[IYAQCDPDLDDG] Chapitre II

Certains gardes furent assez vifs pour esquiver l'infect contenu du pot à merdre lancé par Marius, mais ceux qui se trouvaient aux prises avec Din et Bérard, tout entiers à leur combat, reçurent du plafond une pluie nauséabonde -qui, soit dit en passant, n'épargna pas tout à fait Bérard, et encore moins le malheureux Din. Ce dernier, sa rage aiguillonnée par la matière fécale qui garnissait son chef et venait s'ajouter à une liste d'humiliations déjà bien assez longue, planta sa dague dans le torse d'un garde qui ne sut parer le coup, aveuglé par la part de merdre qui avait chu en sa figure et glissant sur celle qui s'était répandue sur le sol.

Alors que Bérard, fort merdeux lui aussi, jetait à terre un garde qui ne l'était pas moins, un râle d'effort retentit derrière lui. L'instant d'après, un banc s'abattait à grand fracas à moins d'une toise, fracassant le crâne d'un infortuné geôlier et en assommant net deux autres. La mêlée confuse du combat se changea en cohue terrifique, et nul ne resta sur pied. Bérard, entraîné par son adversaire qui se cramponnait à lui, fit une mauvaise chute et heurta de plein fouet les dalles du sol ; sa lanterne se brisa, plongeant la galerie dans la pénombre. Quant à Din, il perdit l'équilibre et tomba à quatre pattes dans un amas de corps inconscients ou gémissants. Une douleur soudaine à la joue droite lui arracha un cri. Le fer d'une arme quelconque venait de la lui entailler cruellement. Il passa instinctivement sa main sur la blessure, puis s'aperçut que ladite main étant à présent couverte de merdre, le réflexe avait été malheureux.

Marius, Guyon et Beppe accoururent sans tarder au secours de leurs odorants compagnons et distribuèrent quelques coups de bottes bien sentis qui calmèrent les ultimes ardeurs des derniers gardes encore vaguement conscients. Glissant un peu sur les dalles puantes, tous reprirent leur course, guidés par un Bérard secoué et merdeux, mais encore vaillant.

« Merdigues ! » souffla ce dernier après avoir craché on ne sait trop quoi. « Assez bieng pensée, votre tactique. Mais je me serais passé de la merdre. »

À bout de souffle, ils parvirent enfin devant une lourde porte que Guyon et Bérard se chargèrent d'enfoncer en usant d'un banc comme bélier improvisé. La porte céda dans un grand et sinistre craquement, et une forte odeur de fumier vint assaillir leurs naseaux, s'ajoutant aux effluves exécrables qui ne les quittaient plus depuis l'épisode du pot à merdre volant. Ils se trouvaient dans les écuries du château de Verfeuil.

Il y avait là assez de bêtes pour que l'emprunt de cinq d'entre elles puisse passer inaperçu en pareille nuit -un certain temps, tout au moins. Chacun sella en hâte la première monture venue, à l'exception notable de Marius, qui les mit tous en péril, ne consentant à les suivre que lorsqu'il eut retrouvé Cumulus, son propre cheval.

Encore incertains de leur sort, ils lançèrent leurs bêtes au galop et franchirent les portes en coup de vent. Les écuries donnaient sur une aile reculée du château de Verfeuil. Ils traversèrent en grande hâte un petit champ clos, qui devait servir de potager à la belle saison, et firent sauter les claies à leur chevaux, disparaissant dans la nuit alors que les quelques gardes postés non loin sonnaient vainement l'alarme de leurs cors.


Quand Bérard jugea qu'ils avaient semé tout poursuivant, ils abandonnèrent leurs montures et s'engouffrèrent à pied dans le dédale de venelles de Valfons, Marius tenant son cheval par la bride. Ils se trouvaient dans un quartier d'aspect misérable et triste, aux ruelles encombrées de débris divers, aux murs décrépits et aux toitures éventrées. Peu à peu, les taudis disparurent et une rumeur indisctincte, confuse mais joyeuse, se fit entendre. De vagues lueurs apparurent par endroits, et ils débouchèrent enfin sur une place illuminée de toute part, résonnant de chants et de danses. Les festivités de la Saint-Philibert en étaient à leur deuxième journée, et le lendemain serait le jour du carnaval de la ville.

Ils traversèrent tranquillement la place, à peine remarqués au milieu des buveurs hilares et des gens masqués et costumés. Le bruit de la fête nocturne ne les quitta plus. Le quartier riche et commerçant dans lequel ils arrivèrent en fin de compte était encore fort animé, quoique l'aube fût proche. Le ciel était déjà clair, et le soleil près de se lever quand ils parvirent à l'entrée d'un impressionnant hôtel particulier.




Après avoir confié le cheval de Marius à un palefrenier, ils grimpèrent vivement les marches juqu'à la porte, où un garde somnolent accueillit Bérard en lui faisant remarquer qu'il sentait fort mauvais ; Bérard lui répondit de se contenter d'ouvrir, et mena ses compagnons à l'intérieur, dans une petite salle éclairée par des torches. On apercevait les premières marches d'un escalier en colimaçon sous l'arche sombre d'une petite porte.

« Hé bieng, ça se sera point passé sans mal. » grogna Bérard. « Pour l'heure, vous pourrez vous reposer, et moi-z-aussi. Soyez les bienvenus eng la demeure de maître Alaudet Le Ferrant. »

(La suite arrivera tantôt, mais vous pouvez d'ores et déjà poster si vous le désirez.)

(HRP : Je me suis retenu de faire un flash-back de merdre )

Marius, après avoir confié son cheval à la garde du jeune palefrenier, suivi Bérard et ses compagnons d'évasion. Il entra à leur suite dans une petite salle et chercha un endroit pour se poser. Il trouva un tabouret et y posa ses fessiers usés par la chevauchée depuis le château. Il avait peine a réaliser tout ce qui venait de se passer. Ce qui lui réjouissait le cœur, c'était d'avoir retrouvé son compagnon Cumulus. Bientôt il retrouverai Sombrefeuille et sa quiétude. En attendant il devait moult remerciements à ce "maître Alaudet Le Ferrant".

Il prit conscience d'une grande faim et d'une envie de se débarbouiller quelque peu. La merdre et l'odeur de chevaux empuantissait la salle.

Malgré cette évasion, Din était de mauvaise humeur :

Déjà blessé avant de fuir, il devait déplorer une nouvelle blessure. Il se retrouvait, de facto, hors-la-loi, alors qu'il n'avait rien demandé. Il n'avait plus son cheval, ni sa mandoline. Sans parler de sa rapière et sa dague. Et, en plus, il sentait mauvais.

Néanmoins, il était soulagé de se savoir à nouveau en liberté, à quelques instants, l'espérait-il, d'un bain, d'un repas et/ou d'une bonne nuit de repos.

Il s'adressa à Bérard :

- "Je vous remercie de votre intervention. Sans vous, l'avenir se présentait plutôt mal. Je suppose que je pourrai le faire personnellement bientôt, mais veuillez déjà remercier messire Alaudet."

Quant à Beppe, il ne disait mot mais n'en pensait pas moins...

« Vous pourrez eng effet le remercier vous-mêmes dans ung instant. » répondit Bérard.

Il les conduisit à l'étage, et leur fit ouvrir une grande chambre à quatre lits. Les premiers rayons de soleil de la journée éclairaient la pièce à travers une petite fenêtre à croisillons et un feu ronflait déjà dans une étroite cheminée. L'endroit paraissait confortable et d'une propreté réjouissante en comparaison de l'infecte geôle du château de Verfeuil. Bérard leur fit apporter des bassines d'eau chaude ainsi qu'une bonne quantité de pain et de saucisse sèche accompagnée d'un pichet de vin, puis s'absenta.

Lavés et à peu près repus, ils achevaient de vider leurs gobelets quand Bérard reparut sur le seuil, les mains et la barbe nettement plus propres que quand il les avait quittés. Ils le suivirent à nouveau à travers les couloirs de la maison. C'était une demeure vaste et bien entretenue, assez richement meublée, mais sans luxe superflu, dans le goût raisonnable et modéré des gros bourgeois de Valfons. Bérard les introduisit dans une grande pièce en désordre, qui devait servir de bureau. Des piles de parchemins et de registres gisaient çà et là sur des coffres et l'un des murs était recouvert d'une belle tapisserie représentant un gros homme trônant au milieu de draps et d'étoffes variées, une grande paire de ciseaux à la main droite et une bourse ventrue à la main gauche. Maître Alaudet les attendait, assis devant la cheminée.



Alaudet Le Ferrant était habituellement un homme assez jovial et apparemment heureux de son sort, mais en ce jour, il avait peine à seulement paraître détendu ; l'enlèvement de sa fille et l'attaque de l'avant-veille sur sa propre personne l'expliquait assez. Il se montra aussi cordial que possible envers Din et ses compagnons. Il commença par leur demander de retracer avec précision les événements dont ils avaient été témoins et, dans une certaine mesure, acteurs ; Bérard et lui-même n'avaient guère eu le temps d'approfondir la question quand le digne prévôt Lepotier était apparu.

Lorsqu'ils n'eurent plus rien à lui apprendre, il déclara que son tour était venu de leur fournir plus amples explications.

« Je ne sais trop ce que vous avez pu saisir de tout ce fatras auquel vous avez été mêlés. » commença-t-il. « Je vais donc reprendre depuis le tout début. Je crois vraiment qu'il est nécessaire pour nous tous que vous compreniez bien la situation. Vous en conviendrez quand vous saurez ce que j'ai à vous demander.

Vous savez peut-être, ne serait-ce que parce que je l'ai fait valoir l'autre soir devant cette méprisable fripouille de prévôt, je suis bourgeois de la ville et je fais le commerce du drap. J'ai repris les affaires de mon oncle étant jeune, et j'y ai réussi. J'ai même été choisi pour prendre place au conseil de ma guilde, il y a quatre ans. Tout allait pour le mieux, à l'époque, mais ça n'a pas duré. J'ai voulu me lancer dans le négoce du vin, et mal m'en a pris. J'avais une si sale guigne que j'ai cru un moment que j'avais fâché Ranald ou quelque chose comme ça. Un herrimault a même trouvé moyen de me voler un chargement entier du meilleur vin de Sombrefeuille alors que ceux de mes gens qui le conduisaient venaient de quitter La Tour. »

Marius connaissait bien ce herrimault. On le surnommait le Rapace.

« Bref, je me suis endetté en comptant sur de futurs profits qui ne venaient pas pour rembourser, et bientôt j'étais à deux doigts d'être ruiné. C'est à ce moment qu'un de mes amis est venu me voir -ne me demandez pas son nom, je ne veux pas lui attirer les ennuis qui me sont tombés dessus, et d'ailleurs je suis sûr qu'il regrette tout ça autant que moi. Il est venu me voir, donc, et il m'a dit qu'il voulait m'aider à me refaire une situation. Moi, j'allais refuser, parce que je lui avais déjà emprunté des fortunes, et il savait bien qu'il ne reverrait pas de sitôt son argent, mais il m'a dit qu'il connaissait une façon de me sortir des ennuis. Il m'a raconté qu'il faisait partie d'une confrérie de marchands (enfin, c'est comme ça qu'il a présenté la chose). D'après ce qu'il m'expliquait, il s'agissait de réunions plus ou moins secrètes entre personnes influentes de la ville. Il y avait là des gens haut placés, des gros commerçants, des membres des conseils de guilde comme moi, des hommes de loi, et même des nobles. Tout ce monde-là se donnait des renseignements qui ne devaient normalement pas être divulgués, et s'échangeait des services ; vous voyez le genre, bien sûr : vous m'aidez à payer mes dettes, j'appuie votre candidature à tel siège de tel conseil.

Évidemment, ça n'avait rien d'honnête, il aurait fallu que je sois idiot pour ne pas le comprendre ; d'ailleurs, mon ami n'en a pas fait mystère. Mais quand on brasse de l'argent comme je l'ai fait, on devient assez vite pas très regardant sur ce genre de choses, si vous me comprenez. Et puis j'étais vraiment au désespoir. Alors j'ai accepté de mettre mon siège au conseil de la guilde des drapiers au service de gens qui épongeaient mes dettes en échange. C'était de la corruption, en fait, mais je savais depuis longtemps que personne n'était jamais condamné pour ça ; en tout cas, pas dans mon milieu.

Au début, c'était mon ami qui me disait quoi faire, et je n'allais pas aux réunions. Très vite, ça s'est arrangé et mes affaires ont repris d'un bon pied. Et puis on m'a proposé d'entrer dans la confrérie. Il paraît que c'est comme ça qu'ils font toujours : ils commencent par voir s'ils peuvent vous faire confiance, et ensuite ils vous mêlent vraiment à leurs affaires. J'ai commencé à aller aux réunions de temps en temps. Là, au début, je me suis franchement inquiété. On était tous masqués pendant les réunions, on changeait régulièrement d'endroit pour se voir, et la confrérie trempait dans de très sales affaires. Et puis finalement, comme rien ne m'arrivait et que je continuais à m'enrichir comme ça, je me suis mis à vraiment participer à leurs magouilles. Et je me suis encore plus enrichi. »

Alaudet fit une pause, puis reprit son histoire, l'air assez tendu.

« C'est il y a quelques mois que ça a dérapé. Les gens qui dirigeaient plus ou moins la confrérie m'ont pris à part, et ils m'ont expliqué la source de beaucoup de leurs renseignements, et aussi la façon dont ils s'y prenaient pour éliminer la concurrence, en mettant le feu aux entrepôts des rivaux, par exemple, et sans jamais se faire pincer. Ils... eh bien, ils se servaient de sorcellerie. Ils m'ont raconté tout ce qu'ils avaient réussi de cette façon. Et aussi tout ce que j'avais gagné grâce à eux. Ils m'ont proposé de faire partie des maîtres de la confrérie. J'étais riche alors, vraiment très riche, et ils voulaient s'assurer mon soutien. Ils ne l'ont pas dit, mais j'ai compris que si je refusais, ça irait mal pour moi. Et si je me ravisais et que je les dénonçais j'aurais bien du mal à prouver que je n'avais pas pris part à leurs histoires de magie. C'était le bûcher garanti. Et rappelez-vous le coup des masques : j'avais bien quelques idées sur certains membres, mais à part mon ami, je n'avais aucun nom dont je sois sûr à donner.

J'étais coincé et j'ai accepté. Et de fil en aiguille, j'ai été témoin de rituels auxquels je ne comprenais rien, de prières aux démons, du pire que j'avais imaginé au tout début, quand j'étais entré dans la confrérie. Plus ça allait, plus la sorcellerie et tout ça devenait la fin et pas le moyen, vous me suivez ? À chaque réunion, j'apprenais une nouvelle horreur sur la secte -parce qu'en fin de compte, ce n'était pas autre chose, évidemment. Je sais qu'ils ont des gens à eux presque partout où ça compte à Valfons. Je crois même qu'ils ont un échevin avec eux. Je sais aussi qu'ils sont liés à d'autres confrérie du même tonneau dans la région. Et puis un jour, on nous a annoncé que le grand maître, c'est comme ça qu'ils l'appelaient, demandait notre concours pour un rituel qui devait nous apporter la domination du duché. J'espérais sincèrement que c'était une mascararde grotesque, mais j'ai déchanté. Il s'agissait d'enlever des gosses, rien que ça ! Et pour en faire je ne sais pas quoi d'atroce. On devait les envoyer au grand maître, et il s'occuperait de rendre la vie meilleure pour tout le monde avec son rituel.

Dès que j'ai pu quitter la réunion, je me suis enfermé chez moi et j'ai fait semblant d'être malade. Je ne suis plus sorti et Bérard a pris de nouveaux hommes de mains pour protéger la maison. Je n'avais aucun moyen de leur faire porter un message pour m'excuser de ne plus venir aux réunions. Mon ami ne faisait pas partie des chefs et ne devait pas être au courant des histoires de magie, et je n'osais pas lui parler, même si je crois qu'il commençait à prendre peur lui aussi. Et puis même s'ils m'avaient cru malade, ils m'auraient envoyé un membre pour me tenir au fait des événements, je pense.

Ils ont compris que j'avais craqué, et ma fortune a dégringolé. J'avais plus ou moins prévu le coup et je m'étais retiré de beaucoup d'affaires, ce qui m'avait permis de ramasser une bonne réserve d'argent. Mais je ne pouvais presque plus rien acheter ou vendre à Valfons. Ça en est là : ils contrôlent tout le gros commerce. Alors j'ai voulu quitter la ville discrètement pour me réfugier chez un cousin. Bérard avait réussi à arranger ça et je suis parti avec ma fille et quelques hommes à moi. C'était avant-hier soir. On espérait passer inaperçu un soir de fête comme ça, mais ils nous ont retrouvés, ils ont tué les gars qui m'accompagnaient, et ils ont enlevé ma fille.

Voilà, j'en ai fini. J'espère que vous ne me jugerez pas trop sévèrement. Je vous assure que je regrette de m'être sottement mêlé à tout ça. Maintenant, peut-être comprenez-vous pourquoi je vous ai fait évader ? »

Marius retint son rire en entendant parler de la cargaison de vin perdue dans Sombrefeuille, c'était en effet l'une de ses meilleures prises de la saison passée.

Il essaya de démêler du mieux qu'il put les explications de Maître Alaudet. Tout ça n'était pas très clair, cet homme avait frayé avec des sorciers, brûleurs d'entrepôts et de marchandises , voleurs d'enfants, qui lui avaient volé sa fille et convoitaient sa phynance.

"Si j'ai bien tout compris, vous êtes une victime récurrente des rapaces en tout genre à ce que je vois" dit il en essayant de rester impassible.

- "Et si je comprends bien aussi, vous nous avez libérés pour que nous retrouvions votre fille afin de la libérer à son tour ?", ajouta Din.

« C'est bieng ça. » fit Bérard. « Ça vous paraît peut-être tordu, mais ong a pensé que c'était la meilleure chose à faire. Déjà, il fallait qu'ong soit bieng sûrs de ce qui s'était passé l'autre soir et de l'endroit où étaient partis les marauds, et ç'aurait pas été simple d'aller vous demander tout ça à la prisong, avec eng plus des tas d'oneilles indiscrètes autour.

Et puis surtout, vous êtes les seuls à connaître les têtes des ravisseurs à part maître Alaudet et moi-même. Mais mong maître ne peut pas se risquer dans une affaire pareille, ni moi nong plus. Si maître Alaudet se promenait dans les rues de la ville pour mener une enquête, il se ferait poignarder eng moins d'une heure sans une bonne escorte. Et moi, ong sait bieng que je travaille pour lui. Vous, eng revanche, vous n'êtes pas connus, par ici.

Bieng sûr, il y a ung défaut dans le plang, vous me direz : c'est que les ravisseurs, eux, n'auront sans doute pas oublié vos têtes. Mais ong va contourner le problème. Aujourd'hui, c'est le carnaval de Valfons. Toute la journée, il y aura des défilés et des gens costumés dans toutes les rues. Ong va vous fournir des habits et des masques, de cette façon vous devriez passer inaperçus ; au pis, si vous les perdez, vous risquez quand même beaucoup moins que moi, par exemple. Les gens de la confrérie ont des hommes de mains partout, et les nouvelles vont vite dans les quartiers ung peu douteux où vous aurez à vous rendre. »

« Je pense que vous avez compris que ce sera plutôt périlleux. » reprit Alaudet. « Sachez que je suis vraiment désolé de devoir en arriver là, mais sans vous, je ne vois plus comment retrouver ma fille. Et si vous devez réussir, je suis encore assez riche pour vous récompenser. »

Marius ne sut quoi répondre. Désormais libre, il souhaitait avant tout retrouver ses compains et récupérer tout les biens qu'il avait secrètement cachés dans divers recoins bien dissimulés de la Tour et de ses environs.
Ayant récupéré Cumulus, il lui tardait de reprendre la route et de se faire oublier un certain moment par les autorités, en attendant que ce fatras à la tête du Duché de Gasconnie se calme de lui même.

Partir à la recherche d'une enfant dont il n'avait jamais vu le visage ; avec des compagnons inconnus (et étrangers pour certains) ne lui semblait guère attirant et qui plus est, hautement dangereux. Il avait échappé à la corde une fois, cela lui suffisait amplement.

Délaissant inconsciemment la conversation avec le sir Alaudet, il s'approcha d'une des fenêtres de la pièce et jeta un œil au dehors. La neige ne tombait plus et la rumeur de la fête lui parvenait. Il pensa à Agasse son faucon pèlerin apprivoisé qu'il n'avait pas revu depuis le soir de sa capture. Machinalement, il émit le petit sifflement habituel qu'il poussait pour que l'oiseau revienne à lui. Il attendit quelques instants, mais rien ne se produisit. Marius, déçu, retourna auprès des compères qui discutaillaient sur les détails de leur mission.

« Eh bieng, qu'eng dites-vous ? » demanda Bérard après un temps de silence. « Êtes-vous prêts à nous aider ? Sincèrement, je pense que vous feriez bieng d'accepter. Si vous vous montrez prudents, vous arriverez à échapper à la milice dans les bas quartiers, mais n'espérez pas quitter la ville facilement. Vous savez que toutes les portes sont bieng gardées, et ong s'attend sans doute à ce que les prisonniers qui ont pu s'évader la nuit dernière essaient de sortir de Valfons dès que possible. Maître Alaudet quittera lui-même la cité dès qu'il aura retrouvé sa fille, et il est prêt à vous emmener avec lui. Sans sa protectiong, vous serez tôt ou tard pendus, à présent ; vous, eng particulier. » ajouta-t-il en se tournant vers Marius qui semblait peu intéressé par la discussion. « Si nous vous avons vous aussi enlevé à vos geôliers, ce n'est pas, je le crains, par pure bonté d'âme, c'est parce que nous vous connaissons de réputationg. Avec vos trois compagnons, vous devriez être en mesure de retrouver la fille de maître Alaudet. Vous tous, prenez cette missiong comme le paiement de votre dette envers mong maître -ou votre meilleur espoir de sauver votre tête. Eng tout cas, décidez-vous rapidement. Chaque instant que nous passons en palabres diminue nos chances de retrouver la fille de maître Alaudet en vie, voyez-vous. »

Marius considéra Bérard avec mépris quand celui ci le montra du doigt. Diable, tout le monde connaissait sa tête désormais, jusqu'au premier manant venu de la Tour...?

Après tout il devrait aider Alaudet, fut ce au moins pour le remercier de l'avoir libéré. Voyant le mutisme dans lequel restait ses trois compères, il prit la parole.

"j'suis votre homme messire, j'vous dois bien ça, et si j'veux retourner en ma Sombrefeuille, j'ai pas l'choix. Que d'vons nous faire?" Demanda t-il

Din allait répondre quand Marius le devança. Il laissa parler celui-ci et ajouta :

- "vous m'ôtez les mots de la bouche. Messire Alaudet, mon bras et celui de Beppe sont à votre service. Nous retrouverons votre fille. Maintenant, reste à savoir comment..."

« Bieng, » fit Bérard, l'air soulagé, « ong n'eng attendait pas moins de vous. Et pour ce qui est de savoir comme vous ferez, ong y a pensé. Le première chose à faire, c'est de savoir qui sont les ravisseurs et surtout qui les a payé pour leur sale besogne. Je crois qu'ong peut être sûr que c'est la confrérie qui nous les a envoyés, mais ong ne connaît pas les chefs de cette sacrée confrérie. Une fois qu'ong saura qui sont ces ribauds et qui les emploie, ong aura au moins deux endroits à visiter : la planque des brigands, si on arrive à la trouver, et la demeure de l'employeur. C'est notre seule piste pour l'instant.

Ong n'a plus le temps de finasser ni de faire une enquête discrète, il va falloir demander carrément les renseignements aux gens qui les ont. C'est pour ça que c'est crucial qu'ong ne sache pas que vous êtes envoyés par mong maître.

Vous allez vous rendre immédiatement dans le quartier nord de la ville, le quartier pauvre, là où la plupart des truands passent la journée. Je connais assez bieng l'endroit et ses usages, et je pense que la meilleure chose que vous ayez à faire, c'est de trouver ung homme appelé Gombault la Barrique. C'est ung joueur et ung ivrogne qui a toujours des dettes à éponger, il devrait se montrer bavard. Ne lui laissez eng aucung cas deviner qui vous a demandé de venir le voir. Demandez-lui simplement tout ce qu'il sait sur l'enlèvement de la fille de maître Alaudet. Ou je me trompe du tout au tout, ou il crachera l'essentiel de ce qu'il y a à savoir. Voilà de quoi le faire parler. » ajouta-t-il en tendant une bourse rebondie à Din (qui devait lui paraître le plus honnête du lot).

« Il ne devrait pas trop vous poser de questions. Ça ne se fait pas trop dans ce milieu. Mais s'il le fait, évitez d'y répondre. S'il vous donne des pistes vraiment intéressantes, envoyez l'ung de vous comme messager ici, et attendez les renforts, ou alors agissez vous-mêmes immédiatement, selong ce qui vous paraîtra le mieux. N'oubliez pas que le temps joue contre nous. Ong aura de la chance si ong retrouve la fille de maître Alaudet vivante.

Le plus dur, ce sera peut-être de trouver ce foutu Gombault. Je vais vous indiquer les tavernes où il pourrait se trouver. Ensuite, quand vous l'aurez fait parler, je pense que ce qu'il y a à faire deviendra clair. Le problème, c'est que contre quelques piécettes, il racontera au premier venu que vous vous intéressez à l'affaire de l'enlèvement, et ça va forcément vous attirer des ennuis. Mais c'est le seul moyen d'avoir rapidement des informations.

Ong va vous apporter des masques et des costumes de carnaval et vous prendrez quelques armes avec vous. Si tout est clair, et si vous n'avez pas de meilleur plan à proposer, vous partirez immédiatement. »

Din, Beppe, Guyon et Marius pataugeaient dans la neige boueuse des rues du quartier pauvre de Valfons depuis maintenant trois bonnes heures, et la matinée était à présent bien avancée. Jusqu'alors, leurs masques et leurs déguisements -au demeurant assez grotesques et peu pratiques- leur avaient permi de se fondre sans peine dans la foule joyeuse qui envahissait peu à peu les ruelles, même en cette partie misérable de la ville, sur les rives plus ou moins marécageuses de la Cèze, la rivière de Valfons.




Ils s'étaient rendus dans presque toutes les tavernes que leur avait indiquées Bérard, en vain. Tous les gens qu'ils rencontraient, ou peu s'en fallait, leur assuraient avoir vu le fameux Gombault la veille au plus tard, mais nul n'était capable de dire où il se trouvait à présent. Fort aimablement, on leur indiqua à peu près tous les tripots du quartier, et ils s'y rendirent avec à chaque fois l'espoir de découvrir enfin le digne personnage que l'on surnommait la Barrique.

Ils avaient cherché leur homme au Chat qui Pisse, au Gobelin Malade, à la Barbe-en-Couille, au Baron-Héron et en bien d'autres lieux horrifiques. La fameuse auberge du Vit de Bois était la suivante sur leur liste. Nonobstant l'heure assez matinale, l'endroit était déjà plein de buveurs au teint pourpre et au regard vague. À leur grande satisfaction, le tenancier de l'établissement put à leur demande leur désigner le sieur Gombault la Barrique, qui buvait dans un coin sombre de la salle.

Marius regarda l'homme que le tenancier leur désigna. Son visage lui était familier. Il avait déjà du le croiser dans une auberge auparavant, il y a plusieurs mois, au Poney Fringuant sans doute (HRP ).
Se tournant vers Din et Guyon, il les interrogea du regard, que fallait t-il faire désormais? Il prit résolument la parole :

"Voilà notre homme compains, faut aller lui parler le plus discrètement possible, afin d'éviter que les manants éméchés ne viennent entendre ce que nous avons à lui dire, plus vite nous serons sortis, plus vite nous pourrons retrouver la gamine d'Alaudet."

Din approuva d'un hochement de tête. Puis, il demanda :

- "Marius, ne croyez-vous pas qu'il vaudrait mieux que ce soit vous qui parliez ? Après tout, vous êtes d'ici, je veux dire de Bretonnie, et je ne sais que trop bien maintenant combien un étranger peut provoquer des réactions hostiles. Il suffit que j'ouvre la bouche pour qu'on ait envie de m'étriper !"

"Ah j'suis bieng de l'avis du m'sire Tiléen, et personnelement, je jacques peu et avec encore moins d'esprit qu'en faut pour pas se faire détrousser par les taverniers, alors faire des finauderies ça j'y arriverai point."

Marius regarda ses compains à travers son masque, puis se dirigea dans le coin où se trouvait le sire Gombault. Les deux acolytes le suivirent mais restèrent en retrait, suffisamment près cependant pour entendre ce qui se dirait. Marius prit un tabouret et le posa de façon à se retrouver face à Gombault la Barrique.

Marius entama la conversation en parlant aussi bas que possible, pour éviter d'éveiller l'attention des clients alentours.

"Alors mon gars, est ce toi que l'on nomme Gombault la Barrique?" fit il en enlevant son masque qui l'encombrait. Le conserver plus longtemps s'avérait inutile avec le peu de lumière qui arrivait jusqu'à leur table.

L'homme eut un léger rire, puis un hoquet, et se redressa, les coudes sur la table, les mains dans sa chevelure grasse. Gombault la Barrique méritait à l'évidence son sobriquet : c'était le moins présentable des buveurs du Vit de Bois, ce qui était beaucoup dire. Il jeta un œil las sur Marius, puis sur ses trois compagnons, avant de revenir à Marius.

« Nang, c'est point moi. » répondit-il. « Mais j'y ferai la commissiong. Que vous lui voulez quoi, à la Barrique ? C'est encore quéqu'ung qu'y lui faut song argent, c'est ça ? Faut qu'il arrête de boivre à crédit, eh. »

Marius ne fut pas décontenancé par la négation de l'individu. Il reprit à voix basse :

"Je sais que c'est toi la Barrique. tout le monde te connait ici. Le tenancier nous a désigné ta trogne quand on a demandé ton nom. Il s'agit pas de vinasse mais d'affaires plus importantes. Ya une gamine qui s'est faite enlever il y a peu dans les ruelles de la cité. Est ce que tu sait quelque chose à propos de cette histoire? réfléchis bien, nous pourrions te donner de la phynance pour te récompenser, ainsi tu pourrais remplir ta barrique tant que tu le voudrais..."

La Barrique poussa un long soupir de soulagement, projetant son souffle aviné dans les naseaux de Marius.

« Eh, j'aime mieux ça, mong gars. T'es sot, aussi, de pas me dire pourquoi que tu veux me parler, ducong, que j'as cru que tu allais me réclamer du pèze. Mais si c'est comme qui dirait pour ung renseignement, alorsse, ji tou le dis de suite : tu as frappé-z-à la bonne porte, cong. Et pisque tu as de la phynance, j'as du temps. »

Il vida son gobelet de vin d'un trait et l'agita gauchement à l'adresse de l'aubergiste, qui vint le lui remplir.

« C'est messire eng face de moi qui régale, heing, messire ? Que parler, ça me donne soif et j'as laissé mong blé dans mong autre bourse, c'est bête. »

Il assécha immédiatement son gobelet et le cogna sur le bois crasseux de la table pour rappeler l'aubergiste.

« Si que tu me vas donner phynance, mong péquélet, alorsse ji serai bavard, cong, et tu sauras tout et le reste. Mais va falloir être plusse précis, j'ai beng peur. Que des morveux qui s'envolent, pouf, y'en a pleing ces temps-ci. C'est même qu'y a que ça, cong. T'es pas d'ici, que ça se voit. Ji vas te le dire gratis, ça fait beng des jours que des gosses y sont volés par cheu nous, cong. Deux, trois par jour, eh, pour le moins. 'Paraît qu'y a comme qui dirait ung seigneur qu'aurait des goûts spéciaux, si tu vois ce que je t'intitule, mong gars. Ong m'a même dit que ce serait notre bong marquis Foulques qui se serait lassé des chèvres, ouais, ça m'étonnerait pas. »

Il baissa légèrement la voix, prit un air de comploteur et s'approcha de Marius.

« Enlever des gosses, c'est devenu le truc qui rapporte, par cheu nous. Avé des tas de types pas commodes qui trempent dedans, et les gars qui les emploient, pour sûr qu'y sont richards, pisqu'y réussissent à faire qu'on sait pas qui c'est, et qui paient foutrement bieng, qu'ong dit. Alorsse, j'as pas envie de prendre des risques pour trois coups de rouge. Je serais beng étonné si je pourrais pas t'aider et te dire tout ce que tu veux entendre, mais d'abord, faudra prouver que tu as la phynance pour ça. Et que ça va te coûter bonbong, rapport au danger, tu piges ? Ensuite, y me faudra le nomg de la gosse. Et si que tu as tout, alorsse, vas-y Machin, ça roulera pour moi. »

Marius saisi l'homme par le poignet et le fit lâcher son gobelet vide.

"Commence par arrêter de pomper la phynance que tu n'as pas encore gagné maraud et ouvre grand tes oneilles. Voici de quoi calmer tes principaux soucis" fit Marius en déposant sur la table une bourse rebondie. L'homme ouvrit des yeux grands comme des soucoupes. Marius resserra l'étreinte sur le poignet de la Barrique et l''obligea à le regarder dans les yeux.

"Il s'agit de la fille du Sieur Alaudet, commerçant bien connu dont tu as surement déjà entendu parler, je gage. Commence par nous dire ce que tu sais de sa capture, nous verrons mes compains et moi si ce que tu as à nous vendre vaut son pesant d'or..."

« Du calme, mong gars. » fit la Barrique en jaugeant la bourse d'un regard. « Doucement. Que tu as de la veine que je sois pas le mauvais homme. Toi, tu es pas d'ici, et par ici, justement, ong aime pas les gens d'ailleurs qui font les fiers. Fais le maling avec ung autre que moi, tu le sentiras passer.

Bong. Alorsse. La gamine du brave maître Alaudet.

Avant-hier soir, Alaudet a essayé de se tirer de Valfons eng douce, vu rapport à ce qu'ong dit qu'il aurait des choses à se reprocher et des gens qu'ils y eng veulent à sa peau flasque. Ça fait longtemps qu'il avait des tueurs qui le guettaient, celui-là. Je peux vous donner leur nomg, à ceusses-là, mais si c'est seulement la fille qui vous intéresse, pas besoing de risquer de se faire planter. Qu'ils ont le couteau agile, ces salauds-là, oh, cong.

Alaudet a pas pu se barrer vu qu'ong l'y a envoyé onze types l'y faire la peau. Leur boulot, c'était de massacrer le bourgeois et surtout d'y prendre sa fille. Z'ont réussi à avoir la fille, le bourgeois eng a réchappé. Sur les onze, quatre sont point rentrés au bercail, et ça fait lourd pour une bande qu'était pas faite avec des petits bras.

Je peux aussi vous dire que pour autant que je sache, la fille d'Alaudet a de bonnes chances de finir là où finissent tous les gosses qu'ong enlève ces temps-ci. Seulement cette fois, c'est une gosse de riche, et pas ung pauvre morveux qui mendie dans les rues. Ça va se remarquer, et peut-être même qu'y aura une enquête bidong de la milice. Ce sera drôle, tiens.

Les gars qu'ont pris la fille sont de la guilde de la Harpe, une des grosses confréries de Valfons pour ce qui est de couper proprement des oneilles. C'est là que ceusses-là qu'ils ont ung peu les moyens vont chercher des types ung peu doués pour balancer ung gars dans la Cèze, ou bieng taillader la face d'ung pauvre buveur qu'a moqué quelqu'ung qu'y fallait pas. Font aussi les enlèvements, des fois, et ils ont eu du boulot, ces derniers temps.

J'eng dirai pas plus sans être payé. Je vous ai donné quelques précisions qu'elles sont déjà bonnes à prendre, et qu'elles méritent bieng ung peu de phynances, je dis. Et si vous êtes prêts à-z-y mettre le prix, vous aurez les noms et le portrait horrifique des marauds qu'ont pris la gosse, ousqu'y peuvent se trouver eng ce moment, ousqu'ils ont dû caser la fille, et même peut-être ung peu plus, si j'ai de bonne phynance. »

Marius poussa la bourse en direction du buveur.
"Tiens voila pour ce que tu viens de débiter ! "

Il fit un signe de tête à Guyon qui posa une seconde bourse non moins rebondie que la précédente.

"Maintenant j'attends la suite." repris Marius.

Il fallait en apprendre le plus possible avant la tombée de la nuit désormais, et la lenteur à laquelle se démêlait cette histoire exaspérait le herrimault.

« C'est déjà mieux. » fit Gombault la Barrique avec un large sourire. « Tu vois, quand tu veux. »

Il reprit son histoire tout en jetant un œil au contenu de la bourse.

« Le chef de la bande qu'a enlevé la gosse s'appelle Tiécelin le Corbeau. Un grand gars à barbe brune, genre bieng vêtu, et qui sait causer, ouais. Ses hommes sont cons comme des oies, mais lui, faudra t'eng méfier si que t'as affaire à lui.

Le soir oùsqu'il a enlevé la fille, il avait pris dix gaillards avec lui. Mais y eng a six qu'étaient des marauds ramassés pour l'occasion. C'est même pas la peine de vous occuper de ces types : ceusses-là, y savaient pas ce qu'y-z-allaient faire ce soir-là, seulement qu'y fallait obéir au Tiécelin et qu'y-z-auraient de la phynance si qu'y faisaient du bong boulot. Et probable qu'y savent toujours pas qui y-z-ont aidé à enlever. C'est ung truc qui se fait souvent, ici, de recruter des coupe-jarets à la journée sans leur rieng dire. Ça évite que les gars bavardent.

Si qu'ong oublie les six zigomars, reste Tiécelin et ses quatre bons amis, ceusses qui sont vraiment de la bande. C'est ceusses-là qui peuvent vous servir. D'abord, y a Tibert, un sale gars, cong. Les épaules larges, chauve, une grosse balafre à la joue droite, toujours avec ung grand coutelas genre boucher à la ceinture. Celui-là, avec la tronche qu'il a,vous le raterez pas, si que vous le croisez. Pis y a Grimbert et Musart, deux frères. Grimbert, l'a mouru le soir de l'enlèvement, et c'est pas moi qui pleurerai, cong ! que je suis sûr que c'est lui qui m'avait piqué ma vieille pipe eng bois. Musart, l'est pas bieng grand, avec rieng de très particulier, sauf qu'y porte toujours ung bonnet de cuir et des grandes bottes de cavalier, même eng ville, pour se donner un genre, ce comique qu'a même jamais dû monter ung âne, je gage. Le dernier se nomme Belin. Le plus couillong de tous. L'a les cheveux courts, et y se cogne le front aux poutres quand le plafond est ung peu bas, cong.

Et maintenant, je vas vous eng dire des choses que vous eng aurez pour votre phynance, mes doux agneaux. »

La Barrique baissa encore le ton de sa voix et poursuivit.

« Ces temps-ci, ou je me trompe fort, ou la bande au Corbeau se terre dans une vieille maisong abandonnée qu'ong appelle la Merdre-au-Culte, rapport qu'avant, c'était une auberge qu'avait ce nomg-là. Cherchez la rue des Tripiers, à deux pas d'ici. Tout au bout de la rue, vous trouverez une vieille fontaine ; la maisong de la Merdre-au-Culte est dans l'impasse à droite de la fontaine. Pouvez pas vous tromper de crèche : sur la façade de la maisong, y a encore la vieille enseigne de l'auberge, ung cochong qui chie dans le saint Graal.

Si que vous y allez eng journée, vous devriez trouver des choses intéressantes, ça se pourrait. Les gars sont certains que personne connaît leur planque, mais moi, je sais tout, ouais, garanti sur facture. Y se méfient pas. M'étonnerait quand même qu'y gardent les gosses qu'y-z-enlèvent là-bas, mais qui sait, hein ?

Le Tiécelin, ong sait pas ce qu'y fait le jour. Y va peut-être voir ses amis les riches. En tout cas, ong le voit pas ici avant le soir. Tibert et Belin, y dorment, pendant la journée, ou alors y boivent. Musart, c'est le seul qui pourrait traîner dans le coing, je dirais. L'est souvent à vagabonder. Mais ces temps-ci, la bande a de la phynance, ça se voit, alors y va souvent aux putes. Possible que vous trouviez personne à la Merdre-au-Culte. »

La Barrique s'interrompit pour boire un horrifique trait de vin.

« Alorsse ? C'est-y pas beau, tout ça ? Ça vaut bieng ung peu de phynance, cong. »

Marius se leva et en moins de temps qu'il ne fallait pour l'écrire, il avait repris la seconde bourse et l'avait replacé dans sa poche.
L'ivrogne mit un temps à s'en apercevoir et quand il commença a grogner, Marius lui répondu assez sardoniquement :

"Ce que tu nous a vendu mon gars, vaut a peine le contenu de la première bourse, Tu verras le reste uniquement lorsque nous aurons récupéré la gamine. Qui dit que tu nous envois pas dans un coupe-jarrets? C'est la cour des miracles l'endroit que nous a décrit et j'ai bien envie d'aller y faire un tour immédiatement."

Sur ce il se tourna vers ses compagnons et les invita à sortir de l'auberge, ignorant les injures du poivrot lésé.
Une fois dehors il se tourna vers Din et Guyon et leur demanda leur avis, fallait il retourner chez Alaudet récupérer des hommes pour les aider à délivrer la gosse, ou fallait il tenter de la récupérer tout de suite...? Les paroles d'un sagouin comme la Barrique valaient elle confiance?

"A mon avis", répondit Din, "on va devoir y aller seul. J'ai le sentiment que messire Alaudet ne bougera pas, et ne fera pas bouger ses hommes. Il préfère les garder près de lui."

Din chercha dans le regard de ses compagnons un signe d'approbation. Puis, il enchaîna :

"Je propose de nous rendre à l'endroit indiqué par... par ce... cet ivrogne, et de tâcher de nous rendre compte par nous-mêmes de la situation là-bas. Nous devrions pouvoir, si nécessaire, rebrousser chemin et aller quérir main forte. Qu'en pensez-vous ?"

Il ne fallut pas longtemps à Din et à ses compagnons pour trouver la rue des Tripiers, déjà encombrée de passants en cette froide matinée. Autour d’eux, les commerçants qui avaient donné son nom à la rue vantaient à grands cris la qualité de leurs langues, rognons et ris de veau. Déguisés comme ils l’étaient, ils passaient à peu près inaperçus parmi la foule de badauds et de joyeux fêtards qui attendaient l’heure de la grande procession qui devait clore le carnaval de la cité.

Après quelques tâtonnements, ils parvinrent à l’impasse de la Merdre-au-Culte, dont l’entrée était, comme Gombault la Barrique le leur avait dit, signalée par une vieille fontaine dont l’eau avait gelé.



L’auberge abandonnée de la Merdre-au-Culte se trouvait au fond de l’impasse, ornée de sa fameuse enseigne, un verrat hilare déféquant dans le saint calice de la Dame. Les alentours semblaient déserts. Les seuls bruits qui parvenaient dans l’impasse étaient ceux de la rue des Tripiers toute proche. La vieille auberge, mal bâtie et perdue au bout de cette impasse misérable, avait sans doute été en son temps une taverne fort peu recommandable.

La plupart des fenêtres étaient condamnées par des planches clouées sans grand soin. La porte paraissait verrouillée, mais un coup de pied un peu vigoureux suffirait sans doute à l’enfoncer, tant elle était en piteux état. La maison comportait deux étages, apparemment vides pour le moment.

En se dissimulant derrière une clôture et un amas de tonneaux couverts de neige à quelques pas de là, on disposait d’un endroit commode d’où surveiller l’entrée de l’ancienne auberge sans guère risquer d’être vu soi-même. Y demeurer quelque temps en observation serait peut-être faire montre de prudence, mais il n’y avait aucune trace visible de la bande de Tiécelin le Corbeau dans les parages, et les chances de retrouver la fille de maître Alaudet en un seul morceau s’amenuisaient d’heure en heure.

"Je ne sais pas ce que vous en pensez", dit Din, "mais je propose d'enfoncer prestement cette porte et de surgir comme des démons d'un portail du Chaos. Je suis dans l'idée qu'une approche prudente et méticuleuse nuirait à notre mission, et j'ai la rapière qui me démange de rendre à ces messieurs la monnaie de leur poche pour ce qu'il m'ont fait subir ces derniers jours."

Din acheva sa phrase et se rendit compte qu'il avait déjà empoigné la garde de son arme, prêt à la sortir de son fourreau...

"Doucement mon gars !" fit Marius à l'adresse de Din... "faut réfléchir un peu avant au lieu d'agir n'importe comment. Cette maudite auberge m'a l'air vide, contrairement à ce que nous à dit cette barrique à deux pattes..." fit Marius, songeur...

"Je te propose d'aller jeter un oeil dedans, en compagnie de Guyon, pendant ce temps je ferai guet. Allez y !"

"Ah ! messire est prudent...".
Din ne put réprimer un élan d'ironie. Mais il devait s'avouer que le Marius avait raison : un peu de prudence ne nuirait pas à nos santés.

Empoignant Guyon par le bras, et Beppe par le regard, Din s'avança vers la porte de l'auberge "abandonnée".

Il commença par jeter un coup d'oeil par une étroite ouverture dans les planches qui recouvraient les fenêtres du rez-de-chaussée, afin de s'assurer qu'aucun coquin ne s'apprêtait à faire des coquineries...