Tournoi de trébuchets du Chesnois

     Le tournoi fut alors interrompu par une raison aussi absurde qu’inattendue. Tout bascula lorsqu’un page en livrée, quelque peu essoufflé, se présenta à la tribune d’honneur. L’annonce du jeune homme fit aussitôt blêmir sa majesté le roi Louen : son auguste et exécrable tante, dame Marie de la Médisance, approchait. Epuisé par une campagne ardue, n’aspirant qu’au repos et surtout, surtout sentant poindre en lui un haut le cœur à la seule idée de passer le tournoi en compagnie de la sournoise vipère qu’était sa tante, le roi s’entendit hurler : « JE NE SUIS PAS LÀ !! »
     Tout le gratin le vit se lever, bondir et entrainer le pauvre page avec lui ; le jouvenceau, encore novice, n’aurait jamais pu deviner les conséquences catastrophiques que son annonce déclencherait. Le lord del Insula, Reynald de Chantillon et Silvère de Castagne n’eurent que le temps de cligner des yeux que sa majesté royale eut dévalé les quelques marches vers la flamme du tournoi, contourné le brasier et bondi hors de vue, en plein dans la brume magique du champ de tir. Un deuxième « Je ne suis pas là !!! » étouffé retentit, puis l’on ne l’entendit plus. Pendant un court instant, la tribune d’honneur demeura muette de stupeur, puis la bulle éclata : « Arrêtez tout ! Au nom de la Dame, arrêtez tout !! » « Le roi est dans les champs ! Avez-vous vu, ma mie ? Ou ai-je des visions ? » « Crénom d’Orquemont, quelle est cette farce ?! » « Mais que va dire… »
     « Puis-je avoir votre attention, nobles dames et seigneurs ? »
     Bien que suant à grosses gouttes, le chambellan qui s’était emparé du porte-voix pour capter l’attention agissait quasiment d’instinct. Une fois tous les visages tournés vers lui, il baissa le porte-voix pour ne se faire entendre que des nobles.
     « Au nom du roi, lorsque dame Marie de la Médisance apparaîtra, il est ordonné de faire semblant que sa majesté Louen Leoncoeur est encore en campagne en Gasconnie ! Si quiconque se montre trop bavard, qu’il s’attende à la défaveur du roi, nenni, qu’il s’attende à être jugé comme un traître ! Je répète : dame Marie de la Médisance doit croire que sa majesté est en Gasconnie ! Honni soit qui mal y pense ! »
     Puis, sans attendre de réponse, il reprit le porte-voix en bronze et se tourna vers le champ de tir et les autres tribunes :
     « Les équipages ont… droit à une pause ! Une pause le temps que – que la maudite bête qui sévit dans le champ de tir soit traquée et – et pourfendue par un de nos plus vaillants chevaliers ! Pendant ce temps, nos – nos services iront récupérer certains projectiles pâtissiers pour régaler le public ! Patience et pitance ! Euh… Oui, oui, patience et pitance, braves gueux, patience et pitance ! »


     Entendant à peine ce qui se passait, le roi déambulait à grands pas à travers les herbes des prés et les buissons des haies, déterminé à gagner le plus de distance que possible entre lui et la tribune où devait apparaître son horrible tante. Par la Dame, croiser la créature mugissante lui paraissait alors une bien plus noble destinée que de faire face à cette bonne femme. Le jeune page, terrifié et ne comprenant rien à ce qui lui arrivait, se trainait piteusement derrière sa majesté, dans le brouillard autant physique que mental…      

     Il y avait quelque chose de singulier à contempler ces nobles, tous plus fiers les uns que les autres, et pourtant tous arborant la même expression bovine en présence de l’auguste tante du roi Louen, dame Marie de la Médisance. Tous faisaient de leur mieux pour éviter de regarder cette frêle créature dans les yeux : celle que l’on avait jadis surnommé tous bas « la reine des ragots » avait toujours le bon mot pour meurtrir l’amour-propre de la personne à qui elle s’adressait. Le plus étonnant était qu’elle ne manquait jamais d’appuyer ses propos sur toutes sortes de vertus que l’on ne saurait discuter, et bien des nobles sires avaient dû ravaler leur langue après s’être lancé dans des joutes verbales contre elle. Reynald de Chantillon était le premier à le savoir : quand dame Marie de la Médisance disait quelque chose, il fallait approuver du chef et chercher un bon prétexte pour s’éloigner. En effet, seul le roi avait suffisamment d’autorité à la cour pour la faire taire…

     « Messeigneurs, libre à vous de raconter à vos gueux les salades que vos voulez, mais quelqu’un pourrait-il m’expliquer la véritable raison pour l’interruption du tournoi ? »
     Hélas, trois fois hélas, ce ton inquisiteur ne provenait point de l’auguste tante du roi Louen, à qui le chambellan venait de passer un bon quart d’heure à raconter des salades et à presque s’en tirer vivant. La tribune d’honneur l’avait par ailleurs observé comme le sauveur de toute la collectivité (ou le paratonnerre consentant) et sentait que l’affaire approchait un dénouement favorable lorsque l’arrivée inopportune du dénommé Malkir, chevalier de Moussillon, figea toute l’assemblée. Il venait d’arriver comme une fleur, avec deux autres moussillonnais à sa suite, pour des raisons, certes, compréhensibles, mais dans un contexte qui rendait la suite des événements pour le moins imprévisible.
     La première réaction à son apparition fut un mouvement de troupeau qui dégagea l’espace qui se situait entre les chevaliers vampires et dame Marie de la Médisance (avec le chambellan). Il fut difficile de dire si c’était le duo ou le trio qui examinât l’autre sous toutes les coutures, sans comprendre exactement la raison derrière le silence pesant qui venait de tomber. Malkir aperçut Reynald de Chantillon lui faire un signe de main fort inquiétant : paume jointe coupant la gorge, « danger de mort ». Pourtant, tout ce qu’il apercevait devant lui n’était qu’une petite vieille, certes bien habillée et impeccablement coiffée, mais une mortelle proche de la tombe comme il y en avait tant d’autres. Il ne comprit pas l’avertissement. Cependant, ce fut dame Marie qui prit les devants :
     « Chambellan ? Qui ose nous interrompre ?
     - D-des provinciaux, Madame, des provinciaux sans importance. »
     Reynald maudissait le sort car l’instant où il pouvait transmettre un message muet aux mousillonnais était passé : dame Marie ne le lâcherait sans doute plus de son viseur. Il ne lui restait plus qu’à prier…
« Des ‘provinciaux sans importance’ ? – la tribune entière sembla se rétrécir intérieurement, car l’indignation du moussillonnais était palpable. – Des provinciaux sans importance ? Et en quel honneur sommes-nous devenus des « provinciaux sans importance ? »
     - Par la Dame, chambellan, vous laissez l’accès à la tribune du roi à ces roturiers ?
     - Je… »
     Il y eut un léger mouvement de fond, l’un des acolytes de Malkir glissant à son oreille quelque chose qui devait ressembler à un conseil de retenue. Il n’eut malheureusement point calculé sa réplique en fonction de l’ouïe fine de la « reine des ragots », qui entendit malgré les bons dix pas de distance qui les séparaient les trois syllabes murmurées de « vieille folle ». Reynald de Chantillon, également rompu à ce genre d’exercice, observa avec horreur le visage ridé de dame Marie blêmir puis se couvrir de plaques rougeâtres. Soudainement, ce fût lui qu’elle foudroya du regard, et il comprit qu’elle avait compris qu’il avait entendu, et il comprit aussi qu’elle s’attendait à un châtiment instantané et exemplaire pour un tel outrage.
     « Je… Gardes ! »
     La situation tournait au vinaigre, cependant le chambellan n’y voyait pas vraiment d’autre issue : à l’arrivée de dame Marie, il avait pris sur lui de lui chanter des chansons sur son neveu en campagne, le lord del Insula ne s’étant limité qu’aux civilités d’usage avec son flegme que même la présence de l’auguste tante ne parvenait à troubler. Cette dernière était manifestement insensible à l’aura de Silvère de Castagne, pourtant chevalier du Graal, lui-même ayant eu la sagesse de rejoindre son suzerain dans son mutisme. Dame Gaea de Grunere avait mystérieusement disparu, laissant le chambellan gérer seul le côté ennuyeux des affaires mondaines. L’irruption des moussillonnais fut alors semblable à une boule dans un jeu de quilles, à une pierre jetée dans des eaux calmes ; l’imprévisibilité de la suite le mettait très, très mal à son aise…
     Il s’entendit donner l’ordre aux gardes de raccompagner « les trois là-bas » hors de la tribune et de les « rasseoir à la place qui leur convient ». Il savait que c’était beaucoup trop gros d’espérer que le triple sens de ses propos atteigne correctement ses destinataires : que les moussillonnais devaient simplement revenir à leur tourelle, que les gardes devaient les y conduire (et non ailleurs) et que pour dame Marie, c’était un joli euphémisme pour les faire rosser. Ce fut exactement l’inverse :
     « Les « trois là-bas » ont deux mots à vous dire à propos de la place qui leur revient !
     - Voyons, chambellan, il faut dire les choses clairement à ces gens-là : le pilori, trois jours, sans manger, au minimum…
     - Madame, cela serait froisser la province…
     - Et votre laxisme est la porte ouverte à la sédition et à la révolte, chambellan. Du temps de feu mon beau-frère, on pendait pour ce genre d’incivilité. »
     Il y eut un autre mouvement de fond, l’acolyte de tantôt retenant tant bien que mal son supérieur de dégainer en plein milieu de la tribune. Malheureusement pour lui, ce fut l’autre acolyte qui dégaina sans autre forme de procès :
     « Rappelez vos gardes, ou bien ils tâteront de nos épées !
     - D-dernier avertissement, mécréants ! Regagnez vos places et… et… oh et puis qu’on les enferme dans la tourelle, cela leur passera les idées ! »
     Si les regards pouvaient montrer les pensées, les trois vampires auraient vu à quel point le chambellan râclait le fond de son intelligence pour les sortir du guêpier dans lequel ils se mettaient pour le moment. Les gardes, cependant, alertés par l’épée dégainée, avaient abaissé leurs lances et se tenaient prêts à s’en servir contre l’infortuné trio. Ce fut alors que le moins borné des trois trouva sans doute quelque argument décisif (« …bêtement tué au fort de Sang, l'autre fois… ») qui inversa la vapeur : Malkir admonesta très sèchement l’acolyte qui avait dégainé, lui ordonna de lui rendre son épée et de mettre un genou à terre. Lorsque ce dernier hésita, son supérieur lui administra un soufflet si puissant qu’il l’envoya valdinguer vers la sortie de la tribune. Puis, il se répandit en excuses maladroites, ne résista point à l’escorte des gardes nerveux et quitta la tribune avec son autre acolyte, sans jamais avoir reçu de réponse à sa question de départ.
     En les observant s’éloigner, Reynald de Chantillon ordonna que l’on renouvellât les rafraichissements : rarement il avait eu la gorge aussi sèche…    

     Il apparut rapidement manifeste que le bon sir David Goodenough était bien trop obtus pour saisir les sous-entendus malveillants de dame Marie de la Médisance, de même qu’il semblait aveugle aux contradictions pourtant aberrantes dans ses nombreux conseils sur la manière de gérer un fief. Tantôt la tribune entendait qu’il fallait investir dans l’agriculture, tantôt il devenait indispensable de libérer des prairies entières pour laisser paître les chevaux, « comme au bon vieux temps de feu mon beau-frère », et alors que l’assemblée clignait des yeux en essayant de ne pas paraître trop désabusée par les sermons de l’auguste tante, sir David Goodenough approuvait du chef avec un sourire béat et encourageait dame Marie à continuer. Peu habituée à être aussi attentivement écoutée, la vieille dame ne remarqua même pas l’arrivée pourtant marquante du sire Dangorn, et encore moins le bref conciliabule entre le lord del Insula et Reynald de Chantillon sur les recherches en cours pour retrouver le roy.
     Ce que personne ne remarqua, cependant, fut que l’éclaircie causée par le porteur du Sainct Graal incita non seulement Laurent de Terne-Bois à un départ précipité, mais aussi dame Marie à enlever sa pelisse de renard. La vieille tante, tout occupée à raconter à sir David comment feu son beau-frère gouvernait en son temps, omit de remettre l’habit de fourrure lorsque les nuages moussillonnais reprirent leurs droits, et qu’une brise fraiche se mit à souffler sur la tribune…
     « … et nous prenions très rarement du repos, ah, ah, pensez-vous ! Gouverner un royaume, ce n’est pas faire les cabris sur un champ de lice ! Ah… Ah… Ah… Atchoum ! »
     L’assemblée somnolait sur place, Sir David souriait, le chambellan et le lord se demandaient comment ils allaient convaincre le roy de revenir à la tribune, quand l’éternuement de l’auguste tante se fit plus sonore.
     « Et ce n’est pas ma – ah – ah – atchoum ! – ma sœur – ah – atchi ! – crotte ! – que l’on m’apporte un mouchoir ! Tout de suite ! Ah – ah…
     - Madame, seriez-vous mal en point ? – surgi auprès de sir David avec une prévenance exemplaire, Reynald de Chantillon affichait une inquiétude des plus affolées.
     - Sottises ! Ah – ah – atchi !
     - Sir David, que ne voyez-vous pas la même chose que moi ? Dame Marie est mal en point !
     - Oh, ça va… Ce n’est qu’un –
     - Madame, vous avez pris froid ! Par la Dame, savez-vous jusqu’où cela peut aller, et à votre âge ? Puis-je vous faire raccompagner au château de Rèmes ?
     - Sottises, chambellan, je – atchi !
     - Et n’est-ce pas votre gorge que j’entends s’érailler céans ? Cher lord, il y a des soigneurs au château, n’est-ce pas ?
Le lord, remerciant intérieurement la Dame du Lac pour ce miracle, opina du chef et se joignit immédiatement au discours du chambellan.
     - Ce serait préférable, Milady, et sir David ici présent se ferait une j – aheum – se porte volontaire pour vous y tenir compagnie. »
     Saisissant que le vent était en train de tourner, ce fut toute l’assemblée qui se joignit chaleureusement à la mission de raccompagner dame Marie à son carrosse ; il était difficile de croire que cette dernière eut pris cette sollicitude pour de l’argent comptant, cependant son état de santé empirait manifestement, et sa voix éraillée n’était point une invention du sire Reynald. Lançant des regards peu amènes entre deux éternuements et exigeant que l’on la prévienne dès que le roi surviendrait, elle se laissa embarquer avec ses dames de compagnie et ses valets, oubliant dans la foulée le sort du pauvre page qui avait disparu après avoir annoncé son arrivée au tournoi.

     Une fois le carrosse à bonne distance de la tribune, les langues se délièrent, et l’on s’enquit aussitôt de disparition du roy…


     « Mais enfin, sire, même si vous me dites que madame votre tante est aussi terrible, ça n’explique pas la raison pour laquelle vous m’avez emmené avec vous ! »
Ils s’étaient arrêtés près d’une haie, sa majesté Louen Léoncoeur et le page qui se nommait Olivier, l’un comme l’autre ayant enjambé bien des débris de projectiles et échappé (ou presque) à toutes les rencontres sur le champ de lice. Le roi se posa sur une souche, laissant au jeune homme bien moins endurant le temps de souffler après leur marche effrénée.
     « Si je te laissais là-bas, et que ta patronne te demandait si tu m’avais vu en arrivant, tu lui dirais quoi ?
     - Je…
     - Bah voilà, ça répond à la question. »
     Tout penaud, le page ne dit plus un mot. S’il avait à un seul instant envisagé de laisser le roi pour essayer de revenir seul vers la tribune, il en fut vite découragé par les mugissements intermittents qui s’entendaient quelque part dans la brume. Le roi, quant à lui, peinait à remettre ses idées en place, la rencontre fortuite avec le tiléen ne lui ayant que donné l’envie d’aller pourfendre le monstre pour se passer les nerfs. Hélas, il se sentait responsable de la vie du jeunot qu’il avait embarqué dans sa fuite, et le rapprocher de la créature l’exposerait à des risques fort inutiles. Par la Dame, la peste soit de sa tante !

     Le roi s’était remis en marche : par la Dame, quelle image donnait-il de la royauté et de la chevalerie s’il suffisait d’une vieille tante pour le faire déguerpir ?! A peine eut-il rebroussé chemin en compagnie du jeune page qu’il retomba nez-à-nez avec l’hurluberlu tiléen de tantôt :
     « Par la Dame !
     - Par la Madone ! Signore, ye vous retrouve, che felicità !
     - Aheum, je dois…
     - Signore, grande nouvelle : la signora Maria de la Médisance a dou s’éloigner du tournoi pour des raisons de santé !  
     - Quoi ?!
     - Comme ye vous le dis, signore !
     - Aheum, mais vous m’aviez reconnu ?
     - Ma… La signora Gaea de Grunera m’a aidé, signore. Ah, et questa bussola nous permet de retourner à la tribune !
     - Ce compas ? Dans ce brouillard ? Vous croyez ? »
     A peine le roi eut-il effleuré l’objet enchanté qu’un phénomène météorologique sans précédent se produisit : les vents se déchainèrent à l’endroit-même où se tenaient Orasio Gustavo, le page Olivier et le roi Louen, embarquant le trio dans un tourbillon de brume qui les souleva de terre tels des fétus de paille ! Il y eut force cris de surprise et de terreur, notamment de la part du pauvre Olivier qui croyait sa dernière heure arrivée, cependant leur voyage aérien ne dura que quelques instants ; les vents se calmèrent aussitôt qu’ils atterrissaient sur la tribune d’honneur, sous les exclamations des nobles et un certain vent de panique du côté des gueux.
     Louen Léoncoeur balaya du regard l’assemblée ébaubie, instinctivement cherchant à s’assurer que sa tante n’y était pas et, bien que secoué par la tornade, souffla de soulagement quand il ne la vit point. Enfin, enfin le tournoi de trébuchets du Chesnois pouvait reprendre.    


Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     « J’vous dis qu’c’étions le Roy.
     - Volant comme un zoziau ?
     - J’vous dis comme j’l’ai vu !
     - Encore de l’esbrouffe, nous j’pensions.
     - Comment ça, « encore » ?
     - Ah, c’est le tsoin-tsoin pour tirer !
     - J’vous dis que c’est pas de l’esbrouffe !
     - Et pourquoi pas vot’collègue qui parle drôle, en pis ? »
     Riton ravala sa réplique : il avait cru aussi apercevoir son rival tiléen dans la bourrasque, mais le reconnaître ainsi auprès du roi l’aurait bien trop blessé dans sa fierté…


Position de trébuchet de Brombür Fière-Barbe (Alain de Saint Jean) :

     Fraïn essuya d'un revers de manche son front couvert de sueur, soufflant comme un taureau épuisé par une journée de charge, la manœuvre de l'engin, seul, était une tout autre paire de manche qu'avec un équipage complet...

     Après avoir porté les premiers secours à Draïn et Glaïrn, avant qu'ils ne soient pris en charge par le service de santé de l'organisateur, Fraïn s'attela avec une frénésie particulière à vérifier sous tous les angles possibles et même inimaginables, sa catapulte chérie...

     Le constat fût loin de dissiper sa mauvaise, humeur, bien au contraire...

     Outre les multiples éclats ayant abimé les montants de l'engin, certains points essentiels semblaient avoir "joué" plus ou moins fortement sous l'impact... Il craignait même que l'axe du bras ne soit faussé, rendant la rectitude du tir pour le moins aléatoire...

     La bonne nouvelle, c'est que le mécanisme de mise en tension du bras de cuillère était intact, et fonctionnait parfaitement, un seul servant suffisant pour cela... Charger la cuillère fût plus compliqué, le poids du projectile étant plus lourd qu'escompté... Mais ce n'était rien par rapport au pivot de l'axe de la machine pour orienter le tir...

     Suant sang et eau, pestant mille fois contre sa bêtise l'ayant fait d'abord chargé la machine (une erreur de grouillot...), Fraïn parvint tout de même à positionner l'axe dans la direction souhaitée...

     Il remonta sur le siège d'observation, scruta l'horizon toujours embrumé magiquement, redescendit à trois reprises pour corriger l'axe de rotation, plissa une dernière fois les yeux dans la direction estimée du tir opposé, puis descendit actionner le bras d'action...

     En un grincement de souffrance le bras se détendit, l'axe semblait grincer d'une manière particulièrement inquiétante, le projectile parti, et Fraïn commença à serre les fesses....


Position de trébuchet de Laurent de Terne-Bois (Johannès la Flèche) remplacé par le trébuchet de Dangorn de Castagne (Dangorn de Castagne) :

     Il y avait tout un chantier de poutres et de pièces métalliques sur le pré : les deux équipes de trébuchet échangeaient leurs positions dans une bonhomie des plus singulières, quand on considérait notamment la différence radicale entre la nature de leurs maîtres respectifs.
« Bé quoi ? Ça joue de la trompette ?
     - Ah, mon cochon, ça, c’est le signal pour envoyer la caillasse !
     - Mais on vient à peine de finir l’engin ! Il faut tirer où ?!
     - Nous, c’était là-bas, ç’avait l’air pas mal…
     - Allez, pour la première, et après on joue comme tout l’monde… »  




     « Vous l’aviez attendu, bon peuple de Bretonnie, et le voilà, le premier rocher du quatrième tour !! »

     Sa voix exprimait de l’enthousiasme auquel le chambellan s’efforçait de croire. Une invasion démonique aurait pu survenir sur le champ qu’il se sentait capable de l’arrêter à mains nues, pourvu que l’on lui laisse faire SON tournoi !

     « C’est l’équipage de Gransette qui ouvre les tirs, il semblerait qu’il cherche à écraser ce qui reste de la créature de tantôt et… Ah la la c’est bien trop loin ! Le projectile dévie et tombe droit dans les eaux de la Grismérie !
     Et là ! Vous sentez cette douce odeur de pain cuit ? Par la Dame, ce n’est pas l’augmentation des prix du bois de chauffage qui va arrêter ce tir ! Il s’élève, il tombe et… c’est un autre bout de terrain qu’il nous dévoile ! »

     Le roi frémit involontairement : il crut un instant reconnaître l’endroit où il s’était arrêté naguère en compagnie du page, et voir cet endroit ainsi recouvert de débris de mie et de croûte le rendit tout drôle.

     « Là ! Un autre tir qui vise à effacer les traces de l’odieuse créat – »
     « MOOOOOOOOOOOOOO »

     « Ooooh ! Quel coup de vent phénoménal ! On ne s’attendrait pas à en entendre en cette saison ! Sans doute en rapport avec le tourbillon magistral de tout à l’heure ! Et le projectile du lord del Insula file droit vers la haie, nous passons au suivant ! »
     « MEEEEUH ! »

     « Ooooh ! Un rocher qui s’élève de… »

     « Un rocher qui s’élève de l’endroit-même où la créature aurait dû être pourfendue ! Les forces obscures lui ont rendu une parodie d’existence, et la Dame conjure nos participants de l’arrêter une bonne fois pour toutes ! »

     « … Je ne l’aurais pas dit mieux, madame ! Ce roc est donc bien celui de l’ennemi ! Il s’élève, il retombe et… non ! C’est un champ vide !
     Le voilà cependant suivi de près par un projectile de nos invités nains et… c’est également de la pelouse !  
     Oho ! Voilà un rocher du sire Robin Osbourne qui semble vouloir achever ce qu’il avait commencé, à savoir mettre nos invités hors compétition ! Et… non ! Le tir dévie, sans doute ce vent fort qui s’est levé, et le dernier membre de l’équipage nain survit pour un tour de plus !
     Voyons à présent ce dernier tir du sire de Terne-Bois… Comment ? Ah, notre aimable hôte, le très honorable lord del Insula me fait rappeler qu’un remplacement a eu lieu, et c’est l’équipage de l’estimé sire Dangorn de Castagne qui vient d’expédier ce… madrier ?? »

     Le brouillard eut pudiquement dissimulé le cafouillage de dernière minute entre les équipages rentrants et sortants, dont la narration taira les détails…

     « Ah, euh… Il s’élève et… il atterrit non loin du territoire déjà découvert par les rochers précédents au nord-est. Par la Dame, laissons le temps aux machines de se remettre en route et aux vents de se calmer ! Je vous retrouve immédiatement, nobles seigneurs et bon peuple bretonniens, après une courte, promis-juré-craché, pause de rechargement de trébuchets ! »


     Reynald de Chantillon retrouva aussitôt son siège auprès du roi, qui lui donna une légère tape sur l’épaule ; cet honneur rarissime requinqua un tant soi peu le chambellan tremblotant sous l’émotion. La clameur du peuple était un peu calme mais, la reprise des tirs aidant, le tournoi allait reprendre petit à petit ses couleurs…  



Impacts :

1) Toison d’or : U29 => déviation sud-est de 2 cases => hors-champ
2) Ethgri Wyrda : Z21 => Hit ! => Z21
3) Lord del Insula : T30 => déviation est de 2 cases => T32
4) vg11k : G24 => déviation nord-est de 2 cases => E26
5) Alain de Saint Jean : G24 => Hit ! => G24
6) Agilgar de Grizac : H7 => déviation sud-ouest de 1 case => I6
7) Johannes la Flèche/Dangorn de Castagne :  J25 => déviation nord-ouest de 2 cases => H23


Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 0 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 2 points
- Johannes la Flèche/Dangorn de Castagne : 0 points
- Alain de Saint Jean : 0 points
- Toison d’or : 0 points
- Agilgar de Grizac : 2 points

Dangorn de Castagne a écrit:

La Trippe est peut-être le village dont les habitants sont les plus instruits et les mieux éduqués de tout le comté, bien qu'ils ne soient pas non plus spécialement brillants, il ne faut pas abuser. Ils font montre d'une certaine curiosité et d'une inventivité surprenante chez de simples gueux. La preuve en est qu'ils ont réussi à construire un trébuchet sans aucune aide ni supervision d'un noble, et le bourgmestre en est particulièrement fier. En attendant le jour où ils pourront le tester sur le champ de bataille, les Trippois s'entraînent à tirer des rochers, des troncs d'arbres et des même des animaux (parfois vivants) sur les zombies qui errent dans les marais de l'autre côté de la rivière. Le trébuchet est aussi très pratique pour les exécutions, offrant un spectacle bien plus divertissant qu'une simple pendaison, et les condamnés les plus aérodynamiques ont en plus une chance de finir sur le tableau des records de distance affiché sur la place publique.

***

-Je puis vous assurer que les soigneurs du Lord sont à son chevet et lui prodiguent toute leur attention.
     Le pauvre Silvère se retrouvait assailli par les dames de compagnie de la tante du Roy. Ces dernières se montraient fort préoccupées de l’état de celle-ci.
     -Pouvez-vous nous assurer qu’elle demeure nécessairement alitée ? s’inquiéta l’une d’elles.
     -Sa santé nous préoccupe tellement preux chevalier. Nous ne voudrions pas qu’elle court le moindre risque à revenir prématurément.
     - Les ordres du Lord on était donné en ce sens, et Sa Majesté a rigoureusement interdit toute initiative de nature à risquer sa santé. Et Sir David demeure à son chevet.
     Ces dernières affirmations enthousiasmèrent les dames qui le remercièrent et retournèrent à leurs activités avec une gaieté manifeste.

     -Il semble manifeste que l’état de santé de Dame Marie améliore de beaucoup leur moral, constata Dame Gaea en les regardant engager une conversation joyeuse avec la compagne du Lord.
     -Pensez-vous ? ironisa le chevalier dans un sourire.
     Le Lord vint à leur rencontre en compagnie du Sieur Gustave.
     -Milady et preux gentilhomme, le retour du Roy ne résout poinct tout. Le mystère des créatures demeure irrésolu. Orasio ? Votre exploration vous a-t-elle permis de découvrir quelque chose ?
     -Ma non. Ye dou courire après li Roy. Ye n’ai rien pou faire d’autre.
     -Voilà qui est fort fâcheux, déclara le Lord. Comment pouvons-nous agir sans en savoir davantage ?
     -Ye pou y retourne, proposa le Tiléen.
     - Trop risqué, s’opposa le Lord.
     -Milord, si je puis me permettre, si la ou les créatures rodent dans le champ de tir, pourquoi ne pas laisser les tirs faire le travail, émit à son tour Silvère.
     Le Lord prit un temps de réflexion avant de reprendre la parole :
     -L’idée est séduisante mais j’y vois une limite. La dispersion des tirs retarde la découverte de ce qui se trame.
     -Milord, argumenta Dame Gaea, je pense au contraire qu’une telle dispersion augmente nos chances de trouver quelques menaces dissimulées dans la brume plus sûrement que l’acharnement sur un point précis.
     - Ye confirme Milourd, approuva Orasio.
     -Bien, dans ce cas il faut informer notre équipage afin qu’il contribue à cette mission. Cela a plus d’enjeux qu’une quelconque victoire.
     - Si Milourd le permet, ye vais dou suite les informer, s’exclama Orasio.
     Et avant que del Insula n’est pu esquisser le début d’une réponse, le tiléen s’empara de son compas qui s’illumina et un tourbillon de brume l’enveloppa et l’emporta droit dans le champ de tir.
     -Il semblerait que notre astucieux ami ait apporté quelques modifications de nature à augmenter les possibilités de l’objet, constata la prophétesse.


Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     L’ambiance au sein de l’équipage du Lord devenait morose. Entre Riton qui bougonnait de plus en plus en raison de l’imprécision de ses tirs, et ses deux acolytes qui s’invectivait au sujet de l’enjeu du pari que l’un d’eux venait de gagner.
     -Z’avions qu’à zaller zà la taverne de la place du marché. Z’avions de ctio bière qu’elle a bien bonne.
     - Z’disions pas non, mais celle du port y zont des serveuses ben plus zolie à zieuter.
     -Qu’étions à y gagner, vu que l’patron y laisserions pas nous autres à y toucher.
     Ce débat peu courtois fut interrompu par un atterrissage soudain et l’exclamation de Riton :
     -Ah non ! Pas lui !
     En effet, Orasio venait de rejoindre l’équipage, avec l’attention de transmettre les consignes du Lord.
     -Ye oune information dou Lourd dou la plou haute importance !


Position de trébuchet du baron de Jambe (Ethgri Wyrda) :

     Boris sifflotait en terminant la disposant sa frangipane sur sa pâte. Il était extrêmement content de la petite pause qui avait été offerte par Dame de Médisance dans le tournois. Il avait eu le temps de rassembler quelques ingrédients, et de mettre un peu plus d’efforts dans sa préparation. Il terminait une galette à la frangipane, rien de moins. Et il en était fier, malgré les quolibets moqueurs de Jules et Thomas qui trouvaient les fioritures de la préparation ridicules.

     Boris avait presque terminé, mais il avait besoin d’une fève. Une galette n’était pas terminée sans fève, et il avait oublié d’en prendre une sur le pas de tir… Ses yeux regardèrent sur le sol autour de lui. Il finit par trouver un petit cailloux blanc qui conviendrait parfaitement. Le boulanger se baissa pour le prendre. Jules l’aperçut lui lança d’un ton moqueur :

     « Alors t’as la fève ? C’est toi l’roi ? »

     Alors, une voix retentit dans le brouillard :

     « MÊssire mon Roy ! Votre mAjesté ! Où êtes-vous ? Votre Fidèle Vassale ne vous laissera pas perdu Ainsi ! »

     Jules et Boris se figèrent et se tournèrent vers la silhouette encore flou qui avançait dans la brume. Le vieux Thomas, entendant le bruit, s’approcha :

     « Qu’est’squi passe les gars ?

     -Chut Thomas ! » le coupa Jules.

     Quelqu’un sortit des brumes. C’était le Baron de Jambes. Il était au moins aussi stupéfait que ses trois serviteurs. Le noble finit par lâcher quelques mots :

     « Mais… Mes gueux ? Mais qu’Est-ce que vous faites là ? »

     Le vieux Jules prit l’initiative de répondre.

     « Bah m’ssire, c’est qu’on tire vot’trebuchet, s’l’on vos ordres…

     -Ha, euh…oui, c’est vrai… c’est, euh… bien. Euh non, ce n’est pas bien, enfin… si, mais non…C’est nÔrmal, oui c’est ça, c’est nÔrmal que vous suiviez mes ordres. Bons gueux.

     -Et vous Messire ? Qu’est-ce qui vous ammène dans notre brouillard ? demanda Boris.

     -La ferme Boris ! On pose pas d’question à M’sieur l’baron !

     -C’est bon Thomas, ça ira pour cette fois. Vous pouvez m’être utile à nouveaux mes gueux. Le roi a sauté dans la brume, et j’ai immédiatement sauté à sa poursuite. Mais j’ai perdu de vue sa majesté dans la fumée, et je me suis égaré. Vous allez m’aidez à trouver le roi ! Formez une battue mes gueux ! Allez allez ! »

     Les trois servants du trébuchet se regardèrent un moment, puis le vieux Thomas osa répondre, d’une voix gênée :

     « Vot’seign’rie, ça fait un m’ment qu’le roi est r’venu la haut.

     - PArdon ?

     - C’que Jules veut dire, bafouilla Jules, c’est qu’le roi est r’monté dans la tribune avec les aut’ seigneurs…

     - QUOI ?

     - Ça fait même quelques minutes maintenant, termina Boris.

     - Mais… Il faut absOlument que je revienne dans la lOge aussi ! Comment remonte-on ?

     - Bah M’sir… On sait qu’c’est vag’ment par là, pointa Thomas, mais y’a la bête…

     - Par là, très bien. »

     Le Baron de Jambe commença à marcher, quand un meuglement d’outre-tombe glaça d’effroi les quatre hommes.

     « Vous avez parlé d’une bête, c’est ça ? demanda le noble en tremblant.

     -Oui M’sir…

     -Bon bon bon… reflechissons… je ne peux pas courir le risque d’une mAUvaise rencontre… Donc… Il faut qu’on vienne me chercher.

     -Si je puis me permettre, se permit Boris, ils ne pourront pas vous chercher si ils ne vous voient pas dans la brume.

     -C’est bien vrai. Jules, tu penseras à faire bastonner Boris pour s’être permit tout seul, quand tout ceci sera terminé. Mais j’ai une idée, et c’est nOrmal parce que je suis seigneur et vous gueux, donc j’Ai des idées et vous non. »

     Il laissa planer l’instant pour laisser ses gueux réfléchir à sa dernière phrase, dont il était très fier. Puis il se rappela que les gueux ne pouvaient pas réfléchir, et reprit donc d’une voix égale :

     -Activez la machine et tirez tout près d’ici ! Si tout se passe bien, la brume se dissipera autour du tir, et je pourrais y aller pour qu’on me voit.

     -C’est brillamment conçu par un esprit brillant monseigneur ! » complimenta Jules. Il avait appris cette phrase par cœur après le passage d’un barde au château et, s’il ne la comprenait pas, il avait remarqué qu’elle était souvent suivie d’un peu plus de gruaux à la soupe qui était donnée aux serviteurs.

     « Allez ! activez-vous bande de gueux ! mettez la chose dans le truc et tirez ! »

     Boris comprit que la chose était sa tarte galette encore crûe, et que le truc était le trébuchet, et il en fut vexé, car c’était la première fois qu’on osait appeler ses pâtisseries une « chose ». Jules et Thomas avait sans doute eu la même compréhension des paroles de leur seigneur, car ils s’étaient empressés de retourner à la machine, sous le regard autoritaire du Baron.


Position de trébuchet du Brombür Fière-Barbe (Alain de Saint Jean) :

     Fraïn ne cessait de pester contre lui même avec force jurons et autres nom d'oiseaux... Il avait enfin compris d'où venait la goupille en trop dans sa poche depuis le début du tournoi, à ses dépends...

     Alors qu'il orientait le bras mobile de son engin celui-ci émis un cliquetis suspect et resta obstinément coincé en direction du Sud, pas du tout où Fraïn comptait à l'origine orienter sa machine...

     Après une longue inspection il en conclut avec dépit que la goupille de l'axe de rotation faisait défaut et que celui-ci restait, pour une raison encore inconnue, bloqué dans cette direction...

     Le temps filant vite, d'autant plus qu'il devait se débrouiller tout seul maintenant, Fraïn procéda, en urgence, aux manœuvres nécessaires à l'armement du bras ainsi qu'au chargement de celui-ci, espérant être prêt avent le signe fatidique...

     Celui-ci retenti, trouvant une main nerveuse qui actionna avec empressement le levier relâchant le mécanisme, le bras gémit, la catapulte vibra, le projectile parti en une parfaite courbe...

     Fraïn commença à serrer des fesse, fallait espérer que les tirs tombent encore à côté de sa machine et de lui même pour ce tour...



     Et les tirs s’élevèrent dans les airs, pour le plus grand plaisir du public. Tout d’abord, un machin pas ben’ rond, comme qui dirait, mais qui s’envola de toute sa masse formidable en décrivant une majestueuse parabole au-dessus de la brume ; le Trébuchet de la Trippe du noble Dangorn s’activait !
     Il ne fallut hélas guère longtemps à tout le monde pour constater que le projectile s’écrasait dans le décor (quelqu’un crut même y apercevoir, aussitôt la brume révélée, quelques gros tonneaux abandonnés au beau milieu du champ, curieusement arrimés par d’épais cordages) …

     Le projectile suivant fut celui des servants du lord, une énorme coquille d'escargot et celle-ci s’écrasa quelques toises plus au nord de la zone bombardée précédemment, manquant de peu d’endommager un petit ponton en bois qui enjambait une rigole.

     Ce fut à ce moment-là que la source de l’odeur nouvelle de pâtisserie fut enfin révélée au grand jour : le trébuchet du baron de Jambe expédia dans les airs une incroyable galette frangipane géante ! Un « Oh ! » émerveillé parcourut la foule, qui n’écoutait même plus les commentaires un poil ronflants du chambellan, et la salive leur monta à la bouche lorsque la galette s’écrasa au beau milieu du champ de tir, sur une zone déjà révélée (la garniture dût avoir une incidence sur l’aérodynamisme du projectile), et envoya des bouts de galette appêtissants se répandre partout dans l’herbe et les débris de rocher ; une intense jalousie s’empara des nobles comme des gueux lorsqu’ils y aperçurent des nuées d’oiseaux s’y poser pour se régaler…

     Aussitôt après, ce fut le trébuchet de la baronnie de Gransette qui parla : le rocher s’envola, plein nord, et affola bien quelques spectateurs des premiers rangs du public alors qu’il s’écrasa guère loin de la haie septentrionale ; les débris dévoilèrent alors une sympathique chaumière (bien entendu évacuée par ses occupants), probablement un refuge temporaire pour les paysans qui s’occupaient de faucher les hautes herbes par temps normal.

     Ce fut alors qu’un énorme menhir s’écrasa brutalement en plein sur la chaumière ! Le choc fut tel que les murs et la charpente volèrent en tous sens, seule survécut envers et contre tout la solide porte en chêne, toujours sur ses linteaux. Un mugissement de triomphe s’éleva, glaçant le sang de l’assemblée ; Reynald de Chantillon mugit à son tour quelques imprécations rageuses dans son porte-voix, s’efforçant de paraître aussi sûr de lui qu’un gouvernement devait l’être quand il parlait de sécurité à ses sujets.

     Au même moment, insensibles aux tourments des mortels, les pâles seigneurs de la tourelle mousillonnaise furent bien embêtés lorsqu’un rocher de facture naine vint s’écraser guère loin de leur refuge ! Le sieur Malkir, toujours quelque peu à cran après s’être fait renvoyer sans cérémonie de la tribune d’honneur, dut se faire violence pour ne pas utiliser ce prétexte pour piquer une crise.  

     Un ultime instant de suspense traversa les tribunes lorsque le projectile du sieur Osbourne traversa les cieux, visant à coup sûr la machine naine qu’un dernier barbu maintenait dans la compétition envers et contre tout. Il fallut croire cependant que les dieux du hasard avaient décidé de se jouer une fois de plus des participants lors de ce tour, car le tir manqua sa cible, et le rocher s’écrasa bien trop loin pour inquiéter le dernier membre de l’équipage de Brombür Fière-Barbe.

     Le cinquième tour s’acheva ainsi comme le précédent, sans aucun changement au score !

     Dans la tribune d’honneur et bien plus parmi la gueusaille, il y eut comme un vent de protestation, un bourdonnement qui menaça d’enfler si quelque chose n’était pas fait pour raviver la flamme du spectacle. Le roi Louen, qui partageait l’âme de son peuple, lançait des poignards du regard à son chambellan, qui déglutit sèchement et tira d’instinct sur le col de sa chemise. Regardant furtivement à-droite-à-gauche, intérieurement au bord de la panique, Reynald de Chantillon se creusa les méninges en quête d’une solution salvatrice…


     Reynald se rassit peu après, dame Gaea lui tapotant gentiment l’épaule, répétant involontairement les fois où la Fée Enchanteresse rassurait le seigneur d’Aurevallis lors des éditions précédentes du tournoi. Et bien que le roy Louen continuait à lever un sourcil dubitatif sur la tournure que prenaient les événements, l’annonce sembla suffire pour apaiser le mécontentement du public, curieux de voir si à la place de galettes ou de pains complets, le trébuchet du baron de Jambe lancerait à la place une grosse fournée de biscuits ou de petits fours…

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------



-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

     Au milieu de l'excitation qui regagnait timidement les tribunes, Penthésilée de Gransette accepta distraitement d'envoyer de la caillasse à ses servants avant de dissimuler un baillement. La baronne s'était félicitée naguère de s'être faite discrète au moment du passage cinglant de la tante du roy, cependant le retrait de celle-ci retournait le tournoi à l'état de compétition, disons, rampante, sans mauvaise pensée pour les gastéropodes renommés du Chesnois. Derrière le siège de la baronne, le héraut Brionne poussa un léger toussotement. Penthésilée l'ignora, pensant que son maître d'armes lui faisait la sempiternelle remarque de mal se tenir en bonne société, cependant un second toussotement l'obligea à se tourner vers lui, un « Quoi ? » irrité aux lèvres.
     Le héraut, sourire en coin, s'enquit si sa baronne trouvait l'événement à sa convenance.
     « Vous souhaitez la réponse courte ou la réponse longue ? décocha Penthésilée, sans pour autant trop hausser le ton.
     - Madame, ils devraient mettre un moment avant d'amener la caillasse à tous les équipages participants. En attendant, prendriez vous en pitié votre vieux maître d'armes dont les jambes s'engourdissent à force de rester debout sans bouger ? »
     Le regard de Penthésilée s'illumina aussitôt face à cette proposition qui ne pouvait, en effet, guère mieux tomber vis-à-vis du tournoi. D'ailleurs, ils se trouvaient dans ce bref moment où tout le monde faisait des paris plus ou moins discrets, et personne ne ferait attention à la disparition passagère d'une dame, fut-elle un des partis les plus convoités parmi la cour.
    Elle s'éclipsa ainsi avec son mentor, et le brouhaha complice des tribunes empêcha quiconque d'entendre le fracas de leurs passes d'armes, contents qu'ils étaient de reprendre un entrainement auquel, Brionne le sentait, il n'avait quasiment plus rien à apprendre à sa chère protégée.

 

   


     Tandis que Dame Gaea réconfortait le chambellan, le Lord prit Silvère en aparté.
     - Cette initiative tombe à point nommé. Espérons qu'Orasio comprenne l’opportunité à saisir.
     - My Lord, je 'en doute point. Ce qui m'inquiète plutôt sera la réaction de votre charpentier à ses instructions.

     En effet, les craintes de Silvère semblaient se confirmer…

Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     - Ma stupido, ye te dit qu'avec ci possibilité on execoute li demande di Lourd ! argumentait le tiléen.
     - Ptet ben mais j'engagions ma réputation là'dans. j'voulions pas qu'un salopiaud nous volions not' cible, sauf le respect à not'Lord, contesta farouchement Riton.

     Ce dernier était furieux d'avoir dû détourner le dernier tir et clamait à qui voulait l'entendre (c'est à dire personne) qu'il aurait à coup sûr éliminer l'équipage ciblé. Pendant que ce vif débat se poursuivait, les deux autres servants tendait de résoudre la question suivante : comment proposer un tir de pierraille alors que leur munition est exclusivement constitué de coquilles ?

     -J'voulons bien aider l'Lord, mais j'voyons pas bien comment...
     -Regardions ça, y a sûrement des coques plus p'tites qui ferions l'affaire.
     -Prendions un temps fou c'taffaire là.
     -Z'aurions le temps avant que les z'autes gars y se mettions d'accord !

     Finalement, les deux hommes repérèrent une quantité de coquilles d'une variété correspondant au besoin d'un tir en pierraille et les rassemblèrent afin de faciliter le futur chargement de la nacelle de tir.

     -Alors ? s'interrogea l'un d'eux en jetant un oeil vers Orasio et Riton.
     - Oune tir en pierraille !
     - Un tir direct, crénom !
     - Alors zétions pas sortie du sable mon gars. Répondit le second.

     C'est alors qu'une annonce de la tribune parvint à leurs oreilles :

     - Oyez, oyez. Le Lord del Insula vient de nous indiquer que son équipage tirera de la pierraille, selon le bon vouloir de Sa Majesté !

     -Vlà quekchose qu'est ben pour not affaire, commenta un des servants, tandis que l'annonce mettait fin au débat.
     -Faudrions juste ke se produisions pas, vu l'tempérament du gars Riton, analysa son acolyte en constatant la réaction colérique du susnommé.


Position de trébuchet du baron de Jambe (Ethgri Wyrda) :

     « Bande de gueux ! Vous avez tiré dans un endroit Inutile ! IncapAbles ! Il faut tout faire tOUt Seul ! »

     Le Baron de Jambe fusa entre ses servants de trébuchet et empoigna un faisceau de projectiles posés sur une table. Ils se retourna et les jeta dans la fronde.

     « Non sir ! ce sont nos…

     -Silence ! C’est Moi qui commande ! »

     Le noble bouscula le vieux Tom qui était près du levier du trébuchet, empoigna le mécanisme lui-même, et tira.

     « J’arrive mEssire mon bon ROi ! »

     Le bras de la machine de guerre, comme mû par la même hâte que le seigneur bretonnien, pivota sur son axe avec rage et force. Une douzaine de sandwiches constitués de baguette entières et croustillantes généreusement garnies de la délicieuse combinaison beurre-salade-rosette-oignon s’envolèrent à toute vitesse, fendant les cieux vers l’autre bout du champ de bataille et menaçant de leurs pointus croutons la zone d’atterrissage. Un pigeon qui volait à ce moment par-dessus le champ de tir fut cruellement perforé de part en part par le gourmand projectile et alla s’écraser dans le pré.

     « Raaaaah ! ça part loin ! bande d’inutile vErmine ! PourquOi est-ce que ça part loin ? cracha le Baron

     - Bah m’sir, on avait calibré pour la grosse miche…

     - Vous avez balancé nos repas ! S’émeut Boris, que la perspective de ne pas planter ses dents dans le délicieux casse-croute baguette-beurre-salade-rosette-oignon faisait oublier sa position de paysan loin de son empire natal.

     - Tant pis pour vos repAs, les gueux comme vos mangent trop ! Jules, vous bAstonnerez machin pour Moi tout à l’hEure !

     - Oui M’sir.»


Position de trébuchet du Brombür Fière-Barbe (Alain de Saint Jean) :

     Ayant, cette fois-ci, finement analysé la situation, Fraïn réussi, après quelques jurons de son cru, à remettre la goupille en place, permettant ainsi à la machine de fonctionner pleinement...
     Une fois le bras de l'engin tendu, il marqua une pose, assis sur le tas de projectiles, essayant de réfléchir le mieux possible quant à la marche à suivre pour le prochain tir...

     Jusqu'à présent la chance lui avait souri, mais cela ne durerait pas...

     Oubliant les calculs savants il se décida à faire confiance à son "instinct"... Plus exactement il orienta sa machine "au pif", chargea le bras d'une multitude de pierraille, espérant sincèrement que celle-ci puisse toucher quelque chose en se dispersant, attendit le signal, déclencha d'un coup sec et rageur le mécanisme et serra les fesses...


Position de trébuchet de Robin Osbourne (Agilgar de Grizac) :

     Le danger de la créature n’empêcha nullement le sheriff de Rottingham de faire un aller-retour à la tribune d’honneur juste pour… décliner la possibilité de tirer à la pierraille. Lorsqu’il s’en revint à sa machine, ses deux servants l’attendaient avec une sérénité toute albionnaise : la brume, après tout, était un élément naturel de leur terre natale.




     Reynald de Chantillon rajusta le col de sa chemise puis signala aux trompettes de sonner le coup d’envoi ; il s’empara aussitôt du porte-voix en bronze, guettant l’apparition des projectiles tel un chasseur guettant les perdrix…

    « Messeigneurs et mesdames, le sixième tour est parti ! Et… Ce premier jet de pierraille provient à n’en pas douter de la machine du baron de Jambe… Nous le voyons se déployer dans les airs et… »

     « OUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAILLLLEUUUUH ! »

     « Des victimes ! Nous avons des victimes, messeigneurs et mesdames ! L’équipe de soins et les hérauts se dirigent dès à présent sur les lieux et nous voyons… Mais que font-ils ?! Ils… Ils MANGENT la pierraille ?! Mais n’ont-ils pas assez souffert ?! Seraient-ils à ce point affamés ?! Mais… Mais ils REFUSENT les premiers soins ?! Ils sont trop occupés à manger ?! Dame Gaea, si vous pouviez nous expliquer…

     « Naturellement, sire chambellan. Avez-vous donc oublié la nature des projectiles de cet équipage jusqu’à présent ? A n’en pas douter, ces gueux n’ont jamais planté leurs dents dans quelque chose d’aussi bon de leurs vies, même s’ils ont été les premiers à être plantés par les projectiles en question. »

     « Eh bien, par la Dame… Ah, un premier rapport des hérauts ! Ils ont identifié… Beurre, salade, rosette et oignon ?! Mais pas la garniture, triple buse ! Les livrées ! A qui appartiennent ces gueux ainsi, euh, malmenés ? Qu’est-ce qui dépasse de votre bras, sous votre cape, là ? Un projectile ?! Donnez-moi ça, confisqué pour indiscipline ! »

     « Sire chambellan, les autres… »

     « Oui ! Nous apercevons présentement une autre grêle de pierraille, non, de coquilles, cette fois-ci, s’élever de la position tenue par les gens du Chesnois ! Et… vide ! Ce coin du nord-est, à moins d’une chance insolente d’un équipage, semble vide de tout occupant !
     Ce tir est suivi de près par le celui de la baronnie de Gransette, et… rien ! La pierraille ne nous révèle pour le moment que de l’herbe, mais voyons – »

« MEEEEEUH ! »

     « Par la Dame ! C’est la créature maudite ! Mais non, ses tirs rageux ne révèlent que plus d’herbe, la Dame préserve ses serviteurs ! Nous avons en revanche une autre grêle de projectiles, de facture naine, à n’en pas douter, et… Eh bien ?! Eh bien oui ! C’est une victime ! C’est un servant ! L’équipage de Brombür Fière-Barbe marque un point en assommant un des gueux de… du baron de Jambe, d’après la livrée !
     Et ce rapport par rapport au premier tir ?! Ah, enfin ! Il s’agit d’un des gueux du lord del Insula et d’un des gueux du sire Dangorn de Castagne… Ah ! Nous voyons encore une grêle de rochers, c’est précisément celle du trébuchet de la Trippe, elle s’envole et elle retombe et… Là ! C’est un servant ! Au vu de la position, ce ne peut être que… Oui, c’est confirmé, il s’agit de l’honorable sieur Fraïn, le dernier artisan de la machine de nos invités nains ! Par cette perte, l’équipage de Brombür Fière-Barbe est hors-compétition et le sire Dangorn remporte la possibilité de choisir un projectile bonus !
     Mais ma mémoire… oui, il y a bien un dernier équipage, là ! C’est celui du sire Osbourne, qui a décidé de tirer en direction de la machine naine, qui peut encore rapporter trois points à qui en vient à bout… Mais il ne l’atteint point !
     Et cela conclut ce sixième tour ! Les hérauts prendront le soin de noter ce renversement des jeux, messeigneurs et mesdames ! Montée au score fulgurante du baron de Jambe, égalisant son score avec celui du lord del Insula et du sire Robin Osbourne ! L’équipage de nos invités nains marque un point, mais se trouve désormais hors course. L’équipage du sire Dangorn, qui l’a mis hors course, remporte son premier point ! Et un projectile bonus ! Avec deux, non, trois nouveaux équipage révélés par cette salve salvatrice, la compétition promet d’être vertigineuse ! Bientôt le tour sept, messeigneurs, et mesdames ! Bientôt, le tour sept ! »    
 

     Ce ne fut qu’après avoir enfin lâché son porte-voix que le chambellan réalisa qu’il avait quasiment monopolisé le commentaire du tour. Il était cependant encore galvanisé par l’excitation et, sans y prêter une pensée, mordit sauvagement dans le sandwich confisqué au héraut. Le goût délicieux du pain, du beurre et de la rosette, nuancé par la fraicheur de la salade et relevé par l’oignon, lui fit monter les larmes aux yeux.
     Dame Gaea, quant à elle, s’en était retournée avec grâce à son siège, alors que les nobles de la cour dévisageaient tous le sire de Chantillon, avec étonnement, mais surtout avec une pointe d’envie. Le roy lui-même saliva sans le montrer, et commanda quelques encas supplémentaires pour la tribune d’honneur. Un mugissement féroce retentit à nouveau en provenance du champ de tir, mais ce voisinage du danger ne sembla guère empêcher les bretonniens de faire ripaille en discutant joyeusement du dernier tour. Même les gueux ne furent point oubliés, et à raison : les affamer davantage aurait peut-être suffi à déclencher une émeute…  



Impacts :


1) Ethgri Wyrda : pierraille en T6 => Hit ! => T6 !! (servant du Lord touché ; servant de Dangorn de Castagne touché)
2) Dangorn de Castagne : pierraille en F10 => déviation sud-ouest de 3 cases => I7 !! (DERNIER servant d’Alain de Saint Jean touché)
3) Lord del Insula : pierraille en I27 => Hit ! => I27
4) Toison d’Or : pierraille en F12 => Hit ! => F12
5) vg11k : pierraille en M13 => déviation sud de 2 cases => O13
6) Agilgar de Grizac : rocher en G9 => Hit ! => G9
7) Alain de Saint Jean : pierraille en O21 => déviation nord de 3 cases => L21 !! (servant de Ethgri Wyrda touché)


Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 2 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 2 points
- Johannes la Flèche/Dangorn de Castagne : 1 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 0 points
- Agilgar de Grizac : 2 points


Crévindiou, quel tour. L'équipage de Brombür Fière-Barbe aura vaillamment combattu et ne sera point parti sans baroud d'honneur ! Et pour ceux qui survivent, faites vos jeux, messieurs, faites vos tirs ! Avec autant d'équipages révélés, la reprise des tirs normaux pourrait même apporter des trébuchets détruits, qui sait ?
N'hésitez pas à m'envoyer vos réactions, vos tirs et vos textes de tirs avant le 1er mars, minuit        

     La baronne était revenue, essoufflée et légèrement en sueur lors que les hérauts annonçaient les derniers résultats. Enfin les choses devenaient sérieuses et les pertes apparaissaient au sein des différents équipages.
     Elle fit un signe discret à Brionne :
     - Allez motiver notre pauvre équipage : double ration de gnôle au prochain tir s'ils touchent -enfin- quelque chose !    



      Quelques lieues plus loin, à l'orée de la forêt d'Arden, une nuée d'oiseaux quitta brusquement la canopée. Un sergent monté s'en aperçut, et se mit aussitôt sur ses gardes ; d'ailleurs, son pâlefroi hennit faiblement, et tenta de rediriger son pas dans la direction opposée des sous-bois. Son cavalier le retint, puis échangea un bref signal gestuel avec un autre sergent monté un peu plus loin. Les deux hommes scrutèrent les buissons et la lumière incertaine qui les éclairait, mais rien ne parut. Alors, les oiseaux, qui s'en étaient revenus dans les branchages, s'envolèrent de nouveau : le sergent monté crut identifier un bruit sourd, mais suffisamment impressionnant, qui en était à l'origine.
     Le bruit sourd se répéta une troisième fois, puis fut rejoint par d'autres bruits ; les sergents montés se dévisagèrent : il n'y avait plus de doute possible : une attaque se préparait. Et, connaissant les immondes corniauds qui se terraient au fond des bois, il fallait s'y attendre au crépuscule...

     - Faut-il que vous affamiez vos gens pour qu'ils engloutissent une telle pitance ?

     Dame Luna, la femme du Lord, put essuyer quelques trais d'humour relatif à "l'élimination" d'un de ses servants. Son sens de la répartie permit de faire rendre gorge aux plaisantins.

     - Il faut croire que l'appétit ne soit point l’apanage de mes seuls roturiers, si j'en juge la ruée vers la buvette. Pourrais-je d'ailleurs savoir quelle victuaille compose le sandwich que vous dégustez séant ?

     En effet, ce dernier tir avait achevé la volonté du public et les nobles s'amassaient gaillardement autour de la buvette qui semblait bientôt arriver à cours de pain et de charcuterie.

     Le taquin en fut quitte pour recevoir la risée qu'il avait initialement voulu distribuer, mais n'en éprouva nul ombrage, réconforté qu'il était par son délicieux repas.

     De son côté, Dame Luna se préoccupait également de gastronomie, mais pour gastéropode. Il lui semblait qu'il était plus que temps de les nourrir et aperçut soudain son héliciculteur en pleine discussion avec un garde. Intrigué par sa présence en ce lieu, elle s'approcha pour engager la conversation.

     - Ventre-Terre, que faîtes-vous donc ici ? N'avez-vous point matière à occupation avec nos petits protégés ?
     - My Lady, s'exclama l'intéresser, par la Dame j'vous trouvions enfin ! C'te corniaud là veut point me laissions passer !
     - Garde ! Laissez passer je vous prie.
     - Mais My lady, c'est point pour les marauds c'te place ci.
     - Ce sera une exception. Exécution ! Commanda la noble. Puis s'adressant à Ventre-Terre : De quoi s'agit-il ?
     - Z'avions pu assez de salade pour nos escargots. Tout est parti zavec les casdalles !




Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     Pendant ce temps, le champ de tir commençait à se vider. Les soigneurs, hérauts et autres servants éliminés évacuaient peu à peu le terrain, non sans une certaine lenteur. Les effets de la digestion se faisait encore sentir.

     Du côté du trébuchet du Lord, les spectateurs se lassèrent de la disputes et quittèrent peu à peu les lieux.

     - Mon gars, faut qu'on z'y aillions, rappela un soigneur à celui des servants qui venait d'être éliminé.
     - Une tiote minute, le temps donnions un coup de patte, répondit ce dernier.
     - Le blème c'est z'autes querelleurs avons pas fini s'y disputer.

     En effet, point d'accord n'avait encore été trouvé entre l'artilleur en chef et le spécialiste tiléen.

     - Z'avions qu'à charger la bécane. Y s'débrouillerions bine pour tirer !
     - Sûr que z'allons pas attendre perpette.

     Ainsi la nacelle du trébuchet fut-elle remise en position de tir et chargée d'une coquille. Le servant éliminé et son soigneurs prirent congé de leur camarade. Ce dernier attendit. Le signal fut alors donné de déclencher le tir. Il regarda le duo devenir soudainement muet, haussa les épaules et actionna le mécanisme du trébuchet.

     - Quand faut y aller, faut y aller !




Position de trébuchet du baron de Jambe (Ethgri Wyrda) :


     Boris, Tom, et le Baron de Jambe étaient tous les trois tournés dans la même direction, la main en visière, et dans leurs posture un seul élément les différenciait : le Baron était debout sur le dos de Jules, qui était lui à quatre pattes au sol.

     "AlOrs... Voyons où a atterri notre volée...Mmmmm... non non non non c'est trOp loin encore. Ha, tiens, qu'est-ce que c'est que çAAAAAAAA"

     Une pluie de petites pierres s'abattit en plein sur le groupe, déchiquetant le vieux Tom et touchant la jambe du baron qui tomba de son piédestal.

     "ILS ONT BUTE TOM !!! s'écria horrifié Boris.

     "Salauds !" compléta Jules.

     "Ils m'ont fait tOmber ! Vengez mOi mes gueux ! je suis tout saaaaaal !" geignit le Baron qui était sur le dos dans la boue.

     Les deux servants restant de la catapulte ne se firent pas attendre, et coururent chercher la plus grosse miche de pain qu'ils avaient en réserve. Une énorme miche de pain, dure d'avoir trop attendue. La croute était sèche, poussiéreuse. Ils la roulèrent au pied de la machine, chargèrent la fronde, et tirèrent.

     "Pr'nez ça ! Z'êtes qu'des skuzes !

     - Bravo mes Gueux !

     - Ouais ! bien fait pour eux ! Clama Boris.

     - Mais... "eux" qui en fait ?" s'interrogea Jules, soudain perplexe.

     C'est alors qu'ils se rendirent donc qu'ils n'avaient pas visé quoi que ce soit avant de tirer.




     Au moment où les trompettes sonnaient le début du septième tour, Reynald de Chantillon finissait son déjeuner et éprouvait une légère appréhension par rapport à la suite : il avait en effet légèrement forcé sur la bière naine, boisson qu’il avait eu la délicatesse diplomatique de partager avec Brombür Fière-Barbe, promettant de nouveaux débouchés juteux à Couronne, remémorant les anciennes alliances et les anciennes batailles, bref, s’acquittant de son travail de loyal courtisan bretonnien. *Hic*

     « ET ILS S’EN VONT DANS LES AIRS, messeigneurs et mesdames ! J’aperçois là un premier projectile, et à en juger par l’odeur de cuisson, il s’agit d’un pain du noble baron de Jambe ! Il s’envole, il cherche le contact avec le terrain et… Houla ! Houla ! Nos hérauts signalent une autre cible touchée ! Une équipe de soins est dépêchée sur place et nous attendons le rapport d’autopsie, euh, d’identification du servant éliminé ! »

     « MOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO ! »

     « AH ! Les viles créatures des bois croient encore pouvoir nous effrayer avec leurs cris d’abattoir ! »

     A quelques pas en retrait du chambellan, dame Gaea se demandait si la Dame du Lac aurait la gentillesse du lui accorder un sort de dégrisement-miracle. Si l’on acceptait volontiers de parler cru en parlant des monstres, il s’en fallait de peu pour que le commentateur ne s’emporte envers tout ce qui bouge…

     « Leur coup de menhir nous dévoile un autre bout de terrain vierge ! Et voilà qu’un autre projectile s’écrase non loin ! Il s’agit de l’équipage du sire Osbourne ! Il semblerait que la zone au nord soit bel et bien déserte ! Haha !
     Et que voilà un autre rocher prend son envol ! Non, une coquille ! Une grosse coquille d'escargot ! L’équipage du Chesnois vise donc le même endroit qu’au tour précédent ! Et… Vide ! Les dernières bribes de brume magique ne dévoilent, hélas, aucun occupant, qu’il soit bretonnien ou vile créature des bois !
     Oh ! OH ! Oh le gros ! C’est un ROC ! C’est un MENHIR ! Que dis-je, c’est le projectile-bonus du sire Dangorn de Castagne ! Il semble vouloir écraser l’engin nain, pour le moment miraculeusement épargné, et… il rate ! Quel – »

     Il y eut un claquement sec dans les airs et, alors que pourtant le reste des cieux gris ne déversait aucune goutte sur le champ de tir, la tribune d’honneur observa aussitôt un curieux phénomène météorologique survenir au-dessus du chambellan : une colonne de pluie lui tomba dessus, la surprise de l’averse lui faisant perdre le don de la parole pendant quelques instants…

     « Ah ! Quel mauvais temps, messeigneurs et mesdames ! Je disais… Ah ! Voilà le rapport pour le premier tir chanceux ! Il s’agit d’un servant du Lord del Insula ! Le baron de Jambe marque un point supplémentaire et l’équipage du Chesnois ne peut compter que sur un dernier servant !
     Et voilà le dernier projectile qui fend les cieux peu cléments ! Il s’agit de l’équipage de la baronne de Gransette ! Il redescend et… et il atteint sa ciiiible ! A en juger par l’emplacement, il ne peut que s’agir de l’équipage du baron de Jambe et… Et c’est un doublé ! C’est un doublé, les deux derniers servants du trébuchet sont éliminés ! L’équipage de dame Penthésilée crée la surprise en éliminant un des favoris ! Et remporte à son tour un projectile bonus ! Messire baron… Mess… Messire baron ? Mais où est-il ? »

     « Le baron de Jambe est auprès de ses servants, sire chambellan. Honneur à sa bravoure ! »

     « Il est descendu dans le champ de tir ?! A croire que l’exemple du sire Osbourne inspire nos participants à vouloir l’égaler. Honneur à sa bravoure ! Nos équipes de soins sont sur les lieux ! Cela étant, messeigneurs et mesdames, le jeu se corse ! Plus que quatre équipages en lice, sans compter le danger opiniâtre des créatures ! Prions que cette pluie torrentielle n’arrête point nos participants au tour suivant ! »

     A peine le chambellan fit-il quelques pas pour s’éloigner du porte-voix que la pluie qui l’arrosait cessa enfin ; il eut la surprise de voir quelques sourires en coin dans les tribunes mais, pensant à quelque jalousie des nobles envers son beau rôle de commentateur, le sire de Chantillon se contenta de rendre sa cape trempée à un serviteur avant de s’éclipser à l’arrière de la tribune, où, en se séchant, il réalisa qu’il venait d’attraper un rhume. Peste ! Les ennuis ne s’arrêteraient donc jamais !
     Le roy Louen, quant à lui, échangea un regard entendu avec le lord del Insula : dur dur, des fois, de porter des responsabilités en si proche voisinage d’une puissante servante de la Dame…  
 



Impacts :

1) Toison d’Or : M21 => Hit ! => M21 !! (deux derniers servants du baron de Jambe touchés)
2) Dangorn de Castagne : GROS rocher en H8 => déviation sud-ouest de 3 cases => K5
3) Lord del Insula : I27 => Hit ! => I27
4) vg11k : F20 => déviation ouest de 3 cases => F17
5) Ethgri Wyrda : S3 => déviation sud-est de 2 cases => U5 !! (servant du Lord touché)
6) Agilgar de Grizac : E20 => Hit ! => E20


Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 2 points
- Dangorn de Castagne : 1 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 2 points

La compétition se resserre davantage ! Il est singulier de constater qu'à l'instar de l'équipage nain, l'équipage pâtissier a tiré sa révérence avec du punch ! Que du beau jeu ! Cela dit, quelques équipages réussissent encore et toujours à demeurer dissimulés dans le brume, alors que d'autres survivent malgré les pertes ! Que pourrait bien nous réserver le huitième tour ?
Nous le saurons, je l'espère, bientôt : je vous propose de m'envoyer vos tirs avant le dimanche 12 mars.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

***

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     Alors qu'Orasio et Riton s'affairait à charger la nacelle du trébuchet, le tiléen fut soudain frappé d'une certaine torpeur et se figea, mettant son camarade en difficulté.

     - Faisez gaffe crénom d'empoté ! C'étions lourd c'te bousin là ! Pesta le bretonnien.

     Le tiléen resta sans réaction, le regard lointain.

     - Qu'est ce t'y encore que c'te bazard là, se demanda Riton en agitant les mains devant les yeux d'Orasio. Dison ben qu'il estoit en train de pioncer debout c'te âne là.

     Alors qu'il s'approchait du visage de son ami, perplexe devant la marche à suivre, ce dernier s'anima tout à coup.

     - PAR LA MADONE !!!

     Cela eut pour effet de faire sursauter Riton qui se retrouva le cul par terre et l'humeur passablement abimé.

     - Crénom ! C'est y pas crétin de faire une peur bleu pareil !
     - Nous divons dichargé li nacelle. Li lourd vient de demander dou tirer oune rock !
     - Le lord ? Mais comment c'étions pris pour savoir ça ? T'éstois en train de rêvasser pour sûr !
     - C'i la magicienne, stupido. Ma pas li temps dou t'expliquer !

     Avisant une coquille d'une taille colossale, le tiléen signala son idée à son rival de toujours. Ce dernier gromella :

     - Chargé, déchargé, c'étions plus de mon âge tout ça. C'étions un coup à se casser le dos, Crévin diou.

     Les deux hommes eurent en effet forte à faire pour remplacer le projectile de la nacelle, mais y parvinrent juste à temps. Les trompettes annonçant le prochain tir commençaient en effet à sonner.




     Gerthor sombra dans l’inconscience. Il n’entendait plus rien, et ce qu’il voyait n’était que lumière et ténèbres difformes et imprécises. Puis, petit à petit, sa vision se précisa, et son ouïe capta quelque chose qui le rendit de plus en plus anxieux : où qu’il pouvait se trouver, devant lui se tenait un petit être vert encapuchonné, une de ces créatures vertes et puantes qui vénèrent leurs propres dieux destructeurs. Le nabot vert riait.
     Comme il riait ! Avec son gros nez crochu, ses longues oreilles poilues et ses dents sales, le nabot encapuchonné était laid comme un pou, cependant, il riait, caquetait, s’éraillait la voix dans une forme d’hilarité que Gerthor l’ungor n’aurait jamais pu s’imaginer. Le nabot vert le pointait du doigt et riait. Il se moquait de lui.
     Il se moquait de sa déchéance, de sa faiblesse, de son impuissance, de son avenir compromis, de la bêtise avec laquelle Gerthor allait sans doute droit vers l’au-delà que les Dieux Sombres avaient préparé pour les enfants abandonnés dans les bois… Le rire cruel du gobelin claquait dans les oreilles de l’ungor et semblait le blesser dans son corps-même… Son corps !

     Le cauchemar se dissipa aussitôt que Gerthor eut repris conscience de sa douleur. Tout était sombre autour de lui et il avait mal absolument partout, mais il sentait qu’il n’était pas mort, que l’herbe épaisse du champ s’était enfoncée sous lui et sentait la fraicheur de la terre…
     L’ungor tenta de remuer ses membres, il put à peine bouger ses mains et ses sabots : la masse énorme du cygor qui le plaquait au sol ne lui permit rien d’autre.  Sa tête, face contre l’herbe froide, pouvait sans doute bouger un peu mais, pour l’heure, Gerthor s’en servait surtout pour trouver une quelconque échappatoire de sa prison de chair maudite.
     Au beau milieu de la douleur, il percevait un tumulte étouffé au-delà des ténèbres qui l’encerclaient. Ces maudits humains étaient donc encore là, mais… Que s’était-il passé ?
     L’ungor réunit ses forces et héla Muuhtak, une fois, deux, puis trois fois, en vain. La réalisation que son cygor eut été fauché par un projectile des détestables humains s’imposa lentement dans son esprit. Ainsi, sa vision de cauchemar se moquait de l’humiliante défaite que les humains venaient de lui infliger… Les Dieux Sombres, qui semblaient les avoir protégés durant l’affrontement, les avaient donc oubliés, jetés, écrasés, oubliés, jetés, oubliés, jetés, oubliés…
     La colère fut alors bien plus cuisante que la douleur. L’édifice de la pensée de l’ungor s’effondra pour ne laisser de place qu’à l’instinct, et cet instinct le poussa à serrer ses poings, à taper des sabots, à mordre tout ce qu’il avait devant sa gueule : l’herbe écrasée du champ de tir.
     S’il avait existé réellement, le vilain gobelin moqueur aurait dit que Gerthor s’abaissait finalement à brouter l’herbe comme ses congénères bovins soumis aux humains. Cela aurait été déformer honteusement la réalité car, dans la frénésie qui s’était emparée de lui, Gerthor recrachait tout ce qu’il arrachait avec ses dents, herbe, insecte, terre ou gravier. Ses doigts noueux arrachaient de grosses touffes et s’enfonçaient dans la noirceur de la terre, ses sabots en étaient arrivés à creuser deux sillons de plus en plus profonds dans la terre. L’ungor agissait par pure rage, s’attaquant à tout ce que sa force et sa férocité lui permettaient de retourner puis éloigner quand, tout d’un coup, sa vision capta un point lumineux sur sa droite. Alors, toujours sans le moindre besoin de pensée consciente, le mutant se tortilla farouchement pour diriger ses efforts vers la source de lumière. L’herbe et la terre semblaient se soumettre à ses mouvements violents, acceptant silencieusement d’être arrachés des couches inférieures où la nature les avait déposées, laissant à l’être supérieur l’opportunité de tenter sa chance de survivre un jour, une heure, une minute de plus.


     « … Voici donc un neuvième tour qui s’achève sans victimes ! Qu’il s’agisse d’esprit chevaleresque ou de sagesse tactique, les équipages encore dissimulés semblent refuser de s’attaquer aux équipages précédemment exposés, et nous nous dirigeons ainsi vers un dixième tour ! Le danger de la créature étant écarté, nous pouvons désormais agir sans urgence et apprécier chaque tir de nos participants ! La Dame soit remerciée d’avoir guidé l’équipage du lord del Insula, seigneur du Chesnois ! »


     Il était recouvert de terre, de brindilles et d’insectes écrasés, mais son apparence n’avait jamais été un quelconque centre d’intérêt pour l’ungor, sinon pour effrayer des adversaires plus faibles que lui. Muuhtak gisait derrière lui, le crâne fracassé par… une coquille d’escargot géante. Ces maudites bêtes s’étaient donc elles aussi alliées à ces exécrables humains ! Ah c’était comme ça !
     Eh bien, Gerthor prenait les Dieux Sombres pour témoins : les Sabots-Fourchus le suivraient dans la bataille contre les humains, et lui, Gerthor, s’assurerait personnellement que chaque escargot géant aurait la coquille aussi fracassée que le crâne du défunt Muuhtak.
     Se retenant d’extrême justesse de pousser un tonitruant cri de guerre, l’ungor fonça dans la haie avoisinante, puis dans les flots opaques de la Grismérie. Il survivrait. Il survivrait. Il survivrait. Les Dieux Sombres le voulaient, sinon il serait mort écrasé par le corps de Muuhtak…
     Il survivrait et les tuerait tous, pour la gloire de Dieux Sombres, et la sienne.



Impacts :
1) Lord del Insula : Q22, GROS rocher => déviation nord de 1 case => P22
2) Toison d’Or : W12 => Hit ! => W12
3) Agilgar de Grizac : V12 => déviation sud-ouest de 2 cases => X10
4) Dangorn de Castagne : Q20 => Hit ! => Q20


Tableau des scores :
- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 6 points
- Dangorn de Castagne : 1 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 3 points


Sur le champ de tir, la phase d'exploration a repris entre les quatre équipages encore en lice ! Cependant, la compétition va-t-elle encore rester à l'abri de toute ingérence extérieure ? Rien n'est moins sûr OH ça va ! La créature a été abattue, donc tout va bien, non ?  
Envoyez-moi vos tirs de préférence avant le dimanche 23 avril      

- N'est ce pas magnifique ? Ce mélange de moelleux et de fermeté ? Cette tendresse ?
- Je suis bien d'accord avec Madame.

Boris se garda bien de demander à Dame Luna si elle s'émouvait ainsi des gastéropodes ou du pain que ces derniers dévoraient goulument.

- T'en sortions ben pour un débutant, le félicita  l'héliciculteur Ventre-Terre, très impressionné.

Cependant le pain commençait  à manquer et Boris se devait de confectionner de quoi ravitailler le pittoresque élevage.

Ventre-Terre et Boris durent donc cavaler jusqu'aux fours du village avec les sacs contenant les ingrédients nécessaires, précédés par une dame Luna impérieuse.

- Mes bonnes gens, je vous prie de vous mettre à ma disposition derechef, ordonna-t-elle aux artisans présents sur les lieux. C'est une vitale priorité. Suivez les instructions de cet homme, imposa-t-elle en désignant un Boris haletant. Dans combien de temps cela sera-t-il prêt ?

- Madame Hhhhh je dirai Hhhhh une heure Hhhhh grand  Hhhhh maximum, souffla Boris.
- Fort bien. Commencez sur le champ. Ventre-Terre avec moi. Nous allons rassembler le plus de brouettes possible dans le temps imparti.
- Pour sûr Hhhh My Hhhhh Lady Hhhhh, s'époumona l'héliciculteur en suivant la noble qui repartait déjà d'un bon pas.

     Reynald de Chantillon avait provisoirement confié le commentaire du tournoi à dame Gaea, et ce pour une raison capitale : le tournoi prenait plus de temps que prévu, et la nuit approchait à grands pas. Il avait donc résolu de se rendre au château de Rèmes afin d’attraper dans un couloir le bon sir David Goodenough, afin de lui confier toutes les basses besognes de ravitaillement et de couchage pour le gratin des spectateurs.
     Alors qu’il donnait du genou à son destrier, le chambellan fut saisi par le contraste saisissant du ciel : le soleil déclinant avait fini par percer à travers la chape de nuages conjurée par les vils mousillonnais, et ses rayons éblouissants teintaient le firmament de nuances de jaune, rose et orangé. Sur l’herbe verte des champs le long du chemin, chaque goutte de pluie brillait de mille feux, et l’air du soir était frais et vivifiant, sans parler du calme relatif qui régnait sur l’étendue campagnarde, libérée du spectacle navrant de ses gueux. Le château de Rèmes lui-même semblait tout droit sorti d’un conte de fées, tant le soleil couchant lui procurait une superbe que le chambellan ne lui aurait jamais accordée en temps normal.  
     Son humeur ainsi apaisée, le sire de Chantillon parvint à accomplir toutes ses intentions, ou presque… ou pas vraiment en fait, mais il improvisait à la volée : trouvant sir David en compagnie de dame Marie de la Médisance, il tenta de prétexter des affaires d’état afin de l’arracher à celle-ci, mais il s’avéra que la tante du roy ne pouvait plus se passer de la compagnie de l’intendant ; même lorsque le chambellan voulut partir avec sir David et laisser dame Marie au château « parce qu’il faisait bien trop frais dehors pour sa santé », la vieille dame rétorqua avec une vive émotion qu’elle préfèrerait vivre ses derniers instants auprès de sir David que de quitter sa compagnie un seul instant. Ce fut ainsi que, de guerre lasse, et sous bonne escorte d’hommes d’armes et de servantes, le trio improbable quitta le château de Rèmes et emprunta le chemin du retour vers le champ de tir.
     Il était hors de question de risquer une nouvelle confrontation entre le roy et sa tante : les affaires tournaient trop bien pour risquer de tout gâcher. Le chambellan improvisa alors une visite détaillée du campement et de ses aménagements ; curieusement, dame Marie de la Médisance ne lui chercha point querelle sur ce point, tout occupée qu’elle était à discourir avec sir David sur l’importance de ci et de ça, et trouvant toujours auprès de lui un accueil bienveillant de ses propos. Ils firent ainsi le tour des stocks et, pendant ce temps, le chambellan apprit d’un homme d’armes qu’un autre tour de tir, le dixième, allait être annoncé.
     Les trois nobles en étaient à l’endroit où étaient entreposés les projectiles destinés aux équipages ayant éliminé un équipage concurrent : pierraille, GROS rocher, feu grégeois… Grande fut la surprise du sire de Chantillon lorsqu’il trouva auprès de tout ceci un curieux engin qui ne ressemblait en rien à ce qu’il connaissait des engins de siège – on aurait dit un chariot que l’on aurait surchargé en feux d’artifices, excepté qu’un abruti en aurait également emmêlé les mèches toutes ensemble. Passant d’un sujet de conversation à un autre car elle en avait l’envie, dame Marie demanda à sir David ce qu’était cette curieuse charrette et pourquoi elle était là. Sir David, avec autant de naturel que s’il était en train de parler du beau temps, expliqua à la vieille tante qu’il fallait sans doute allumer la mèche pour y voir plus clair, ce qu’il fit, s’emparant d’un briquet à amadou accroché à l’engin…



Position de trébuchet du Lord del Insula (Lord del Insula) :

     La bonne ambiance qui régnait entre Orasio et Riton avait fait long feu. Le bretonnien goguenard s’apprêtait à définir les réglages du prochain tir non sans en rajouter sur l'absence de résultat du tiléen qui prétextait sans être entendu " que il avait bene tirer où il avait voulu, et que sou n'était pas sa foute si elle n'y avait persoune dans le zone !"

     -T'aurions encore une occase de t'planter tantôt, lui rappela Riton tandis qu'ils chargeaient la nacelle avec la coquille qu'il avait mis de côté suite au dernier tir.
     -Tou virras, par la Madone. Ye vais te mountrer, jura Orasio.

     La concurrence entre les deux hommes était on ne peut plus exacerbée.




     « La Dame bénisse ce dixième tour ! Puissions-nous –

     La prophétesse s’interrompit en pleine annonce, et nul ne l’aurait entendue, aurait-elle poursuivi ! Alors que l’audience commençait à bailler, se préparant en bougonnant à un autre tour d’exploration inintéressant, un sifflement cinglant cisailla la quiétude de la nuit tombante : du campement derrière la tribune d’honneur, trois, cinq, au moins une demi-douzaine d’étoiles filantes scintillantes s’élevèrent telles des flèches, avant de foncer à toute vitesse en direction du champ de tir et des gradins. Quelque part dans la brume magique, le brave sire Robin Osbourne se sentit légèrement vexé que quelqu’un avait touché à ses affaires qu’il avait déposées en attendant !
     Le roy Louen, quant à lui, crut sérieusement à une attaque : il dégaina l’épée de Couronne, et nombre de nobles dégainèrent à leur tour. Tout ne fut que l’affaire de quelques instants où nul ne comprit réellement ce qui s’était passé, car les trébuchets avaient également envoyé leurs redoutables chargements, et le firmament devint l’objet d’improbables collisions entre rochers et étoiles filantes ; certaines de ces dernières filèrent bien au-delà du champ de tir, et deux d’entre elles s’écrasèrent sur la tourelle mousillonnaise, provoquant moult cris en provenance de la « prison ». Le calme revenu parut assourdissant à toute l’assemblée, et…

    - Euh… Puissions-nous remercier la Dame de nous avoir protégé de la pluie de feu venant du ciel ! Puissions-nous la remercier d’avoir guidé les rochers et les coquilles contre les pierres impies ! »

     Parmi les nobles, seul le monarque bretonnien, qui en avait vu d’autres, aurait pu faire la différence entre une pluie de projectiles à poudre noire et un déluge de malepierre… Habitué cependant à aller de l’avant, Louen Léoncoeur ne cilla même pas à cette évidente déformation des faits que la prophétesse offrait à la populace. Il fut le premier à lancer un « Louée soit la Dame ! » tonitruant, à quitter son trône et à s’agenouiller, remerciant effectivement dans ses pensées la Dame du Lac pour ainsi protéger son tournoi. Les nobles suivirent aussitôt son exemple avec une piété exemplaire, et bientôt tous les gueux dans les gradins furent à genoux, parce que « sait-on jamais » et que « si l’roy l’dit, c’est qu’c’est ben vrai ».  
     La prière achevée, il fut observé par la commentatrice que la Dame avait sans doute aussi protégé les équipages encore en vie, car le vaste espace ravagé par les débris et les flammes ne comportait aucune trace de servant ni de trébuchet. Le tournoi, cependant, était ajourné pour la nuitée, car il fallait « purifier le champ de tir du feu impie ». Quelque peu touché au vif par cette grossière médisance envers sa batterie tonnerre de feu flambant neuve, Robin Osbourne eut cependant la sagesse de demeurer auprès de son trébuchet.
     Deux individus furent en revanche bien plus outrés que le bon sheriff de Rottingham : le premier, Gerthor l’ungor, se heurta à une crainte aussi superstitieuse qu’inébranlable de sa harde, et dont le shaman, également soucieux, s’obstina à repousser l’assaut au lendemain, car « les augures sentaient le souffre ! »
     Le deuxième mécontent fut le chambellan : tremblant de la tête aux pieds, de peur pour son grade, de froid à cause de son costume ravagé et de colère contre la bêtise de sir David, il fut cependant désarmé lorsque l’intendant et dame Marie de la Médisance lui répondirent, presque à l’unisson :

     « Oh, ça va… »

… et se regardèrent avec le même air bonhomme et satisfait.


Impacts :
1) Toison d’Or : W16 => déviation sud de 2 cases => Y16
2) Lord del Insula : K16 => Hit ! => K16
3) Dangorn de Castagne : K16 => déviation sud de 3 cases => N16
4) Agilgar de Grizac : K16 => déviation nord-est de 1 case => J17

Tableau des scores :
- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 6 points
- Dangorn de Castagne : 1 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 3 points


Belle fête du travail (et donc bon repos) à tous  
Vous l'avez peut-être lu entre les lignes : le tournoi s'interrompt pour la nuit et reprendra le jour suivant. C'est purement et simplement parce que nous sommes arrivés au dixième tour, et qu'il me semble temps de faire bouger l'horloge narrative et de nous proposer un véritable intermède nocturne  
La question de la poursuite de tirs "spéciaux" reste un peu ouverte, j'aurai à coeur d'avoir de nouveau vos opinions à ce sujet dans l'espace "Discussions". En attendant, à vos plumes, si tel est votre souhait    et nous reprendrons les festivités à l'aube du dimanche 14 mai.

La chasse aux escargots du Chesnois, par Turold Eginhard
(attribution incertaine)



Entre le bois d'Arden et la Grise Mérie
Le roy Louen siégeait pour quelque beuverie
Il faut se rincer le gosier, car il avait bien ri
Quand trébuchets avaient tiré, provoquant moult cris
Crie alors le bon Lord, seigneur de l'Insula
Mylord mon roy, ne restons point plus là,
Las, moult escargots menacent mon chasselas
Il faut partir en chasse, malgré qu'étions bien las
Bien las, bien las, les chevaliers du roy
Mais le roy Léoncoeur inspirait force et foy


Jamais plus grande compagnie que cette nuit-là
Ne nuit aux escargots dans leur repas
Ventres sur pattes, flairant le chasselas
La chasse était donnée, coquilles ou pas
Le lord del Insula, les cousins de Castagne
Robin Osbourne d'Albion les accompagne
De la maison Gransette la baronne
Et son héraut, le fidèle Brionne
Sur une charrette à bière, de nobles nains
Et le baron de Jambe, bien qu'atteint


Les yeomen encerclent le raisin
Les chevaliers s'acharnent sur les coquilles
Vignoble et escargots font bien mauvais voisins
Que ne laisseraient-ils les sarments tranquilles
La lutte est âpre, les chevaux glissent sur la bave
La fraicheur de la nuit, si douce, si suave
Est hélas bien lointaine pour qui glisse de sa selle
Puis glisse par terre, puis, enfin, se gamelle
Certains chevaliers errants allèrent jusqu'au bout
Démontant de plein gré, se jetant dans la boue


Les escargots sont lents mais leur patience
Met à l'épreuve les épées et les lances
Des chevaliers qui ne savent plus quoi faire
Ni que dire. Que faire quand refuse le fer ? Mourir ?
Des yeomen se jettent sous les ventres pour les ralentir
Hélas, ils finissent bien par ressortir
Gluants, meurtris, mais bien vivants, leur sacrifice
N'a guère suffi. Que faire pour qu'il suffisse ?
La masse d'un yeomen ne suffit pas
Et il doit faire un trop piètre repas


Il n'y eut aucun trépas mais désespèrent
Nos glorieux chevaliers, tous pied à terre
Car, las, les escargots atteignent les coteaux
Invulnérables aux lames et aux couteaux
Alors, l'on croit que la lumière brilla tel un éclair
Dans les esprits des chevaliers aimant leur terre
Et ses bienfaits. Car ils identifièrent ou se rappelèrent
Que ces sarments dataient de l'année dernière
Et donc que l'on pouvait, peut-être encore
Déterrer leurs racines en temps record


Quelle charge fut donnée, que d'engouement, de zèle
La foy donna aux chevaliers des ailes
Au devant des mangeurs indestructibles
Ils s'élancèrent pour éloigner leurs cibles
Des mains, gantelées ou non, plongèrent dans la terre
Souvent sans ménagement, mais il fallait le faire
Par deux, par trois, par quatre, libérant les racines
Libérant les sarments avant qu'on ne les assassine
Puis, hélant leurs montures, ils s'élancèrent à cheval
En lieu et place de lance portant du végétal


Alors, ce fut facile, grâce à la Dame
De sauver les sarments du sort qui les condamne
Attirés par l'odeur, appâtés par la vigne
Les escargots, bien vite, franchirent la ligne
De leur enclos, que les bons destriers, plus prestes
Enjambèrent sans souci, sans demander leur reste
L'enclos, les escargots n'osaient point l'affronter
Et l'on enferma aussitôt les bêtes effrontées
Quant aux sarments, sauvés d'extrême justesse
Ils furent remis en terre dans la liesse


Fourbus, mais point obtus, les nobles s'agenouillèrent
Et pieusement la Dame ils remercièrent
D'avoir guidé leurs bras et raffermi leurs coeurs

A nos braves chevaliers gloire et honneur !



***
***
***