blessure, l’homme paraissait aussi surpris qu’effrayé. De toute évidence, les gens de la maison de Clairac ne s’étaient pas attendus à l’attaque de ce soir.

« Je… je sais pas de quoi que vous voulez parler. » bredouilla-t-il. « Je suis juste là pour garder la maisong, je sais rieng des affaires de messire Florian. Y a pas de mouflets ici, aussi loing que je suis au courant. Le maître est en bas avec ses amis, si c’est ce que vous voulez savoir. »

Brionne secoua la tête pour chasser le voile rouge qui troublait sa vision. Un doute l'assaillit soudain. Et si il se trompait, si l'homme qui se trouvait devant lui, la cuisse en sang, n'était qu'un honnête siervant ?
Et puis l'homme bête avec qui il partageait la garde lui revint en mémoire : oui dam, c'estoit bien un bon bric qui méritait juste la corde pour le pendre !
Il se redressa, prit sa dague et asséna un solide coup de pommeau à la base du crane. Il vérifia d'une bourrade dans les côtes que son adversaire était bien hors de combat avant de se tourner vers Din : peut être avait-il besoin d'aide ? Peut être pouvait-il, à son tour, se lancer à la poursuite de l'homme bête ?

Un peu hébété par la douleur de sa blessure à l'épaule, Din n'avait pas réagi immédiatement aux injonctions de Brionne. Mais aussitôt qu'il reprit ses esprits, il s'élança à la poursuite de la chose, bien décidé à la faire trépasser !

Il était temps d'agir, et hastanment !
Les voix qu'ils oissaient venaient d'une pièce ci pres et les participants semblaient nombreux. S'ils ne faisaient pas que chanter mais savaient manier l'épée, Din risquait de tomber en chaude mélée. Brionne ramassa la mauvaise lame du ruffian tombé à ses pieds, la glissa dans sa ceinture et s'élança à la suite du tiléen.

Et, comme dit Emmanuel de Couronne : Tagadap ! Tagadap !

Sans plus attendre, Din passa la trappe et descendit l’escalier, suivi par Brionne et Beppe. Après une douzaine de marches, il sentit sous ses pieds un sol humide. L’odeur de pourriture habituelle aux caves était omniprésente. À la lumière de leur lanterne, les trois hommes virent qu’ils se trouvaient à présent dans une assez grande salle souterraine qui avait dû servir jadis de cellier.



Elle paraissait aussi ancienne et dégradée que le reste de la maison, mais certaines parties du plafond semblaient avoir été restaurées récemment. Il n’y avait pas trace du mutant, sinon quelques taches de sang sur le sol. L’escalier par lequel ils étaient arrivés était cependant la seule issue visible. La pièce était vide et nue, à l’exception de quelques vieux tonneaux entassés dans un coin, à côté d’une petite niche aménagée dans un mur qui abritait une statuette de Rhya, sans doute placée là pour veiller sur les provisions.

Alors qu’ils restaient silencieux, ils entendaient de plus en plus nettement les bruits de chants, qui résonnaient sous les voûtes de brique. Par un jeu de l’écho, il était difficile de déterminer la provenance du bruit, même s’il paraissait venir de sous leurs pieds.

"Vous entendez ces chants ? Ils semblent provenir d'en dessous ! Et je ne vois aucune trappe ou aucune porte. Il doit y avoir quelque issue secrète. Tâchons de la trouver, mais avant de nous y engager, retrouvons nos compagnons. Je pense que tout le monde doit être là."

Et Din entreprit de fouiller minutieusement la pièce...

- Pourquoi ne pas demander à votre compagnon si discret s'il daigne aller quérir le reste du tropelet ?
Cependant nous pourrions fouiller tout à notre aise.

... Et Brionne se pencha sur le sol, cherchant à déterminer dans quelle direction menaient les gouttes de sang. Cette statuette l'intriguait et il se proposait d'aller l'inspecter avec attention, et ce même si les traces n'y conduisaient pas ...

Marius se retourna vers son compaing, puis jaugea la résistance de la serrure. Il serait difficile de la forcer sans attirer l'attention, la pièce semblait vide de toute façon. Il invita ses compagnons à rebrousser chemin.
Sur ce, il prit la tête et retourna vers le lieu où ils s'étaient séparés (comme dans un scénario de vieux films d'horreurs ).

Des traces de sang et des objets renversés lui fit comprendre qu'il s'était passé des choses en leur absence. Il sorti son poignard, méfiant et suivi les traces de sang pour arriver à ses camarades.

Pendant que Din, bientôt rejoint par le reste de la troupe de retour du dernier étage, furetait d’un mur à l’autre, Brionne inspecta la statuette placée dans la niche. Il ne lui fallut qu’une poignée de minutes pour tirer les conclusions qui s’imposaient : on ne pouvait ni la faire pivoter, ni l’enfoncer dans son socle, la pencher sur le côté, la soulever, ni la déplacer d’aucune façon sans la briser. Elle ne paraissait pas davantage creuse, ne portait aucune inscription et conservait l’immobilité que l’on pouvait attendre d’une statue ; la niche dans laquelle elle se trouvait ne montra pas plus de bonne volonté. Tout indiquait qu’il s’agissait d’une statuette en tout point normale.

Reportant avec Din son attention sur le sang qui tachait de-ci de-là le sol dallé, Brionne remarqua que les traces n’étaient vraiment nombreuses et nettes qu’en un seul endroit, au milieu des tonneaux vermoulus, comme si le mutant s’y était arrêté un instant avant de disparaître. Aucune trappe ne se voyait, cependant. Ce fut Din, après quelques tâtonnement, qui finit par faire bouger une dalle de pierre qui ne semblait aucunement scellée aux autres ; en s’y mettant à deux, Marius et Guyon n’eurent pas de mal à la soulever et découvrirent ce qu’ils cherchaient. Un puits béant donnait sur une sorte de couloir sombre. En temps normal, on plaçait sans doute un tonneau sur la dalle pour masquer le passage, mais le mutant, étant seul, n’en avait évidemment pas eu le loisir.

En avançant une lanterne dans le pertuis, ils devinèrent les contours d’un boyau souterrain étroit et humide. La ville de Valfons, à peine un gros bourg à l’échelle du duché, ne possédait pas de réseau d’égout mais le tunnel avait pu servir jadis à collecter des eaux. D’en haut, on distinguait le reflet de la lumière sur des flaques à demi gelées.

Aucun escalier ne descendait dans le souterrain, et ils ne trouvèrent aucune échelle ou corde dans la pièce ; le mutant avait pû se laisser tomber, mais la dalle soigneusement refermée derrière lui indiquait qu’il avait certainement disposé d’un moyen d’éviter la chute. Pour autant qu’ils en pouvaient juger dans la pénombre, il n’y avait cependant pas plus de trois mètres jusqu’au sol, ce qui ne représentait pas un saut bien dangereux -à moins qu’arrivé en bas, l’on s’aperçoive qu’il n’était pas possible de remonter.

L'aspect du sombre perthuis ne disait rien qui vaille. Le chant s'élevait toujours, sourd et obsédant : s'il durait, c'est que l'homme beste n'avait pas donné l'alerte à mesme heure. Ils avaient encore une petite chance de surprendre de Clairac. Il fallait agir en toute hastance ; une vision de Penthésilée emmenée mige droguée à la suite de ses rapteurs acheva de le convaincre. Il assura son épée dans sa main gauche, tendis la droite vers ses compaings et demanda :

- Foin de trouilleries. Une membru, messires, pour m'aider à parvenir ci- bas sans navreures. Je m'en vais tenir pret notre ami au bras tripliqué avant que ses criements n'ameutent la maisonnée.

"Ti seguo ! ... heu, je vous suis."

Brionne sentit une fine couche de glace craquer sous ses pieds lorsqu’il toucha terre, suivi l’instant d’après par Din. Leur lanterne éclairait un long souterrain, très étroit et pentu. Dans un coin se trouvait l’échelle que le mutant avait utilisée pour descendre. L’humidité ambiante, les flaques gelées et l’inclinaison du sol confirmaient qu’il devait s’agir là d’un ancien couloir destiné à canaliser le flot de quelque source ou ruisseau des environs ; à la belle saison, un mince filet d’eau devait y couler, mais il était évident que le souterrain ne servait plus depuis longtemps.



Le chant incompréhensible, qui s’était interrompu quelques minutes, reprit de plus belle. L’écho ne laissait à présent aucun doute, et Din et Brionne n’eurent pas de mal à s’orienter vers le bruit ; des traces de sang leur confirmaient çà et là qu’ils avaient pris la bonne direction. Après quelques pas, le couloir tournait brusquement et leur progression se fit plus lente ; les parois couvertes de givre se rapprochaient l’une de l’autre et le plafond descendait si bas qu’ils durent bientôt avancer la tête rentrée dans les épaules.



Le chant résonnait de plus en plus fort à leurs oneilles, et ils entendaient également les voix de leurs compains restés en haut, quoiqu’elles ne fussent qu’un discret murmure. Din aperçut bientôt dans la pénombre devant eux une lourde porte, incongrue en pareil endroit, et la signala du doigt à Brionne, mais ce dernier, qui marchait en tête, s’arrêta net et se mit vivement en garde. Leur poursuite s’arrêtait là : le corps du mutant gisait au sol bouche ouverte, à deux pas de la porte. Après s’être assuré d’un coup de pied qu’il avait bien rejoint Morr ou quelque autre dieu plus sinistre, Din et Brionne observèrent la scène. Le mutant, blessé à mort, s’était épuisé à courir dans le souterrain. Il avait pourtant presque réussi à passer la porte ; on voyait encore le dernier geste qu’il avait fait : sa main était plongée dans une sacoche qu’il portait à la ceinture.

La porte paraissait beaucoup moins ancienne que le souterrain, bien que le mortier qui scellait les pierres du cadre fût déjà effrité par l’humidité. Sous la porte, un espace avait été ménagé, sans doute pour permettre l’écoulement de l’eau. Din se baissa pour jeter un œil de l’autre côté de la porte, mais l’obscurité y était presque complète et il ne distingua que les vagues contours d’une salle voûtée.

Surmontant sa répugnance (et sa dague posée sur la gargamel du monstre),

Emmanuel de Couronne a écrit:

(parce qu'on ne prend jamais assez de précautions, madame)

Brionne plongea sa main dans la besace du cadavre. Il espérait y trouver quelque clavelle pour ouvrir la porte devant eux. Le reste de la compagnie allait hastanment les rejoindre grâce à l'échelle remise en place.

Il se sentait de nouveau calme et mesuré ; peut être était-ce le soulagement de voir le monstre mordri à ses pieds, peut être aussi le froid qui régnait ci bas. Cette constatation le rassura alors que le moment du combat approchait sans doute.

Quand Brionne tira la main de l’homme à trois bras hors de la sacoche, ses doigts serraient encore un large trousseau de clefs. Au troisième essai, il eut trouvé celle qui s’adaptait à la serrure et la porte s’ouvrit en grinçant sur une salle plongée dans le noir. Din éleva leur lanterne et une timide lueur vint éclairer une voûte de pierres sombres. Le plafond était percé d’un puits. Il pouvait s’agir d’un ancien réservoir d’eau, une citerne comme il y en avait dans la plupart des grandes maisons de cette région de Gasconnie.

Une volée de marches descendait du seuil de la porte jusqu’au sol de la pièce. Sur le mur d’en face, un autre escalier montait vers une seconde porte. Un fin rai de lumière indiquait que la pièce au-delà était éclairée. Le chant sans queue ni tête se faisait entendre plus nettement que jamais. Il s’interrompait parfois, le temps qu’un orateur prenne la parole seul, ou pour quelques instants de silence, puis reprenait de plus belle.

Observant toujours les murs humides, Din et Brionne remarquèrent qu’une ouverture semblable à celle par laquelle ils étaient arrivés avait été murée. Un regard avait été conservé, sans doute pour permettre à l’eau de s’écouler par temps de pluie ou en cas de crue.

En descendant silencieusement le petit escalier, ils crurent tout d’abord que la salle servait à présent de cellier ou d’entrepôt, avant de se rendre compte que les formes inertes gisant sur le sol étaient les corps de jeunes enfants. Il semblait que les disparus de Valfons et des environs, après avoir été arrachés à leur famille par des bandes de coupe-jarrets, arrivaient en fin de compte dans cette cave sordide de la demeure du respectable sire Florian de Clairac. L’enquête touchait à sa fin, ou tout du moins en approchait.

Tous les enfants paraissaient endormis, ou plutôt assommés. Din approcha lentement sa lanterne et Brionne scruta les visages mais ne vit pas celui de la fille de son seigneur le baron de Gransette parmi eux. Alors qu’il s’assurait qu’elle n’était nulle part, les paroles de Gombault la Barrique, l’ivrogne qu’ils avaient rencontré plus tôt dans la journée et qui les avait mis sur la piste de Tiécelin avant de les trahir, revinrent à l’esprit de Din. Il avait parlé d’un vaste trafic d’enfants dans la région, de plusieurs disparitions dans une même journée. Les enfants étendus dans la salle voûtée étaient moins d’une douzaine, ce qui ne devait représenter qu’une part infime des disparus, si l’on pouvait se fier à la Barrique.

"Tout cela m'écoeure ! Allons quérir les autres et finissons-en avec ces marauds. J'ai la rapière qui me démange !!!"

Voyant tout ces enfants allongés sans connaissance, Marius ne pu s'empêcher d'évaluer les récompenses et phynances qu'ils pourraient tirer des bourgeois auxquels ils rendraient leurs gosses...

Mais pour le façade, il prit un air outré comme Din...