[IYAQCDPDLDDG] Chapitre V

Le nombre d'ennemis s'en allait croissant, et Fulgance commençait à perdre patience : ces hommes qui s'approchaient irrémédiablement, et ne semblaient aucunement être affecté par le fait d'avoir été aperçu, faisaient naître en lui un sentiment de malaise inexplicable. Sa main gauche, encore dans un état de faiblesse suite au coup reçu dans la bataille contre les sbires du vicomte de Grailhy, ne lui permettait pas de faire un usage correct de son bouclier, ce qui laissait au fougueux jeune homme une désagréable sensation de vulnérabilité. Pis encore, il était à pied ! Malgré cela, il tenta d'intimider ces adversaires :
"Vous trouverez ci expérients hommes de guerre et vous aurez pour récompensement de votre hardiesse que horions et saignements ! Partez avant que nous vous rossions !"

Sans surprise, les silhouettes ne semblèrent prêter aucune attention aux menaces du chevalier.
"Tenoyez vous preste, mon ami," dit-il en s'adressant à Brionne, "ils arrivent !"

L'allure hésitante des silhouettes qui affluaient maintenant de toutes parts mettait Brionne mal à l'aise. Aucune ne semblait brandir d'arme, et pourtant un frisson de peur lui parcourut l'échine. Pour dire le vrai, il ne souhaitait qu'une chose : enfourcher sa haquenée pour s'ensauver de cet endroit maudit. A la réflexion, ce plan ne semblait pas si mauvais : les nouveaux venus semblaient lents et il devait être possible de les distancer avec des montures qui avaient maintenant pris quelque repos.
Il faudrait pour ce faire attendre le retour des enfants perdus, Othon et Urien. Peut être Leustant était-il avec eux, mais l'espoir devenait bien mince.
Il considérait maintenant le pauvre abri que formait la ferme en ruine. Sans nul doute la grange, avec sa seule porte, serait un endroit plus adapté pour y tenir siège. Là encore, la présence des deux combattants aguerris pour parcourir ces quelques toises en trainant les chevaux serait bien utile. En les attendant, il faudrait tenir la place.
Il rassembla du pied les quelques branches sèches que Fulgance avait arraché à l'arbre mort pour les placer à deux coudées devant lui, puis manda à Onésime une torche ou un brandon, attendant avant d'y mettre le feu. Il était curieux de savoir si les nouveaux arrivants craignaient la lumière, le feu ou s'il était possible de les arser tel feu de la saint Jean.
Dans la nuit noire et glaciale, il lança d'une voix qu'il voulait assurée :
- Urien, Othon, où donc estes-vous ? accourez céant, ... tout tanstot !

Urien et Othon pouvaient s’entendre déglutir tant le silence était pesant. Le pistolet du Marienburger restait tendu dans l’obscurité ; si la lune avait bien voulu se montrer entre deux nuages, Othon aurait pu viser le nez de l’inconnu tant il était proche.

Soudain, sans prévenir, l’homme, si c’en était un, émit un son ignoble, un râle qui n’avait rien d’humain.

Le coup de pistolet d’Othon claqua comme la foudre. La silhouette s’effondra. Othon tenta de recharger fiévreusement son arme ; autour d’eux, les bruits de pas reprenaient.

Les nuages passèrent une fois de plus et la lune éclaira les deux hommes et les trois cadavres à leurs pieds. Lentement, l’homme abattu par le coup de pistolet se releva. Sa mâchoire se balança un instant avant de se détacher et de tomber dans la terre du charnier.



De toute évidence, quelque chose allait légèrement de travers cette nuit-là. C’était la conclusion à laquelle était parvenu Urien lorsqu’il sentit des doigts osseux se refermer sur sa cheville. D’instinct, il chercha à se libérer d’un coup d’épée, mais sa lame rendit un son métallique, comme si elle venait de glisser sur une plate d’armure. La chose qui lui tenait le pied n’était autre que Leustant de Castagne.

« Dites voir, le vent porte comme une sale odeur, non ? remarqua Onésime en aidant Brionne à enflammer une torche de fortune.
- Et les bestiaux l’ont bieng sentie, ajouta Thomas, à deux pas de lui. Faut les voir qui s’agitent. Y se trame des choses pas convenables. »

Brionne agita devant lui son brandon, mais leurs visiteurs n’en semblaient pas incommodés et continuèrent d’approcher, toujours plus nombreux.

Ce fut le moment que la lune choisit pour reparaître. Fulgance et Brionne n’eurent plus de doutes sur l’identité des inconnus.



Tous les enfants de Bretonnie avaient entendu à la veillée quelque conte de morts se relevant de leurs tombes. Peu de gens sérieux voulaient bien y croire, cependant. Si ces choses-là avaient existés, c’était du temps de Gilles le Breton, et dans les terres maudites du duché de Moussillon.



HRP : Voilà, ça devait arriver tôt ou tard : les zombies nazis attaquent. Ils sont habilement représentés par de petits Z sur le plan. Je vous laisse décrire librement les combats de vos persos, le zombie moyen étant tout de même relativement facile à expédier (évitez d'en massacrer trois par messages, c'est tout ). Mais attention à ne pas vous faire manger le cerveau.

Urien se mit à frapper comme un forcené sur son camarade mort en répétant encore et encore les mots « Journée de merdre !». Ses nerfs avaient presque complètement lâché et des larmes se mirent à brouiller sa vision. La situation était sans conteste la pire qu'il ait connue jusqu'ici. Être entouré d'ennemis était une chose, mais devoir affronter des amis défunts était au dessus de ses forces.
Il sentit bientôt une main se poser sur son épaule et le tirer vers l'arrière. Eberlué, perdu dans un inextricable amalgame de pensées et de sentiments extrêmement confus, il mit une poignée de secondes à réaliser que la gueule ouverte qui s'approchait de son visage n'avait rien d'amical.
Incapable de réagir, le chevalier de Havras resta debout, pantois, ne comprenant même plus vraiment la situation dans laquelle il était.
A cet instant, il ne savait plus comment il était arrivé là, ni même où il se trouvait. Tous ses sens lui commandaient de prendre la fuite, mais ni son corps ni son esprit n'étaient en mesure d'accomplir un tel acte.

Une déflagration retentit et la monstruosité sur le point de lui manger le nez s'effondra en soupirant affreusement. Urien regarda Othon qui, le pistolet fumant, était déjà aux prises avec d'autres de ces choses.

« Que faîtes-fous, capitaine ?» hurla Othon. « Compattez !»


En réponse, le chevalier de la Quête battit des paupières. Pourquoi Othon se battait-il au ralenti ? Tout semblait aller si lentement autour de lui qu'il se serait cru égaré dans un rêve.

Une autre de ces créatures était à présent sur Urien, brandissant une sorte d'outil agricole grossier. Cette fois, le chevalier réagit d'instinct, empoignant de sa main gauche blessée le bras de son agresseur. La douleur qu'il en ressentit fut si vive qu'elle le ramena brusquement à la réalité. Dans un geste de fureur, il sectionna le membre du mort au niveau du coude et le repoussa comme il put vers l'arrière.
Cette action, combinée à la pression qu'exerçait Leustant sur sa jambe le mit toutefois en déséquilibre et, bientôt, Urien se retrouva à terre, son ancien ami se hissant le long de sa jambe pouce par pouce dans le but d'arriver à lui.
Dans un sursaut de dégoût et de haine mêlés, le chevalier asséna de terribles coups de pied au défunt Leustant qui fut vivement rejeté.

Profitant du répit, Urien rampa sur le dos. Il vit alors une tête et un bras sortir de l'un des monticules à seulement quelques centimètres de son visage. Terrifié, il se releva et commença à marteler l'horrible figure terreuse de sa lourde botte comme s'il cherchait à la faire retourner sous terre.
Il entendit soudain un tintement d'armure sur sa droite. Tournant la tête, Urien eut à peine le temps de faire un pas pour éviter la blanche lame d'acier qui manqua de lui fendre le crâne.
Il demeura un instant interdit. Une vive douleur à l'arcade, sembable à une brûlure, lui fit comprendre qu'il venait de se faire balafrer par celui qu'il considérait comme son ami encore quelques minutes auparavant. Cette fois-ci, alors qu'il observait son ancien compagnon avancer les bras ballants, les larmes se mirent à couler pour de bon le long de ses joues pour se mêler au sang et former ce qui semblait être un étrange maquillage de carnaval.

« Non !» dit-il simplement en sanglotant.

Il s'élança alors avec toute la fougue et la détermination qu'il pouvait encore trouver en lui et bientôt sa lame s'enfonça dans le cou du malheureux Leustant que la mort avait rendu bien trop gauche pour tenter une parade.
Sans ajouter le moindre mot, Urien laissa le cadavre du chevalier errant retomber lourdement sur le sol, la nuque brisée. Déjà de multiples cadavres ambulants fondaient sur lui. La nuit promettait d'être longue...

"De quelle vilénie sommes-nous les témoins là ?" Fulgance ne put s'empêcher d'avoir un irrépressible frisson qui lui parcourut l'échine en prononçant cette phrase, bien qu'il n'ait jamais totalement écarté l'hypothèse de l'existence de ces morts qui marchent dont sa nourrice lui contait les exploits, il avait toujours souhaité ne jamais avoir à les rencontrer.

Bien malgré lui, Fulgance recula d'un pas et sa respiration se saccada, avec une horrible question qui lui tenaillait l'esprit : peut-on tuer ce qui est déjà mort ? Il n'eusse pas fallu grand chose de plus au jeune chevalier si avenant et fringant pour prendre ses jambes à son cou, mais il se tourna la tête quelques secondes et vit Brionne : l'homme malgré sa basse extraction restait sur ses positions prêt à en découdre avec les cadavres ambulants !

"Quel piètre chevalier fais-je si je laisse roture me donner leçon de bravoure !" A cette pensée, il se ravisa, resserra sa poigne sur son épée, et fit une prière silencieuse à la Dame. Puis il bondit tel un lion sur le plus proche des zombis. Pour le plus grand bonheur de Fulgance, il constata que ces adversaires qui lui avaient causé tant d'effroi étaient de bien piètres combattants : le zombi leva son bras gauche pour se protéger de la lame du chevalier, ce qui aboutit à l'amputation de ce membre. Pour toute réponse, le zombi tenta de donner un coup avec le bâton pointu qui lui servait d'arme, mais l'attaque était lente et prévisible. Fulgance n'eût aucun mal à la contrer et à contre-attaquer d'un revers de la lame qui arracha une bonne partie de la tête du monstre, causant son effondrement. Fulgance ne put s'empêcher de se sentir bête d'avoir eu peur de si pathétiques adversaires, mais ils étaient encore nombreux, et un autre avait déjà relayé le vaincu, mais le fougueux jeune homme l'attendait de pied ferme...

Brionne resta immobile,interdit, paralysé par le froid. Une froidure inconnue, surnaturelle, qui semblait accompagner les créatures... Ou peut être était-ce sa propre peur ?
Soudain le brandon qu'il tenait de la dextre lui brula la main, la douleur le ramenant à la raison. Inquiet, il jeta un regard à la dérobée à son voisin : avait-il remarqué sa couardise passagère ?
Il semblait bien que non. Fulgance tenait fermement épée et bouclier. Il se préparait visiblement à mortir à foison. Un jeune chevalier, courageux et sans état d'âmes affrontant le danger sans trouiller...
Brionne jeta le cahoir devant lui sur le tas de bois sec qui pris feu dans une gerbe d'étincelles. Il considéra un instant sa fine épée en acier de Miragliano, si vive et facile à manier ...et arriva à la conclusion qu'elle était totalement inadaptée au combat à venir. A la lumière du feu, il distingua entre les mains de son premier adversaire une lourde épée bâtarde, rouillée et ébréchée, mais lourde et puissante. Exactement l'arme qu'il lui fallait. Maintenant totalement lucide, il prépara soigneusement son attaque. Bloquant de sa dague le coup maladroit destiné à son chef, il porta un violent coup d'épée sur les phalanges tenant l'arme qui s'éparpillèrent de tous cotés. L'épée tomba sur le sol gelé. Il rompit d'un pas : il lui fallait prendre le recul nécessaire à un coup d'estoc qui traversa le corps de la créature de part en part. Malgré cette blessure qui eut suffi à occire un colosse, le mort s'avança inexorablement. Il s'agrippa à lui. Le bras remonta, cherchant la gorge. Acculé au mur, Brionne ne pouvait plus reculer. Il frappa de la dague sur le cou de son adversaire. Une fois, deux fois. La main squelettique s'approchait encore un peu plus de son gorgerin de maille. Les coups de dague pleuvaient maintenant, plus précipités tandis que montait la peur. La main, l'unique main du cadavre avait atteint sa gorge. Les doigts, froids comme la mort, durs comme l'acier, commençaient à serrer, implacablement. L'air commençait à manquer. Un voile rouge passa devant ses yeux...
Enfin un dernier coup vint à bout de l'adversaire. Le corps glissa à terre. L'air rentra de nouveau dans les poumons en feu de Brionne. Il ramassa précipitamment l'épée rouillée et se redressa. Juste à temps pour affronter un nouvel adversaire sur qui flottaient des haillons de paysan, brandissant ce qui avait du être une fourche. A la manière d'un bucheron, Brionne abattit sa nouvelle arme violentement sur l'épaule du mort. Il eut moult grand plaisir d'entendre les os craquer cependant que le bras se détachait du corps. Oui, cette nouvelle arme lui siérait bien mieux en la bastaille à venir ...

Othon jeta un rapide coup d'oeil au cadavre de Leustant. "Tire qu'il cherchait seulement tu pois", pensa le mercenaire. Il reporta son attention sur le groupe de morts-vivants devant eux. Leurs assaillants était bien trop nombreux à son goût. Il avait heureusement encore deux pistolets chargés, plus son épée. Il pensa qu'il urait tout de même préféré disposer d'une grande épée comme celle d'Urien, au lieu de sa propre rapière. Non que celle-ci ne soit pas capable de tuer un zombie prestement en lui transperçant la tête, mais une telle arme était peu adapté à une mêlée confuse contre plusieurs adversaires.


"Fuyons, capitaine ! lança Othon au chevalier de Havras. Ch'entends du bruit par là ; sûrement sont-ce nos compagnons qui lifrent bataille. Rechoignons-les !"

Urien ahanait en frappant encore et encore les ennemis qui se présentaient à lui. Il ne sentait presque plus son bras droit, moins habitué à manier l'épée, et son champ de vision était de plus en plus réduit par le sang qui s'écoulait de sa blessure au visage.
Sa dague, il l'avait enfoncée jusqu'à la poignée dans l'œil d'un mort et ne pourrait certainement pas la récupérer à cause des nombreux cadavres ambulants qui lui barraient à présent le passage.
Combien d'ennemis avait-il occis ? Sept ? Huit ? Non... déjà moitié d'entre eux se relevait malgré des blessures mortelles. Le Marienburger avait raison: ils ne tiendraient pas longtemps ici.

« Oubliez-les ! Cette ferme où nous nous trouvions est presque indéfendable. Ils sont certainement en plus fâcheuse posture que nous à l'heure actuelle, dit-il en décochant un coup de poing dans la mâchoire d'un mort vivant qui perdit au passage la totalité de sa dentition pourrie. Et pourtant, nous sommes au beau milieu d'un cimetière !»


Le chevalier de la Quête tentait de réfléchir à une solution, mais n'en voyait aucune. Ce duché était plus pourri encore qu'il ne l'avait cru et il n'était pas surprenant que les morts n'y trouvent plus le repos. Ce phénomène était-il lié à l'approche de cette nuit de la Chèvre à laquelle il avait été fait allusion plus tôt ? Les choses allaient-elles de même dans toute la Gasconnie ?
Il repensa à la petite cité de Massillargues. Etait-elle encore assallie ? Si tel était le cas, il était bien désolé pour ses habitants qui devaient être en ce moment même en train d'affronter leurs propres morts... après tout, certains l'avaient accueilli presque royalement et ne méritaient pas une telle fin.
Une idée lui traversa alors subitement l'esprit. Il était possible que l'éveil de ces morts ne soit pas lié à quelque sinistre phénomène naturel. Après tout, les traces indiquaient bien que son rôdeur était venu fureter par ici et tout semblait à présent indiquer qu'il s'agissait d'un sorcier. Mais, si tel était le cas, il leur faudrait retourner vers la clairière où les empreintes s'évanouissaient pour lui mettre la main dessus, or Urien ne s'en sentait pas capable.
Les ennemis étaient trop nombreux et la fatigue était sur le point de le terrasser. De plus, il lui serait sans doute impossible de suivre la piste avec tous ces monstres en maraude dans les environs. Il ne lui restait plus qu'à espérer que le sorcier reviendrait de lui-même vers eux.


« Nous devons trouver un endroit où ils ne pourront pas nous suivre et le tenir jusqu'à l'aube. Un point surélevé, une cavité... n'importe ! Filons !»

Repoussant d'un coup d'épaule un autre zombie, Urien rejoignit Othon. Il lui semblait avoir croisé en chemin un endroit pouvant convenir, un grand arbre abattu au tronc creux, mais n'en était pas sûr. Quoiqu'il en fut, ils ne trouveraient que la mort en restant ici. Ils devaient tenter leur chance.

La lourde épée rouillée s’abattit de nouveau sur un crâne, éparpillant esquilles et cervelle décomposée dans la neige. L’odeur devenait plus insoutenable que jamais à mesure qu’ils mutilaient les corps des morts sans repos. Et la fatigue d’une journée déjà bien trop remplie se faisait durement sentir. Brionne s’appuya un bref instant contre le mur de l’appentis avant de se remettre à porter de terribles coups de taille sur leurs assaillants. L’art de la belle escrime ne comptait plus guère ; il ne s’agissait que d’un affreux et interminable travail de dépeçage.

Malgré tous leurs efforts, ils commençaient à lâcher pied. Il n’y avait d’autre parti à prendre que de battre en retraite et de défendre la porte coûte que coûte. Brionne échangea un regard avec Fulgance, trop essoufflé pour faire de longues phrases, et les deux hommes s’engouffrèrent à l’intérieur. Le jeune chevalier claqua la vieille porte de bois derrière eux d’un coup d’épaule. Il la maintint fermée de son mieux pendant que Brionne allait chercher en hâte de quoi la bloquer efficacement. Le sang lui battait aux tempes tandis qu’il entendait les morts marteler la porte dans son dos.



Din et Armand tenaient la brèche –tout juste. Beppe les secondait de son mieux, tout en gardant un œil sur la fenêtre, écrasant de temps à autre un membre pourri qui s’y était aventuré. Les chevaux étaient en pleine panique. Onésime avait tenté de rassurer les plus secoués, mais la tâche était difficile pour un personnage qui devait monter sur un seau renversé afin d’atteindre les naseaux d’un cheval.

Brionne et Fulgance venaient à peine de bloquer tant bien que mal la porte à l’aide d’une vieille poutre quand un cri déchira la nuit. Thomas, tout rude bretteur qu’il était, avait cédé à la peur et reculé au pire moment. Un mort venait d’entrer par la fenêtre qu’il défendait et serrait déjà ses doigts noueux autour de la gorge du mercenaire. Celui-ci, dans son effroi, avait lâché son arme et tentait de repousser la créature en hurlant. Un second cadavre pénétra dans la maison en ruines à la suite du premier, tombant à moitié sur le sol, pendant que des mâchoires noircies se refermaient sur le cou de Thomas.

C’en fut trop pour l’un des chevaux. Sans doute moins solidement attaché que les autres, il parvint à se libérer et chercha du regard une issue hors de la maison. Din et Armand n’eurent que le temps de se jeter de côté quand il sauta par-dessus le mur effondré et disparut dans le noir, disloquant au passage deux des morts-vivants.


Othon et Urien couraient à travers les bois plongés dans le noir comme si la mort était à leur trousse, ce qui était au demeurant plus ou moins le cas. Affronter les morts était une expérience horrible, mais devoir fuir devant eux était peut-être encore plus éprouvant. Il serait difficile de se résoudre à reprendre le combat en les laissant de nouveau approcher.



Urien finit par retrouver l’arbre creux. C’était un vieux châtaignier sans doute frappé jadis par la foudre, un abri précaire qu’ils allaient devoir transformer en bastion s’ils voulaient survivre assez longtemps pour voir encore une fois le soleil se lever. Othon sauta le premier dans le refuge, suivi par Urien. Ce qui avait été le fringant Leustant de Castagne le tira à lui une nouvelle fois, mais Othon libéra son compagnon en déchargeant son pistolet, faisant un peu plus oublier la figure du jeune chevalier. Le cadavre s’effondra, mais les deux hommes l’avaient déjà vu se relever deux fois cette nuit-là ; la troisième ne tarderait guère.

Quitter le charnier pour cet endroit légèrement plus défendable leur avait redonné quelque espoir, mais il était mince. Même les légendes et les chansons de gestes les plus pessimistes ne prétendaient pas que les morts pussent se relever sans fin, inlassablement, sans l’aide d’un mage noir, or c’était bien ce qui semblait se produire. Comme pour répondre aux interrogations qu’Urien venait de retourner dans sa tête, le ciel se dégagea un bref instant, et il aperçut quelques étoiles. Il vit la constellation du Danseur, quelque chose qui devait être celle du Chaudron… et la Chèvre Sauvage, très visible. Elle correspondait, pour autant qu’il pût s’en souvenir, en tout point au dessin du médaillon, à une exception près : il n’y avait pas d’étoile formant l’œil de la chèvre. Il crut cependant en distinguer une très près ; la conjonction ne s’était pas encore produite, mais elle était proche, de toute évidence.

« Capitaine ! »

Le cri d’Othon tira Urien de ses pensées, et il se hâta de faire voler en l’air une nouvelle tête fracassée avant de regarder ce que le Marienburger lui désignait du doigt. Une lueur verte se voyait à quelques pas de là, dans la neige. Dans sa course, Othon avait perdu le médaillon de Sicard, qui brillait comme s’il était ensorcelé.

L'objet était donc maudit. Urien n'avait jamais eu aucun don pour sentir la magie et n'avait rien vu à reprocher à cette amulette hormis son côté inesthétique.
Que faire alors ? Attendre et voir si les morts étaient attirés par cet objet plutôt que par eux ? Cela ne semblait nullement être le cas pour l'heure... en revanche, si l'objet était bel et bien ensorcelé et lié à quelque conspiration, il y avait fort à parier que son rôdeur nécromantique viendrait tôt ou tard s'en emparer. Peut-être cette sinistre prestation n'avait-elle eu que ce but-ci, après tout: leur reprendre ce bijou hideux.
Cette idée déplaisante lui en fit venir une autre. Armand était celui qui avait voulu envoyer seul Othon, le porteur du médaillon, aux devants du sorcier maléfique et une petite explication risquait de s'imposer s'ils survivaient à cette tragique expérience.

Attendre l'arrivée du sorcier paraissait être un pari risqué mais il s'agissait sans doute également de leur seule chance de mettre un terme à cette horrible scène. Cependant, avec le nombre d'ennemis qui allait sans cesse croissant, ne risquaient-ils pas de manquer leur chance à l'arrivée du rôdeur ? Le meilleur parti semblait donc bel et bien d'aller rechercher l'objet pour attirer leur ennemi à eux, mais seul un fou aurait pu tenter pareille entreprise.
Après une profonde inspiration, Urien se prépara à bondir hors de l'abri. A sa propre surprise, il se ravisa néanmoins. Après tout, il en avait déjà fait assez pour ce soir et c'était par l'incurie du Marienburger que l'objet avait été perdu. De plus, il était toujours préférable d'envoyer une chèvre à sa place dans ce genre de situations.

« Il nous faut cette amulette ! Préparez-vous à courir, mon brave, je vais vous faire une ouverture.»

"Notre situation va bientôt devenir intenable, il en arrive de partout et nous avons trop d'issues à garder."

Din tenta de convaincre ses alliés.

"Tentons une sortie ! Ou tâchons de rejoindre la grange. Elle n'a vraisemblablement qu'une seule porte et sera donc plus facilement défendable."

"Brionne, tenoyez fermement la porte, je m'occupe des créatures passées par la fenestre !" Hurla Fulgance en se jetant sur le mort-vivant qui déchiquetait ce pauvre Thomas ; il lui fendit le crâne sans peine, mais le dernier monstre arrivé se relevait juste et se montra retors. Muni de ce qui devait être un fléau à blé en piteux état, il fouetta l'air en direction du jeune chevalier. Ce dernier était fatigué, certes les adversaires étaient de piteux combattants, mais leur nombre et la sale habitude qu'ils avaient à se relever sans cesse les rendaient particulièrement pénibles. En outre, les créatures ne semblaient guère incommodés par la notion d'épuisement, alors que Fulgance avait le bras lourd de devoir taper sans cesse, et encore, il n'était pas le plus à plaindre ; en effet, Brionne s'était affublé pour la circonstance d'une lame rouillée et très visiblement, il n'était guère à l'aise avec cette arme, lui préférant sans doute la lame légère, mais bien inutile contre leurs actuels ennemis, qui pendait à son ceinturon.

C'est donc avec peine que Fulgance para un coup qui lui aurait normalement demandé aucun effort, et c'est encore avec plus de peine qu'il tenta de riposter, souffle court et geste ralenti par les longues minutes ininterrompues de combat. Sans surprise, le zombi détourna l'attaque, et déjà, un autre zombi pointait le bout décati de son nez à travers la fenêtre.

C'est à ce moment qu'il entendit l'intonation tiléenne propre à Din, ce dernier proposait une retraite vers la grange ; l'idée avait de quoi séduire, la grange, bien que plus étroite n'avait qu'un seul accès facilement défendable, mais Fulgance avait quelques réticences :
"J'entends votre propos, mais nous ne pourrons jamais teindre ceste bastisse avec nos montures, elles sont bien trop effroyées, cela tend que nous les abandonnions. Et il faudra escompter traverser le dehors et je douste que ces monstres nous laissent tran..."
Le fléau frôla le crâne du jeune homme qui, dans un sursaut d'orgueil, réussit à faire une réplique vaillante, tranchant en partie la main du zombi qui en lâcha son arme, il n'en fallut pas plus pour que Fulgance assène plusieurs coups violents à l'humanoïde soudainement sans défense. Mais déjà, le troisième zombi avait fini de se frayer un chemin dans la maison. Fulgance eût un regard fugace vers Thomas, ce dernier rendait ses derniers râles, il était visiblement en train de se noyer dans son propre sang. Le chevalier détourna les yeux, il était de toute évidence bien trop tard pour changer quoi que ce soit au funeste destin du mercenaire.

"Vous avez raison ! Alors, tentons une sortie sur nos chevaux et fuyons cet endroit maudit ! Luogo maledetto !"

L'idée de Din plût instantanément à Fulgance : comment lui, un chevalier bretonnien, n'a-t-il pu penser en premier à une bonne charge ?

"J'adhesre à votre pensée, compagnon," lança-t-il au tiléen ! Puis il cria à l'assemblée : "TOUS AUX MONTURES !"

Brionne reprit son souffle, adossé a la porte. Dire qu'il avait été soulagé par la proposition du jeune Fulgance était peu de chose. Sa respiration qui évoquait furieusement le bruit d'une forge le montrait sans détour. 
Le repos fut de courte durée. Les coups pleuvaient de l'autre côté de la porte. Dans un craquement sinistre une planche de bois plus pourrie que les autres céda et la lame d'une hache passa au travers. 
Brionne la saisit de la dextre et tira d'un coup sec, arrachant l'arme des mains de son défunt propriétaire. De la senestre il enfonça son épée ébréchée dans l'ajour, à plusieurs reprises. Le bruit derrière la porte cessa. Sans doute un des morts avait-il abandonné pour quelques heures, quelques instants sa sinistre parodie de vie. 

Dans ce silence -tout relatif- Brionne parvint à saisir le fil de la conversation de ses compaings. Il partageait avec eux la volonté de quitter tout tanstot cette masure par trop difficile à mettre en défense, mais il doutait être de quelque secours lors d'une charge. Dans le fond de la pièce, il aperçut sa douce haquenée qui ruait et se cabrait, le mors aux dents. En l'état, il doutait même pouvoir seulement monter en selle.

- Oncques ne pourrai vous aider en votre chevauchée, messeigneurs. Si vous sortez montés, je tenterais simplement de vous suivre. Vous ouvrirez bellement le chemin ; je dois avoir quelques chances d'atteindre sauf la grange, emmenant les montures d'Urien et du marienburger...Même si j'ai malepeur de bientôt compter ces derniers parmi la charogne.

"Fous êtes pas pien, vous, capitaine ?" cria Othon au milieu du combat qui reprenait. "Che risque pas ma peau pour un métaillon mautit ! Tirons-nous au plus fite, avant te finir comme eux !" continua-t-il, tout en lançant un coup d'estoc à un zombie qui s'approchait.

Othon avait compris qu'Urien ne tenait pas plus que lui à aller se faire découper pour un médaillon maudit. Il espéra que l'arbre creux dont parlait le capitaine serait défendable jusqu'à ce que l'attaque cesse ou que leurs compagnons les retrouvent...

Profitant d'un court répit dans la mêlée, Urien donna un léger coup derrière la tête d'Othon, comme il l'aurait fait à un enfant insolent.

« Si vous ne vouliez pas risquer votre vie pour le récupérer, il ne fallait pas le perdre en premier lieu, petit gredin !»

Din était décidé à tenter la sortie équestre. Il fit signe à Beppe de le suivre, en désignant les chevaux. Le visage de Beppe s'illumina à l'idée de sortir de cette nasse.
Mais l'affaire ne serait pas simple : les chevaux étaient, en effet, particulièrement agités, et il fallait encore tenir les zombies à l'écart.

Les deux hommes, talonnés par Armand, battirent rapidement en retraite vers les chevaux.
"Tieni i cavalli a bada", cria Din à Beppe, et il se posta en défense tout en enjoignant Armand à l'imiter.
Beppe fit de son mieux pour calmer les chevaux et bientôt, il en tenait trois par la bride. Aussitôt, Din et Armand rompirent le combat (et l'un ou l'autre membre mort-vivant par la même occasion) et montèrent en selle. Il fallut à Din un surcroît d'énergie car l'un des zombies l'avait aggrippé au mollet. Mais la rapière tiléenne perfora la tête de l'infâme créature, entrant dans l'œil et ressortant par la nuque.

Un bref instant de répit permit à Din de se saisir des rênes du cheval de Brionne. "Seigneur Brionne, venez, je tiens votre cheval comme je peux. Tâchez de monter, vite !"

Déjà, Armand et Beppe faisaient avancer leur monture qui doublaient les coups d'épée des deux hommes de quelques ruades au terme desquelles une tête morte s'épancha de son contenu...

Le cheval de Brionne était extrêmement difficile à tenir, et Din dut redoubler d'efforts pour le maintenir pendant que Brionne montait avec peine. C'est une occasion qu'un des décérébrés saisit pour lui porter un coup de bûche sur la jambe, manquant le faire défaillir. Din était prêt de lâcher quand, Fulgance, lui-même en selle, intervint pour repousser la créature en lui tranchant net les deux bras. Enfin, Brionne fut en selle et les trois hommes purent s'élancer à la suite de Beppe et Armand.

Maintenant, seule la fougue des chevaux et des coups portés pouvaient leur donner l'espoir de sortir de cet enfer.

Fulgance était assez content de son cheval ; ô certes, il ne valait pas le défunt Flammes, mais l'animal faisait preuve d'un stoïcisme, tout relatif mais suffisant au regard de la situation, qui le rendait assez facile à gérer, il n'eût donc pas trop de mal à le chevaucher puis à le diriger. Fulgance prit le temps de prendre Onésime en croupe ; bien qu'il trouvait ce gnome vulgaire et parfois agaçant, il n'avait pas le cœur à le laisser en proie à une mort particulièrement atroce.

Le jeune chevalier regarda rapidement si tout le monde était bien monté et comme ce fut le cas, il leva son épée et hurla :
"Puisse la Dame nous accorder sa protection ! CHARGEZ !"

La charge qui suivit fut mémorable. Les environs grouillaient à présent de cadavres animés par la magie noire, et les cavaliers durent littéralement se tailler un chemin à travers la masse. Armand et Beppe, en tête, firent sauter leurs montures par-dessus la muraille effondrée, brisant côtes et tibias pourris au passage.

Alors qu’un ennemi ordinaire eût cherché à se garder des coups de sabots, les morts ne s’écartaient même pas lorsqu’un cheval se ruait droit sur eux. Fort heureusement, l’obscurité de la nuit voilait le spectacle ignoble des corps brisés par la charge, mais les bruits écœurants et la puanteur suffisaient à donner la nausée à un homme courageux. Les chevaux, quant à eux, étaient à bout. Brionne connaissait assez sa brave haquenée pour sentir qu’elle était sur le point de céder à la panique et de le désarçonner. La monture de Fulgance était moins apeurée, mais il fallut néanmoins tous les efforts du jeune sire pour sauver Onésime d’un sort funeste. Le malheureux gnome était balloté comme un sac et faillit plus d’une fois tomber entre les mains des revenants.

Din fut le dernier à quitter la ferme en ruines, et il n’était que temps. Son cheval fit un bon frénétique par-dessus le mur et se hâta de rejoindre le reste de la troupe, en sueur malgré le froid et soufflant furieusement des naseaux. Le soulagement qu’il éprouva fut hélas de courte durée ; il ne put réprimer un sursaut lorsqu’il se sentit saisi à la taille. Il se retourna sur sa selle, et comprit la situation. Alors qu’il lançait sa monture, l’un des morts s’y était fermement attaché et grimpait à présent jusqu’à lui. Meurtrie par le combat, la créature était privée de jambes, mais parvenait à se déplacer en se traînant de ses mains. Din roua le cadavre de coups inefficaces jusqu’à ce qu’une ruade du cheval envoie promener ce passager clandestin. Din se maintint en selle de justesse.

Même pour un duché décidément pourri, c’était une vilaine nuit. Les derniers coups de pistolets d’Othon étaient partis, et il n’était plus question de recharger à présent. Urien et lui se défendaient avec toute la rage qu’ils pouvaient encore trouver au fond d’eux, mais il leur semblait maintenant que leurs bras s’étaient changés en plomb. Othon écrasa la garde de son épée contre un crâne qui se détacha mollement des épaules de son propriétaire. Les deux hommes regardèrent le cadavre tituber puis tomber en arrière sur le sol, juste à côté du médaillon, qui se mit soudain à briller d’un éclat renouvelé. L’espace d’un instant, il leur sembla qu’une lumière environnait le corps décapité. Puis le cadavre, immédiatement, se releva.

Soit que ce phénomène l’ait ébranlé, soit que la fatigue et sa blessure à la tête aient finalement eu raison de ses dernières forces, Urien sentit ses pieds se dérober sous lui et comprit qu’il perdait connaissance. Sa vision se voila et il lui sembla voir dans un demi-rêve le médaillon qui le poursuivait, relevant les morts autour de lui…

Un choc sur sa nuque réveilla Urien. Il était tombé à terre, contre la paroi de l’arbre. Othon luttait avec ses dernières forces, mais la partie semblait perdue.


Les chevaux, s’étant enfin échappés du guêpier, se lançaient à toute vitesse à travers les arbres, au risque de se disperser ou de projeter leur cavalier contre une branche basse.

« Il faut calmer les bêtes, ou elles finiront par se débarrasser de nous ! haleta Armand. Regroupons-nous et… »

Il ne put finir sa phrase. Le cheval de Beppe, juste devant lui, venait de trébucher contre quelque racine rendue invisible par l’obscurité, et la monture d’Armand s’effondra à sa suite. Beppe se remit péniblement sur ses pieds, mais Armand se mit à gémir de douleur, manifestement blessé et incapable de se relever. Déjà, les silhouettes des morts s’approchaient.

Un genou à terre, Urien tendit la main pour ramasser une poignée de neige qu'il se passa sur le visage.
Il se figea un instant, comme paralysé par la douleur. Toutefois, à l'épouvantable impression de brûlure qu'il ressentit en premier lieu succéda un moment de flottement bien étrange durant lequel il ne sentit plus rien. Il n'y avait plus ni douleur, ni chaud, ni froid. Son visage lui semblait mort et la chose sembla le contenter car il jugea qu'il ne vivrait plus assez longtemps à présent pour sentir la douleur revenir.
Il songea qu'il aurait aimé avoir un cor pour partir en fanfare. Cette mort, alors qu'il était pratiquement seul et perdu dans les bois, ne lui seyait guère. Tout cela manquait cruellement de témoins et de panache.

Il scruta les environs et ne vit que des visages hideux et horriblement défigurés qui avançaient en silence. Il supposa qu'il n'existait pas de jeunes et jolies donzelles enterrées dans les cimetières de forêt.

Depuis quelques instants déjà, même les détonations de l'arme du Marienburger avaient cessé de perturber le calme de cette nuit sans lune.
Bientôt pourtant, il entendit dans le lointain un rire cristallin qui le mit plus mal à l'aise encore que l’étouffant silence qui régnait jusqu'à lors.
Reconnaissant la voix de son frère, le chevalier de la Quête eut un rictus nerveux.


« Va manger mes glaires, Uther !» déclara-t-il dans le vide avant de se mettre à ricaner seul.





Sa détermination ainsi renouvelée par son envie irrépressible de partir sur un coup d'éclat, il empoigna des deux mains le manche de son épée et se redressa pour un ultime effort.


« Ce fut un plaisir de vous rencontrer, dit-il à Othon. Vous m'aurez vraiment tous bien pressé le vit.»
Puis, le visage fermé, il avança en titubant droit devant lui, quittant l'abri de fortune. Il se mit à réciter un ancien lai guerrier l'Anguillois en ponctuant chaque vers par un violent coup d'épée.

« Le long de la quille retournée,
Tu grimpes avec un cœur d’acier.
Froids sont les embruns de l’océan
Et c’est la mort qui t’attend céans.
La longue nuit t’ouvre son lit
Tout un chacun, un jour, périt.»

A peine avait-il prononcé ces derniers mots qu'il s'effondra face la première dans la neige. Il sentait déjà des doigts osseux se refermer sur son armure pour tenter de le tirer. Regroupant le peu d’énergie qu'il lui restait, il se mit à ramper en direction du médaillon...

Dès qu'il vit ses compagnons s'effondrer, Fulgance tira d'un coup sec les rennes de sa monture qui ralentit brutalement, ce qui manqua de peu par ailleurs de désarçonner Onésime si ce n'est qu'il s'accrochait comme s'il avait la mort aux trousses, ce qui était d'ailleurs le cas dans un sens.

"Armand, Beppe," s'époumona-t-il en se dirigeant vers Armand pour aider ce dernier à se relever, "comment estes-vous ? Point trop de mal ?"
Fulgance descendit de cheval pour aller aider ses camarades quand il vit au loin les menaçants contours des silhouettes des cadavres ambulants.
"Reloivez-vous, nous n'avons point temps à prélasse, je crains que les créatures de tantost ont décidé de ne point nous abandonner si aisément ! Mesme s'ils n'ont point l'air preste, il n'est point utile de les attendre !"

Othon se flattait d'être dans un état légèrement meilleur qu'Urien. Certes, il avait faim, soif, froid, et envie de dormir. Mais contrairement à l'autre, il était encore capable de tenir sur ses jambes. Il remercia les dieux de se battre à la rapière et pas à l'espadon comme le chevalier ; l'arme, au moins, était assez légère pour qu'il puisse encore la manier, quoiqu'avec gaucherie.

Il vit soudain Urien entonner une étrange chanson, se battre encore un peu, puis tomber... Le marienburger essaya de l'aider en plantant maladroitement sa rapière dans le zombie qui tenait le chevalier.

Brionne descendit doucement de sa haquenée. Le contact du sol sous ses semelles de cuir lui fut un intense soulagement : depuis quelques temps, il avait le sentiment assez étrange de ne plus contrôler ni sa destinée, ni sa propre monture. Il se demandait d'ailleurs comment il n'avais pas chu à l'égal du preux Armand. 
Le sort de ce dernier ne manquait pas de l'inquiéter : se penchant au dessus de lui, il chuchota a son oneille :
- Pensez-vous pouvoir supporter le dol de votre chute, il nous faut departir vistement, le troppelet de trépassés approche. 
Ayant dit, il tenta de le soulever pour le hisser sur sa propre monture
- gentil Fulgance, pouvez-vous aviser le palefroi de sire Armand ? Il serait séant qu'il puisse nous accompagner en notre fuite. 

Le cadavre qu’Othon venait de transpercer tourna vers lui ses yeux blancs et laissa pendre un peu plus sa mâchoire branlante dans une plainte muette. Othon tira sa lame, l’enfonça de nouveau, frénétiquement, jusqu’à ce que la créature s’effondre enfin.

Toujours pris dans son délire, Urien semblait avoir oublié le danger et continuait de ramper vers le médaillon en marmonnant des paroles incompréhensibles. Othon faisait de son mieux pour couvrir son avance, sans savoir si reprendre le médaillon les aiderait en quoi que ce soit. Rassemblant ses dernières forces, il brisa d’un violent coup de coude le cou d’un mort qui s’apprêtait à le saisir par-derrière, et se résolut à suivre Urien hors de l’abri.

Fulgance s’approcha avec prudence du cheval d’Armand, encore à terre, à moitié sur le flanc après sa chute. La bête le regarda venir nerveusement, puis, tout soudain, envoya un brusque coup de sabot en avant, que Fulgance esquiva de justesse. La chute avait été mauvaise, et le cheval était manifestement blessé.

Brionne soutenait de son mieux Armand qui se mordait le poing pour ne pas crier de douleur. Malgré son armure, le choc lui avait violement tordu le pied. Incapable de se déplacer par lui-même, il fit signe à Brionne de le tirer en arrière. Les morts revenaient.

Sans véritablement savoir où il était ni ce qu’il faisait, Urien continuait de se traîner sur le sol. Une paire de pieds particulièrement malodorants passèrent devant lui mais à son grand amusement, leur propriétaire ne sembla pas le remarquer et se dirigea vers Othon. Des doigts se baissèrent vers lui comme pour lui griffer le visage, mais il les saisit à pleines mains et les brisa dans un bruit écœurant.

Le médaillon n’était plus qu’à quelques pouces de sa main. Il referma ses doigts autour de l’objet au même moment où d’autres se refermaient autour de son cou. La panique réveilla les sens d’Urien, qui tâcha de se relever tant bien que mal, rouant de coups le cadavre, mais refusant de lâcher le médaillon maudit, et le pressant dans le creux de sa main comme s’il s’était agi des parties sensibles de son frère Uther.

Le cadavre émit un ignoble gémissement encore empiré par une haleine à faire s’évanouir un rat d’égout, mais ne céda pas. Le chevalier pesa de tout son poids sur son adversaire et l’écrasa bientôt contre un rocher qui affleurait entre les racines d’un vieux chêne tordu. Urien, à demi étranglé, ne voyait plus devant lui qu’un noir de poix traversé de lumières clignotantes. Il abattit désespérément sa main droite, celle qui tenait le médaillon, sans s’arrêter, dans l’espoir de se défaire du mort. Soudain, il sentit son poing heurter douloureusement le rocher.

D’un seul coup, l’étreinte autour de sa gorge se desserra. Urien tituba de quelques pas en arrière, et le cadavre s’effondra à ses pieds.

À deux pas de lui, Othon envoyait son dernier coup d’épée dans le vide, son adversaire venant lui aussi de retourner à la paix du tombeau. Un à un, les morts cessèrent d’avancer et tombèrent mollement sur le sol neigeux.

Urien avait oublié toute douleur. Pris d’une joie incontrôlable, il ouvrit sa main droite. Il ne lui restait plus qu’une moitié de médaillon ; l’autre gisait dans la neige non loin de là. Son dernier coup porté contre le rocher avait brisé le fragile bijou.

Othon s’avança vers lui, encore incapable de comprendre comment ils avaient échappé à la mort. Il vit Urien regarder le creux de sa main, pris soudain de fou-rire, puis perdre définitivement connaissance et s’effondrer lourdement en arrière.

Brionne et Fulgance échangeaient encore des regards éberlués. La blessure d’Armand avait bien failli les condamner en les laissant à la merci des morts. Mais alors même que Din les rejoignait, prêt à lancer sa monture sur les cadavres, ils s’étaient effondrés les uns après les autres pour ne plus se relever.

Othon était arrivé peu après, traînant par les épaules un Urien à demi conscient qui bredouillait de temps à autre des grossièretés à l’adresse, semblait-il, d’un certain Uther. Le chevalier de Havras, étendu sur le sol, achevait de reprendre connaissance sous les yeux pleins de sollicitude d’Onésime. Beppe, quant à lui, était parti à la recherche des derniers chevaux manquant à l’appel.

La blessure d’Armand était sérieuse. Il s’agissait au moins d’une grave entorse, mais on ne pourrait en être certain qu’après l’avoir présenté à un médecin compétent. Hélas, on ne risquait guère d’en trouver avant La Tour. D’ici là, on avait immobilisé le pied tant bien que mal. Armand pensait encore pouvoir monter à cheval, quoique avec peine.

Urien était trop épuisé pour fanfaronner autant qu'il l'aurait désiré. Il mit quelques minutes à remettre de l'ordre dans ses pensées et à se convaincre que son frère n'était pas avec eux, pas plus que le vénérable Guinefort qu'il lui semblait pourtant bien avoir vu passer non loin de lui peu avant qu'il ne brise le médaillon maudit.

Devant l'insistance du gnome qui le pressait de nombreuses questions, Urien raconta à ceux qui se tenaient assez près pour l'entendre les mésaventures qu'Othon et lui venaient de traverser.
Leur rencontre avec les morts, le réveil de Leustant et la manière dont ce dernier lui avait offert une jolie balafre, leur fuite à travers bois puis leur lutte désespérée devant l'arbre mort, le chevalier de Havras raconta tout avec autant de fougue et de verve qu'il le pouvait dans son état, en s'abstenant simplement de mentionner les détails les moins flatteurs et le peu de foi qu'il avait démontré quant aux chances de survie de leur groupe resté dans la ferme abandonnée.

« Saluez le héros de la journée, finit-il par glousser en brandissant bien haut le médaillon brisé sous les regards incrédules de Brionne et Fulgance. Voici la cause de cette attaque de cadavéreux. Ils se relevaient sans répit et ne cessèrent de déambuler qu'une fois que j'eusse détruit cette breloque au péril de ma vie.»


Il s'arrêta et se mit à respirer profondément. Jamais de sa vie il n'avait été si heureux de se reposer dans pareil taudis en compagnie de gens sales et puants.


« Nous avons un gros problème sur les bras, je crois. Je ne me sens pour ma part pas capable de reprendre la route dès demain, mais j'ai vu les étoiles, ce soir... la Chèvre aura bientôt son œil.»

Bien que bourré d'incohérences et de vantardises, le récit d'Urien expliquait l'arrêt soudain de l'attaque de leurs ennemis décrépis, Fulgance remercia donc de manière fugace, mais sincère, le chevalier bandit qui venait très probablement de leur sauver la vie. Ceci dit, l'idée d'avoir une dette de sang vis à vis d'un tel personnage ne plût qu'assez modérément au jeune homme, mais il savait qu'il valait mieux être en vie grâce à un malandrin que mort à cause d'un gentilhomme.

Passant outre ces considérations, Fulgance délaissa Urien pour s'approcher d'Armand au près du quel il s'enquit de ses nouvelles qui n'étaient guère brillantes.

"Mon bon sieur, vous me mirez marri pour votre cheville, lança Fulgance, mais vous vous rappelez que nous parlions, avant d'estre interrompu, de votre ambassade pour mettre fin aux hostilités entre le bon sieur de La tour et le marquis de Perbencras. Je peux bien m'entretenir avec vous, car vous estes homme de bien ; je reconnois avoir intérêt dans ce conflit à venir, puisque mon aisné, l'actuel sire en titre du domaine de Châtelrac, a cherché à m'exécuter m'obligeant à fuir ; mais ce dernier a trahi la vassalité traditionnelle de ma lignée aux sieurs de La Tour pour prêter allégeance au marquis, ce qui constitue pour moi une occasion de revenir en grasce. Cependant, je suis prest à empescher conflit inutile, mesme si je n'avoue n'estre point admiratif du sire de Perbencras. Mais parlez-moi plus avant de ce sieur de Clairac, en voilà un qui me semble aussi fourbe que mon frère."

Brionne savourait l'instant, adossé à un arbre. Il était vivant. Au moins pour l'instant. La goulée d'air froid qu'il aspira lui fut un enchantement. 
Il avait écouté d'une oneille attentive le récit du sire de Havras. Nulle trace de l'intervention du marienburger. Pourtant le visage de ce dernier était marqué, autant sinon plus que celui de Urien. 
Il donna une bourrade de réconfort à Othon avant de s'adresser au sire de Havras :
- Vous fîtes là fort belle appertise, vous êtes bon compaing de bastaille, quand la haine ne vous aveugle point. 
Puis, à la cantonade :
- L'alarme fut chaude, mais elle semble passée. Pourquoi ne pas retourner prendre notre content de repos en la grange ; nous pourrons y soigner à notre aise la blessure du sire Armand ?

« Ha oui, le noble sire Armand... celui qui examina le médaillon, puis le rendit à Othon avant de l'envoyer seul courir les bois le plus loin possible de la ferme. Un homme de confiance assurément.» Lança Urien dans un soupir, comme pour lui-même.

Armand, qui grimaçait encore de douleur, son pied serré par un bandage et une attelle de fortune, jeta un regard haineux à Urien, mais s’abstint de répondre

« La suggestion de messire Brionne me semble excellente, fit-il. Dégageons la place de ces cadavres puants et profitons des heures qu’il y a encore avant l’aube pour dormir. Je vous avoue que j’en ai grand besoin. Quant à vous parler de notre bon compère Florian de Clairac, messire Fulgance, voilà qui attendra demain. »

« Sommes-nous encore loin de La Tour ? demanda Armand qui faisait de son mieux pour descendre de selle, aidé par Beppe.
- Trop loin pour y arriver aujourd’hui, j’dirais, répondit Onésime en secouant la tête. C’est pas bien étonnant, pissemerdre. Parce que, sauf votre respect, messire, avec votre blessure, on ne risquait pas d’aller plus vite que l’vent.
- Si j’avais pu m’éviter cette maudite entorse, grogna Armand, soyez certain que je l’aurais fait. Par ailleurs, je ne suis pas seul à avoir été éprouvé, et je doute que notre retard me soit entièrement dû. Même les bêtes n’ont plus envie d’avancer, après ce qui leur est arrivé la nuit dernière ; il nous en faudrait de fraîches.
- Pas la peine d’y compter, fit le gnome. On trouvera personne pour nous échanger des ch’vaux frais contre les nôtres. ‘Font pas confiance aux étrangers, par ici. »

C’était leur première pause de la journée, et elle était bienvenue. Onésime leur avait choisi un coin de sous-bois à quelque distance de la grand-route de La Tour. Un ruisseau coulait là, et ils étaient hors de vue d’éventuels voyageurs.



« Au fait, quelles sont ces terres ? demanda Armand à Onésime, tout en s’asseyant avec précaution contre une grosse pierre moussue. Le vent me semble moins rude, et la neige a presque disparu.
- C’est qu’on est moins haut qu’hier, expliqua le gnome. Le climat se radoucit quand on descend des hauteurs de la forêt pour aller vers La Tour. On est au milieu des coteaux de Sombrefeuille, en plein dans l’plus grand vignoble de c’côté du duché -et l’meilleur, si vous croyez les gens d’ici. L’vin qu’on fait ici se retrouve aussi loin qu’à Quenelles, à Brionne, et même plus haut. Y z’en font tellement qu’y peuvent pas tout boire, et c’est pas rien dire quand on sait comment on boit, par ici. Les barons de La Tour seraient pas à moitié aussi riches sans leurs vignes. D’ici à c’qu’on soit arrivé, on verra pas grand-chose d’autre que d’la vigne.

- Nous sommes le trente aujourd’hui, dit Armand l’air pensif. Plus que trois jours avant le Nouvel An et la Nuit des Sorcières. Il faudra tout faire pour arriver à La Tour demain ; je ne sais pas ce que le sire de Clairac et sa sombre clique préparent pour cette date, mais d’après les contes, c’est la nuit rêvée pour les charmes et les sorcelleries. »

Voyant Fulgance tourner son regard vers lui à la mention de Florian de Clairac, Armand se remémora sa promesse de la veille.

« Je suppose que nous vous devons la vérité, soupira-t-il. Vous avez risqué votre vie autant que nous la nuit dernière, et, hélas, j’ai la certitude que nous verrons encore d’autres abominations du même tonneau sur notre route. Nous allons saluer le baron de La Tour au nom de mon seigneur, Laurent, maître de la ville de Valfons, et lui porter un message de paix, tâcher de le convaincre de négocier avec le marquis Foulques pour éviter la guerre qui menace, mais il y a bien plus. Ce chevalier Florian de Clairac que nous poursuivons, nous l’avons vu à l’œuvre à Valfons. L’homme y gouvernait une secte infâme, une coterie de sorciers, d’adorateurs de démons. Et dans leur folie, ces gens enlevaient des enfants, qu’ils destinaient à d’ignobles sacrifices. Parmi ces infortunés, maître Brionne vous dira qu’il y avait la fille de son seigneur, dont nous ne savons aucune nouvelle. Comment un gentilhomme peut-il tomber si bas, je l’ignore. Mais l’affaire devint plus grave encore lorsqu’il fut clair que le culte recevait de l’argent de ce comte de Fontanes, Albéric, qui semble vouloir mettre toute la Gasconnie sous sa coupe. Si le comte a vendu son âme aux dieux sombres, alors le pire est à craindre. Hélas, les grands seigneurs continuent à s’entre-déchirer. Lorsque le marquis Foulques, suzerain de mon seigneur Laurent de Valfons, apprendra que Florian de Clairac, un chevalier de La Tour, complotait et assassinait sans vergogne sur ses terres, il saisira ce prétexte, et entrera en guerre contre le baron. Il faut un geste du baron Fulcrand pour éviter la guerre. Il doit savoir que son vassal Florian de Clairac est coupable de complot et de sorcellerie, et le mettre hors d’état de nuire. Et il doit savoir que le véritable ennemi n’est pas le marquis Foulques, mais le comte de Fontanes. »

Armand but une gorgée d’eau froide que lui tendait Othon, qui venait de remplir les outres au ruisseau.

« J’ai repensé à ce qui s’est produit la nuit dernière, poursuivit-il. Ce médaillon était ensorcelé et, je ne sais comment, son pouvoir a dû se réveiller lorsque nous sommes arrivés à proximité de ce charnier. Or ce médaillon appartenait au sire de Grailhy, et Othon l’avait ramassé après notre bataille contre sa troupe. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard. Florian de Clairac n’est pas le seul seigneur de la baronnie à avoir cédé aux démons ; Sicard de Grailhy a dû le suivre dans son crime. »