[IYAQCDPDLDDG] Chapitre II

Marius en train de féliciter Agasse saisit l'opportunité :

"je vous suis maître Evariste."

Puis ce tournant vers les autres :

"Din, Beppe et Guyon, prenez l'entrée ouest, nous coté Est avec Evariste."

"Andiamo !", fit Din en adressant à Beppe et Guyon un geste pour les inviter à le suivre...

La lune de Manann était à présent haut dans le ciel nocturne. Les cinq compagnons échangèrent un dernier regard avant de se séparer et de disparaître entre les arbres.



Évariste et Marius contournèrent la maison par la droite et longèrent silencieusement le mur. Au-dessus d’eux, les carreaux des fenêtres restaient sombres et les volets étaient clos ; ils ne distinguèrent pas même la lueur vacillante d’une bougie. Si Montagnac n’y avait pas pénétré l’instant d’avant, ils eussent pensé que la demeure était inoccupée. Ils entendirent un rire très lointain, du côté du beffroi de l’hôtel de ville, puis quelques bribes de chansons, mais les alentours étaient plongés dans le silence.

Ils parvinrent à la porte dont Évariste avait parlé. C’était une petite porte étroite et discrète, qui ne devait guère servir. Ainsi placée à l’arrière de la maison, à demi dissimulée par les arbres, elle était invisible depuis la rue et presque introuvable dans l’obscurité. Les deux hommes jetèrent un œil à la robuste serrure et Marius se mit à l’ouvrage.

Din passait d’arbre en arbre, s’arrêtant à chaque fois derrière le tronc pour observer les fenêtres du deuxième étage ; l’une d’elle, à droite de la porte qu’ils devaient atteindre, était illuminée et jetait une faible lumière sur la neige en bas du mur. Alors que Guyon et Beppe le rejoignaient en prenant soin de rester dans l’ombre des branches, Din crut voir deux hommes passer devant les carreaux de la fenêtre ; l’un était assez corpulent pour être Montagnac, mais l’autre ne ressemblait guère à aucun des deux valets de l’échevin. Les deux silhouettes s’arrêtèrent un moment, peut-être pour converser, puis la plus bedonnante tira un rideau devant la fenêtre et les arbres en contrebas furent plongés dans le noir. Din et les deux autres coururent jusqu’à la porte.

Il devait s’agir d’une porte d’écurie. Les planches commençaient à accuser leur âge et il y avait bien deux doigts de jour entre les deux battants. Au prix de quelques minutes d’efforts et de tâtonnement, Beppe parvint à faire basculer le fléau qui maintenait la porte close en passant un bout de bois dans l’ouverture. Il poussa la porte qui s’ouvrit en grinçant sur ses gonds rouillés. Dès que tous furent entrés, il la referma et remit le fléau en place.



Quand leurs yeux se furent tout à fait accoutumés à l’impénétrable obscurité qui régnait à l’intérieur, Din, Guyon et Beppe virent qu’ils se trouvaient dans un large couloir de pierre au plafond en voûte. Sur le mur de gauche, une grande porte fermée, renforcée de ferrures, conduisait sans doute aux écuries ; plus loin à gauche, une arche donnait sur un escalier plongé dans le noir ; droit devant eux se trouvait une autre porte, elle aussi verrouillée.

Marius et Évariste eurent un léger sursaut en entendant un bruit sourd de souliers et un tintement d’armure ; une patrouille devait passer dans la rue, devant la façade de la maison. Évariste se remit au travail ; il venait de prendre la relève de Marius mais ne parvenait pas davantage que lui à crocheter la serrure. À moins d’enfoncer purement et simplement la porte, ce qui ferait un terrible vacarme, ils ne la passeraient pas avant le nouvel an. Jetant un regard à l’entour à la recherche d’un plan de rechange, ils remarquèrent que l’un des arbres proches touchait le mur de la maison. Une grosse branche, probablement assez solide pour ne pas se briser sous le poids d’un grimpeur, avait poussé juste sous une fenêtre du premier étage. Il était peut-être possible de monter dans l’arbre puis de passer par la fenêtre en brisant un carreau ; à moins que quelqu’un ne se trouve dans les parages, le bruit pouvait passer inaperçu.

Négligeant ce qui devait être la porte des écuries, Din voulut ouvrir la porte devant eux. Mais comme elle s'avéra fermée, il décida d'entraîner ses deux compagnons dans les escaliers...

Évariste avait songé un instant à faire sauter la serrure à l'aide de l'un de ses pistolets mais le vacarme les aurait fait repérer tant par les gardes environnants que par les gens de l'intérieur. Regardant tout autour de lui, il montra du bout du doigt la grande branche à Marius, qui l'avait repéré également. Il vérifia que ses affaires étaient bien sanglé, serra son chapeau entre ses dents et entrepris de grimper en s'efforçant de faire le moins de bruit possible...

Din gravit rapidement les marches de l’étroit escalier, mais dut bientôt ralentir son allure tant il y faisait noir. Les trois compains avançaient tant bien que mal, à tâtons, la main sur le mur. Din finit par rencontrer une porte de bois ; il parvint à la forcer d’un coup d’épaule et la lumière de la lune se répandit soudain dans le petit escalier obscur. Ils se trouvaient dans un large couloir éclairé par une fenêtre.

Le loquet de la porte était vermoulu et s’était brisé sans faire grand bruit ; tout semblait indiquer que la maison, sans pour autant tomber en ruines, était rarement habitée, ou du moins que son propriétaire ne l’entretenait guère. Un coup d’œil par la fenêtre confirma à Din qu’il se trouvait juste au-dessus de la porte par laquelle ils avaient pénétré dans le bâtiment. Quant aux deux hommes qu’il avait aperçus d’en bas, ils devaient se trouver à l’étage au-dessus, vers le sud-ouest, s’ils n’avaient pas bougé. Mis à part le trottinement d’un assez gros rat qui traversait le couloir juste devant eux, Din et ses compagnons n’entendaient aucun bruit dans les environs. Face à la fenêtre, le couloir se prolongeait jusqu’à un embranchement.


Aux prix de quelques efforts, Évariste parvint à poser le pied sur le rebord de la fenêtre. S’agrippant à une branche, il cassa un carreau d’un coup de pied puis passa soigneusement le bras à l’intérieur, entre les débris de verre, et ouvrit la fenêtre. Elle était juste assez large pour lui permettre le passage. Marius le rejoignit quelques instants plus tard.

À la lumière de la pleine lune, ils découvrirent une chambre à coucher riche et confortable.



(L’éclairage n’est pas très lunaire, je sais. Mais j’ai pensé que vous préfèreriez quand même ça à un dessin fait avec Paint. )

La pièce était favorablement orientée à l’est et rien ne manquait à son mobilier ; il s’agissait sans doute de l’une des meilleures chambres de la maison, peut-être celle du maître des lieux. Cependant, elle manquait quelque peu d’effets personnels, comme si son occupant venait juste de s’installer ou ne comptait pas rester. La seule porte de la pièce, bien entendu verrouillée, se trouvait sur le mur de gauche.

(Moi je les aime tes dessins de Paint )

Évariste s'épousseta puis regarda circulairement la chambre, dont il fut bien désolé de voir qu'il ne s'y trouvait nul coffre ou objet de valeur. Après un clin d'œil en direction de Marius, il se dirigea à pas de loup vers la porte et, constatant qu'elle était verrouillé, entreprit de la crocheter.

Fort heureusement, la serrure ne résista pas plus d’une minute. Évariste et Marius passèrent la porte et découvrirent un salon spacieux, élégamment meublé mais assez poussiéreux ; il y flottait une légère odeur de renfermé, comme du reste dans la chambre à coucher. Trois fenêtres sans volets laissaient passer la vague lumière de la lune. Une longue table occupait tout le centre de la pièce et quelques braises agonisaient dans l’âtre d’une grande cheminée de pierre armoriée.



De part et d’autre de la cheminée se trouvaient deux portes. Il suffit à Évariste de pousser la première pour qu’elle s’ouvrît sur un couloir obscur. Alors que Marius, qui venait de fureter dans la pièce, sans doute pour y glaner quelque phynance, le rejoignait, ils entendirent un bruit de pas sur leur droite ; quelqu’un s’avançait dans le couloir et allait passer devant la porte ouverte, juste sous le nez d’Évariste et Marius, d’un instant à l’autre.

Marius retint son souffle, d'un geste, il fit signe à Evariste de se coller contre la cloison et d'attendre que le nouvel arrivant passe son chemin dans le couloir ou qu'il entre dans la pièce sans méfiance. Auquel cas, il serait aisé de le surprendre et de le réduire à l'impuissance.

Les pas de l’inconnu résonnèrent dans le couloir, mais il sembla d’abord qu’il passerait son chemin sans s’arrêter ; puis soudain, l’homme se ravisa, sans doute intrigué par la porte entrouverte, qu’il ouvrit tout à fait, et entra dans la pièce plongée dans la pénombre, seulement éclairée par un rayon de lune. Il n’eut que le temps de sursauter en voyant Évariste sur sa droite avant que Marius ne lui administre un rude coup sur le crâne. Alors qu’il s’effondrait sur le sol, Évariste dégaina son arme et lui plaça sa lame sous le menton, pendant que Marius refermait doucement la porte. À la lumière de la lune, ils reconnurent l’un des valets qui avaient accompagné Montagnac, couché sur le parquet poussiéreux, les mains levées pour indiquer qu’il se rendait. Il ne portait pas d’autre arme qu’une dague à la ceinture.

Tout en maintenant l'individu, Évariste afficha sa face des mauvais jours et parla à voix basse :

" Salut, on est des assassins et on est complètement tarés. Ton maître, Montagnac, ou est-il et que fait-il dans cette maison ? "

Marius étouffa un rire en voyant le ton que prenait son compagnon et devant l'air terrifié du larbin de Montagnac qui pensait sa dernière heure était arrivée...

(Le voilà, l’air terrifié du larbin. )

Le valet, un solide gaillard en pourpoint de cuir, déglutit difficilement avant de bredouiller : « Maître Gonthier est eng bas, au rez-de-chaussée, ou du moins il y était y a ung instant, pour ce que j’eng sais. Mais ce que je peux pas vous dire, c’est ce qu’y fait-z-ici, croyez-moi, je vous dis la vérité. Je pense qu’y retrouve des gens pour song commerce, mais y me fait pas ses confidences. »

Évariste regarda un instant dans le vague pour réfléchir, puis il donna un violent coup dans la tempe du valet à l'aide de la garde de son sabre, dans le but de l'assommer.

"Bâillonnons le si nous avons de quoi faire, sinon jetons le par la fenêtre, et poursuivons plus en avant Marius ! "

Marius fouilla rapidement un meuble et trouva se qu'il recherchait. Des linges qu'il déchira en lanière pour ensuite ficeler promptement le larbin assommé. Ils le dissimulèrent ensuite sous le lit pour le cacher de la vue d'un possible visiteur. Une fois cette besogne accomplie, il suivit Evariste dans le couloir.

Avec mille précautions, Din se dirigea vers la porte en face de celle qu'il venait de franchir et entreprit de l'ouvrir avec mille précautions (parce qu'on ne prend jamais assez de précautions, madame).

S’il s’était attendu à quelque mirifique découverte, Din ne put qu’être déçu : la porte qu’il venait d’ouvrir donnait sur une petite pièce poussiéreuse, presque vide de meubles. Ne s’y trouvaient que quelques chaises, dont une au dossier brisé, autour d’une table ; le mauvais état de la maison se confirmait. Alors que Din scrutait les ténèbres sans rien voir de plus intéressant que des toiles d’araignée dans les coins de murs, Guyon lui prit l’épaule et plaça son index devant sa bouche pour l’inviter au silence. Des pas faisaient grincer le couloir.

Ce fut avec un certain soulagement que Din et ses compagnons virent arriver, en fait d’ennemi horrifique, les silhouettes d’Évariste et de Marius, qui faisaient crier le parquet malgré toutes leurs précautions. Un rapide conciliabule se tint à l’angle du couloir ; après un bref échange de renseignements, la troupe commençait à se faire une idée plus précise de la maison.



(Oui, il s’agit en gros des deux cartes précédentes mises bout à bout. )

Marius n’avait pas fini de raconter comment ils avaient caché le valet assommé sous le lit de la chambre qu’une fois encore, le grincement caractéristique d’un vieux plancher résonna dans la pénombre. Le bruit provenait du couloir menant vers le sud-ouest, plongé dans une obscurité presque totale. De toute évidence, quelqu’un était à l’affût, assez près d’eux pour avoir saisi chaque mot de leur conversation.

Din empoigna lentement la garde de sa rapière puis, soudainement, dégaina et bondit en direction du bruit, dans l'espoir d'attraper le curieux qui les espionnait...

Din avait une vague idée de l’endroit où se trouvait le nouveau venu, mais dans le couloir obscur, il ne pouvait pas faire autrement que de se jeter sur lui au jugé, en faisant confiance à son instinct ou à sa chance. Il s’élança et crut un instant qu’il avait réussi son coup ; il avait été à deux doigts de saisir ce qui devait le bras de l’inconnu, mais celui-ci, vif comme une anguille, venait de lui échapper. Alors que Din restait dans la pénombre du couloir et tâchait de comprendre ce qui s’était passé, l’homme se rua ses compagnons. Il parut pour la première fois à la lumière de la lune, mais son assaut était si soudain qu’aucun ne distingua clairement ses traits.

Évariste fut assez leste pour l’éviter, mais Guyon n’eut pas cette habileté et reçut le choc de plein fouet. Alors que Din revenait en toute hâte sur ses pas pour prêter main-forte à ses compains, il vit Guyon, qui était pourtant un gaillard plus que solide, heurter le mur derrière lui avec un bruit horrifique et tomber à genoux. Marius, seul du groupe à avoir eu l’occasion de tirer son arme, parvint à tenir l’homme en respect alors que Guyon se relevait péniblement, plus ou moins indemne. Ce faisant, le herrimault s’aperçut que son adversaire n’avait en fin de compte pas grand-chose d’humain tant il était difforme, les membres d’une longueur grotesque et la face abominablement velue.

Les compagnons, revenus de leur surprise, purent observer la créature, à présent acculée à un mur du couloir, le souffle rauque. Des jambes torses et rabougries supportaient des épaules bossues et des bras gigantesques, le tout vêtu d’habits élimés et rapiécés, mais qui avaient dû être élégants autrefois. Au-dessus de tant de laideur terrifique trônait une tête proprement monstrueuse, bestiale à ceci près qu’elle n’évoquait aucune bête connue.



Le mutant paraissait fou à lier et bien décidé à étriper ou un deux de ses ennemis, fût-ce en y laissant sa puante peau. Il serrait dans ses poings calleux un gros bout de bois taillé en massue.

Comprenant qu'il n'y aurait d'autre issue que le combat, Din dégaina également sa dague et se prépara à affronter la créature.

"Attaquons-le de plusieurs côtés à la fois ! Je vais l'attirer à moi !", lança Din à l'attention de ses compères.

"Hé ! la chose ! viens ici, allez, viens ici !", fit alors Din envers le mutant afin d'attirer sur lui son regard et son agressivité, pour permettre à Marius et aux autres de l'attaquer par l'autre côté.

Le mutant, dépourvu à l’évidence de la moindre once de subtilité, s’empressa de foncer tête baissée dans le piège que lui tendait Din. Il se rua sur lui comme un dément en brassant l’air de ses larges membres et le Tiléen dut déployer tout son talent pour empêcher le monstre de le saisir et de le broyer. Le mutant avait pour lui une vigueur plus qu’humaine et une quasi absence de peur, mais l’excellent bretteur qu’était Din prenait doucement l’avantage face à cet imprudent adversaire.

Après quelques passes, l’allonge de sa rapière lui permit de transpercer l’échine bossue de la créature qui poussa un grand cri de douleur mais n’en parut que plus enragée. Ses grands mouvements frénétiques avaient jusque là empêché les compagnons de Din de l’expédier, mais Marius tira parti du succès de Din pour planter profondément son poignard dans le bras gauche du mutant. Avec un nouveau hurlement horrifique, ce dernier abandonna Din et reporta toute son attention sur le herrimault, qui faillit payer cher son coup de poignard ; la créature se jeta sur lui, lui saisit les bras et l’envoya rouler sur le sol avec elle en cherchant à lui mordre la gorge. Marius soutint la lutte juste assez longtemps pour permettre à Évariste de porter au flanc de la bête un terrible coup d’estoc de son sabre. Le mutant poussa un troisième cri et cracha un sang poisseux à la figure de Marius, mais lâcha prise. Alors que la blessure aurait sans doute suffi à tuer net un homme, il parvint à bousculer Beppe et se dirigea, moitié courant, moitié rampant, vers le couloir obscur dont il était venu, laissant une traînée de sang sur le parquet.

Din se précipita à la poursuite de leur assaillant en criant aux autres

"Il faut le rattraper ! Dépêchez-vous !"

Berk ! fit Marius se relevant et tentant de s'essuyer le visage au rideau le plus proche, encore une saleté de Sombrefeuille qui est venu vivre ici, je me demande qui peut bien tolérer de pareil immondice dans sa propre demeure. Un amateur de vomi sans doute.

A peine débarbouillé, il suivit le tiléen avec précaution, le vacarme du combat avait du alerter les autres occupants de la maison, il faudrait surement encore se défendre, et Marius pria intérieurement pour qu'il n'y ait pas d'autres horreurs chaoteuses de ce genre à combattre...

Din s’engagea de nouveau dans le sombre couloir, talonné par Marius. Un instant, il eut l’étrange impression que le mutant, par quelque sorcellerie, avait disparu. Dans la pénombre, il ne distinguait plus la moindre trace du monstre. Puis il remarqua enfin un petit escalier en colimaçon sur sa droite et en grimpa les marches quatre à quatre, glissant sur l’immonde traînée que le moribond laissait derrière lui.

Une vague lumière venait d’en haut. Alors qu’il devait approcher du second étage, Din s’arrêta net en entendant un bruit confus de bousculade, puis le son caractéristique d’une lame que l’on tire du fourreau. Marius rejoignait Din à pas mesurés quand la voix du mutant résonna derechef. Le cri ne dura que quelques secondes et s’acheva en râle d’agonie. Le cadavre de la créature dévala les marches de l’escalier sous les yeux de Din et de Marius et vint s’abattre à l’étage d’en dessous, devant Évariste, Guyon et Beppe.

Din fit un pas prudent en avant, ses deux lames toujours prêtes, et croisa le regard d’un homme de haute taille, la face maigre et encadrée de longs cheveux gris, une épée sanglante dans une main et une lanterne dans l’autre. À la lueur tremblotante de la bougie, Marius et Din distinguèrent des habits élégants mais comme défraîchis par une longue chevauchée. L’homme portait une armure de cuir noir clouté, ornée d’un blason d’or au lion de sable.

Après quelques instants d'hésitation, Din s'adressa à l'inconnu :

"Il semble, Messire, que vous veniez d'achever ce que mon compagnon et moi-même avions commencé. Cet... cette créature a eu ce qu'elle méritait. Mais à qui devons-nous cette aide impromptue ?"

Malepeste ! Carogne !
Brionne jurait intérieurement sans discontinuer. Son énervement augmentait comme sa situation se compliquait. Il avait agi comme un fol damelot, maintenant le vin était tiré et le gout qu'il sentait en bouche n'avait rien à voir avec le nectar de la Tour. Ce refuge dans le grenier lui avait semblé à peu près sûr, jusqu'à ce qu'éclatent les bruits de lutte à l'étage en dessous. Cet être difforme, cette malebête des enfers avait été poussé par le guignon à débouler céans ; il avait dû l'occire.

A ceste heure, ses poursuivants montaient l'escalier. Ils devaient être quatre, cinq peut être, d'après le bruit. Brionne estima ses chances et les trouva bien faibles. Il observa son premier adversaire, un flandrin maigre, le visage barré d'une moustache noire ; sa prise d'épée était tiléenne et ce détail lui arracha un rictus : mourir par une lame tiléenne, dans un hostel inconnu et pour une cause qui l'était tout autant, voilà qui ne manquait pas d'ironie. Ce premier assaillant sentait son escrimeur à une lieue. Malgré celà, en comptant avec la surprise et sa position dominante, il se pensait capable de le neutraliser prestement. La suite de la giguedouille semblait moins plaisante : les trois -ou quatre- compaings restants auraient beau jeu de l'entrapper en cette souricière.

Mordiable ! il aurait tant voulu plonger sa lame dans le coeur de ce Florian de Clairac.

Son bras allait se détendre pour lancer une estocade rapide vers la gargamelle de l'escrimeur lorsque ce dernier lui adressa la parole avec un accent qui pouvait venir du nord de la Tilée !
La main gauche revint assurer une garde en tierce tandis que la droite monta la lanterne pour observer l'adversaire qui venait de se transformer en interlocuteur.
- ... Brionne, messire, et j'appartiens au baron de Gransette...
Il fut soulagé de ne pas entendre sa propre voix trembler.

Un silence pesant s'installait entre les deux hommes...
La lanterne à la main, Brionne observait le tiléén avec attention. Il était surtout impressionné par son regard sombre et pénétrant. Au bout d'une longue minute, il décida que la franchise qu'il y lisait ne pouvait être feinte. La pointe de sa lame s'écarta à peine d'un pouce, un écart faible, mais qui donnerait une ouverture suffisante au tilééen si jamais il se trompait sur son compte.
Il s'éclaircit la voix et demanda :
- Puis-je, messire, vous demander à mon tour à qui j'ai affaire ?

"Ferdinando Anselmo Giovanni Ermenegildo della Spada Sacra, detto Din", répondit Din en relâchant un peu sa garde.

"A en juger par l'état de vos habits, messire, il semble que vous arriviez d'un long voyage. J'en conclus que vous n'êtes point quelqu'un des lieux, et que c'est la coïncidence qui nous vaut d'être face à face."

Brionne nota le relâchement de la garde ; ils avaient un langage en commun : celui de l'épée. Se pouvait-il que la Dame ait mis sur son chemin les alliés inattendus dont il avait si désespérément besoin ?
Le rictus qui se formait aux coins des lèvres s'agrandit. Cette période était décidément bien étrange. Lui qui avait si peu joué en sa vie allait, pour la seconde fois en une même journée, la risquer sur un jet de dé. Simplement parce que ce spadassin avait le regard franc !

Certes, l'allure de Din, et de ses compaigns qu'il devinait dans l'ombre, avait peu à voir avec celle des sbires encontrés dans l'entourage de de Clairac ; certes, ils semblaient avoir la même répugnance que lui face aux hommes bêtes...
Certes ... mais il faisait généralement si peu confiance à son prochain qu'il se surprenait lui-même. Il se sentait léger, comme lors de la fête des vendanges quand le vin de l'année passée est bon et qu'il tourne un peu la tête.

- Vous parlez de coïncidence ? j'accuserais plutôt l'insouciance du godelureau dans le corps d'un homme fait...
Je viens effectivement de fort loin, et, sur ma route, j'ai croisé de fieffés coquins qui m'ont amenés devant ceste hostel à la brune. Je m'y suis introduit en profitant de l'inattention d'un maraud et je comptais attendre que le sommeil gagne la maisonnée pour m'enquérir d'une mienne cognoissance qui peut être retenue céans. Le félon Florian de Clairac l'y a en tout cas emmenée le jour avantrain. Mais vous et ce suppôt du chaos en avez décidés autrement. Mettrons nous nos épées en commun pour en déloger le mal ?

Din était enclin à faire confiance à cet homme.
Il baissa résolument la garde, afin de lui faire comprendre qu'il ne voulait pas l'agresser.

"Vous qui êtes dans cette demeure depuis un certain temps, pouvez-vous nous dire si vous avez remarqué quelque chose de particulier, à l'exception de cette créature ? En vérité, nous cherchons des enfants que d'aucuns ont ravis."