Le Roman de la Rose à la Bibliothèque de l'Arsenal

Il y a en ce moment une très belle expo de manuscrits médiévaux organisée par la BNF autour du Roman de la Rose, véritable monument de la littérature du XIIIe siècle, et faisant encore figure de référence incontournable deux siècles plus tard. C'est un long poème amoureux présenté comme le rêve d'un jeune homme épris d'une rose, image de la jeune fille aimée. Voulant cueillir cette fameuse rose, l'amant va se heurter à des personnages allégoriques tels que Jalousie ou Vilenie, mais sera heureusement aidé par Courtoisie ou encore Bel Accueil. Cette façon délicate de parler d'amour en transformant les sentiments de la jeune fille (ou de son entourage) en personnages est due à Guillaume de Lorris, premier auteur du poème. Cependant, Guillaume est semble-t-il mort avant d'avoir achevé son œuvre, et c'est un autre poète, Jean de Meung, qui la poursuit, changeant radicalement de ton ; le poème devient érudit, satirique et souvent grivois, voire franchement insultant à l'égard des femmes, complètement à rebours de la vision courtoise de l'amour qu'avait Guillaume de Lorris. L'histoire est présentée petit à petit au fil de l'exposition, d'une façon que j'ai trouvée claire et intéressante.

C'est un livre qui a eu une fortune extraordinaire (les manuscrits conservés se comptent par centaines) pendant tout le reste du Moyen Âge. L'exposition présente presque uniquement des manuscrits enluminés, rassemblant des dizaines d'exemplaires du roman ; ça paraît peut-être un peu austère dit comme ça, mais quand on s'intéresse à la littérature médiévale, c'est un vrai plaisir.

Ceci dit, la raison essentielle de mon post est que je me dois de vous faire part d'une découverte absolument grandiose. Je sais ENFIN d'où vient la peinture de la nonne en train de cueillir des vits à un arbre.



Elle prend place dans une copie du Roman de la Rose. Il n'y a aucun rapport direct avec le texte, c'est une simple fantaisie de l'enlumineur -qui se trouve d'ailleurs être une femme, Jeanne de Montbaston, épouse du copiste parisien Richard de Montbaston, qui travaillait avec lui dans son atelier, à la fin du XIVe. On parlait il y a peu de la place des femmes en Bretonnie, et partant de là, au Moyen Âge ; vous savez à présent qu'il y en avait au moins une qui était enlumineuse et dessinait des bites en bas de page sur des exemplaires du Roman de la Rose.

Cette importante communication scientifique étant faite, je conclus en donnant l'adresse de l'expo : c'est à la bibliothèque de l'Arsenal (l'entrée est rue de Sully), tout près de l'île Saint-Louis. L'entrée est gratuite, et la BNF a selon sa coutume mis en ligne une version virtuelle de l'expo, au grand profit de ceux qui ont l'étrange idée d'habiter ailleurs qu'à Paris. Un site entièrement consacré aux manuscrits du Roman de la Rose, patiemment numérisés, a aussi été ouvert.

Une expo où l'on voit l'arbre à vits ?
Celle-ci je ne peux la rater ! Merci du tuyau, monsieur Bis.

Je t'en prie, mon bon Baron-pas-bis.

Bon, évidemment, si tu y vas uniquement pour contempler le légendaire Arbre à Vits, tu risques peut-être une très légère déception. La peinture est haute comme la moitié d'un pouce.

Le manuscrit qui la contient se trouve dans la toute dernière salle de l'exposition, dans une vitrine du milieu de la pièce. Dans le même registre, juste à côté, on trouve deux petites amulettes en plomb, qui étaient apparemment censées favoriser la fécondité, et représentant des phallus de belles proportions, l'un noblement ailé, l'autre chevauché par une dame hardie. Cela pour illustrer le côté un peu paillard de Jean de Meung (dont voici deux vers, cités dans l'expo : « Toutes êtes, serez et fûtes / De fait ou de volonté putes » ; c'est, répétons-le, assez éloigné de l'idéal courtois ).

Edit : On peut voir la page entière dans l'expo virtuelle de la BNF.

J'en prends bonne note et prendrai donc ma loupe (quitte à avoir l'air d'un pervers, autant y aller à fond).
Ah, les phallus ailés... ça me rappelle de beaux souvenirs. J'avais lu un livre sur le sujet il y a quelques années de celà, mais je n'en dirai pas plus car comme pour les mystère d'Éleusis, il faut avoir été initié.

Merci, BaronBis : en voilà une que je vais essayer de pas louper (j'ai jusqu'au 10 février 2013 : je devrais y arriver ).

Profitant du temps médiocre sur la capitale, j'ai pu visiter l'expo.

Je confirme en tous points le compte rendu enthousiaste du BaronBis !
- Le lieu est sympa : c'est la vieille bibliothèque (qui date à vue de nez du XVIIIème) et c'est toujours agréable de voir un antique plan du quartier au mur ou de monter un vieil escalier pour voir une expo. En plus, mais ça ne regarde que moi, je suis entré pour la première fois dans les locaux qui abritent mon manuscrit fétiche : le "Grand Armorial de la Toison d'or". J'ai approché mon Graal .
- Le parcours est bien pensé et parfaitement adapté au roman. On découvre le déroulement de l'histoire grâce aux multiples manuscrits. On évite ainsi un défaut majeur de ce type d'expo : la frustration de ne pouvoir feuilleter le manuscrit !
J'ai même découvert quelques "subtilités" en rentrant chez moi et en relisant la plaquette pdf (d’ailleurs très bien faite).
- Les manuscrits sont présentés à la bonne hauteur, bien éclairés et quelques objets en rapports avec le thème viennent varier les plaisirs. Chaque objet est accompagné d'une plaquette apportant des informations pertinentes tandis que les grands panneaux accrochés aux murs alternent agrandissement des miniatures et textes très bien faits pour présenter l’œuvre.

Quand on sait que l'entrée est libre, on reste vraiment stupéfait


Je suis donc entièrement d'accord avec BaronBis sauf ...sauf quand il dit à propos de l'arbre à vits :

Citation :

Il n'y a aucun rapport direct avec le texte, c'est une simple fantaisie de l'enlumineur

Il me semble avoir lu, sur la plaquette qui l'accompagne, que le texte décrivait les aventures d'une nonne. Ça pourrait cadrer avec la structure de la fin du roman, qui passe en revue un certain nombre d'histoires de couples pour illustrer les propos de l'auteur.
Pour étayer mes propos, j'ai essayé de lire le texte du manuscrit qui est disponible en ligne. Échec total
Je me rends bien compte que contredire BaronBis sur un sujet aussi délicat et sensible est assez inconscient. Mais l'enjeu me semble justifier le risque : il s'agit de connaitre la vérité sur l'arbre à vit. Tout de même !


A part ça, merci au BaronBis : grâce à lui, ce soir je vais me coucher moins bête !