[Le chant du désert] Préambule

Beren avait jusqu'ici assisté impuissant à la dispute entre Eugène et le bouillonnant Cyrill ; à chaque mot qu'il voulait prononcer pour calmer ces deux idiots, l'un d'entre eux se remettait à crier sans le laisser parler. Il en avait donc pris son parti et les regardait gesticuler comme deux gueux moussillonnais qui eussent trouvé en même temps un escargot, se contentant de tapotter sans grande conviction la main de Mélisende pour tenter de lui faire recouvrer ses esprits, ce qui restait vain. Mais quand il vit quelle était l'aide que le ménestrel se proposait d'apporter à la damoiselle, son noble sang ne fit qu'un tour.

Beren se rua sur Eugène et le prit violemment par les épaules pour l'écarter en toute hâte de Mélisende. Dans sa précipitation, il tomba en arrière, entraînant le ménestrel dans sa chute, et tous deux s'en allèrent rouler sur le sol jonché de paille, au grand rire du petit cercle de spectateurs qui se formait autour d'eux. Beren se releva en époussetant son tabard.

« Mais tu es donc devenu fou, Eugène ! Tu veux notre mort à tous ? Cette Mélisende est capable de nous changer en hiboux ou en limaces, voire pire, si elle apprend jamais que tu as eu cette insolence ! »

Il jeta un coup d'oeil inquiet à la damoiselle, puis se retourna vers Cyrill et Eugène.

« Je crois que vous avez tous deux perdu la raison. Que vous chamaillez-vous ainsi alors que cette damoiselle a besoin de secours ? Non, non, reste à ta place, Eugène, tu en as assez fait, merci. Et tu seras bien inspiré de limiter à l'avenir tes talents à des sujets moins périlleux que les courbes d'une damoiselle du Graal -sans parler de prendre de telles libertés avec cette même damoiselle. Quant à vous, messire Cyrill, je crois que vous avez trop de hâte et manquez de retenue. Je vous suis fort obligé de votre noble intervention de tout à l'heure, mais vous ne savez rien de ce que j'ai accompli jusque là, aussi tenez-vous coi sur le sujet, en homme de bien qui ne parle pas de ce qu'il ignore. »

Ce Cyrill avait décidément bien de l'impudence. Etait-ce ainsi que l'on s'adressait à un noble de si haut rang ? D'ailleurs, le nombre des faits d'armes de Beren excédait sans nul doute de beaucoup celui des pièces de la bourse du jeune chevalier -ce qui ne devait guère être difficile, certes.

« Et vous, drôles, » ajouta Beren en se tournant vers l'assistance hilare, « allez donc chercher quelque chose qui puisse faire reprendre connaissance à cette damoiselle, une drogue (Note du Baron bis : Heu... au sens médiéval de médicament, hein. ), un alcool fort, que sais-je... »

Il s'accorda un instant de réflexion.

« Et... hmm... peut-être serait-il préférable que ce qui vient de se produire reste entre nous. Cela vaudrait sans doute mieux pour tout le monde, si vous suivez ma pensée. »

A la vue de cette damoiselle qui s'effondra comme une feuille, les roturiers des tables avoisinantes rirent à gorgre déployée. Sans doute ne tenait-elle pas l'alcool et cela les amusait grandement, inconscients, pour la plupart de son statut de damoiselle du Graal, ou simplement ignorants de ce que pouvait être une damoiselle de ce type.
Les impériaux de la salle, pour leur part, ne prêtèrent pas la moindre attention à la scène, ne comprenant pas les mots prononcés entre ce ménéstrel et ce jeune noble.

L'attitude des nobles de Bretonnie fut, quant à elle, plus mitigée. Une grande agitation les secoua, plusieurs partirent à la recherche d'eau fraiche et de servantes qu'il espéraient capables de ranimer la jeune femme.
D'autres encore n'hésitèrent pas à se ruer vers la belle damoiselle pour lui porter assistance. L'un d'entre eux, de haute naissance, bouscula Beren qui se retrouva ejecté au loin, repoussé par les vassaux du grand seigneur.
Bientôt, une grand agitation parcourut leurs rangs et beaucoup semblaient tenir rigueur à Eugène et Cyrill, qui passait jusqu'alors pour une sorte de héros aux yeux de tous, de l'était de la jeune dame. Leur lutte grotesque avait attiré l'attention et les avait totalement discrédités aux yeux de tous, même si, il fallait l'avouer, tous ici auraient agi comme Cyrill dans sa position.

Au bout de quelques instants, Mélisende reprit ses esprits, encore perturbée par sa vision. Agacée par l'atroupement, elle congédia tous ses "sauveurs" sur-le-champ et retourna s'asseoir à sa place, blessant plus d'une fierté.
Penauds, Beren, Cyrill et Eugène retournèrent également à leur place, sous les yeux attentifs et méfiants des autres chevaliers.
Mélisende refusa de parler avant que tous les gêneurs n'aient quitté la table, certains s'attardant auprès d'elle, mais, même pour ses nouveaux compagnons, elle se révéla peu loquace.
Leur expliquant que la Dame les voulait unis pour une grande tâche, elle leur dit qu'elle ferait route avec eux jusque par dela la mer.
Cyrill regarda Eugène d'un air dubitatif, mais ce dernier détourna la tête, faisant mine de ne pas le voir.
La route s'annonçait longue avec ces deux là...

Moins d'une heure plus tard, tous furent en selle et prirent la route du Sud.
Celle-ci était large et bordée de vignes et de champs dans lesquels des manants s'affairaient. Dans les heures qui suivirent, ils passèrent un petit bois, puis un pont par dessus un ruisseau, puis d'autres champs et d'autres bosquets, tandis que de nombreux châteaux apparaissaient et disparaissaient au fil de leur marche. Blessé dans son orgueil de gueux, Eugène refusa de faire parler son luth et ni Cyrill ni Mélisende ne semblaient décidés à ouvrir la conversation.
Beren, pour sa part, aurait voulu briser la glace, mais ne trouvait pas de sujet adéquat.
Tous avaient entendu parler des orques et des gobelins qui pullulaient dans les montagnes qui se dessinaient de plus en plus nettement devant eux, mais ils étaient trop préoccupés pour y penser à l'heure actuelle.
La petite troupe s'arrêta devant une borne milliaire située aux pieds de la montagne sur laquelle était inscrits les mots



La borne était volontairement floue et ne donnait le nom d'aucune ville. Rien n'expliquait l'alignement étrange de ces flèches ni l'existence de deux routes différentes, cependant, le sentier semblait se diviser en deux quelques dizaines de mètres plus haut.
Il faisait chaud et il fallait décider rapidement du chemin à prendre, sous le soleil de plomb de cette fin d'après midi.

A quelques centaines de mètres en retrait, un homme nommé Loke observait la compagnie.
Servant auprès du seigneur de Caillatus, il avait emprunté un cheval pour suivre ces aventuriers qui l'intriguaient sans qu'il put dire pourquoi... pour l'heure, il hésitait encore sur la manière de les aborder ou même s'il devait le faire, mais il n'avait manifestement pas été repéré.

Beren sentait la torpeur des brûlants après-midi d'été s'abattre sur lui ; et pourtant, l'été était encore loin. En cette heure de la journée, il était d'usage à La Tour de ne rien faire. Or il lui avait fallu cheminer sous un soleil ardant, en compagnie d'un chevalier et d'un ménestrel qui ruminaient, chevauchant chacun d'un côté de la route, une querelle des plus stupides, et de la plus froide damoiselle qu'il eût jamais rencontrée.

Aucun d'entre eux n'avait osé révéler à Mélisende le déplorable incident qui s'était déroulé alors qu'elle gisait évanouie au château de Caillatus, mais Beren avait l'affreuse impression qu'elle se doutait de quelque chose.

Jusqu'ici, leur voyage avait été on ne peut plus morose, et les timides tentatives de Beren pour détendre l'atmosphère s'étaient soldées par des échecs cuisants. Il avait renoncé à tout effort en ce sens ; en fait, depuis le début de l'après-midi, il avait renoncé à toute forme d'effort. Et il fallait à présent décider de la route à suivre, ce qui signifiait réfléchir. Beren grogna.

« Peste soit des gens de ce pays. Incapables d'indiquer clairement le chemin. Et incapables d'écrire correctement. »

Il relut ce qui était inscrit sur la borne.

« Au moins, les deux chemins mènent en Estalie. Réjouissons-nous.

Si je saisis bien le sens de ces mots, nous avons le choix entre les monts d'Estalie et le royaume d'Estalie. Or les monts d'Estalie se trouvent indubitablement dans le royaume d'Estalie, sans quoi ils ne mériteraient pas d'être dits d'Estalie.

J'en conclus que la personne qui a rédigé cela est un sinistre imbécile, et je vous laisse décider du chemin. »

Eugène, son luth accroché dans son dos, signe qu'il ne comptait pas l'utiliser avant un moment, profita de cette brève pause pour poser par terre le lourd paquetage qui contenait ses affaires et celles de son maître.

"Moi de toute façon, quoique je dise, on me renverra paistre comme le misérable gueux que je suis censé être... Je vous laisse donc entre grands seigneurs et dames de haute stature faire le vostre choix."

Loke observait la compagnie, il faisait chaud, l’air était chargé des parfums du printemps.
Les abeilles s’affairaient à la construction et à l’approvisionnement des ruches situées au bord du chemin. Les oiseaux par dizaines, cachés dans les buissons et les frondaisons alentours, entonnaient quant à eux de joyeuses mélodies.

Tout était calme, mais Loke ressentait un certain malaise, son instinct lui indiquait l’imminence d’un danger.
Ce sentiment pourtant, ne semblait pas être partagé par la troupe qu’il suivait depuis plusieurs heures maintenant. En effet, les trois hommes et la magicienne paraissaient endormis, engourdis par leur voyage. Le troubadour dodelinait nonchalamment sur sa monture et la femme était visiblement absorbée par ses lectures. Le groupe s’était égaré et ses membres n’avaient apparemment aucune idée du chemin à suivre.

Loke était tiraillé entre son désir de les prévenir et celui de rester en retrait afin de leur prêter main forte le moment venu.
Il savait bien que son pressentiment ne pèserait pas lourd s’il devait les convaincre d’une hypothétique menace, cela se retournerait probablement même contre lui…il attendrait.

« Sois sur tes gardes, fait corps avec la forêt et prépare ton arc, l’heure est proche »

"Dans ce genre de cas, laissons décider le Destin. Il y a toujours des hasards et des rencontres qui aident. Comme il y a des gens respectueux et d'autres moins, il en est même qui soit à la fois insolent et intelligent, mon cher Eugène, si vous connaissez la route, ouvrez votre long bec et sera à propos pour une fois ! Quant à moi, je prends rarement ce chemin pour me rendre à Casigalri et j'ignore donc quel est le meilleur. *Cher MJ corrigera si c'est faux lol*

Mais tenez, voilà, un brave qui me semble dégourdi, peut-être sera-t-il où nous allons"

Cyrill poussa son cheval à redescendre en direction du marcheur solitaire qui les suivait depuis quelques heures. D'un autre côté, il n'y avait pas d'autre chemin et ce n'était donc pas suspect.

Beren sursauta.

« Ah, vous avez l'oeil, Cyrill, je n'avais même pas remarqué que quelqu'un chevauchait à notre suite. Espérons qu'il s'agit là d'un homme de la région qui saura nous renseigner. »

Beren fit faire demi-tour à Doulce pour suivre Cyrill. Alors qu'ils s'avançaient, il vit que l'homme avait tout d'un roturier, vêtu sans recherche ni richesse et portant un arc, mais, étrangement, montait un cheval noir de belle allure. La chose était singulière, et Beren se demanda s'il n'y avait pas là-dessous quelque action déshonnête. Mais après tout cela ne le concernait guère, il ne voulait qu'une indication.

« Holà, manant ! Saurais-tu indiquer quel chemin d'entre ces deux-là doivent emprunter des voyageurs qui font route vers les ports d'Estalie ? »

Mélisende parlait peu pour recouvrer ses forces. Sa vision l'avait quelque peu fatiguée, et elle admirait les Damoiselles du Graal expérimentées qui avait ce genre de vision quasi quotidiennement, cela ne les fatiguant pas.

"Je sais maintenant ce que La Dame veut de moi, mon destin est lié avec ceux que j'accompagne" pensa t-elle

Soudain, Cyrill et Beren partirent à la rencontre d'un chevalier en retrait, elle se retrouvait seule avec Eugène. Elle avait maintenant confiance en eux, et elle les suivrait sur la route qu'ils décideraient de prendre.

Son attitude avait été quelque peu froide avec ses compagnons, et elle décida que dorénavant elle serait courtoise avec eux.

"Eugène, j'aimerai que nos différents passés soient clos. Ne voulez-vous point jouer quelques airs sur ce trajet, car avec la chaleur et le silence, il me semble que le voyage sera moins long en musique" dit-elle au ménestrel gentiment.

« Messires. »

Loke salua les chevaliers qui venaient à sa rencontre d’un bref hochement de tête.
Il savait l’importance que revêtait ce premier contact avec les représentants de la coterie qu’il souhaitait rejoindre.

« Mon nom est Loke, et pour l’heure je ne puis vous indiquer la direction à prendre. En effet je n’ai eu jusqu’aujourd’hui d’autres buts que de voyager au gré des vents. De plus je ne connais pas la région.

Néanmoins et si vous le souhaitez, nous pourrions partager quelque temps la route que vous choisirez. Je saurais rendre vos pas plus surs durant le trajet. »

Eugène cessa immédiatement de bouder et eut l'air ravi. Il décocha un grand sourire édenté à la damoiselle et défit la sangle qui maintenait son luth en bandoulière.

"Brave compagnie se mit en chemin
La belle, les deux seigneurs et le larbin
Mais au bout de quelques lieuuuues,
Un croisement, quel-eu dilemneuuuuu !
Tandis qu'ils se posaient la question
Il virent poindre à l'horizon
Un nouvel espoireuuuuuu !"

(HRP : Bon, c'est un peu le bordel avec ces deux discussions qui s'entremêlent. En tout cas, vous l'aurez compris, Beren répond à Loke ; ça paraît évident, mais je préfère le préciser.)

Beren pesta en entendant cette réponse. Il leur faudrait donc trouver le chemin par eux-mêmes. En outre, ils avaient maintenant à se débarrasser de ce gueux importun.

« Plus sûrs, vraiment ? Si par malaventure nous rencontrions quelque ennemi qui outrepassât notre force, je doute que tu nous sois d'un grand secours. »

Beren s'arrêta un instant. Plus il observait le cavalier, plus il le jugeait suspect. Non content de chevaucher une monture digne d'un noble, il portait une longue épée au côté. Il ne pouvait s'agir là que de quelque gredin qui était parvenu à détrousser un chevalier. Et voilà qu'il leur proposait sa compagnie sans plus attendre !

« Ainsi donc tu voyages au gré des vents ? Voilà qui est beau. En somme, tu es un vagabond. Mais un riche vagabond, si je me fie à ton épée et à ta monture. Pour être tout à fait franc, je ne vois guère comment tu aurais pu les obtenir, sinon par brigandage et rapine. Tu comprendras donc que j'aurais quelque réticence à te laisser chevaucher à nos côtés. Mais peut-être as-tu des réponses satisfaisantes à m'apporter ? »

Beren se tourna vers son compagnon.

« Qu'en dites-vous, Cyrill ? Pour ma part, j'ai quelque peine à croire qu'il y ait beaucoup de confiance à placer en cet homme. »

"Ma foi votre dilemme ne me touche guère, Beren. Il est bien des contrées où une bonne lame peut acheter l'apparente opulence de ce brave qui a la chance d'être comme nous un errant et comme moi de se laisser glisser au vent.

De plus, il a des manières ce qu'on ne trouve que trop rarement ces derniers temps..."

Loke s’adressa au premier chevalier qui avait pris la parole :

Si je suis riche Messire, c’est de mes expériences ; et mon offre ne vaut évidemment que si vous l’acceptée.

Souffrez par contre que je garde pour moi les raisons de mon départ à la croisade, ainsi que la manière dont j'ai acquis mes biens.
Je note pour ma part que vous semblez vous-même fort bien équipé et je souhaite que les nombreuses dagues richement ciselées portées à votre ceinturon, suffisent à surmonter les dangers que vous rencontrerez sur les chemins.

Cependant je ne peux que vous suggérez de suivre les sages conseils de votre compagnon et ainsi de me laisser vous prouver ma valeur dans le temps.

"Voyez Beren, ce cher Loke est habile de ses mots et les mesure bien. Si c'est un voleur, que viendra-t-il nous voler qu'il n'a pas ? Si c'est ce panier à salade qu'il convoite, ce qui m'étonnerait plus que de mesure pour sa santé mental, je lui offre sur le champs, pour le reste son cheval est meilleur que le mien et ma lame n'a de valeur que pour moi !

Diantre, ne soyez pas si méfiant : un voleur ne se présenterait pas et ne nous aiderait pas. La Dame nous l'a envoyé. Il veut du silence autour de lui. Un chagrin inconsolable l'aura jeter sur les routes, que sais-je, aime-t-il le mystère que confère le mutisme, mystère dont votre cher laquais s'est enfin départi. Il commençait à devenir lugubre et on le retrouve enfin cocasse et inventif.

Puissiez-vous, maître Loke, l'instruire de vos franches et agréables manières !" Sur ces mots, avec un dernier sourire à Beren, Cyrill refit demi-tour et prit le chemin de droite car il fallait bien en choisir un à la fin.

« Un instant, voyons ! Nous ne pouvons tout de même pas permettre à cet homme de nous accompagner alors que... »

Beren s'interrompit ; Cyrill s'éloignait déjà sans plus lui prêter la moindre attention. Il se tourna vers le nommé Loke.

« Bah, après tout... Je suppose que Cyrill a raison. Un homme de plus en ce périple nous pourra pas nous être inutile. Allons, chevauchez donc avec nous, maître Loke, et si vous êtes en fin de compte aussi honnête que vous le prétendez, je ne doute point que nous entendrons à merveille.

Mais pour l'heure, il nous faut rattraper notre ami, sans quoi il arrivera en Estalie sans nous. »

Beren lança Doulce au trot à la suite de Cyrill.

« Holà, compain ! Attendez-nous donc, malepeste ! »

Quand Eugène eut appris le nom du nouvel arrivant, il inventa une nouvelle strophe.

"Point oncque loque, Loke il se nomme
Point chevalier, mais loque-teux
Sur beau destrier en estant gueux
Portant espée sans terre ni homme
Drosle de seigneur, drosle de roturier
Joignit Beren et ses esquipiers"

La route s'avéra hardue et plus longue qu'ils ne l'auraient espéré. Après une heure de montée, la troupe se trouva enfin en haut de cette petite montagne, mais ce ne fut que pour trouver plus de descentes et de remontées. Devant eux, sans fin, s'étendaient les montagnes Estaliennes.
Ils passèrent donc de pentes escarpées en chemins forestiers au coeur même de la montagne et durent parfois marcher le long de petits chemins bordant de profonds précipices, devant redoubler d'habileté pour laisser passer les gueux qui allaient par là avec leurs mulets.

Lorsque la journée commença à décliner sérieusement, la troupe se trouvait encore dans une partie boisée entourée par les hautes et impassibles façades des monts du Sud de la Bretonnie.
Les châteaux ici se faisaient rares et n'aparaissaient qu'au dernier moment, assis sur de hauts rochers.
Pour l'heure, aucun n'était visible, mais au moins l'air était-il plus frais et agréable en cette verte étendue.

Dans moins d'une heure, la nuit allait tomber et il n'était alors pas prudent de continuer. Il était temps de faire un bivouac pour la nuit.
Les aventuriers s'installèrent alors à quelques dizaines de pas de la route, dans une charmante clairière où gazouillaient les oiseaux, ce qui sembla inciter Eugène à chanter plus fort encore...

Malgré tout, tous n'étaient pas d'humeur aussi légère car les bruits couraient sur ces montagnes et leurs dangers et, si nul n'avait encore osé aborder le sujet, presque tous avaient entendu parler de cette vaste troupe de pèlerins décimée moins d'une semaine auparavant.

Beren se laissa glisser avec une élégance toute relative de la selle de Doulce. La fatigue d'une longue journée à chevaucher par les chemins escarpés des montagnes, sous un soleil de plomb, s'abattait sur lui, le rendant encore moins disposé aux efforts qu'à son habitude. Après avoir débarrassé sa jument de son lourd harnachement et des quelques bagages qu'il n'avait pas confiés à Eugène, il s'étendit nonchalamment dans l'herbe tendre, contre la souche d'un vieux chêne.

Mais quoique l'heure fût au repos, il ne fallait pas oublier les dures nécessités de la vie d'errant.

« Holà, mes braves ! » fit Beren en se tournant vers Eugène et Loke. « Vous m'obligeriez fort en vous chargeant d'aller ramasser du bois pour faire un feu, puis en vous occupant du repas. J'avoue que cette chevauchée m'a rendu bien las, et je ne doute point que madamoiselle et messire ne le soient également.

Après quoi je serais ravi que tu nous chantes quelque chose, Eugène. Cette clairière me semble l'endroit rêvé pour cela, ne crois-tu pas ?

Ah, et n'oubliez pas d'aller puiser un peu d'eau fraîche. Il doit bien y avoir quelque ruisseau aux alentours. »

(HRP : Allez, au boulot, la gueusaille ; jusqu'ici, vous y avez échappé, mais le Baron bis veille. )

"Messire Beren est trop bon, le servir est ma joie..." fit Eugène avec un grand sourire niais, en dissimulant à peine son ironie.

Son sourire hypocrite s'efface à l'instant où il tourna le dos à son seigneur pour aller poser son lourd paquetage et prendre la hachette qui y était accrochée. Puis il pivota la tête vers son compère roturier.

"Tu viens, Loque ?"

Loke était en train d’attacher Styx à un grand chêne, quand Eugène le héla.
Il prit son arc et passa son carquois sans paraître avoir entendu le joyeux trublion.
Il passa une dague à sa ceinture et se tourna enfin pour faire face à ce petit homme qui lui était finalement assez sympathique ; il décidait de ne rien laisser paraître.

« J’arrive ménestrel, suis moi »

Et il se dirigea sans attendre dans le bois, bien décider à trouver du gibier digne de ces nouveaux compagnons.

Cyrill continua un instant en avant. Seul, il aurait parcourru quelques lieues encore : sûr de lui et du pas assuré de son fidèle destrier. Cyrill se souvint qu'il n'était plus un solitaire et qu'une dame l'accompagnait. Il fit donc demi-tour et s'arrêtant près de Dame Mélisende lui proposa son bras pour l'aider à descendre. Il prit son regard pour un "oui" et sans plus d'emphase la saissit délicatement par la taille et la posa au sol. "Je prendrais comme un honneur de m'occuper de votre monture, vu que nul lad ne nous accompagne et que Messire Beren semble plus soucieux de son repos que la sienne".

Attendant sa réponse, qu'il encourageait de son sourire bon enfant, il dessella Lamuh, en lui parlant doucement du repos et du fier service qu'il avait une nouvelle fois rendu à son propriétaire en le portant au milieu de nul part dans les montagnes d'Estalie. Le bouchonnant avec tendresse, il lui offrit une pomme bien rouge quoiqu'un peu défraîchie.

Lamuh pansé, il nettoya les sangles de cuir de la sueur accumulée dans la journée, se jurant à voix basse de racheter de la graisse d'ours pour mieux protéger l'antique harnachement.

Voyant que Mélisende restait interdite près de son cheval, et redoutant un peu de l'avoir froissée, Cyrill reprit la parole : "Ma dame, que puis-je pour me faire pardonner mon empressement à vous servir ?"

Damoiselle Mélisende restait perdue dans ses pensées. La courtoisie de Cyrill à son égard lui plut, mais elle réfléchissait plus qu'elle ne parlait. La question du charmant chevalier la fit néanmoins sortir de ses réflexions:

"Je n'ai rien à pardonner noble ami, votre galanterie vous honore. Je ne sais pas si la chaleur ou la fatigue y est pour quelque chose, mais j'ai un préssentiment. Ne prenez pas ce manque de discussion comme une offense, je suis seulement soucieuse."

Mélisende regarda autour d'elle, tout semblait normal et calme. Pourtant la damoiselle sentait l'anxiété la gagner, sans raison. Elle restait stoïque et ne laissait aucun sentiment se lire sur son visage. Accompagnée de deux Chevaliers elle se savait en sécurité. Elle ne devait pas affoler ses compagnons sur de simples suppositions.

"Cela ne doit rien être de grave, la fatigue doit troubler mes sens. Cyrill, auriez-vous l'amabilité de m'accompagner me désaltérer au ruisseau en contrebas ? "

"Quel honneur pour moi ! Et j'en profiterai pour remonter de l'eau pour nos compagnons. Appuyez vous sur mon bras, ma damoiselle, je vous escorte"

Cyrill rayonnait de fierté ; pour un peu, on aurait cru c'était la première fois qu'il avait l'honneur d'accompagner une dame. Mais peut être était-ce le cas...

Cependant sa bonne humeur n'occulta les paroles teintés de dangers que Mélisende avait prononcé. Et le bras gauche offert, il gardait la main droite sur son épée, tant pour dégainer promptement que pour rassurer la jeune femme qu'il accompagnait.

Beren fit son possible pour ne pas rire en voyant Cyrill offrir son bras à Mélisende. Son visage était si fier et si radieux qu'on eût dit qu'il venait de pourfendre quelque monstre ou de massacrer à lui seul une horde de peaux-vertes. Beren appela sur lui, par une courte prière, la bienveillance de Rhya, déesse protectrice des amoureux transis.

Resté seul dans la paisible clairière, il décida de se consacrer à cette activité éminemment aristocratique qui consiste à ne rien faire. Il jetait cependant de temps à autre un coup d'oeil distrait sur les bagages et les montures de la compagnie ; il y avait sans doute autant de brigands que d'arbres en cette région perdue, et la prudence s'imposait, à plus forte raison à la tombée de la nuit.

Damoiselle Mélisende descendait vers le ruisseau en contrebas, fièrement accoudée à Cyrill. Le crépuscule sévissait de plus en plus, et la vision de la damoiselle s'était adaptée à cette ambiance de pénombre. Après avoir rempli sa gourde et s'être enfin désaltérée, Mélisende prit un peu d'eau dans sa main afin d'en jeter sur sa nuque. Il faisait encore chaud et lourd pour l'instant, mais les nuits étaient froides dans ces montagnes, c'est pour cela que la damoiselle ne s'attarda pas plus sur le bord de l'eau et alla rejoindre le preux chevalier.

Peu de temps après être sorti du ruisseau, en remontant vers le campement, une odeur âpre et particulièrement suffocante importuna Mélisende. Trouvant ceci bizarre, elle demanda au chevalier s'il sentait également, mais il répondit non.

La peur gagna Mélisende, un mauvais présentiment s'immisçait dans son esprit.
"Quelque chose d'animal et de bestial nous observe. Je n'arrive pas à percevoir de quoi il s'agit, mais je sens sa haine et sa soif de sang. Cette puissance est considérable"
Mélisende s'aggripa au bras de Cyrill et accéléra le pas pour arriver au plus vite vers le campement.
"Je ne pense pas que l'on soit en danger maintenant, mais cette nuit, lorsque nous serons endormi, il n'hésitera pas à nous attaquer"

Loke avait pénétré assez profondément les frondaisons et entendait beaucoup moins son compagnon ménestrel chanter.
Il l’avait laissé se charger de la récolte du bois un peu plus tôt pour se donner une chance de trouver du gibier et ne distinguait désormais qu’une lointaine mélopée.

L’heure était avancée et le soleil déclinait, les animaux sauvages se dirigeraient vers la rivière toute proche pour étancher leur soif et Loke le savait.

A l’affût et parfaitement immobile dans un buisson de charmille, il était invisible et accroupit depuis de nombreuses minutes maintenant. Ses jambes étaient engourdies et il sentait son sang affluer et ses artères battre plus fort que de coutume.

Soudain un jeune chevreuil et sa mère apparurent à une vingtaine de pas, précisément sur la piste que Loke avait décelée avant de se fondre dans sa cachette. Les cervidés ne sentaient pas le danger qui les guettait.

Il banda son arc et ajusta le jeune chevreuil. Lorsqu’il décocha sa flèche, la mère alertée par le bruit de l’objet fendant l’air à vive allure n’eue que le temps de tourner la tête. Ce fût le temps nécessaire à la flèche pour atteindre son petit qui s’effondra sur le coup, tué net. N'écoutant alors que son instinct, la biche s’enfuie en bondissant dans les fourrés proches, sans même s’apercevoir que son petit ne la suivait pas.

Loke se releva et resta là quelques instants à se dégourdir les jambes. Il passa son arc en bandoulière et se dirigea vers le fruit de sa chasse. En s’agenouillant pour ramasser le chevreau il n’oublia pas de bénir la terre de cette offrande, puis il prit le faon sur ces épaules.

Il suivit sa piste à l’envers et n’eut aucun mal à trouver le barde qui chantait toujours à tue-tête.
Le rôdeur sourit, il ne l’avait pas entendu approcher….

« Alors Eugène, les stocks de bois sont-ils suffisants pour passer la nuit ? »

"T'y m'beurre !".

Au début, Loke ne compris pas tout à fait la réponse d'Eugène, mais il compris en voyant un tronc d'arbre lui tomber dessus qu'il valait mieux s'écarter. Le tronc n'était pas très épais, il l'évita donc facilement.

"Oh, excuse-moi Loque. Je t'ai vu au dernier moment. Alors en fait, oui on a assez de bois là je crois." lui dit Eugène en s'essuyant la sueur qui humidifiait son front.

Pendant que Loke chassait, le ménestrel avait fait fuir tous les animaux autour de lui en chantant, mais surtout il avait coupé trois grands bouleaux, ce qui était bien plus qu'il n'en fallait.

"Chanter en travaillant m'a beaucoup aidé. En fait j'aime bien couper des arbres, mais c'est fatiguant. Et toi de ton côté, tu as fait bonne chasse à ce que je vois."

Cyrill sentit Melissende se serrer contre lui. Décontenancé, il lui lança un regard inquisiteur, ne sachant pas trop comment réagir. Cependant, il lui parut guère plausible que ce fusse une de ses manoeuvres dont lui avait parlé son grand cousin, lui fort aux faits de ses choses là.

Perplexe, Cyrill fit la seule chose qu'il savait faire : un sourire clair et quelques mots doux :

"Ne vous inquiétez pas, Ma Dame, je veillerai sur vos songes et nos compagnons."

Ils arrivèrent près de leur campement. Cyrill posa les outres qu'il avait rempli. Levant un sourcil perplexe sur Beren, il se demanda ce qu'il pouvait connaître de l'errance en attendant ainsi, les pieds en éventail, que son page-barde-écuyer-courtisan fasse l'intégralité des choses.

Cyrill haussa des épaules. Il n'avait pas à juger ses pairs. Il prépara un foyer en quelques instants, espérant qu'Eugène et Loke se montreraient efficaces. Il sortit sa cape de laine et en fit un coussin qu'il proposa à Mélissende, repensant brièvement aux conseils d'Ovide...

En effet Eugène, la chasse à été fructueuse.

Pour le bois par contre j'aurai du te préciser qu'il était préférable de le prendre mort et sec ...

Nous trouverons de quoi nous chauffer en retour pour le camp, suis moi la nuit ne devrait plus tarder maintenant.

LOKE s'engagea sur la piste qui les mèneraient au bivouac.

Eugène et Loke arrivèrent au campement chargés de bois morts et firent le feu de camp sans tarder. Leurs compagnons avaient organisé convenablement le bivouac et la nuit qui venait de tomber s'annonçait sombre et fraiche.