[Danse avec les loups] L'expédition

Cela faisait une heure que les six compagnons avaient quitté la relative quiétude de Dantaray pour s'enfoncer à travers bois. Beurk ouvrait la voie, suivi par son maitre, Raoul Girounet et Arnould Lebouteiller qui connaissait assez bien la route d'Husselype. Venait ensuite Robert Chausson qui discutait tout en marchant avec Marec et Dennis. Enfin, plusieurs mètres derrière, la grande silhouette de Géraud fermait la marche.



La neige rendait la marche difficile, Raoul Girounet faisait souvent un écart en dehors du sentier pour ramasser quelques branches mortes en prévision du bivouac qu'il leur faudrait dresser dans peu de temps. Déjà, la nuit tombait et les six villageois n'étaient guère rassurés. Arnould l'aubergiste, plus habitué aux aller retour derrière son bar qu'aux promenades forestières suait déjà abondamment sous son bonnet, il avait débouché une des bouteilles qu'il avait emporté dans sa besace et l'avait entamé...
Robert, Dennis et Marec quant à eux, fulminaient contre les maudits Husselypiens qui les obligeaient à crapahuter en pleine forêt la nuit. Derrière, ils entendaient Géraud qui parlait tout seul, en tirant sa pelle derrière lui, provoquant un chuintement continu de la neige.

Seul Beurk III, le chien de Raoul semblait dans son élément, il suivait la piste des ravisseurs en grognant, s'arrêtant de temps à autre pour jeter un œil à son maitre et ses comparses.

En suivant le sentier, ils arrivèrent dans un portion de forêt de conifères. Là, Raoul décida de stopper la marche dans la nuit. Les résineux alentours leur offriraient un abri contre la neige et le vent. Le sol était quasiment sec sous les troncs des sapins et le combustible pouvait se trouver en abondance.



Le forestier, Dennis et Marec trouvèrent quelques grosses pierres pour préparer le foyer, pendant qu'Arnould se posait pour gouter enfin à un repos mérité. Chausson rassemblait des aiguilles de pins et des branchages pour le feu. Géraud restait à distance, maudissant l'obscurité de la forêt...

Alors que chacun déposait ses hardes et autres affaires autour de ce qui servirait de foyer et de campement de fortune, Raoul rappela son chien aussi discrètement et énergiquement que possible. Le molosse revint à son maître la queue entre les jambes. Prenant l’animal par la peau du cou, il le fit asseoir à côté de son bagage et se retourna vers l’assistance.

Avec une voix plus modéré que d’habitude ou les plus malins auraient décelé une pointe d’inquiétude, il appela Géraud :

« Eh l’croque-mort … T'as fichtrement bien fait d'prendre ton outil mon gars. R’mène la donc ta pelle par là, faudra qu’tu creusois un nid pour l’foyer du feu, histoire d’pas mettre l’feu à la forêt et d’pas s’faire trop r’pérer ! » dit il posément en sortant l’une de ses bouteilles à la mixture poisseuse de son sac, la secouant énergiquement et il la posa prêt de l’endroit du futur feu de campement.

« J’pense qu’on devrait ti faire des tours d’garde. Parce qu’en s’temps là avec les loups et l’meneur qui rôdent, et s’Rabicons d’Husselype, histoire d’dormir tranquille. Et pis comme ça y’aurait quelqu’un pour veiller sur l’feu ». Le forestier-vigneron sembla réfléchir un instant et continua :

« En fait, en y r’pensant les tours d’garde, faudrait p’t’être ben les faire à deux, just’au cas z’où…»

Arnould s'effondra sur le sol, bien décidé à ne plus se relever jusqu'au lendemain.

« Pour c'qu'est des tours de garde et aut' machins, ça s'f'ra sans moi, chuis ben trop fatigué et j'as mon bras qui r'commence à m'faire ben mal. En r'vanche vu comment qu'y fait ben froid et qu'on est tous ben crevés, c'est l'moment pour boire un p'tit coup, et j'as d'quoi faire sur moi, compains. »

Il fouilla dans son sac et en sortit triomphalement une outre de bière.

« Et d'main, si on s'est ben débrouillé, c'est la bière de ceusse d'Husselype qu'on boivra, et ça s'ra ben fait pour eusse ! »

Chausson ramena la flopée de bois qu'il avait été ramasser et la déposa à côté d'Arnould pour ensuite s'asseoir lui aussi. L'allusion aux tours de garde ne l'emballa pas énormément lui non plus. Aussi proposa t-il une solution à ses compagnons :

"Y'a qu'à laisser ton clebard monter la garde ! Aplès tout, l'est fait pour c'la cte bêêêêêêêête. Si jamais ya un solcier ou des leus qui nous toulnent autour, il pourra nous réveiller en gueulant comme ils sait faire...! Le seul ennui, c'est qu'il pourra pas mettre du bois sur le feu pendant la nuit..."

Puis se tournant vers Géraud :

"Tu viens le cleuser ce maudit trou? Qu'on puisse allumer ce feu? On se les gèle avec les compains !"

Raoul haussa les épaules et poussa un soupir. Se posant aux côtés des deux autres lurons et prenant la bouteille des mains d’Arnould, il dit ces quelques mots :

« Ben les gars, si on crèv’ d’froid dans la nuit ou si on s’faisait bouffer par eul l’loup, faudra pas v’nir vous plaindre après.
L’plus à plaindre ce s’ra l’pauv’ Justin et à vos grosses qui z’attendent vot’ retour au village… Y caille ici ! »

Ses paroles se turent dans un gargouillement de liquide qui noya la gorge du Bastonnien.

Chausson grommela quelques épithètes à l'encontre du ripeur qui restait visiblement indifférent aux demandes répétées de ses compagnons. Il assembla les pierres qu'il avait trouvé de façon a faire un assez large cercle pour entourer le futur foyer du feu de camp. Il déposa dans un premier temps de l'amadou et une poignée d'aiguilles de sapin et de branches sèches. Il fut relayé par Ferdinand et Raoul experts en la matière. Rapidement, une petite flambée commença à dévorer le petit bois déposé petit à petit par les deux hommes. Une fois le feu lancé, Marec déposa plusieurs grosses buches qui s'enflammèrent rapidement. Une chaleur bienfaisante et la rassurante lueur du feu envahirent la clairière. Même Géraud, pourtant si peu sociable s'approcha des flammes. Dennis qui était allé ramasser du combustible à proximité déposa son butin et vint s'asseoir.



Les six compains rassemblés autour de l'âtre jetaient des regards furtifs, contemplant les ténèbres désormais épaisses tout autour d'eux. La lueur du feu établissait un cercle lumineux, mais au delà, il ne pouvaient rien distinguer en dehors des troncs d'arbres les plus proches. Pour le moment seul les craquements du bois dévoré par le feu rompait le silence de la forêt. Chacun redoutait que le vent leur amène le hurlement des loups. Ils n'en parlaient pas, mais chacun avait cette idée à l'esprit.

Arnould était occupé à chercher au fond de sa besace. Il en sorti un gros morceau de jambon qu'il montra à ses compagnons.

« V'là qui nous donn'ra des forces pour demain, si qu'on doit aller s'frotter à ceusses d'Husselype ! Faites-y honneur, c'est du bon, çui-là. »

Malgré ses efforts pour paraître jovial et plein d'entrain, Arnould n'était pas très à l'aise. A bien y réfléchir, ils avaient été stupides de se mettre en route si tard au lieu d'attendre patiemment le jour. Passer la nuit en forêt, avec tous ces maudits loups dans les parages, ne lui disait rien qui vaille. Et son bras le gênait toujours.

Il serra contre lui une petite amulette de chiffon qu'il portait autour du cou, représentant le dieu Taal sous l'aspect d'un lapin vert, et marmonna une rapide prière.

"et pis d'toute façon, tant qu'y a le feu, les leuh s'approch'ront pas. Les bestiaux, ca a peur du feu."

"Et si on préparait des torches imbibées d'alcool? Comme ça, si y'a un problème, on les plonge dans le feu et ca nous fait des bonnes armes!

Hey Raoul, passe-nous donc ta boisson"

Raoul éclata d'un rire fort et gras, qui lui fit oublier le vent glacé, la forêt obscure, les loups et les gars d'Husselype. Il tendit une de ses mixtures à Dennis et lui dit entre deux éclats de rire :

« Bah mon Dennis, s'tu bois ça t'auras plus à craindre les loups ou quoi se soit d'aut' ! Renifle donc et n’en prend s’tout pas dans l’gueule ou si tu l’fais, r’crache pas dans l’feu.»

Géraud avait froid et trouvait vraiment stupide de s'aventurer en forêt la nuit. Depuis que les ténèbres s'étaient abattues sur la forêt, il scrutait au travers de la vegetation et eut l'impression d'y voir des formes passer furtivement. Loups voraces ou farfadets enragés, il n'avait nulle envie de leur servir de repas.
Lorsque Chausson l'appela pour qu'il aide à préparer le feu, il ne le remarqua même pas, trop effrayé par ce qu'il voyait ou du moins croyait apercevoir dans l'obscurité.
Quelques minutes passèrent et le vieux fossoyeur remarqua enfin une lueur provenant derrière lui. Entendant crépiter un feu, il se retourna et crut bien voir les yeux d'Arnould et de Marec luire d'une lumière ensorcelée durant une fraction de seconde.
Frigorifié, le vieil homme s'approcha malgré tout et posa son postérieur usé sur un rocher inconfortable.

Seul dans son coin, il commença à ruminer des idées de complots et se mit à penser qu'il était tout à fait possible que Justin ait simulé sa disparition ou même que des loups aient laissé ce mot pour les faire sortir du village.
S'il n'avait jamais aimé les gens d'Husselype, quelle preuve avait-il de leur culpabilité, au final ? Après tout, il ne savait pas lire... il ne pouvait pas être sûr que les autres ne lui mentaient pas sur le contenu du message cloué sur l'auberge. Sans parler du fait que Chausson avait des contacts fréquents avec Husselype et que c'était comme par hasard son marmot à lui qui avait disparu.
Ce soir, Géraud ne dormirait que d'un oeil.

Parmi les six compagnons, seul Marec restait silencieux (Hors RP: Bah oui, Ulrich ne réponds plus ). Il fixait les flammes qui lui rappelaient sa forge. Arnould avait découpé commencé à distribuer des tranches de son jambon à la cantonade, réservant bien entendu le moins bon morceau à Géraud, tout méfiant qu'il était. Dennis avait planté son vide poisson dans son morceau de viande et le faisait griller en l'approchant des flammes. Ses compagnons l'imitèrent et une bonne odeur de charcuterie fumée embauma la clairière. Une fois le jambon entièrement partagé, Arnould jeta l'os à Beurk qui commença à le ronger avec entrain. L'outre de bière passait maintenant de mains en mains, seul Marec buvait l'eau de sa gourde.

Ce modeste repas au clair de lune permit aux six compagnons d'oublier quelque peu leur peur des loups et de la nuit. Une fois le repas terminé, Raoul se leva pour aller faire du bois. Il avait repéré un jeune pin rabougri et desséché qu'il débita de sa main experte. Ils auraient du combustible pour toute la nuit.

Pendant ce temps, Arnould s'était allongé sur sa vieille cape de voyage, la tête posée sur son sac à provisions, il s'enroula dans sa couverture. Ses camarades l'imitèrent en se préparant chacun une couchette de fortune. Seul Géraud n'avait pas bougé. réchauffant sa maigre carcasse à proximité du feu, il regardait de son air dément le chien de Raoul qui finissait déjà de ronger l'os du jambon. Raoul donna un ordre au bestiaux qui cessa son raffut. Le Bastonnien alimenta le feu avant de se coucher. Son molosse s'assit alors et entama sa garde nocturne en compagnie de Géraud qui visiblement, avait trop de soupçons envers ses compagnons de voyage pour dormir tout de suite. La nuit promettait d'être longue pour le fossoyeur...



Géraud avait sombré dans le sommeil depuis une heure environ. Il dormait assis, appuyé sur le manche de Suzanne qui l'empêchait de tomber la tête la première dans les braises du feu.
Beurk montait toujours la garde, allongé, le nez sur ses pattes. Aucun bruit ne lui parvenait en dehors des ronflements des six Dantarayains. Pourtant, le molosse se sentait observé, il se leva silencieusement et contempla le spectacle qui s'offrait à lui. Dans l'obscurité, il pouvait voir les yeux des loups reflétés par la lumière déclinante du feu. Un grognement sourd monta du fond de sa gorge et son poil se hérissa sur sa nuque. Il aboya avec fureur réveillant en sursaut les six hommes...

Arnould était paisiblement étendu sur l'herbe fraîche, une large chope de bière dorée et mousseuse à la main. Après une indigestion de charcuterie, il avait péri bravement et Morr l'avait conduit, en récompense de sa vie passée à abreuver Dantaray, au Séjour des Aubergistes, où il pourrait enfin se reposer un peu, loin des tracas, des loups, des sorciers étrangers à l'accent bizarre venus pour faire s'éventer sa bière et de ce fou de Géraud.

Un jeune page s'approcha de lui pour lui verser un grand trait de bière. Mais étrangement, il poussa un terrible aboiement.


Arnould se réveilla en sursaut.

« Sal'té d'clébard ! Sois confustiqué, charogne ! »

Il s'apprêtait à gratifier l'impudent animal d'un magistral coup de pied quand il leva les yeux vers les arbres alentour.

« Malepeste et morteburne, réveillez-vous donc, tas d'fouines ! » hurla-t-il aux autres en sautillant en tous sens. « L'Géraud... heu, non, les loups nous tombent dessusse ! Au s'cours ! A l'arme ! Au feu ! Au bûcher ! A mort ! Promizoulin ! »

Il saisit une branche enflammée et la tint devant lui de la main gauche ; de la droite, il tira son épée rouillée, qu'il aurait sans doute bien de la peine à manier, blessé qu'il était.

« Tirez-y d'ssus, compains ! Promizoulin ! »

"AU REU ! AU REU ! AU REUUUU ! PLOMIJOURAIN, FINICHONS-JEN !" se mit à crier le vieux Géraud qui se réveilla et se redressa de toute sa taille d'un seul coup, etonnant, rebutant et effrayant légèrement ses camarades qui ne s'y étaient pas attendu.

Trop mal réveillé pour bien saisir ce qu'il se passait réellement et sans doute un peu étourdi après s'être si vivement relevé, le fossoyeur se mit à hurler comme un forcené et à agir de manière totalement incohérente. Il tapa le sol frénétiquement avec sa Suzanne pendant un long moment puis se figea d'un coup, les yeux dans le vague.

Il demeura ainsi, sans même cligner des paupières, comme si son esprit avait purement et simplement quitté son corps.

Raoul leva la tête lorsque Beurk aboya à plusieurs reprises devant le vacarme, les yeux ensommeillés. Ne saisissant pas dans un premier temps ce qui se passait, il jura après le tavernier, puis après le chien :

« Z’allez ben fermer vot’ claqu’ mede vous deux ! Yen a qui dorme et qui vont avoir une gross’ journée d’main ! » Dit –il en mettant sa tête sous sa besace. Lorsque Géraud se mit à hurler à a taper partout avec sa pelle, celle-ci atteint malencontreusement la cuisse du forestier.
Le Bastonnien se leva presque d’une traite, bien décidé à faire rendre gorge le vieux fou.

« Toi j’aurais fait av’ler l’bulletin d’naissance… » Commença t-il. Alors qu’il à mettre une baffe magistrale au fossoyeur, il s’aperçu de la sombre compagnie canine qui les entourait. Il mit une accolade au vieux croque-mort :
« … Si tu n’m’avais pas réveillé ! Bien vu l’vieux. DEBOUT les 'gnasses ! »Hurla Le vigneron d’une voix rude en bottant du pied le premier villageois à portée.

Le Bastonnien saisi une des bouteilles de sa besace dans une main et un morceau de bois enflammé dans l’autre, bien décidé à vendre chèrement sa peau.

Chausson s'éveilla lui aussi en sursaut, entendant les raffuts conjugués de Beurk, Arnould, Géraud et Raoul. Sa première réaction, voyant le cercle d'yeux autour d'eux fut de raviver le feu en y jetant force combustible. C'est le Dennis qui avait raison, un grand flamboiement tiendrait à distance les fauves. Les flammes s'élevèrent de plus belle dans la clairière faisant reculer le cercle des loups, déjà bien surpris lors du réveil bruyants des hommes. Visiblement, les bêtes ne semblaient pas prêtes à attaquer le camp, Elles se contentaient d'observer silencieusement les six hommes et leur chien qui grondait bruyamment.

Chausson brandit le poing en maudissant les fauves.

"Maudites bêêêêêêêêtes, elles vont pas nous lâcher d'la nuit !!! Sal'tés de leus ! foutez l'camp !"


Il ramassa un brandon allumé dans le foyer et le jeta sur les loups les plus proches. Les fauves évitèrent facilement le projectile enflammé, disparaissant un instant pour revenir à un endroit différent.

Voyant que le geste de chausson restait sans succès, Raoul pris la décision de faire de même à sa façon et de tester par la même occasion sa mixture. Le Forestier –vigneron approcha le bout de bois enflammé du tissu imbibé de la bouteille qu'il tenait en main.
Avec une forte odeur de tissu, de liège brulé et d’huile de lampe, le tissu fini par s’enflammer vivement.

Raoul prit un temps certain puis prenant une pose de lanceur de hache, son bras distendu fini par envoyer le dangereux projectile en direction des animaux indélicats, tout en beuglant un magistral :

« Mangez don’ ça, Salop’ries ! »

Après un court vol plané entre les quelques blanches du bois, la bouteille en terre finie par atterrir contre un tronc à quelques pas de la meute de loups.

Le liquide contenu dans la bouteille entra en contact avec le tissu braisé et s’enflamma immédiatement avant de s’étaler de part et d’autre de l’arbre assez aléatoirement.
Les flammes crépitèrent contre les résineux humides et la neige et Raoul était plutôt satisfait du résultat.

Les villageois étaient désormais tous debout, à moitié réveillés pour certains, pleinement conscients pour les autres. La lumière projetée par le feu ravivé par Robert ainsi que le projectile lancé par Raoul leur laissait voir qu'une bonne quinzaine de loups faisait le siège de leur campement. Chausson interrompit les gesticulations belliqueuses de ses compagnons en s'asseyant devant le feu. Arnould l'imita, suivit par Dennis et Marec, seul Géraud contemplait les fauves en grognant dans sa barbe. Raoul quant à lui, retenait son chien par le col et le força à s'asseoir avec lui. Tous attendirent les paroles du chef de village.

"Nous v'là coincé pour la nuit avec ces loups d'malheurs ! On va être obligé de se relayer pour maintenir le feu en vie si on veut pas tous se réveiller demain dans l'estomac de ces sales bêêêêêêêêêêêtes ! J'prends le premier tour de garde, puis ce sera ton tour Ferdinand dit-il en fixant le forgeron puis à notre bon Raoul "

Il se leva pour laisser ses compagnons s'allonger sur leurs couchettes respectives et s'installa à proximité du tas de bois, et fixa les loups qui restaient immobiles dans l'obscurité.



Au petit matin, Raoul Girounet vit avec satisfaction que les loups regagnaient les profondeurs des bois et levaient le siège, les premiers rayons de soleil les dispersèrent rapidement. Beurk avait veillé toute la nuit en compagnie des différents gardes désignés par Chausson et bailla longuement. Le bastonnien se leva et réveilla chacun de ses compagnons par un petit coup de pied dans les côtes. Il faudrait lever le camp sans tarder...

Arnould s'étira en bougonnant. Il n'avait guère fermé l'œil de la nuit, dérangé par les reniflements inquiets et les va-et-vient constants de ce stupide Beurk, par ses compagnons qui prenaient leur tour de garde et bien plus encore par les bruits étouffés des bois tout autour d'eux, qu'il attribuait aux loups en maraude, et sans doute aussi aux fées, aux lutins et à ce maudit sorcier qui commandait aux bêtes sauvages.

De quelques gestes imprécis, Arnould se débarrassa de la neige qui pendant la nuit avait recouvert sa barbe et ses vêtements, puis déboucha une de ses outres, y but une gorgée et fit la grimace, tant la bière était glacée.

« Bon beh faut-z-y aller. » grogna-t-il.

Son bras droit continuait de le faire souffrir, et il n'avait aucune envie de poursuivre cette marche harassante vers Husselype. Déjà, la veille, il avait parfois été tenté de ramener ses compagnons au village à leur insu, mais il craignait que Raoul ne s'en aperçût.

Il jeta un regard noir au vieux Géraud, responsable de sa blessure et définitivement suspect à ses yeux. Le feu n'était pas encore mort, et la meilleure chose à faire aurait été de le brûler sur-le-champ. Il était sans doute responsable, d'une façon ou d'une autre, de l'attaque de cette nuit.

Après avoir pris un certain plaisir à réveiller brutalement ses compagnons, Raoul retira son chapeau et le secoua vivement pour retirer la neige qui s’était accumulée lors de la nuit.
Puis il fit de même avec sa pèlerine, envoyant de la neige fondu autour de lui et provocant les grognements et les jurons des autres gueux.

« Bon s’pas l’tout mais faut s’bouger ! Avec l’peu d’chance, on peut’ être surprendre les gars d’Husseyline au saut du lit ! » Dit le vigneron en arrachant l’outre de bière des mains d’Arnould et s’envoya une confortable rasade de bière sous les insultes du tavernier.

Beurk se contenta d’observer les hommes se chamailler et dans un énième bâillement, le molosse se remit en boule prêt de la souche où était assis son maître à la fin du tour de garde.

Marec n’apprécia pas du tout le coup dans les côtes distribué par Raoul.

Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit, sa blessure le faisant affreusement souffrir et l’infection commençait à s’étendre.
La proximité immédiate des loups n’arrangeant rien il était d’une humeur massacrante et surement pas décider à faire des concessions à cet énergumène qui décidément lui plaisait de moins en moins.
D’ailleurs il avait eu le temps cette nuit d’éplucher ces souvenirs et c’était remémorer une vieille histoire au sujet du Raoul, qu’il avait ouï une fois au « hérisson ».

Selon lui, Raoul devait avoir de la famille du côté d’Husselype.
Il allait devoir se méfier désormais, peut-être en parlerait-il aux autres aussi d’ailleurs ?

Pour l’heure il jeta un regard noir dans la direction de Raoul et tenta d’occulter ses pensées négatives en imaginant le sort que les Husselypiens avaient pu réserver au pauvre Justin. Ils devaient l'aider.

Les six gueux s'ébrouèrent, puis s'installèrent autour du foyer et prirent un rapide et frugal petit déjeuner. Avant de partir, Raoul recouvrit les dernières flammes de plusieurs poignées de neige puis de terre.



Les autres étaient prêts repartir dans la forêt à la poursuite des husselypiens. Il s'enfoncèrent à nouveau dans les bois, suivant le sentier forestier qui devait les mener chez leurs ennemis. La neige tombé durant la nuit avaient recouvert toutes les traces. Après deux heures de marche, ils arrivèrent à un croisement. Deux voies s'offraient à eux. Sans hésiter, Arnould montra celle de droite, connaissant bien la route, il savait qu'elle menait à Husselype de l'autre côté de la forêt.

Ils allaient s'engager quand Beurk aboya férocement et gratta le sol avec ses pattes dans la direction opposée. Manifestement, les ravisseurs avaient du prendre l'autre chemin et le molosse le sentait. Raoul calotta son chien et l'obligea à les suivre. Celui ci habituellement docile sous les coups de son maitre se défit brusquement de son emprise et s'enfuit en jappant dans le chemin de gauche. Raoul s'élança à sa suite en jurant. La poursuite dans la neige n'était pas aisée pour le bastonnien, il n'eut cependant pas à courir longtemps pour rattraper son chien.

Beurk grognait en tournant autour de plusieurs cadavres à moité dévorés. Raoul allait lui mettre une brassée monumentale quand il découvrit également le charnier. Inspectant les alentours, il vit de nombreuses traces de loups. Visiblement, ce méfait devait dater du matin, au moment où lui et ses compagnons se réveillaient... S'éloignant un instant des cadavres informes, il héla ses compagnons restés plus loin...

"Chette beste est pochédée !" hurla Géraud en levant haut sa pelle, alors que Beurk commençait à gratter le sol.
Lorsque le chien s'éloigna du groupe et que son maître s'élança à sa poursuite, le vieux fossoyeur n'esquissa pas le moindre mouvement, pas plus qu'il ne bougea en entendant Raoul s'exclamer au loin sur sa soi-disant découverte. Bientôt, pourtant, le vieux Géraud se retrouva seul sur la route et ne s'y sentit pas à l'aise. Il alla rejoindre à son tour ses camarades et tomba sur un joli tas de cadavres qu'il ne put s'empêcher de vouloir mettre en terre.

"Na t'on donc point l'temps poul les y fout' dans l'chol ches bougles-là ? demanda-t-il à ses compagnons de voyage. Ch'est qu'on n'a point chouvent l'occagion d'y tlouver chi beau tas de molts.

Armé de sa Suzanne, Géraud regarda les alentours à la recherche d'un lieu assez vaste et plat pour y creuser de grands trous, obsédé par son envie d'enterrer ces nouveaux cadavres.

« Ram’ nez dont vos fraises, tas d’pus ! L’Beurk a trouvé c’que j’crois être les gars d’Husselype. Et y z’ont pas l’air en grande forme ! » Beugla le Bastonnien en mettant la main sur sa bouche pour maintenir un renvoi.

Le forestier cracha par terre et jura dans son patois alors que les autres le rejoignaient. L’horreur gagna peu à peu les visages et Raoul senti un frisson parcourir son dos et ses deux mains se crispèrent sur le bois de sa lance.
Il soupira longuement avant de s’accroupir et retira son chapeau pour gratter l’arrière de son crâne dégarni, complètement désemparé et se tourna vers les autres pour observer leurs réactions.

Le visage aussi pâle que la neige du sentier, Arnould s'approcha des cadavres mis en charpie. Des quelques Husselypois qu'il connaissait, aucun ne se trouvait parmi les morts. Il pouvait s'agir de ceux qui avaient volé Justin, mais tout aussi bien d'une bande de rôdeurs quelconques.

Mais pourquoi les loups avaient-ils dévoré ces hommes et abandonné les Dantarayois ? Et où étaient-ils, ces loups, à présent ? Tout cela faisait froid dans le dos.

« Compains, » bredouilla Arnould « tout ça sent d'loin sorcellerie et agissements des démons. Ceusses-là, j'savions point qui qu'c'est, mais pas b'soin d'êt' devin pour comprend' qu'y pourraient ben nous attirer la poisse noire et l'mauvais œil dessusse nos têtes. Y'a rien d'pire qu'un cadav' pour ça.

Faut point-z-y toucher, et vite tout brûler avec quequ' prières au vieux Morr. Après on discut'ra d'savoir si qu'y faut viendre à Husselype. Aussi bien, là-bas, y sont tous déjà mourus. »

Arnould jeta un regard inquiet à l'entour. Peut-être brûler les corps ne suffirait-il pas à écarter d'eux la malédiction des loups. Peut-être serait-il plus sage de brûler aussi Géraud, ou encore ce détestable cabot puant de Beurk, qui avait un comportement étrange. Si Géraud le croyait possédé, c'est qu'il devait sentir la magie en lui, comme le peuvent tous les sorciers, disent les contes.

Robert Chausson fit semblant de ne pas entendre les réflexions des deux compains. Ce qui l'importait réellement, c'était de savoir si parmi ces cadavres, se trouvait celui de son neveu Justin. Il s'approcha, malgré sa répulsion, pour jeter un œil sur les malheureux dévorés. Ils étaient tous adultes, ce qui ne le rassura qu'à moitié. Où pouvait bien être Justin?

Ce fut Beurk qui lui apporta la réponse. le molosse reniflait la scène depuis un petit moment et marqua l'arrêt devant un objet que les hommes n'avaient pas remarqué un peu plus loin sur le chemin. Il aboya en direction des hommes. Raoul se dirigea vers lui et se baissa pour ramasser l'objet. Il se retourna vers le chef de village et brandit le lance pierre du gamin à la vue de tous...

« Bon diou ! S’t’aient bien les gars qu’avaient enl vé l’gamin. Regardez ça ! » Beugla le Bastonnien en brandissant le lance pierre du Justin. Le forestier-vigneron donna l’objet à Robert dont le visage se décomposa encore plus.
Raoul sortit un morceau de lard et son couteau et coupât un morceau et le lança à son molosse, en récompense de sa trouvaille.
Rangeant le tout dans sa besace, il posa sa main sur l’épaule de Robert pour le réconforter.

« T’inquiète pas mon gars, l’gamin doit pas être à mal, sinon on l’aurait r’trouvé ici avec les aut’. Par con’ ça veux dire qui ya bien un meneur d’Loups et ces surement lui qu’a l’Justin. A tous les coups s’y terre dans une grotte dans la forêt. Mais l’problem’ c’est qu’on n’va pas en sortir indemne les gars ! » Dit Raoul en crachant par terre. Il se retourna vers les autres pour attendre la décision du groupe.
Visiblement, affronter à nouveau la meute de loup et un ermite mi homme mi animal ne l’enchantait pas du tout.

En attendant la réaction des autres, le Bastonnien se contenta de passer les nerfs en donnant un coup de pied au derrière de Beurk III.
Le chien, non content d’avoir terminé son morceau de lard, commençait à lécher le doigt d’un des cadavres.

« Bon, beh, c'est ben beau qu'd'avoir trouvé ça, » grogna Arnould, « mais ça nous dit point quoi qu'y faut faire et ousqu'y faut aller. J'suis d'avis d'nous en aller ben vite à Husselype, ou sinon d'rentrer d'suite au village, que ça sert point à rien du tout d'traîner au milieu d'ces cadav' de malheur que d'ailleurs on d'vrait les brûler.

C'est ben triste, sans doute, mais l'pauv' Justin, y doit êt' mort tout raide, à c't'heure, que j'voyons point comment qu'y l'aurait pu s'en tirer vivant tout seul dans l'froid et si loin du village. L'est même ben possib' qu'y soye tout près d'ici. L'Raoul, si qu'ton corniaud l'est tant malin, y l'aura vite retrouvé : donnes-y donc l'lance-pierre à flairer, à ton fin limier, et on verra ben si l'Justin l'est encore dans l'coin. »

Chausson prit l'objet ayant appartenu à son neveu et l'observa un long moment en réfléchissant. Raoul avait raison. Si Justin n'étais pas allongé dans la neige, c'est qu'il était forcément en vie. Il avait laissé tombé son lance-pierres par terre pour qu'on puisse savoir qu'il était vivant. Robert en était convaincu.

Il balaya d'un regard les hésitations d'Arnould et dit :

"Regaldons comme Raoul l'dis si on peut pas tlouver les traces de s'satané meneur de loups ou d'autres sal'tés de bestioles enragées...!"

Et aidé de Marec et Dennis, il commença à prospecter les alentours dans la neige. Ils n'eurent pas à chercher longtemps pour trouver ce qu'ils cherchaient. Marec trouva des traces qui s'éloignait du charnier pour suivre le sentier. Mais ces traces lui firent passer un frisson dans le dos. C'était celles d'un loup, mais d'un loup gigantesque. Dans le même temps, Dennis, qui s'était aventuré un peu plus loin découvrit celles d'un homme, comme cette personne s'était tenue là un moment pour contempler le spectacle. Ces deux pistes se rejoignaient et s'enfonçaient à travers bois, rejointent par celles de la meute de loups ordinaires.

Ces découvertes intéressèrent vivement Raoul le bastonnien. Il avait du mal à retenir son chien qui trépignait d'envie de suivre la piste....

Il se tourna en direction de la piste et lâcha Beurk qui parti en trottinant en suivant la piste.

"Suivez moi vous autres !" Lâcha t-il et il parti en suivant son chien. Chausson lui emboita le pas, suivi par Arnould, Dennis et Marec, boitillant. Géraud resta encore un petit moment à contempler le tas de cadavres avec envie, puis il se força à suivre ses compains.



Beurk trottait depuis une heure, il avait pris quelques mètres d'avance sur la troupe des Dantarayiens dont certains avaient déjà du mal à suivre la cadence pourtant peu élevée. La piste laissée par le meneur et les loups était fraiche et facile à suivre, mais le chemin se faisait de moins en moins aisé à prendre. Les broussailles entravaient la marche des gueux, et seul Raoul ne s'en trouvait pas incommodé.



Beurk ralenti soudain l'allure et s'arrêta en grognant. Les traces continuaient plus loin sur le chemin mais le molosse ne souhait aller plus en avant. Raoul le vit et s'agenouilla à coté de lui. Après une rapide caresse et un bout de couenne de lard, il se retourna et fit signe aux autres de ralentir et de venir le rejoindre. La troupe des villageois arriva à sa hauteur et malgré ses précautions, elle le fit bruyamment : Arnould soufflait comme une vache et avait le ventre qui gargouillait, Géraud, quant à lui continuait à parler tout seul...

Raoul écouta le silence de la forêt. En dehors du craquement des branches sous l'action du vent, il avait du mal à entendre autre chose. Il se leva et fit signe aux autres de rester là. Il empoigna Beurk et s'aventura sur le chemin. Dès qu'il fut hors de vue de ses compagnons, Arnould proposa une pause déjeuner sur place.

« J'y souhaite ben du plaisir, à c'malin-là. » fit Arnould, que l'épuisante marche avait mis d'assez mauvaise humeur. « Sal'té d'sorciers d'Husselype. Ji lon fous la tête dans les latrines et ji lon coupe les oneilles. »

Sur ces mots, il déposa son bagage à terre et y chercha quelque nourriture à même de soulager son malheureux estomac.

Les pensées se bousculaient sous le crâne dégarni du gros Arnould -chose inhabituelle et, à bien des égards, perturbante. Les traces découvertes par Robert et les autres ne laissaient plus guère de doute : c'était bien, comme Arnould l'avait compris depuis longtemps, un infâme sorcier qui menait ces loups démoniaques contre les honnêtes gens. Il ne lui avait pas non plus échappé que ledit sorcier était apparemment accompagné d'un loup gigantesque. Il eut la vision fugitive d'un grand homme encapuchonné, suivi de près par son monstrueux animal, parcourant les collines enneigées à la pleine lune. Il en avait la chair de poule.

Cette image lui sembla soudain étrangement familière. Où avait-il déjà vu un homme accompagné d'un loup ?

La réponse le frappa comme la foudre. Et si c'était Raoul ? Beurk avait un comportement anormal, à l'évidence, et tout indiquait qu'il était possédé ou enchanté. Il avait sans doute le pouvoir de devenir immense certaines nuits particulières (Arnould sentit son cœur battre la chamade à cette seule idée). C'était lui, sans doute, qui avait laissé ces traces gigantesques, les traces humaines étant celles de Raoul. Ce dernier était d'ailleurs étranger, ce qui faisait peser de lourds soupçons sur sa personne.

Arnould était de moins en moins à son aise. Ce fou de Géraud continuait à marmonner des paroles qui ressemblaient beaucoup trop à des bribes de quelque sortilège, et Raoul ne tarderait pas à revenir, talonné par son chien ensorcelé. Cette fois, c'était décidé. À la première occasion, il pousserait les autres à se débarrasser de l'un de ces trois-là. En attendant, il allait faire comme si de rien n'était.

« J'ai-z-une rude soif, compains ! » fit-il d'un ton qu'il voulait dégagé, en sortant une nouvelle outre de bière. « Faut dire qu'y fait ben froid, aussi, pour c'que l'fond d'l'air l'étions frais. »

Arnould but un horrifique trait de liquide et réprima un rot. Il aurait besoin de courage dans les heures qui suivraient -pour faire condamner tous ces misérables au bûcher.

Robert Chausson regarda Raoul partir dans les broussailles, puis se retourna vers ses compagnons transis de froid et essoufflés. Il y avait Arnould, la bouteille à la main, Dennis qui jetait des coups d'oeil inquiet autour de lui, redoutant une attaque surprise du monstre qu'il avait croisé l'avant veille dans la forêt. Marec se tenait à proximité du cordonnier, il essayait lui aussi de comprendre ce qu'était allé faire le bastonnien. Restait Géraud qui insultait la forêt dans sa barbe. Il venait de remarquer que Raoul s'était éloigné et ne sachant pourquoi, il voulu le suivre, la Suzanne sur l'épaule.