Le Royaume de Bretonnie
Bienvenue en Bretonnie, manant(e) ! N'oublie pas, avant toute chose, de te présenter selon le Sainct Patron de Présentation dans la section prévue à cet effet : https://labretonnie.forumactif.com/t1-presentation-voici-le-patron-que-vous-devez-suivre
Le Royaume de Bretonnie
Bienvenue en Bretonnie, manant(e) ! N'oublie pas, avant toute chose, de te présenter selon le Sainct Patron de Présentation dans la section prévue à cet effet : https://labretonnie.forumactif.com/t1-presentation-voici-le-patron-que-vous-devez-suivre
Le Royaume de Bretonnie
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
Dernières imagesAccueilRechercherS'enregistrerConnexion
-50%
Le deal à ne pas rater :
-50% Baskets Nike Air Huarache Runner
69.99 € 139.99 €
Voir le deal

 

 Tournoi de trébuchets du Chesnois

Aller en bas 
+5
Toison d'or
Alain de Saint Jean
ethgri wyrda
Lord del Insula
Mictlantecuhtli
9 participants
Aller à la page : Précédent  1, 2, 3
AuteurMessage
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyJeu 6 Juil 2023 - 0:16

LE TOURNOI DE TRÉBUCHETS DU CHESNOIS - À l'aube du deuxième jour


Une nuit sans lune enveloppait le Chesnois dans son épais voile d’ombres. De la plus humble masure jusqu’au château du Lord, chacun dormait à poings fermés, rompu par les évènements de la veille. Les sentinelles elles-mêmes – pourtant assignées à l’importante surveillance des frontières – somnolaient sur leurs selles dans un équilibre précaire.

Par un sentier de la forêt d’Arden, nul n’entendit ni ne vit s’approcher un étrange convoi constitué d’une litière, de quelques hommes d’armes et d’une paire de cavaliers. Deux porteurs de flambeaux munis de courtes épées ouvraient la marche. La mine fatiguée, ils levaient et abaissaient sans relâche leur bras armé, taillant les innombrables ronces susceptibles d’entraver la colonne dans sa progression. Suivaient à cheval un héraut en tenue d’apparat, ainsi qu’un jeune écuyer juché sur le dos d’un imposant étalon noir caparaçonné. Adolescent ou très jeune adulte, tout dans sa physionomie trahissait le manque d’assurance. Il ne se sentait pas à sa place, et ce sentiment était exacerbé chaque fois qu’il se risquait à jeter un œil par-dessus son épaule. La raison de ce malaise traînait le pied moins d’une toise derrière lui : harnaché à la litière en lieu et place d’un cheval de trait, un colosse en cotte de mailles et tabar rouge suait à grosses gouttes sous le poids qui lui écrasait les épaules. Depuis quatre jours que durait ce voyage, il tenait le rôle d’une bête de somme, portant son fardeau jusqu’à la limite de ses forces ; limite dont chaque pas le rapprochait inexorablement. Epuisé par des heures de marche sans repos, il ne fallu guère plus qu’un nid-de-poule dissimulé par quelques feuilles mortes pour le faire trébucher, ébranlant la litière. Cet incident attira l’attention de toute l’escorte, brusquement immobilisée dans un silence de tombe. Le porteur raidit ses jambes et prit une profonde inspiration. Il allait se remettre en mouvement, lorsqu’une main écarta les tentures brodées. D’un geste sec et impérieux, elle pointa vers le sol.  

« Posez, messire » annonça le héraut sur un ton de compassion.  
                         
Sans un mot, sans un soupir, Baldwin de Vertval, s’extirpa du joug avant de déposer les deux brancards aussi délicatement qu’il lui était possible. Un homme d’armes se précipita alors depuis l’arrière-garde afin d’écarter les draperies au flanc du véhicule. Quelques instants s’écoulèrent, puis un bâton noueux à pointe ferrée vint se ficher dans l’humus du sous-bois, offrant appui à un personnage vêtu d’un long manteau de voyage, dont les traits étaient dissimulées par une ample capuche. Sa démarche était raide et lente. Quelque chose devait entraver ses mouvements. Mi par convenance, mi par épuisement, Baldwin se laissa choir sur un genou.

« La leçon est-elle assimilée ? s’enquit le seigneur d’Aurevallis d’une voix à peine plus haute qu’un soupir.
Elle l’est, monseigneur. »

Il n’y avait aucun ressentiment dans le chef de Baldwin. Sa transgression, il l’a reconnaissait et en acceptait les conséquences. Lorsque son seigneur lui avait dicté une lettre incendiaire à destination du chambellan, il avait osé en altérer les termes. Rien moins qu’un faux en écriture, dont Aurevallis avait pris connaissance au retour de son messager.    
Si l’on se balançait à une branche pour moins que ça (après éviscération et écartèlement d'usage), un lien indéfinissable unissait Baldwin à son seigneur et le protégeait toujours du pire. Le premier se savait dépositaire de la confiance et du respect de son maître, tandis que le second trouvait en Baldwin le plus grand défenseur de ses intérêts.
Même si son orgueil nobiliaire ne lui permettrait jamais de l’admettre, Aurevallis savait en son for intérieur que l’intendant était bien meilleur diplomate que lui.

« Par quelques coups de plume, il a su m’éviter une brouille à l’issue très incertaine », pensa-t-il en gardant les yeux rivés sur le pénitent.

D’un claquement de doigts, il invita Baldwin à redresser la tête. Leurs regards se croisèrent quelques secondes. Assez pour comprendre que l’ardoise était effacée. L’intendant avait agit par nécessité, sans penser à lui-même, et la faute venait d’être expiée par un châtiment dur, certes, mais symbolique. Les apparences étaient sauves.  

« En selle », lança Aurevallis avant de rejoindre la litière.

Baldwin se sentit déborder d’une énergie nouvelle. Bien que ses membres le fassent souffrir, il se sentait capable de chevaucher durant des heures avant de s’effondrer. Du moins, si cela s'avérait nécessaire. L’escorte fut traversée par des soupirs de soulagement, dont le plus bruyant échappa au jeune écuyer. Tout à la joie de retrouver sa juste place, il sauta au bas du grand étalon, manquant s'acraser face contre terre, et présenta l’étrier à son véritable propriétaire. Baldwin se hissa avec un grognement satisfait.

La colonne se remit en mouvement sans plus attendre. Une demi-heure plus tard, les deux hommes de tête laissaient échapper une exclamation de soulagement : ils venaient d’atteindre l’orée de la grande forêt. Devant eux, des pâturages piqués de haies et de bosquet s’étalaient en pente douce jusqu’à une courbe de la Grismerie. Dans le lointain se devinait le château du Chesnois ainsi que le bourg de Rèmes ; guère plus que des taches noires sur le ciel étoilé. Restait à trouver un moyen pour traverser le fleuve.

Parti en éclaireur, Baldwin longea la berge et finit par repérer une grande barge amarrée sur l’autre rive. Ses appels eurent tôt fait de réveiller les matelots qui ronflaient sur le pont. De mauvaise grâce, mais motivés par les menaces de châtiment (le nom d’Aurevallis commençait à avoir une certaine réputation), l’équipage accepta de manoeuvrer son bateau jusqu’à le positionner en travers du courant. Le temps de la traversée s’avéra fort instructif. Questionnant le capitaine, Baldwin apprit qu’il était au service d’un des participants du tournoi, le sire Osbourne, dont il devait véhiculer le trébuchet. Pour autant que ce marin astreint à la surveillance de son embarcation pouvait en juger, l’issue de la compétition était toujours pendante au soir du premier jour. Baldwin s’empressa de rapporter l’excellente nouvelle à son maître : ils n’arrivaient pas trop tard.              

Une fois la troupe débarquée, elle coupa à grande allure au travers de plusieurs vignobles jusqu’à atteindre le sommet d’une colline. Dans l’obscurité, le jeune écuyer posa le pied au beau milieu d’une flaque de matière visqueuse et collante.

« Beeeeeh !, laissa-t-il échapper en voyant les longs filaments de bave s’étirer sous sa semelle.
Ben’vnu au Ches’nois, fieu ! » s’esclaffa l’un des hommes d’armes, déclanchant un fou rire parmi les gueux de l’escorte.    

Sans tenir compte de ces bêtises, Baldwin examinait le paysage, cherchant le plus court chemin parmi les formes indistinctes que commençaient à colorer les premières lueurs de l’aube. Revenant à hauteur de la litière, il se pencha vers son occupant :

« La demeure du Lord est à vue, monseigneur. Nous devrions pouvoir la rallier dans une heure.
Bien. Annoncez donc notre approche comme il se doit », commanda Aurevallis avec un sourire narquois.
 
Sur un hochement de tête, Baldwin éperonna son cheval vers les bagages. En ayant extrait une longue hampe à l’extrémité de laquelle était enroulée une étoffe, il regagna au grand galop la tête du convoi. À son ordre, le héraut empoigna l’oliphant qui lui pendait à la ceinture et y vida ses poumons en une longue expiration. Le bruit assourdissant roula comme le tonnerre sur les toits de chaume, résonna dans la moindre ruelle, s’engouffra dans les nombreux escaliers en colimaçon du château pour en ressortir amplifié. Les étoiles mourantes se virent remplacer par une multitude de chandelles allumées précipitamment derrière chaque fenêtre. Les chiens hurlèrent à la mort, tandis que chevaliers et roturiers, tirés sans ménagement d’un sommeil réparateur, fourbissaient leurs armes dans la crainte d’un assaut des hommes-bêtes. L’agitation retomberait bien vite.

Tranchant les liens qui la maintenaient enroulée, Baldwin déploya haut la bannière écarlate chargée d’un bourdon géant, qui claqua au vent et resplendit sous les premières lumières de l’aurore.  

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 L_arri10
L'arrivée au Chesnois - enluminure extraite des Très riches heures perdues du sire d'Aurevallis

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Dangorn de Castagne
Protecteur du Sainct Graal
Dangorn de Castagne


Nombre de messages : 6840
Age : 37
Localisation : En queste du Graal dans le Nordland, Marienburg et Naggaroth
Date d'inscription : 28/03/2005

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyJeu 13 Juil 2023 - 21:08

"Quel est donc ce bestiau ?" s'exclama Dangorn, pointant du doigt l'éléphant bleu imaginaire qu'il voyait sur le champ de tir. "Mortecouille, il enfle comme un tarton ! Il porte un coiffu !".

Ainsi s'était terminé la soirée pour Dangorn de Castagne, alors qu'il s'évanouissait ivre mort sur les gradins, son sommeil hanté de monstres pachidermiques polymorphes.

Au petit matin, les festivités reprirent de plus belle. Bien plus tard (quelques minutes avant le buffet du déjeuner), Dangorn refit surface. Le banc sur lequel il s'était allongé plus tôt et duquel il était tombé durant son repos agité se remplissait maintenant de badauds qui souhaitaient assister au spectacle des derniers tirs de trébuchets encore debouts.

"J'espère que mes gueux savent ce qu'ils font" commenta Dangorn, prenant place malgré son mal de tête parmi l'assemblée déjà excitée par l'approche de la finale, ayant déjà oublié que le seul survivant était Founard Le Floc'h, le casseur de trucs.

_________________
Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyVen 14 Juil 2023 - 14:01

Le Lord se passerait volontiers de ce réveil soudain. Émergeant à la fois de son sommeil et au sommet d'un des donjon du Castel, il constatait la cause de ce tumulte. Ainsi d'Aurevallis se joignait à l'évènement.

- Garde, faites quérir Sieur Silvère de Castagne.
- Faisons excuse Milord, mais j'avions pas loisir de libérer cte sainct homme.
- Parbleu mais comment donc ?
- Rapport à cte cousin qui buvions le pinard de Milord pendant nuitée.
- Dangorn ? Par la Dame, cela risque de provoquer une pénurie.
- Yes Milord. C'étions pour empêcher cte affaire que le Messire Silvère y peut poinct vous trouviez. Y se dirait que le stock est sauf. Mais l'autre buveur s'estions carapaté z'avec une bouteille et que vot'chevalier l'étions présentement en train de le cherchions.
- Dans ce cas, convoquez moi de la Gaudriolle.

C'est alors qu'un bruit se fit entendre au niveau de la porte du Castel. Un cavalier isolé sortit à bride abattu et fila à travers les rues dans la direction opposée au cortège des nouveaux arrivants.

- Milord, héla un homme d'arme depuis le chemin de ronde, y avions el'sir de la Gaudriolle qui part en urgence. Histoire de famille qu'y parait-il.

Que faire se demanda le Lord ? Il fallait envoyer une délégation accueillir ce nouvel hôte.

- Milord, l'interpella une voix féminine, ne souffrez-vous pas de nous réveiller de la sorte ?
- Allons Milady, ajouta un autre, n'en faites poinct ombrage. Nous pouvons ainsi profiter de l'air matinal. Somme toute, cela n'est pas si mal.

Le duo que constituait Dame de la Médisance et Sir Goodenough avaient également rejoint le sommet pour s'enquérir de la situation sans que le Lord ne s'en soit rendu compte, tout absorbé qu'il était. Les voir lui donna une idée.

- Milady, s'empressa de répondre del Insula, j'espérais votre présence. Vous savez combien vos services sont précieux et je puis compter sur votre amabilité pour aller accueillir le Seigneur d'Aurevallis qui nous arrive de bon matin et qui ne saurait connaitre meilleure hôtesse.

La flatterie eut l'effet escompté. La royale tante accepta cette mission si importante.

- Sir Goodenough, vous ferez escorte. Et vous m’excuserez auprès d'Aurevallis de ne poinct pouvoir moi-même l'accueillir.

En effet, le Lord devait évaluer les dégâts provoqués par les péripéties nocturnes, ainsi que reprendre les missions de Silvère pour l'heure bien occupé.
Revenir en haut Aller en bas
Agilgar de Grizac
Parangon de vertu
Agilgar de Grizac


Nombre de messages : 2718
Age : 28
Localisation : Pays de la choucroute
Date d'inscription : 03/09/2009

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptySam 15 Juil 2023 - 2:10

Pendant que Pat Bowl et Bill Vesey maudissaient les Bretonniens et leur goût étrange pour les gastéropodes dans leur langue, Robin Osbourne cogitait. Sa batterie Tonnerre-de-Feu, qu'il avait trafiquée lui-même pour en améliorer les performances, était complètement à court de munitions, et malgré la fierté toute personnelle qu'il tirait de son fonctionnement, il aurait quand même préféré déclencher le tir lui-même.

C'est en ruminant ces pensées qu'il marcha dans une substance visqueuse, probablement laissée par un escargot de passage.

"Tiens, tiens...", pensa-t-il, sortant une fiole pour en prélever un échantillon.

_________________
Membre de l'Ordre des Chevaliers du Slip sur la Tête, Première et Seconde Promotions.

Malveillant a écrit:
Râler n'est pas un droit mais un devoir  Mr. Green
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyDim 16 Juil 2023 - 12:10

La nuit avait vu Riton et Orasio débattre sur moult sujets sur les lesquels il n'étaient que très rarement d'accord: astronomie, philosophie, ballistique.
Bref, l'aube les avait surpris sans qu'ils n'aient dormi la moindre minute. De cela ils 'en avaient cure, et repartir de plus belle dans leurs querelles quant à savoir qui aurait l'honneur de régler la machine.

- Z'en mettions du temps, s'impatienta Riton, pressé de s'illuster à nouveau.
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 17 Juil 2023 - 8:33

La litière et son escorte traversaient à présent le bourg de Rèmes au pas de course.

Fidèles aux rares leçons qu’on leur inculquait durant leur miteuse enfance, les paysans du cru avaient vite rangé les fourches et troqué leurs moues renfrognées pour de larges sourires édentés. Qu’un noble passe au grand galop à travers votre potager, se serve de vos enfants comme repose-pieds, brûle votre chaumière, viole votre épouse ou vous crache au visage, la réaction était conditionnée : on s’incline bien bas, et on ne lésine pas sur les remerciements. Aussi les acclamations spontanées fusèrent-elles au passage du convoi.

« Merci d’nous avoir tirés d’lit m’bon sire !
— Pour sûr on s’ra pas en r’tard au tournoi grâce è vos !
— J’dors t’jours trop d’toute façon ! Trois heures, c’est d’jà bon !
— R’venez souvent, c’t’un tel plaisir !
— Idée d’génie le cor au p’tit matin ! D’vriez en causer à not’ bon Lord !
»

Dissimulé derrière les rideaux, Mictlantecuhtli goûtait avec délice toutes les nuances de l’hypocrisie populaire. Il regrettait déjà de ne pas avoir fait sonner du cor trois fois plus longtemps, mais fut tiré de ses pensées par une brusque décélération. D’un coup d’oeil entre les draperies, il aperçut Baldwin en pleine conversation avec deux chevaucheurs venus à sa rencontre. Hormis la livrée de leurs montures - qui témoignait de l’importance des nouveaux venus -, il était difficile de trouver binôme plus asymétrique. D’une part, une femme maigre, tassée sous le poids des ans, aux cheveux impeccablement rangés dans un chignon serré, affichant un air revêche et s’exprimant avec emphase sur un timbre trop aigu. De l’autre, un bonhomme dans la fleur de l’âge, dont les longues mèches tombaient en cascades désordonnées sur des épaules charnues. Bien moins prolixe que sa compagne, il se contentait généralement d’opiner aux dires de cette dernière sur un ton traînant. À côté de ces cavaliers, le jeune écuyer dardait la tête en tous sens, incertain de son rôle lors d’une rencontre au sommet impromptue. Un signe de son seigneur, lui intimant l’ordre d’approcher, le tira d’embarras.

« Eloi, quelle est la cause de cet arrêt ?, l’interrogea Aurevallis dès qu’il fut assez prêt pour échanger à voix basse.
C’est votre comité d’accueil, s’gneur, ils... »

Le garçon s’interrompit net. Il était l'objet d'un regard noir, lancé sous des paupières plissées.

« Pa.. Pa... Pardon..., balbutia-t-il, tandis que le sang désertait son visage. C’est votre comité d’accueil, sei-gneur, reprit-il en articulant chaque syllabe comme si sa vie en dépendait. Ils sont là à la demande du Lord del Insula, si j’ai bien compris. Le cavalier, c’est l’un de ceux qui s’occupent du tournoi, et la dame c’est la tante du roi. »

La tante du roi ? Sans l’avoir jamais rencontrée, Mictlantecuhtli pouvait déjà se faire une vague idée du personnage grâce aux échos qui lui parvenaient aux oreilles depuis des années. Sa réputation d’insupportable harpie n’était plus à faire. Mais quelle mouche avait bien pu piquer le Lord pour qu’il lui envoie pareille ambassade ? Qu’importe. Avec un proche parent du roi, il conviendrait de suivre l’exemple de Baldwin et se montrer diplomate. Du tact, de la courtoisie, du...

« Eh bien, messire ! C’est avec tant de retard que vous daignez vous présenter à un évènement organisé par la couronne ? Qui plus est en faisant si grand tapage ? »

Sitôt envisagés, tact et courtoisie cédèrent la place à une brusque envie d’égorger la mégère à mains nues. La tante du roi avait profité de ce bref conciliabule avec Eloi pour s’avancer jusqu’à hauteur de la litière. Malgré sa petite taille, assise au dos d’un grand destrier bretonnien, elle pouvait toiser le convalescent allongé parmi les coussins. Une haine dévorante s’empara d’Aurevallis. Lors de son arrivée au Chesnois, il méditait encore sur les tourments qu’il infligerait au chevalier de la Gaudriolle s’il parvenait à s’en saisir. Ce féal du Lord venait d’être chassé de ses pensées ; misérable lapin famélique remplacé par un bien plus gros gibier. Dans sa tête se bousculaient à présent les appels à la sagesse et ses habituels réflexes meurtriers. Le résultat de ce mélange fut des plus dérangeants. Entre ses dents, serrées dans un rictus qui lui donnait l’apparence d’un loup prêt à mordre, Mictlantecuhtli laissa échapper quelques paroles hachées :

« Mais, gente dame... vous n’êtes pas sans connaître... les difficultés des voyages... Tenez déjà pour miracle... que je sois arrivé avant la fin...
— Allons, allons ! Point de faux-fuyants entre nous, jeune homme ! Quand on veut, on peut. Si vous étiez parti un jour plus tôt, vous...
— Et si nous prenions la direction du château sans tarder, madame ?
», intervint précipitamment Baldwin à la vue du drame qui allait se jouer.

Son maître déployait des efforts considérables pour se contenir, mais Dame de la Médisance s’avérait un trop gros morceau.  

« Après tout, reprit-il, comme vous le soulignez à raison, le tournoi est déjà bien avancé. Il faut nous entretenir avec le Lord et son comité organisateur afin d’envisager la suite des évènements. Nous devrions nous hâter, sans quoi la compétition tardera à reprendre. »                                

Baldwin avait su trouver les mots justes. La tante du roi opina du chef et remit son cheval en mouvement, sans plus prêter attention à celui qu’elle devait accueillir au Chesnois. Il ne se trouva qu’elle pour estimer avoir rempli sa mission, même si sir David eut une sentence laconique pour qualifier la rencontre :

« Oh, bah ! Ca c’est pas si mal passé ! »

Avant de se remettre en route, l’on tira avec empressement toutes les tentures de la litière. Juste à temps pour permettre à son occupant d’en lacérer le contenu à grands coups de poignard sans se faire remarquer.

**********
   

Moins d’un quart d’heure plus tard, la colonne aux couleurs de la seigneurie forestière franchissait le pont-levis du château. Plusieurs hommes en faction furent dépêchés dans l’instant, afin que le Lord soit convié à la réunion d’urgence qui se préparait.

S’extirpant de sa couche en lambeaux, Aurevallis se dirigea vers la grande porte d’une démarche saccadée. Quoique son orteil lui causa un élancement tous les deux pas, il était bien décidé à n’en rien laisser paraître devant l’infecte parente du roy. Elle ne perdait rien pour attendre celle-là.

Quelques instants plus tard – après la pénible ascension d’une double volée d’escaliers –, Aurevallis, accompagné de Baldwin et du jeune Eloi, parvint dans une salle où l’attendait déjà le comité du tournoi ; du moins dans un format réduit : Orasio avait passé la nuit avec l’ultime servant du Lord, tandis que Silvère de Castagne courrait toujours, en quête de son comte de cousin, ignorant que ce dernier émergeait des limbes éthyliques au beau milieu des gradins. Etaient donc seuls présents dame Gaea de Grunère, aussi imperturbable qu’à l’accoutumée, le chambellan Reynald de Chantillon, tout sourire à l’idée de céder ses lourdes responsabilités, et enfin l’hôte des lieux, le Lord del Insula. Devant juger que sa présence allait de soi, dame de la Médisance pris place en bout de table, face au Lord. Un tel siège était par principe réservé à l’invité d’honneur, et il s’en fallu de peu que Mictlantecuhtli se jette en avant pour briser les vertèbres de l’impudente. Finalement installé sur un siège plus proche du trio d’organisateurs, la réunion pouvait commencer.    

« Bienvenue au Chesnois, dit le Lord, je sollicite votre indulgence pour l’accueil sommaire que l’on vous fit, mais j’ai préféré prendre les devants en ce qui concerne l’évènement.
Aucun problème, Milord, répondit diplomatiquement l’intéressé, dont le visage crispé démentait les paroles. Vos émissaires à eux seuls ont suffit à reléguer au second plan tous les tracas de la route.

En chaque mot étaient distillés de venimeux sous-entendus

« À présent, si vous le voulez bien, attaquons-nous à l’essentiel, afin de ne pas perdre un temps précieux. »  

Mieux placé que quiconque, Reynald de Chantillon se lança dans un résumé plus ou moins détaillé des évènements de la veille. Il décrivit ainsi par le menu les différents équipages et les machines alignées. Un engin nain en kit, un trébuchet lanceur de miches de pain, un autre qui employait des coquilles d’escargots géants – il fut inutile de préciser son commanditaire -, un dispositif semblable à une pierrière... Mictlantecuhtli écoutait cet exposé avec des yeux écarquillés. Mais comment en était-on arrivé à cet affligeant étalage ? Chaque édition du tournoi semblait plus chaotique que la précédente. Et en parlant de chaos, ne venait-on pas de lui annoncer benoîtement qu’une abomination cyclopéenne menée par un groupe d’hommes-bêtes avait infiltré le champ de tir ? Il faillit s’étrangler avec une gorgée de vin, et envoya sa coupe à la tête de David Godenough lorsque ce dernier eut le malheur d’entamer un énième « Rôôôh, c’est pas si grave ».

À demi assommée, la malheureuse victime d’une ire trop longtemps contenue dû quitter la pièce, escortée par la tante du roy. Lui promettant de vite trouver un médecin pour le remettre sur pieds, elle alternait paroles de réconfort et virulentes imprécations jetées par-dessus son épaule. L’écho de quelques cris persista un moment...

« Comportement inqualifiable ! [...] indigne ! [...] du temps de mon noble frère, jamais [...] ferai rapport à [...] »        

... puis le calme revint. Le chambellan sauta sur l’extraordinaire occasion qui lui était offerte, et reprit sur un ton pressé :  

« Je dois aussi vous avertir, messire, que sa majesté est présente. Après avoir mis bon ordre dans le sud, où une invasion d’orcs menaçait, le roy nous a rejoins durant le deuxième tour. Mais la venue de sa tante l’a tellement terro... heu... dérangé, qu’il a détalé... non, non... disons plutôt qu’il s’est élancé un peu précipitamment dans la mauvaise direction et s’est perdu sur le champ de tir... », acheva-t-il dans un quasi murmure.

Aurevallis ne disait rien. Ses yeux désormais inexpressifs fixaient le chambellan sans ciller, comme s’il examinait un cadavre posé en face de lui. Seul signe d’activité, son index battait sur la table une mesure lente et oppressante. Reynald sentit un grand malaise le gagner, et n’osa reprendre la parole. Ce fut son vis-à-vis qui rompit enfin le silence.

« Quelles autres... particularités... me réserve votre rapport, messire chambellan ? »

La voix était aussi tranchante qu’un sabre de Cathay et annonciatrice de malheurs à venir.

« P-Pas grand-chose, messire... Il faut juste que vous sachiez que le roy et sa tante ne doivent pas se rencontrer... Voyez-vous, nous entretenons le mensonge qu’il se trouve toujours en Gasconnie... Sa majesté ferait n’importe quoi pour l’éviter... »

Tandis que le chambellan s’empêtrait dans ses explications, une joie malsaine submergeait son interlocuteur. N’importe quoi. Le roy ferait – et donc accepterait – n’importe quoi pour ne plus croiser cette gorgone mal dégrossie. De cela, Aurevallis se chargerait avec une grande satisfaction personnelle.

« ... et puis, bon, nous avons eu quelques soucis avec des commanditaires..., poursuivait Reynald, de plus en plus gêné par son bilan. Le sire de Terne-Bois a hélas dû se retirer pour soucis de santé. C’est d’ailleurs le comte de Castagne, arrivé sur le tard, qui l’a remplacé. Ah ! Et maintenant que j’y pense, nous ne sommes pas passés loin d’une rixe dans les tribunes, à cause de ce même comte, qui prenait un peu trop ses aises avec certaines demoiselles... Tiens, d’ailleurs, c’était la deuxième échauffourée qui manquait d’éclater sur la journée. J’oubliais presque celle qu’ont failli provoquer nos visiteurs du Moussillon en faisant irruption dans la tribune d’honneur... Oh oui, je ne vous l’avais pas encore mentionné : des moussillonais sont tolérés, dans la mesure où leur présence contrecarre la canicule... D’ailleurs, ce manque d’eau a affecté le potager du Lord, dont les protégés ont quitté leur enclos pour assaillir le vignoble. Il aura fallu une belle chevauchée et beaucoup de bonnes volontés pour sauver les ceps. Bien sûr, nous n’avons pas pu compter sur l’aide du baron de Jambes... Aux dernières nouvelles, il est grièvement blessé... euh... peut-être mort d'ailleurs... après s’être lui aussi aventuré dans la brume... Ca me rappelle que d’autres membres du public s’y sont rendus pour dévorer les restes de pain, et Orasio lui-même, avec son compas magique, a rejoint le trébuchet du Lord pour... »

Une main abattue sur la table avec violence vint couper court à cette litanie. Réjoui pour un bref moment par la perspective d’une juste vengeance, Mictlantecuhtli bouillait à nouveau d’une rage bien peu contenue.        

« Si je vous suis bien, siffla-t-il entre ses dents, outre les catastrophes sans nombre qui ont émaillé ce tournoi, vous avez poussé le vice jusqu’à autoriser des contacts entre les artilleurs et des spectateurs. Spectateurs qui ont eu tout le loisir de voir d’où partaient les tirs lorsqu’ils se trouvaient dans les gradins, et connaissent donc la position des différentes équipes ?!

Le chambellan et dame Gaea reçurent cette remarque comme une claque en plein visage, puis échangèrent un regard paniqué. Aucun n’avait songé à ce détail. Plus prompte à se ressaisir que son compagnon déjà ébranlé, la prophétesse tenta de relativiser. Elle avait cependant perdu sa belle composition.

« Vous parlez juste, messire, assurément. N’y voyez, je vous prie, qu’une regrettable erreur de débutants. Si cela peut vous rassurer, je la crois sans conséquence, car nous n’avons constaté aucun tir ciblé suite à ces ingérences. Je gage que les intrus n’ont même pas songé à utiliser cette connaissance du terrain... Peut-être ont-ils été désorientés par la brume... Ou, peut-être, le fair-play... »  

La dame n’alla pas plus loin. Le doigt avait recommencé à battre la mesure sur la table, et un silence attentif s’installa.

« Baldwin, vous allez sur le champ me réquisitionner plusieurs compagnies d’archers et ceinturer le champ de tir. Un homme toutes les toises s’il le faut. Je ne veux plus qu’une mouche franchisse le périmètre sans que j’en sois informé, et je veillerai personnellement à faire écarteler quiconque s’aviserait d'entrer ou de sortir à partir de maintenant. »

Les ordres étaient débités avec une lenteur délibérée. Il s’agissait de bien faire comprendre à tous qui désormais était aux commandes.

« Milord, je vous saurais gré de tripler sans tarder vos garnisons aux frontières. Si des engeances du chaos ont pu s’infiltrer jusque sous notre nez, la Dame seule sait ce qui se terre encore dans les bois, à l’affût de la moindre faiblesse. Je ne pense pas devoir vous remémorer les soucis posés par les hommes-rats lors du tournoi d’Alsacie. »

Certes non. Personne n’était près d’oublier cette affaire.

La réunion touchait à son terme. Déjà les cloches de Rèmes sonnaient à toute volée, invitant la foule à rejoindre les gradins. Le Lord devait escorter son épouse, aussi prit-il congé sans tarder, tandis que dame Gaea s’éclipsait au motif de vérifier l’intégrité du brouillard enchanté. Demeuré seul face à Aurevallis, le chambellan l’interrogea avec espoir :

« Vous reprenez donc la gestion des festivités, messire ? Je puis me considérer déchargé de...
Déchargé ?, cracha Mictlantecuhtli tandis qu’il empoignait Reynald par le col et le plaquait au mur. Vous n’êtes déchargé de rien ! Vous irez jusqu’au bout de la mission que le roy vous a confiée ! Pour ma part, je vais m’efforcer de limiter les dégâts et tenter de sauver vos fesses ! Maintenant filez ! Une place vous attend derrière le porte-voix. »

De Chantillon s’en fut sur une ultime courbette, les jambes chancelantes. L’entrevue s’était révélée traumatisante, mais il était porté par la conviction qu’un allié veillerait désormais sur lui dans l’ombre.

« Imbécile, songeait le supposé allié. Ce tournoi n’est rien d’autre qu’un baril de poudre posé à côté d’une bougie. Tout peut sauter au moindre souffle, et il est hors de question que j’endosse la responsabilité d’une catastrophe. Si je saurai bien exploiter une issue favorable, un homme de paille dans ton genre me sera utile au cas très probable où les choses partiraient de travers. »  

Sur ces pensées, il se dirigea vers la salle des soins d’un pas claudiquant et avec un sourire mauvais.

Les quelques personnes qui n’avaient pas encore quitté le château témoignèrent bien plus tard avoir entendu de grands cris, ainsi que de terribles injures que la décence interdisait de répéter. Nul ne sut jamais – et ne voulu savoir – ce que le sire d’Aurevallis dit alors à dame de la Médisance. Toujours est-il que le premier quitta le château peu après pour rejoindre le tournoi, tandis que la seconde dut garder le lit plusieurs jours durant, victime d’une terrible attaque d’apoplexie.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11


Dernière édition par Mictlantecuhtli le Lun 17 Juil 2023 - 17:11, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 17 Juil 2023 - 13:57

Le Lord venait de quitter la sulfureuse réunion, en même temps que Dame Gaea. Avant que celle-ci ne courre accomplir ses impérieuses missions, le Lord lui demanda deux services :

- Milady, je compte sur vous pour prévenir Orasio de la situation. Il vaut mieux qu'il reste sur le terrain en attendant que les choses se calment. Pouvez-vous me rendre ce service ?
- Bien volontiers Milord. cela peut être fait pendant mes incantations.
- Soyez-en remerciée. Une dernière chose, reprit del Insula, si d'aventures vous croisiez Silvère, informez-le de la situation et dîtes-lui de se mettre en relation avec le Sieur Baldwin.
- Je n'y manquerai pas Milord.

Les deux importants personnages se séparèrent ensuite. Le Lord se rendit dans ses appartements par quelques passages escamotés derrières des tapisseries. Il y rejoignit Dame Luna son épouse en train de s'apprêter.

- Quelle nuit ! Nous avons frôlé la catastrophe ! Remercions la Dame que la première fournée du matin est canalisé l'ardeur de nos fragiles petites bêtes !
- En effet cher époux ! Ce ne sont pas vos soudards qui aurait réussi à obtenir tel résultat. ceux-ci sont déjà bien incapable de s'en sortir avec des chevaux.
- Hélas oui ma Mie. Heureusement pour nous que Ventre-Terre connait bien son affaire.

Luna fit une moue dubitative.

- Jamais je ne fis confiance aveugle à notre héliciculteur. J'escompte moi-même vérifier que tout se déroule sans ambage.
- Vous ne vous rendez donc pas assister au tournoi ? s'alarma le Lord. Je tenais pourtant à vous y accompagner.
- Point d’inquiétude mon époux. Vous pourrez miser sur ma présence. Juste le temps d'un petit détour si cela ne vous contrarie poinct.
- Je ferai selon votre bon vouloir, Milady, capitula le Lord. Mais si nous pouvions nous hâter. J'aurais ainsi l'immense plaisir de pouvoir vous présenter notre nouvel hôte le très charmant seigneur d'Aurevallis.
- Je suis à vous, répondit sa femme en se levant.
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 18 Juil 2023 - 0:32

LE TOURNOI DE TRÉBUCHETS DU CHESNOIS :
Onzième tour

À travers les quelques portiques d’accès, maigres canaux pris d’assaut par une marée humaine, le peuple se déversait dans les gradins jusqu’à les faire ployer. Bien vite, les places assises furent toutes occupées par les plus forts ou les plus rapides. Les enfants se mirent à geindre afin qu’on daigne les jucher sur les épaules d’un adulte, et les habituelles querelles d’ivrognes - qui n’avaient guère dessoûlé depuis la veille - ajoutèrent au tintamarre ambiant.

Dans la tribune d’honneur, la noblesse allait et venait, échangeant les civilités d’usage ainsi que des questions banales sur la qualité du logement que chacun avait pu trouver pour la nuit. Depuis la petite estrade réservée au commentateur, le chambellan saluait chacun par un signe de tête, un mouvement de la main, ou quelques mots à peine intelligibles au milieu du tumulte. Sa nervosité était évidente ; ce que chacun mit sur le compte de la relance du tournoi. Un léger tapotement dans le dos lui fit exécuter un demi-tour, immédiatement suivi d’un bond lorsqu’il réalisa qui le sollicitait ainsi. Le roy s’était glissé incognito parmi l’assistance, la barbe et la moustache poudrées à la craie pour se vieillir, revêtu d’habits de notable et le nez alourdi d’une énorme paire de lunettes à verres ronds.

« Où est-elle ?
Qui, que, quoi donc, majesté ? bafouilla Reynald, qui aurait presque eu envie de rire. Presque.        
Ma tante, andouille ! Croyez-vous que je m’attife de la sorte pour vous demander le chemin de la buvette ?!
Non, sire. Bien sûr, sire. Mille excuses, sire. Je... Il marqua une pause avant de se pencher vers Louen d’un air de conspiration. Je pense qu’on a dû se charger d’elle. En tout cas elle n’est pas ici. Les invités sont joyeux et détendus, l’ambiance est bonne : ce sont des signes qui ne trompent pas. Sauf erreur, nous ne devrions plus avoir à nous soucier de cette « affaire » avant la fin du tournoi.
Oooooh, la Dame soit louée ! », lança le roy avant de laisser s’échapper un long soupir de soulagement.    

Tandis que son souverain s’éloignait vers un recoin, où il pourrait sans crainte se débarbouiller et revêtir les apparats de la royauté, Reynald examinait la foule à la recherche d’Aurevallis. Celui-ci ne tarda pas à faire son entrée pour prendre place à la dextre du trône. Tout le monde était enfin là. Le tournoi pouvait reprendre.

« Gentes dames, nobles seigneurs, bon peuple du royaume, je vous souhaite la bienvenue à cette seconde journée de compétition ! Si les derniers arrivants veulent bien gagner leurs sièges... merci... Avant de débuter, et tandis que nos valeureuses équipes entament leur phase d’observation – un grand coup de trompe envoya le signal aux artilleurs dissimulés sous la brume –, rappelons brièvement les résultats d’hier : partant de sept concurrents...
Six, corrigea doucement dame Gaea.
Six ?
Mieux vaut ne pas trop insister sur ce Cygor en vadrouille, si vous voyez ce que je veux dire. »

Elle s’exprimait à présent pour les seules oreilles de Reynald, le doigt pointé avec discrétion vers l’entourage direct du roy. Il n’en fallu pas plus pour le convaincre de réviser sa copie.

« Merci, dame Gaea. Oui, bien entendu, six concurrents, dont deux ne sont plus de la partie malgré une admirable performance. »

Reynald n’aurait pas pu dire si les deux éliminés s’étaient si bien illustrés – n’étant pas lui-même spécialiste des machines de guerre -, mais il était toujours bon de ménager la susceptibilité des nains. Quant au baron de Jambes, il lui coûterait de manquer de respect à sa mémoire ; du moins si quelqu’un pouvait enfin confirmer ou infirmer sa mort !

« Des quatre équipes restantes, enchaîna la prophétesse avec sa voix posée qui portait sur tout le terrain, deux bénéficient toujours d’une couverture complète. Leur position reste un mystère pour leurs adversaires, tandis que les machines de notre hôte, le Lord, ainsi que du comte de Castagne ne disposent plus que d’un unique servant pour les manœuvrer.
Eh oui ! Une situation difficile qui augure des prochains tours hasardeux. Le Lord conserve cependant une confortable avance sur le tableau des scores du haut de ses six points, tandis que le baron de Jambes ainsi que sir Osbourne le suivent avec trois points chacun. Tout est encore possible !
Il me semble que la dernière équipe vient d’achever sa phase d’observation. L’heure de vérité est venue. »

Reynald s’apprêtait à envoyer le signal aux musiciens, lorsqu’un doute le tarauda. « Vous irez jusqu’au bout de la mission que le roy vous a confiée », lui avait dit Aurevallis. Pour autant, il ne se sentait plus à 100% aux commandes du tournoi. D’un rapide coup d’œil, il chercha l’approbation du seigneur au bourdon. Un hochement de tête à peine perceptible le rassura.

« Envoyez ! », claironna-t-il.  

Quatre sonneries graves et vibrantes lui répondirent. Les notes n’étaient pas encore mortes lorsqu’un premier rocher s’éleva, suivi d’un panache de brume, sous les vivats du public.

« L’équipe de dame Penthésilée est au taquet ! Voici que le projectile file vers l’est du terrain eeeeeeeeet... »

FROUCH !

« En plein dans la haie. Je crains que vos jardiniers aient beaucoup de travail dans les jours à venir, Milord, observa Gaea.                
Rien de neuf le long de la végétation. Voyons voir si... oui ! Voici l’équipe de messire Osbourne qui se met en action ! Houlà !
Ah oui, tout à fait mon cher Reynald, cette équipe doit encore dormir à moitié, car leur pierre, fort mal équilibrée, a perdu toute stabilité durant la descente. La voici qui s’écrase avec fracas non loin du centre du terrain, ne dévoilant qu’une petite surface de prairie. Quel dommage.
C’est bien vrai. On espérait d’avantage de cette belle équipe. Peut-être leur fallait-il un léger échauffement avant de déployer leur plein potentiel. Nous n’avons pas le temps de nous y attarder, car voici que surgit une coquille ! Le Chesnois revient dans la partie ! »

Fière de ses couleurs, la population se mit à scander « CHES-NOIS ! CHES-NOIS ! CHES-NOIS ! » tout en agitant des fanions rouges. Pourtant la chance ne sourit pas d’avantage aux gens du cru. Tout aussi imprévisible que le rocher d’Osbourne, la coquille prit le vent et pirouetta avant d’éclater au nord-est, en plein dans le cratère creusé au quatrième tour par le premier tir du comte de Castagne.

« OOOOOOOOOOOOOOOOOH !
C’est bien regrettable, en effet, mais quel ballet aérien ! »

Reynald sentait ses vieilles craintes remonter à la surface. Voici qu’un nouveau tour de vaine exploration se dessinait, tandis qu’un ultime tir tardait à fendre le ciel. Si seulement...

« Ah, voici que l’équipe de Castagne vient clore cette salve »

Gaea avait raison. Le rocher tant attendu décrivit une courbe sur une distance assez courte, puis plongea dans le brouillard.

« Aaaaaaaaaaaaaaaaaargh !
Qu’est ce que ? »

Le chambellan s’était tellement attendu au pire, que ce cri de douleur le prit au dépourvu. Gaea combla le vide laissé par son collègue :

« Il semble que nous ayons à déplorer une perte... Le temps que la brume se dissipe d’avantage et que nous y voyions plus clair... C’est... Oooh ! »
L’équipe de Gransette..., reprit Reynald sans songer à élever la voix. Elle est...
... décimée jusqu’au dernier membre ! », acheva Gaea, à présent presque aussi secouée que son collègue.        

Reynald de Chantillon se tourna vers Aurevallis, à la recherche d’un conseil ou à tout le moins d’un appui, mais celui-ci avait enfoui son visage dans une main et secouait la tête de gauche à droite.

« Voilà bien le genre de catastrophe que je redoutais sans pour autant l’avoir prévue, pensait-il, aveugle aux supplications muettes du chambellan. J’ai bien fait, oh oui, j’ai bien fait de laisser cet idiot au premier rang ! Il n’aurait plus manqué que Penthésilée associe ma prise de pouvoir à cette brutale élimination... »

Privé de ressources, sinon celles de son propre esprit, Reynald tenta de reprendre le cours de la narration du mieux qu’il put.

« Navré de ce... drame inattendu... ce triste épilogue... madame la baronne. Quelle pitié de finir ainsi... paf... sans prévenir... C’est, euh...
C’est la dure loi de la compétition, ajouta Gaea fort à propos. Nous déplorons la perte de cette équipe, et devons dans le même temps offrir trois points au comte de Castagne pour ce tir magistral.
Ainsi, bien entendu, que le droit à un projectile spécial, se rattrapa Reynald. À se demander si l’aura du protecteur du Sainct-Graal n’a pas béni le tir de son équipe ? »

Pour toute réponse, le chambellan entendit s’élever derrière lui un rot tonitruant.

« Bon, conclut Gaea, à qui le rose montait aux joues, ce tour marque la fin de l’équipe de Gransette, et sans doute la fin du sursis dont bénéficiaient les deux équipes déjà débusquées. Plus rien ne retiendra désormais les hommes de sir Osbourne. Sa victoire en qualité de dernier survivant est quasi assurée.
Effectivement, il ne devrait plus y avoir de surprise de ce côté-là. En revanche, suivant la précision et l’ordre des prochains tirs, le tableau des scores n’est pas à l’abri d'un bouleversement ! »

Les conversations reprirent à tout va. Nul ne s’attendait à une ouverture aussi sanglante de bon matin. Les avis se mirent à fuser comme jamais.

Plongé dans un silence méditatif au milieu de ce désordre, Mictlantecuhtli finit par héler l’écuyer. Ce dernier émergea de derrière le haut dossier du siège.

« Eloi, commanda-t-il en lui lançant une pièce d’or frappée à ses armes, cours donc chercher un verre du meilleur hypocras, et apporte-le à damoiselle Penthésilée avec toute ma sympathie.

Le jeune garçon disparut aussitôt dans la foule, heureux qu’on daigne lui confier une tâche à sa portée.    

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Tour-110


-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Impacts :

1) Toison d’or : P26 => déviation nord-ouest de 2 cases => N24
2) Lord del Insula : E23 => déviation sud de 3 cases => H23
3) Dangorn de Castagne : O8 => déviation nord-ouest de 1 case => N7 (trois servants de Toison fauchés comme les blés !)
4) Agilgar de Grizac : N8 => déviation sud-est de 3 cases => Q11

Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 6 points
- Dangorn de Castagne : 4 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 3 points


-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Voilà qui est tout sauf une reprise en douceur ! Condoléances au malheureux concurrent. Les trois derniers joueurs encore capables de se lancer des rochers à la figure sont invités à me communiquer leurs coordonnées de tir ainsi qu’un éventuel texte d’accompagnement pour le vendredi 21 juillet au plus tard.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 18 Juil 2023 - 13:09

le Lord et sa dame arrivèrent à temps pour assister à la reprise des tirs. Ils purent ainsi applaudir les performances de l'équipage de Dangorn.

Del Insula avisa son chevalier du Graal en train de se frayer un chemin jusqu'à eux.

-Allons donc Silvère, vous en êtes-vous sorti avec votre cher cousin ? l'interrogea-t-il.
-Certes oui Milord, souffla celui-ci. Je l'ai aperçu tantôt chanter paillardement suite au succès de ses servants et se diriger résolument vers la buvette.
- Vous en êtes donc quitte pour quelques bouteilles, mon époux, épilogua Dame Luna.
- Pardonnez ma curiosité Milady, osa Silvère, mais quant est-il des escargots ?
- Sachez mon bon Silvère que ceux-ci sont maintenant rassasiés de pain. le souci reste de les acheminer à nouveau vers leur potager.
- Ils en sont ressortis !!! s'affola le chevalier.
-Oui certes, le rassura la dame, mais canalisés par les effluves de cuisson, leur errements fut canalisé vers le four des boulangers. De sorte que tous sont rassemblés là bas en ce moment.
- Devant nous hâter, poursuivit le Lord, nous n'avons pu superviser la mise en œuvre du rapatriement du cheptel.
- Du reste, reprit à son tour son épouse, mon cher mari eut l'idée subtile de faire seller les bêtes pour que nos gens puissent les mener jusqu'à destination. Ventre-Terre supervise les opérations en ce moment même.

Le Lord ressentit du soulagement à l'idée de voir ces incidents se régler. Car il savait que d'autres viendraient leur succéder.

-Milord, reprit-il, Dame Gaea m'a informé de la situation. Je pars sur le champ m'entretenir avec le dénommé Baldwin.
-Fort bien mon ami. Je ne vous accompagne pas, il faut que je présente Madame au Seigneur d'Aurevallis.
-Oui Milord, mais avant je tenais à vous prévenir : un de nos sergents montés n'est pas revenu de patrouille !

Parbleu soupira le Lord. Cette journée risquait elle aussi d'être mouvementée.
Revenir en haut Aller en bas
Dangorn de Castagne
Protecteur du Sainct Graal
Dangorn de Castagne


Nombre de messages : 6840
Age : 37
Localisation : En queste du Graal dans le Nordland, Marienburg et Naggaroth
Date d'inscription : 28/03/2005

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 18 Juil 2023 - 23:09

A présent entouré de nobles qui souhaitaient connaître son commentaire, Dangorn se prit au plaisir de répondre à une petite conférence de presse, comme les joueurs de Blood Bowl à Cabalvision.

"Eh bien, au vu du résultat, il me semble qu'un seul servant soit bien suffisant pour manier ces armes de lâche, soit-disant si complexes et sophistiquées qu'un équipage incomplet ne saurait manœuvrer leurs mécaniques tarabiscotées. C'est à se demander pourquoi j'ai mandé trois de ces vils coquins, mais alors je vous répondrais: pour la redondance... Et le "jouer-honnête", bien entendu, par rapport aux autres concurrents qui n'ont point la chance de posséder un trébuchet si bien conçu que celui de La Trippe, châtellerie que je salue bien bas au passage."

Founard n'en croyait pas ses yeux: à lui seul, sans Manard et Nicouille qui gisaient non loin, le visage et les membres criblés d'impacts ensanglantés, il venait de faire mordre la poussière à tout un équipage.
"C'pô si sorcier t'compte faite, c'bâzâr lô. Viser dans l'tas pis c'est marre. Et l'aut' Nicouille qui râlait qu'mes trucs étaient jamais d'la forme qu'y fallait et qu'cétait ma faute qu'y tirait pô drette."
Et en guise de ponctuation, il cracha un gros molard sur le corps inanimé de Nicouille. Sans perdre un instant de plus, il se remis au travail pour trouver un rocher assez gros qu'il pourrait tailler de manière "aréonamyque", comme le lui avait appris feu le mestre-charpentier Manard, sur le cadavre duquel il se promis d'aller cracher plus tard, afin de conjurer le mauvais sort.

_________________
Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptySam 22 Juil 2023 - 13:39

Silvère quitta prestement les gradins afin de trouver l'homme de main du Seigneur d'Aurevallis. Il repéra bien vite l'augmentation du nombre d'hommes d'armes en faction, plus important que la veille. Et, parmi eux, nombre portait une livrée différente de celle du Lord.

   - Garde, héla-t-il l'un d'eux, indiquez-moi céans où se trouve votre capitaine !
   - M'sieur Baldwin ? Vous l'trouvions du côté de la tribune nord, M'sire chevalier.

   Silvère le remercia et se rendit dans la direction indiquée. Quelques instant plus tard il trouvait Baldwin en pleine conversation avec des gardes du Lord.

   - Je vous le répète pour la dernière fois : vous devez m'informer du moindre mouvement suspect !
   - J'voulions bien, mais si y s'passion rien, on r'vint comme même vous dire quoi ?
   - Noooon ! Vous gardez vos positions et vous attendez !
   - Z'attendions quoi ?
   - Qu'il se passe quelque chose digne d'être rapporté, bon sang !
   - Ah ouais, et après ?
   - Après quoi ?
   - Après que z'avions vu un truc pas net, qu'est t'y qu'on fassions ?

   Baldwin commençait à perdre patience devant l’abyssale bêtise de la soldatesque du Chesnois. Il se demandait encore comment le fief parvenait à se défendre avec de tels zouaves.

   - Vous venez me signaler la chose sur-le-champ ! Comprenez-vous ?
   - Oui M'sieur, on regardions et pis tout de suite après je vous disions quoi.
   - Voooooilà. Maintenant disposez.

   Les deux hommes d'armes prirent le chemin de la tribune, tandis que Baldwin se tourna vers Silvère.

   - Capitaine, l'accosta ce dernier, le Lord m'envoie pour coordonner avec vous le dispositif de sécurité.
   - Messire Silvère, c'est un plaisir de travailler avec un chevalier si prestigieux. Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour les mesures prises sans concertation. Cela me semblait urgent.
   - Certes oui. Du reste, nous avions déjà pris des mesures que vous renforcez avec justesse. L'arrivée de vos hommes nous offre un appui indéniable, étant donné la situation.
   - J'ose le croire. Il a fallu appliquer les décisions prises ce matin, lors d'une réunion où je déplore que votre voix n'ait pu se faire entendre.
   - Dans ce cas, mon devoir me commande de vous donner une information nouvelle : nous avons perdu un sergent monté hier.
   - Hier !? Sauf votre respect, qu'est-ce qui justifie pareil délai ?
   - Je ne l'ai appris que tout à l'heure. Les escargots du Lord ont malmené la transmission des rapports.
   - Il nous faut donc renforcer les défenses à l'est du champ. Disposez-vous de forces mobilisables sur l'heure ?

   Les deux hommes furent soudainement interrompu :

   - M'sieur, on a tout fait ben. J'étions allé voir pis que j'étions revenu tout de suite après.
   - Qu'avez-vous vu ? interrogea le capitaine avec empressement devant l’imminence d'une menace.
   - Rien. Du coup j'étions revenu vous dire quoi.


-----

Alors que la plupart des spectateurs se déplaçaient constamment entre deux tirs afin de se désaltérer ou d'engager a conversation avec quelques connaissances, les membres de la tribune d'honneur tranchaient par leur immobilisme. Dame Gaea restait énigmatique, ne parlant que pour prendre le relai de Reynald de Chantillon quand ce dernier perdait pied. Celui-ci faisait quant à lui son possible pour ne pas attirer les foudres d'Aurevallis ou du Roy. Roy qui prenait lui-même plaisir à profiter du calme relatif dont il disposait pour l'heure. Mictlantecuhtli n'était pas étranger à la chose, ayant donné instruction aux gardes stationnés à proximité de filtrer drastiquement les sollicitations à l'endroit du souverain.
Il examinait tout, ou presque, depuis sa position et diligentait son écuyer pour s'éviter des déplacements fastidieux. Du reste, seul l'hôte et sa charmante épouse pouvaient se laisser aller à quelques déplacements.

Del Insula et Dame Luna retournaient justement en tribune d'honneur, et accostèrent Mictlantecuhtli.

- Cher ami, laissez-moi vous présenter Milady mon épouse. Ma mie, le seigneur d'Aurevallis.
- Enchantée Messire. Fîtes-vous bon voyage ?
- De même, gente dame, et merci de votre sollicitude. Les affres du voyage ne furent pas aussi importants qu'on se plaît à les colporter.
- Grace à la Dame je m'étais laissée dire que vous souffriez de quelques désagréments.

Mictlantecuhtli ne put retenir un sourire à faire blêmir le chambellan qui suivait la conversation.

- Sachez, madame, que je me fais fort de régler promptement lesdits désagréments.
- Vous m'en voyez ravie. Avez-vous déjà visité le fief ? Il y existe des endroits fabuleux qui valent le détour.
- À n'en point douter. J'ai notamment ouï parler d'une certaine salle de torture flambant neuve, dont l'examen me serait fort agréable. Hélas, pour l'heure, quelques obligations accaparent tout mon temps.
- Ne pourriez-vous point déléguer à quelque homme de confiance ? Au Sir de Chantillon par exemple ?

L'intéressé se recroquevilla sur son siège à l'évocation de son nom.

- Milady, le secourut sans s'en rendre compte le Lord, notre royal chambellan a lui-même fort à faire pour pouvoir supporter en plus la charge du sire Mictlantecuhtli.
- En effet, où avais-je la tête ? Sir Goodenough alors ?

Cette proposition déclencha chez Mictlantecuhtli une élan de rage presque irrépressible. Il tenta d'étouffer la litanie d'injures, ainsi que l'envie soudaine de balancer son siège sur la figure du premier imbécile venu. Son pauvre écuyer se liquéfia sur place, ne sachant que faire, tandis que Reynald jugea le moment opportun pour interroger Dame Gaea sur l'avancée des préparatifs du douzième tour. Pour sa part, Luna se méprit et crut faire face à une quinte de toux.

- Voyez comme le travail vous malmène. Un peu de repos vous ferait grand bien, le materna-t-elle. Pensez-y à l'occasion et n'hésitez pas à finir votre convalescence ici. Vous verrez que nos potagers et nos escargots font un bien fou au moral.

La crise d'Aurevallis ne donnait guère signe de s'atténuer. Par chance, les propos qu'il marmonnait demeuraient incompréhensibles.

- Allez donc l'aider au lieu de rester planté là, s'exclama Luna à l'adresse de l'écuyer. Vous voyez bien qu'il a besoin de votre assistance.
- Mictlantecuhtli mon ami, je pense que nous allons vous laisser souffler un peu, ajouta le Lord. Laissez-vous aller et profiter du spectacle, tout est entre de bonnes mains.

Les deux époux allèrent s'asseoir prêt du Roy, tandis que le pauvre écuyer tentait de porter assistance à son maître, en prenant garde aux coups qu'il pourrait lui asséner afin de calmer ses nerfs.

-----

Sur le champ de tir Riton pestait comme un beau diable. Dans son empressement à vouloir clouer le bec au tiléen il avait omis quelques réglages, expliquant l'importante déviation.

Orasio n'eut toutefois guère le temps de lui faire remarquer : son compas s'illumina soudain et la voix de Dame Gaea raisonna dans son esprit.

- Orasio, prenez garde ! Des archers entourent le champ et ont pour consigne de cibler le moindre individu qui en émergerait ! Ne quittez les brumes sous aucun prétexte.

l'ingénieux et enchanté outil s'éteint tout aussi rapidement, sans que l'intéressé n'ait eu le temps de répliquer.

- Ma qui c'est que c'est ouncore que cit affaire ? S'alarma l'intéressé.
- Crévindiou ton bazar s'étions encore allumé. J'espérions que c'est y pas encore e'lord qui nous instructionne !
- No, ma ye té conseille de nou pas sourtir dou tirrain si tou voux allé té soulager, lui conseilla Orasio.

Le tiléen expliqua ce qu'il se passait pendant qu'ils faisaient rouler une coquille jusqu'à la nacelle de tir.

- C'étions pas mes oignons c' te affaire là, maugréa le servant bretonnien. Comptons ben resté jusqu'à la fin, pour sûr.
- En tout cas ye ta mon tour dé tirer, rappela Orasio. Après tout ye té dounne oune coup de mano pour les couquillés.

Riton pesta, mais intérieurement il admettait bien volontiers que l'aide du tiléen était d'un grand secours pour charger l'engin.
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 24 Juil 2023 - 5:13

LE TOURNOI DE TRÉBUCHETS DU CHESNOIS :
Douzième tour

Avec la disparition de l’équipe de Gransette, la nouvelle phase d’observation fut encore plus brève qu’à l’accoutumée. Trois fois une tête émergea de la brume pour scruter l’horizon. Trois fois elle y replongea afin de participer au réglage des machines. Reynald laissa encore filler quelques minutes. Après tout, deux équipes subissaient une carence de main d’œuvre, et ce délai leur serait bien utile.

Parmi les gueux, quelques pieds se mirent à battre les planches en signe d’impatience, bientôt imités par toute la classe populaire. Le bruit allait croissant et gagnait en intensité, jusqu’à ce que les gradins rivalisent avec mille tambours de guerre. Reynald n’eut plus qu’à croiser les doigts, et à espérer que chacun soit prêt. S'il ne donnait pas le signal, c’était l’émeute. Incapable de se faire entendre, il agita le bras en direction des sonneurs. Ces derniers redoublèrent d’effort pour que leurs notes parviennent jusqu’aux oreilles des concurrents. Le doute plana un instant, puis un premier projectile s’éleva, mettant un terme à l’agitation de la foule. L’équipe de Castagne prenait la main.      

« Voilà que les servants du comte Dangorn font usage du feu grégeois qui leur a été octroyé pour l’élimination d’un adversaire ! » s’exclama le chambellan.

Et en effet, la jarre remplie à ras bord d’un mélange goudronneux fila vers le nord, laissant dans son sillage une longue traînée de feu. Les composants de cette substance – un secret bien gardé – teintaient les flammes de nuances de jaune, de rouge, de bleu et de vert. De quoi conférer au tir un indéniable attrait esthétique.

« Il me semble que la portée du tir est un brin trop longue, observa Gaea les yeux plissés.
Mais oui, c’est vrai ! Vu sa direction, je ne pense pas me tromper en affirmant que le trébuchet de Gransette devait être sa cible. Pourtant l’on dirait que le récipient va passer bien au dessus. »

L’instant d’après lui donna raison. Le vase de terre cuite éclata beaucoup plus au nord, au beau milieu d’un vaste cratère d’impact. Le brasier eut tôt fait de l’envahir tout entier, sous les acclamations du public pour qui l’absence de résultat importait peu. Les jolies lumières suffiront toujours à subjuguer les esprits simples.

En faction auprès du cordon de sécurité, Baldwin avait suivi le commentaire d’une oreille distraite. Versé dans l’art de la guerre, il imputa d’emblée cet échec à un mauvais étalonnage du contrepoids par rapport à la masse du projectile. Entre un rocher et un feu grégeois, il y avait pourtant une différence notable... Ses pensées furent interrompues par un léger mouvement de foule qu’il fallut réprimer par une volée de coups : des vestiges de miches expédiées par le trébuchet de Jambes subissaient l’action des flammes, et quelques gueux enhardis à l’idée de toasts fraîchement grillés se seraient bien avancés sur le terrain.

Pendant ce temps, l’équipe du Chesnois tentait sa chance avec un tir longue distance vers le secteur nord-est. Leur position déjà dévoilée, Orasio et Riton n’avaient plus grand-chose à perdre, hormis leur vie. Plutôt que de s’en prendre à des cibles connues, ils paraissaient décidés à rechercher jusqu’au bout le dernier concurrent dissimulé. La coquille partit au loin, jusqu’à venir s’écraser dans la haie à quelques pas de la tribune d’honneur. Les dames (ainsi que quelques damoiseaux aux nerfs fragiles) laissèrent échapper des cris perçants, tout en cherchant refuge derrière les épaules de leurs voisins. Beaucoup de peur, mais aucun mal. Le brouillard dissipé ne révéla que des branches brisées et de l’herbe labourée. Tandis que les spectateurs effrayés pestaient contre le danger de ces compétitions, les aficionados échangeaient leurs points de vue sur la qualité du tir. Le voile venait tout de même d’être levé sur un recoin inexploré et difficile d’accès.

Autour de leur trébuchet, Orasio et Riton ne partageaient pas cet enthousiasme. Le tir n’était pas – mais alors là pas du tout - arrivé à l’endroit prévu. Comme d’habitude, une querelle venait d’éclater quant à la responsabilité de chacun dans ce fiasco.

« Stupido !
C’étions ta faute !
Mia faute ? Tou rigoles, la couquillé n'était pas droité !
C’toi qu’l’a mise d’travers !
Ye té dis qué... »

Cet échange ô combien productif aurait encore duré longtemps, si un ronflement sourd ne les avait poussés à lever la tête.

« Oh-oooh... »

Les morts violentes sont souvent vécues au ralenti. Les deux hommes du Lord aperçurent la masse sombre d’un rocher grossir au travers du brouillard. Ses contours se précisèrent, puis ils le virent s’abattre sur leur trébuchet avec une violence d’autant plus grande qu’ils étaient aux premières loges pour l'apprécier. Les madriers volèrent en éclats. Telle une nuée de serpents, les cordages libérés de leurs tensions bâtirent l’air dans toutes les directions. Le contrepoids éventré laissa échapper les pierres qu’il contenait, ajoutant autant de sous-mutions à une frappe déjà bien assez efficace. La demi seconde qui venait de s’écouler parut une minute entière aux deux artilleurs. La panique les fit se jeter dans les bras l’un de l’autre lorsqu'une poutre brisée vola en direction de leurs têtes. Au moment même où Mórr étendait la main pour les emporter dans le monde d’en bas, un bref éclat de lumière jaillit de la ceinture d’Orasio, immédiatement suivi d’une puissante bourrasque. L’énorme débris alla se ficher en terre sans rencontrer le moindre obstacle.

« BAH ! CE N’EST QUE PARTIE REMISE », laissa échapper la sombre silhouette encapuchonnée avant de disparaître à son tour.

À plusieurs centaines de mètres de là, les deux compagnons d’infortune atterrirent en hurlant au beau milieu d’un réservoir de bave, sous les yeux ébahis d’un boulanger venu nourrir les escargots géants.

« En plein dans l’miiiiiiiiiiille !, s’égosilla Reynald à la vue du carnage. Sir Osbourne met un terme à l’aventure de notre hôte en rayant son trébuchet de la carte ! »

Soudain conscient que son entrain était malvenu, il exécuta quelques courbette en direction du Lord et de son épouse. Étranges excuses pour son excès de zèle. Aurevallis le regardait faire avec condescendance.

« Continue donc de te ridiculiser. Tu me rends la suite d’autant plus aisée... »

Le douzième tour s’achevait sur une nouvelle élimination. À croire que le tempérament sanguinaire de l’organisateur habituel déteignait sur le tournoi du seul fait de sa présence.

En dépit des enchantements appliqués à sa voix, Gaea rencontra quelques difficultés pour se faire entendre au milieu des lamentations des spectateurs. L’équipe du Chesnois terminait à la troisième position. Un résultat fort honorable dont certains auraient pu s’accommoder, tant que leurs champions menaient aux points. Hélas, la destruction d’un trébuchet et l’élimination d’un servant propulsaient aussi sir Osbourne en tête du tableau des scores. À moins d’un miracle, qui reposait entièrement sur la délégation de Castagne, plus rien n’empêcherait l’artificier en herbe d’empocher deux médailles.

Les trompes sonnèrent de nouveau. Le face à face final allait commencer.                    

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Tour-111

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Impacts :

1) Dangorn de Castagne : M7 => déviation nord-ouest de 2 cases => K5
2) Lord del Insula : E23 => déviation nord de 3 cases => B23
3) Agilgar de Grizac : S4 => déviation sud de 2 cases => U4 (dernier servant du Lord éliminé et trébuchet détruit !)

Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 6 points
- Dangorn de Castagne : 4 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 7 points

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Nos deux finalistes sont invités à me remettre leurs coordonnées – peut-être les dernières – pour le vendredi 28 juillet au plus tard.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11


Dernière édition par Mictlantecuhtli le Ven 28 Juil 2023 - 21:56, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Dangorn de Castagne
Protecteur du Sainct Graal
Dangorn de Castagne


Nombre de messages : 6840
Age : 37
Localisation : En queste du Graal dans le Nordland, Marienburg et Naggaroth
Date d'inscription : 28/03/2005

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 25 Juil 2023 - 0:07

"Chais pô c'était quoé c'côliss d'ostie d'cibouère mais c'tait ben jouasse à r'garder. Faut qu'j'trouve davantage de ces marmites enterrées bizarres lô. Au moins j'ai pô à la tailler en boule c'est d'jô ça d'économisé."

Founard se mit en quête d'autre chose à mettre sur la poche de cuir de son trébuchet, mais il se rendit bien compte que les marmites pleines d'eau de roche prête à s'enflammer étaient bien plus rares que les banals rochers sans forme spéciale dans sa zone de prospection, et qu'il avait probablement détruit quelque chose d'extrêmement précieux, sans le savoir.

Dangorn devait maintenant modérer les ardeurs des autres participants qui l'accusaient de triche. "Mais puisque je vous dit que non, je n'ai pas caché de feu grégeois en avance de la compétition ! Ce devait être une ancienne relique de la Guerre de la Barbe qui se trouvait là, un simple coup de chance ! Et puis, qu'importe, puisque personne n'a été touché (ou presque)."

_________________
Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyVen 28 Juil 2023 - 14:21

L'élimination de l'équipage du Lord fit immédiatement blêmir ce dernier ainsi que sa charmante épouse. Le Roy s'en alarma.

- Eh bien cher Lord, seriez-vous mauvais perdant ? Cela ne vous ressemble guère. Qu'avez-vous à pâlir de la sorte ?

Ce fut Luna qui fut plus prompte à répondre au souverain :

- Hélas votre Majesté, nous craignons pour le sort de notre si dévoué Orasio. Celui-si était avec notre ultime servant pourvu que...
- Dame Gaea, s'enquit avec une détresse peu coutumière del Insula. Rassurez-nous en nous annonçant la survie de notre ami, je vous en conjure par le Graal.

Cette dernière répondit avec un sourire :

- Milady, Milord, ne souffrez nulle crainte. Votre compagnon a pu esquiver le trépas imminent grâce à l'habile subterfuge que je lui confia plus tôt. Il est à noter que votre dernier servant a également profité de l'enchantement.

- Louée soit la Dame, soupira Luna de réconfort.
- Bonne nouvelle en effet, s'enthousiasma le Roy. Vous pourrez donc à loisir profiter du final prometteur.
- Oui, your Majesty. Et J'espère avoir l'occasion de féliciter Sir Osbourne pour le magnifique tir qu'il réalisa céans, ainsi que mon équipage donts le score obtenu est des plus honorables.
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 31 Juil 2023 - 5:41

LE TOURNOI DE TRÉBUCHETS DU CHESNOIS :
Treizième tour

À l’approche du dénouement, l’impatience des spectateurs prenait des proportions inquiétantes. La nuit avait offert un terrain propice à toutes les spéculations, qui cédaient enfin la place aux certitudes. Plus personne ne croyait – ou n’osait espérer – une longue survie des équipes du Chesnois et de Castagne. Pourtant, nul ne s’attendait à voir d’abord disparaître les artilleurs de Gransette. Cette élimination brutale avait excité le public au plus haut point (et sans doute ouvert l’appétit des mousillonais), jusqu’à ce que la destruction du trébuchet du Lord assène une violente douche froide. C’était beaucoup d’émotions pour un début de matinée. Très agité derrière son porte-voix, Reynald de Chantillon espérait de tout son être un dénouement. Et si les hommes de sir Osbourne manquaient leur cible ? L’agitation de la plèbe deviendrait vite ingérable. Il n’osait même pas songer à l’émeute que pourraient occasionner plusieurs tirs infructueux. Cependant, l’heure n’était plus aux méditations angoissées : le guetteur d’Osbourne venait de replonger dans la brume. La courte phase d’observation arrivait à son terme. Encore une minute ou deux pour les derniers réglages...

Le silence général le frappa. On aurait presque pu entendre un escargot ramper. L’ambiance n’était plus celle d’un tournoi, mais d’une exécution. Chacun était frappé de mutisme, les muscles tendus, les nerfs à fleur de peau, attentif au moment où le bourreau abattrait son instrument sur la nuque du condamné. D’une main tremblante, Reynald donna le signal, et les trompes se firent entendre.

À la surprise générale, Founard, dernier servant du comte Dangorn, tira le premier. Le charme fut instantanément rompu, et le vol du rocher s’accompagna d’une salve d’applaudissements. Qu’un homme seul soit parvenu à devancer une équipe au complet relevait de l’exploit ; une affirmation que contrediraient très vite les observateurs avertis, en constatant que le projectile suivait la même trajectoire qu’au tour précédent.

« Castagne tente de nouveau sa chance et cible le trébuchet de Gransette ! annonça Reynald d’une traite.  
Oui, sans doute est-ce là l’option la plus sage, analysa Gaea sur son ton posé. N’ayant presque aucune chance de l’emporter sur aucun des deux tableaux, que ce soit par les points ou en survivant à l’épreuve, cette équipe doit viser une seconde place au classement. La destruction d’un trébuchet lui permettrait de passer devant le Lord avec... »  

Elle n’eut pas le temps d’achever. Le rocher piqua, avant d’éclater à côté de l’engin abandonné.

« Ooooh ! Si près ! Il s’en est fallu d’un rien. Quoique le vigoureux assaut de Castagne l’ait bien ébranlée – le rire gras du comte se fit entendre dans les tribunes – la machine de Gransette tient le coup !
Et voici une nouvelle attaque des artilleurs de sir Osbourne, qui jouent avec le feu, enchaîna Gaea sur un petit rire cristallin.  
En effet !
Certes.
Tout à fait. »

Durant l’entre-deux tours Robin Osbourne s’était jeté sans hésitation sur l’opportunité qui s’offrait à lui. Du feu ? Il n’avait pas rêvé ? Il avait bien été question de feu. Le récipient ne quitta pas le stand technique pour gagner le terrain sans qu’il l’eût inspecté de fond en comble et légèrement "amélioré". Le tir impromptu de sa batterie Tonnerre-de-Feu lui restait en travers de la gorge, et il comptait bien mettre à profit le matériel pyrotechnique qui lui restait. Que ses hommes réussissent ou non à toucher leur cible, foi d'Osbourne, le spectacle serait au rendez-vous.

« Euh... C’est normal que ça fasse des étincelles ? interrogea Reynald, en obturant le porte-voix d’une main.
Pas que je sache, répondit Gaea tout aussi perplexe. Embrayez, vite ! Ne laissons pas le doute s’installer.
Et un feu grégeois de plus, un !, reprit le chambellan. Nul sur ce champ ne doit avoir plus d’expertise en la matière que les disciples de sir Osbourne ! Les choses se présentent bien... Sans surprise la position de Castagne est prise pour cible... Voici qu’il amorce sa descente, eeeeeeeeet... »

BAOUUUUUUUUUM !  
«  Tabarnak !  »

La déflagration fit trembler la terre, envoya voler les feuilles des haies, précipita au sol ceux qui ne disposaient pas d’un siège. Une colonne de fumée pourpre s’éleva à grande vitesse depuis le site de l’explosion, avec, à son sommet, une petite sphère de lumière. Celle-ci gagnait en intensité comme en taille tandis qu’elle se rapprochait des nuages. Son éclat devint vite insupportable pour les mousillonais, contraints de se retrancher derrière le parapet de leur tour. Parvenu au terme de son ascension, l’orbe se mit à pulser tel un gigantesque cœur d’or liquide. Les battements s’accélérèrent et finirent par atteindre le seuil de rupture. Dans une puissante onde de choc, la masse ardente perdit sa cohésion et se désintégra en un million d’étincelles. De son centre en plein effondrement jaillirent des fumerolles colorées, tantôt rouges, tantôt bleues, qui chutèrent éparses avec une lenteur gracieuse.

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Maxres10

Dès les premières secousses, Reynald, à l’instar de nombreux spectateurs, s’était jeté de côté en quête d’un abri, entraînant Gaea avec lui. Le geste n’était pas vraiment prémédité, mais le vulgaire résultat d’une chute dans laquelle il avait cherché à se rattraper.  

« Messire de Chantillon ! Quelle galanterie ! M’offrir ainsi la protection de votre corps !, se méprit la prophétesse.
Je... non... euh... enfin... oui..., balbutia-t-il. Quoi de plus normal... Pour un gentilhomme c'est...
Le trébuchet de Castagne est en feu, clama-t-on dans leur dos. Je déclare ce tournoi terminé ! L’équipe de sir Robin Osbourne l’emporte par élimination et par les points ! »

Suivit un tonnerre d’acclamations pour saluer cette performance autant sportive qu’artistique. D’un même mouvement, Reynald et Gaea se retournèrent pour constater qu’Aurevallis s’était avancé jusqu’au porte-voix.

« Je reprends les choses en main à partir d’ici, leur déclara-t-il au milieu de la foule en liesse. Vous pouvez disposer. »

Son visage affichait un sourire mauvais, dans lequel se mêlaient mépris et ironie.

« Eloi, dit il en se tournant vers son écuyer, file chercher les médailles dans mes bagages et porte les à l’orfèvre du Lord. Il est prévenu et t’attend déjà. Dès qu’il y aura gravé le nom du double vainqueur, reviens ici en quatrième vitesse.
Oui, s’gneur. »

Une claque monumentale assénée sur l’occiput fit basculer le garçon.

« Oui, seigneur ! Oui, seigneur ! Oui, seigneur ! Oui, seigneur ! Oui, seigneur !, répéta-t-il tandis qu’il détalait. Toutes les cloches de la grande cathédrale de Couronne paraissaient sonner dans sa tête.      
   
Cette nouvelle entorse verbale ne pesa pas longtemps sur l’humeur de son maître. Mictlantecuhtli était satisfait. Très satisfait. Le tournoi s’était achevé sur un coup d’éclat imprévu, mais du meilleur effet. Ce qu’il restait des brumes magiques commençait déjà à se dissiper, dévoilant la dernière équipe encore intacte, bien à l’abri derrière une haie au pied de la tribune d’honneur. Ses membres sautaient sur place, quand ils n’échangeaient pas de grandes accolades. Aucun tir ne les avait réellement menacés ; ils s’en tiraient à très bon compte.

À défaut de Baldwin, toujours retenu par la surveillance du terrain, Aurevallis dû se rabattre sur quelques serviteurs du Lord pour distribuer ses instructions. Les uns dresseraient une estrade à la hâte, afin que la remise des décorations soit visible de tous, les autres s’assureraient de la présence des nobles ayant concouru ainsi que du roy.  

Ces détails pratiques expédiés, il regagna un siège sans prêter attention aux échanges enthousiastes qui fusaient tout autour de lui. Son regard se mit à errer sur le terrain. Les serfs du Lord auraient fort à faire pour le remettre en état, mais les pertes matérielles n’étaient pas aussi lourdes qu’à l’accoutumée. Que ce soit à Couronne ou en Alsacie, plus de la moitié des trébuchets alignés avaient été détruits. Aujourd’hui, la baronne de Gransette, Bombur Fière-Barbe, le baron de Jambe, et bien sûr Robin Osbourne, pourraient regagner leur domaine avec une machine fonctionnelle. Les pertes humaines demeuraient quantité négligeable. Et en parlant d’humain... Non loin du trébuchet de Castagne consumé par les flammes, Mictlantecuhtli avisa soudain un individu maculé de poussière. Clairement déboussolé, il zigzaguait d’un pas d’ivrogne, s’écroulait, se relevait à grande peine, puis repartait en sens inverse. Un servant d’une équipe éliminée s'en tirait sans une égratignure ! C’était bien une première dans l’histoire des tournois, et bien sûr personne n’en avait cure.      

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Tour-112

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Impacts :

1) Dangorn de Castagne : L8 => Hit ! => L8
2) Agilgar de Grizac : Q5 => déviation sud-ouest de 1 case => R4 (trébuchet de Dangorn ravagé par les flammes !)

Tableau des scores :

- Ethgri Wyrda : 3 points
- Vg11k : 0 points
- Lord del Insula : 6 points
- Dangorn de Castagne : 4 point
- Alain de Saint Jean : 1 point
- Toison d’or : 2 points
- Agilgar de Grizac : 10 points king + king

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Gloire au vainqueur ! cheers Remise des médailles le dimanche 6 août.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 7 Aoû 2023 - 0:22

Pendant que les préparatifs de remise des prix étaient mis en œuvre, les infortunés Orasio et Riton se débattaient avec la matière visqueuse qui leur avait tenu lieu de zone d’atterrissage.  Passée l'émotion d'une mort imminente, Riton se lamentait :

- S'étions un crève cœur de perdre c'te machine là ? Des mois à trouvier le bon bois, plus encore pour el montage. Et j'comptions pas le temps de calibrage. j'en sois tout plein d'aigreur que j'en chialerions.

- Ma no problemo. Ye vais tou contructionne oune tribuchet magnifico. Tou m'en dira des nouvelle, par la Madone !

Cela n'eut guère l'effet escompté, car son compagnon resta morose, marmonnant quelques diatribes sur l'impact négatif de concepts étrangers sur le  bon vieux savoir faire local. Du reste, le tiléen n'y prêta guère attention, obsédé à l'idée d'aller jeter un œil sur la machine des vainqueurs et d'échanger avec le maître artilleur sur les théories balistiques les plus récentes.

- Ye ritourne au tournoi sour le champs et rapido. Arrivederci !

Et il fonça sans attendre, slalomant entre les escargots, et ce malgré la quantité de bave qui restait encore collée à ses vêtements.
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyLun 7 Aoû 2023 - 3:50

LE TOURNOI DE TRÉBUCHETS DU CHESNOIS :
Remise des médailles

« Allez les gars ! Plus vite qu’ça ! Arrosez ! »

Le service technique s’affairait au sud-ouest du terrain. Le brasier allumé par le dernier tir menaçait de se propager dans une campagne depuis trop longtemps boudée par la pluie. Il fallait l'éteindre d’urgence, avant qu’il ne compromette la cérémonie de clôture.

« Plusse de flotte, bon sang ! », beuglait le chef d’équipe.

Une longue chaîne humaine acheminait continuellement des seaux depuis la Grismerie, mais les pompiers improvisés progressaient avec la lenteur des gastéropodes locaux. Le centre du cratère dégageait une chaleur telle que l’eau se vaporisait avant d’atteindre le sol.

« On y arrivr’a pas com ça. Formez l’cercle ! ‘tendez mon signal ! »

Plusieurs dizaines d’hommes munis de récipients remplis à ras bord se mirent en position, aussi proches que possible de l’épicentre.

« Tous ensemble ! Un ! Deux ! CINQ !
Euh, trois, chef
Ta gueule, Raoul ! T’sais pas plus comp’ter qu’moi ! J’AI DIT CINQ ! »  

Les jets d’eau s’abattirent sur la masse incandescente avec un « Pshhhhhh » tonitruant, et l’on eut dit que le brouillard enchanté venait de réinvestir le champ.

« ’croyez qu’on l’a estouffé, chef ?
Kes’k’tu veux qu’jen sache ? J’y vois goutte dans c’te purée d’pois !  
C’pas désagréab’ notez.
Quoi ?
La vapeur. Paraît k’c’est mêm’ un pass’ temps des gens d’la haute, dans l’conseil d’not bon roy.
S’baignez dans d’la vapeur ?
Ouais.
T’es trop con, Raoul. »

À quelque distance de là, Mictlantecuhtli assistait aux ultimes soubresauts de l’incendie. Il était grand temps que ces feignasses de paysans en viennent à bout, car il se voyait mal remettre les médailles tandis qu’un mur de flammes progressait dans le dos des spectateurs.  
Tout semblait prêt : une estrade recouverte de riches étoffes cramoisies s’élevait au pied de la tribune, le peuple se massait sur le terrain derrière une ligne de hallebardiers, les invités d’honneur avaient regagné leurs sièges... bien, bien... Aurevallis avait également pris des dispositions, afin que la tête du monstrueux Cygor soit tranchée et exposée à côté du Lord. Ainsi pouvait-il honorer l’hôte, dont l’équipage avait asséné le coup de grâce au titan cornu. Le Lord se tenait auprès du trophée, empli de fierté, mais le nez un peu plissé, car la carcasse commençait à dégager les effluves méphitiques de la décomposition. À sa gauche, Bombur Fière-Barbe, dont la pose altière justifiait ce patronyme, puis la baronne de Gransette, le visage impénétrable, sir Osbourne, rayonnant dans la victoire, et arrivait enfin le comte de Castagne, une gueuze dans une main pour se rincer le gosier, une gueuse sous le bras pour les divertissements post-tournoi. Trois, quatre, cinq... Il en manquait toujours un !

« Rhâââ ! Que la lèpre lui dévore la face !, fulmina Aurevallis avant de se tourner vers un membre de sa suite. As-tu des nouvelles de ce maudit baron de Jambe ? Nous ne pouvons commencer sans lui !
Âs dièrinnes novèles l’èsteût d’vins èl tinte dès médes », répondit le soldat dans sa langue maternelle.        

Mictlantecuhtli maîtrisait peu le vallon, le parler des gueux de sa seigneurie forestière, et Baldwin devait souvent lui tenir lieu d’interprète. Par chance, il avait fini par assimiler un vocabulaire suffisant pour comprendre ses sujets ; du moins dans les grandes lignes. Il rameuta quelques-uns de ses soldats avant de se diriger vers la tente de soins, aussi vite que le permettait son orteil meurtri.

*****
 
« Il est vivant ?
Il gémit plus qu’il ne respire, votre seigneurie. Mais, oui, il vit », répondit le médecin.  

Le baron de Jambe gisait sur une civière, dans une tente blanche frappée de petites croix rouges. Le dernier traitement l’avait laissé dans un piteux état. Après un débat animé, ses savants thérapeutes avaient conclu que les hémorragies du baron étaient causées par une pression de sang excessive. Ils lui avaient donc prescrit une saignée. À en juger par la pâleur de son teint, ce qui restait dans ses veines ne pourrait même pas servir d’apéritif aux moussillonais.

« Bon. Remettez-le sur pieds, il est attendu auprès des autres concurrents, commanda Aurevallis.
Messire ! Vous n’y pensez pas ! Le baron ne saurait quitter le lit avant plusieurs jours, si pas des semaines ! D’après mon expertise, je dirais que...
Assez ! »

Mictlantecuhtli examinait le blessé en silence, tout en lissant sa courte barbe. Il ne saurait quitter le lit... Bon. Aux grands maux les grands moyens.

« Ficelez-le, lâcha-t-il à ses hommes, comme s’il parlait d’un sac de grains. Une corde ici... Non, plus bas, au niveau de la cheville. Pareil de l’autre côté... Bien, la taille à présent. Une autre sous les aisselles... C’est trop visible. Cachez-la dans les plis du vêtement. »

Sous la conduite d’Aurevallis, les mains s’activèrent autour du baron.

« Bien. Voilà qui devrait tenir. À présent, une personne de chaque côté. Redressez-moi ça. »  

Sans grand ménagement, les deux soudards les plus costauds de l’escorte empoignèrent les bords de la civière pour la positionner à la verticale. Costauds, mais guère futés...

« Dans l’autre sens, soupira Aurevallis.  
Èscuzez, sègneûr », se confondirent les porteurs, tandis qu’ils remettaient le baron à l’endroit.  

Ce petit séjour tête en bas avait envoyé quelques gouttes de sang supplémentaires dans le crâne du malade. Juste assez pour lui permettre de balbutier un filet de mots inintelligibles, avant que sa tête retourne dodeliner d’une épaule à l’autre. Encadré par deux armoires à glace qui dissimulaient en grande partie le brancard, le baron de Jambes donnait presque l’impression de se tenir debout. Le subterfuge ne tromperait personne sur l’estrade ; par contre les occupants de la tribune d’honneur ainsi que le peuple n’y verraient que du feu. Il était temps de rejoindre le terrain.

*****
 

Au son des trompettes et sous les vivats enthousiastes de la foule, le roy descendit les quelques marches des tribunes pour rejoindre les concurrents. Flanqués de leurs bannières, ceux-ci formaient à présent un large arc de cercle autour de la flamme du tournoi. Il était du devoir du souverain de saluer chaque participant, de leur glisser un compliment bien senti ; ce dont il s’acquitta avec l’aisance d’un politicien chevronné. Les paroles sortaient de sa bouche sans passer par sa tête, qui était déjà tournée vers d’autres affaires. Aurevallis se raidit légèrement lorsque Louen s’arrêta devant le baron de Jambe, mais le roy agissait avec un tel automatisme qu’il ne prêta aucune attention à l’apparente raideur de son vassal. Par un heureux hasard, la tête de ce dernier bascula sur sa poitrine, donnant l’impression d’un salut respectueux. Louen s’en fut vers le comte de Castagne. Après un soupir de soulagement, Mictlantecuhtli considéra le fameux Dangorn et ne pu s’empêcher de penser que la Dame du Lac opérait des choix bien étranges lorsqu’il s’agissait de choisir le gardien de son vaisselier. Le tour s’acheva, Aurevallis s’avança.

« Nobles et valeureux participants à cette troisième édition du tournoi de trébuchets – les acclamations reprirent de plus belle –, vous vous êtes illustrés dans une épreuve d’endurance peu commune, qui a tenu le royaume en haleine deux jours durant. »        

Un jour et demi, pour être exact. Mais nul doute que les festivités prévues par le Lord et dame Luna combleraient agréablement les prochaines heures.

« En ma qualité d’organisateur historique de ces tournois... »

Aurevallis avait bien pesé ces mots pour asseoir sa prise de pouvoir. Le pauvre Reynald était à présent réduit au rang de spectateur de sa propre compétition. Tout son travail était éclipsé par la renommée de son prédécesseur, qui avait su s’imposer au bon moment.

« ... j’ai le grand plaisir de décorer chacun d’entre vous pour ces faits d’armes exceptionnels. »

Voilà qui était inattendu, car les précédentes remises de prix se bornaient à récompenser les seuls vainqueurs. Suivi d’Eloi, qui transportait les récompenses sur un large coussin, Mictlantecuhtli progressa avec cérémonie d’un concurrent à l’autre, leur passant autour du cou de longues écharpes de velours pourpre à double liseré de fils d’or. Chaque remise était ponctuée d’applaudissements nourris.

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Bandea10

« Et à présent, reprit Aurevallis lorsqu’il eut fini la distribution, il nous faut honorer celui dont l’équipe a traversé le tournoi sans une égratignure, celui qui a survécu à tous ses concurrents, celui qui domine les scores avec un total de 10 points, celui qui vient de renouveler la performance du baron de Joli-Tonneau au tournoi d’Alsacie, j’ai nommé, SIR ROBIN OSBOURNE ! »

Un public surexcité, toujours sous le charme du spectacle pyrotechnique auquel il venait d’assister, éclata en ovations tandis que le vainqueur s’avançait d’un pas. Aurevallis préleva les deux médailles d’or à cabochons d’ambre qui reposaient encore sur le coussin. Il s’apprêtait à les remettre à leur nouveau propriétaire, lorsque les souvenirs du tournoi d’Alsacie lui revinrent en mémoire. Il avait alors jugé politiquement profitable de mettre en avant l’hôte du tournoi, et c’est des mains du compte Guillaume que le baron de Joli-Tonneau avait reçu ses décorations.

« Milord, si vous voulez bien... »

Le Lord répondit à l’invitation. Un instant plus tard, Robin Osbourne était revêtu des insignes de la victoire totale.

Spoiler:
       

La ferveur populaire déborda, allant jusqu’à menacer le cordon de sécurité. Les gardes en faction durent jouer des coudes et briser quelques dents afin de maintenir un semblant d’ordre, qui fut de nouveau compromis lorsqu’Aurevallis reprit la parole :

« Pour finir, les artilleurs de sir Osbourne seront également récompensés par une miche de pain frais, une tranche de lard fumé et un cruchon de piquette. »

Un présent royal. Les gueux n'en revenaient pas.  

« Chacun », ajouta Mictlantecuhtli.

C’en était fini des beaux discours. Plus personne, pas même dame Gaea avec sa voix enchantée, ne pourrait plus se faire entendre. Ce jour là suscita bien des vocations dans la plèbe, et les volontaires pour de futurs tournois ne firent jamais défaut.

Quatre hommes gravirent l’escalier de la tribune d’honneur, chacun tenant le coin d’une grande peau de bête détrempée. Ils l'étendirent avec précautions sur la vasque qui avait déjà éclairé les tournois de Couronne comme d’Alsacie, et la flamme mourut. Avec ce geste symbolique, le tournoi du Chesnois prit fin.  

Par gestes ou par paroles hurlées directement dans l’oreille, des serviteurs invitèrent les nobles à prendre la direction du château. Ménestrels, montreurs d’ours, musiciens, jongleurs et conteurs allaient encore se succéder jusque tard dans la nuit pour agrémenter les innombrables services d’un banquet plantureux. Les concurrents ouvraient la joyeuse marche du retour, à la suite du Lord, de sa dame et du roy. Une forêt de hampes garnies de fanions multicolores se déversa sur la route de Rèmes, tandis que les gueux se dispersaient dans un indescriptible désordre.

Aurevallis était resté en arrière. Puisqu’il devait encore s’entretenir avec Baldwin au sujet de la sécurité, la fête devrait attendre. Au milieu de la foule, cherchant son capitaine, il finit par remarquer deux hommes d’armes qui tentaient d’attirer son attention. Les porteurs du baron de Jambe. Il l’avait presque oublié celui-là. Mimant le jet négligé d’un objet par-dessus son épaule, Mictlantecuhtli transmit ses directives et repartit en quête de Baldwin. Les deux soldats échangèrent un regard, lâchèrent leur fardeau qui s’écrasa face contre terre, puis partirent bras dessus bras dessous vers la plus proche taverne.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Essen
Chevalier de la Quête
Essen


Nombre de messages : 442
Age : 28
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 26/12/2015

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 15 Aoû 2023 - 11:25

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 264-2610


     Le shaman meuglait quelque chose d'indéfinissable et, tout en meuglant, aplatissait le moindre bout de chair du visage du sergent. L'uniforme de celui-ci était en oripeaux, le casque perdu, les chausses retirées pour on ne saurait quelle raison, ses membres ligotés par il ne savait trop quoi, et il avait passé le stade de la peur depuis longtemps, il avait mal, il voyait mal, tout puait, il lui manquait une dent ou deux, des coups précédents dans le bas-ventre l’avaient plié en deux, mais on l’avait relevé pour mieux poursuivre la curée. Tout autour, ce n’était que brames et braiements, le tout se fondait dans une cacophonie infame, le sergent avait passé le stade de la peur, il avait mal, il subissait mille coups, et dans sa tête, instinctivement, s’était cristallisée l’attente de quelque blessure encore plus grave, voire d’un coup de grâce qui amènerait le noir définitif. Son cheval avait été le premier à périr, une masse de chair, de cornes et de poils s’était agglutinée autour et son hennissement fut bref, la masse dévorante se teinta aussitôt d’éclaboussures de sang, il y eut peut-être, sans doute, des coups qui étalèrent quelques monstres moins féroces à terre afin que les plus puissants se départagent les meilleurs morceaux. La journée était sombre, le couvert des arbres rendait les couleurs diffuses, le sergent monté ne se voyait plus que comme de l’extérieur, il se surprenait à respirer encore l’air vicié et s’étonnait que son cœur battît si fort alors que manifestement sa dernière heure était venue. Des souvenirs d’entrainement aux armes, sans doute aussi un peu douloureux, fusèrent et s’imposèrent à sa mémoire, à moins que ce ne fut des coups du père, son père, ou de ses camarades de jeu lors des lointaines bagarres de son enfance. Il avait vu surplomber la clairière un étalage inconcevable de crânes de toutes sortes d’animaux, la plupart cornus, et c’était contre le pieu qui soutenait l’étalage que l’on l’avait adossé pour mieux le frapper. Pourquoi lui ? Il avait eu la sottise de vouloir vérifier la lisière où il avait cru voir du mouvement…

     Il y eut un répit pendant quelques instants, un répit dans les coups, mais pas dans les brames ; une pluie d’objet tomba aux pieds du shaman et du sergent, et ce dernier manqua de défaillir en reconnaissant toutes sortes de couteaux, massues et autres armes abjectement conçues. Allaient-ils donc le faire souffrir jusqu’au bout avec ces choses ? La Dame l’entendrait-il dans cette agonie imminente ? Les prières se mélangeaient dans sa tête, il essayait autant qu’il le pouvait de se préparer au trépas, tout en se voyant se débattre de toutes ses forces, priant pour qu’un miracle vienne rompre ses liens et terrasser toute l’abjecte assemblée de monstruosités poilues qui beuglaient et braillaient avec une cruauté non contenue à la vue de sa souffrance.

     Alors, il y eut quelque chose qui détourna l’attention du shaman et des autres ; le sergent voyait mal, mais il entendit, s’étonnant qu’il pouvait être terrifié encore plus, un redoublement de mugissements assourdissants, venant de toutes parts, et la cruauté sembla laisser place à de la colère, de la colère, encore plus de colère, puis il y eut des bruits de lutte, des braiements agonisants, des hurlements de fureur, le shaman sembla complètement oublier le sergent et beugla des imprécations rageuses qui firent vibrer l’air et se répercutèrent en écho parmi les créatures déchainées sur la clairière où le sang giclait de plus en plus franchement et où les cris de douleur et de carnage achevèrent d’ôter au sergent toute capacité de jugement de la situation ; ses yeux fixèrent le désordre d’armes grossières à ses pieds mais sans les voir, puis les genoux du sergent se fléchirent, il tomba sur le côté, se recroquevilla sur lui-même et attendit ainsi, sans savoir quoi, sans se soucier de quoi que ce fût, s’étonnant à travers la brume qui s’emparait de ses sens que son cœur battait encore dans sa poitrine.


***


     Les tribus pouvaient très bien s’entretuer ici-même, au milieu des bois, et les Dieux Sombres se riraient de leurs gémissements d’agonie et de leur rage impuissante. C’était pour ça qu’il fallait toujours que l’un d’eux sorte du lot. Une bête pensante. Un shaman.

     L’explosion de ce jour, bien plus puissante que celle de la veille, était parvenue à terrifier de nouveau la tribu de Gerthor, et ce dernier se serait fait tuer par ses propres gors en essayant de les convaincre d’attaquer, et c’était son shaman qui l’en avait dissuadé, murmurant que pour attirer la faveur des dieux sur leur tribu, un sacrifice serait nécessaire. C’était pour ça qu’ils avaient capturé vivant l’humain qui s’était rapproché de trop de la lisière des bois. Or le sacrifice avait été interrompu par l’arrivée soudaine d’autres tribus venant du fond de la forêt, attirées sans doute par la même déflagration qui avait pétrifié la tribu de Gerthor !
Tout alla très vite.
     Le shaman brama à se rompre les cordes vocales, brama en invoquant tous les noms interdits des Dieux Sombres, brama que la chair fraiche attendait, si proche, dans la prairie maudite !
     Gerthor, qui était aux prises avec un groupe de trois ungors particulièrement hideux, brama alors son cri de guerre, une ultime fois, avant de s’élancer dans les fourrés ; deux fois en deux jours, ce cri avait failli, et si la troisième fois ne marchait pas, alors, par les Dieux Sombres, il s’en irait découper les exécrables humains seul !  

     Le shaman brama de plus belle et s’élança à sa suite.

     Les gors de la tribu des Sabots Fourchus, chacun en prise avec une autre créature d’une autre tribu, bramèrent de fureur et levèrent leurs armes au ciel, appelant les Dieux Sombres à leur aide. A peine cela fut fait qu’ils coururent à leur tour dans les sous-bois, alors qu’au même moment, les autres chefs de tribus mugissaient leurs prières à leur tour et, aussitôt, les arbres de la forêt tremblèrent de tous les cris inhumains qui sonnaient l’attaque imminente. Gors, ungors, bestigors, centigors, quelques minotaures et bien d’autres créatures innommables se mirent dans un galop effréné en direction du sud, vers la Grismérie, vers le Chesnois.
Ils ne s’arrêteraient que lorsque tout serait écrasé et dévoré.


***


     Le brame montant dans un crescendo furieux ne manqua guère d’interpeller, non, d’affoler les patrouilles de sergents montés ; des rapports furent lancés, maladroits chacun à sa manière, mais universellement alarmants, et les quelques sergents un peu plus hauts gradés tentèrent tant bien que mal d’organiser un front de cavalerie uni face à ce qui allait inévitablement sortir de la forêt. La lumière déclinante du jour rassurait certains, affolait d’autres, et la nervosité des cavaliers était tout à fait semblable à celle de leurs montures, dont un bon nombre se cabra et tenta de rebrousser chemin ; un ou deux cavaliers manquèrent d’ailleurs à les retenir et disparurent aussitôt de vue, provoquant moult jurons de la part de la troupe qui restait.
     Les cors de cavalerie résonnaient un peu partout, rameutant les patrouilles qui surveillaient notamment la partie est du Chesnois ; ils résonnaient également pour contrer tant bien que mal les mugissement de plus en plus retentissants qui provenaient de la forêt d’Arden.
     Il y eut alors du remue-ménage dans les rangs : une partie des cavaliers se mit soudainement au galop dans la direction opposée à celle des bois, et de manière qui laissait facilement deviner une désertion. Cela faisait longtemps, pour bon nombre des sergents, qu’une attaque d’hommes-bêtes n’avait point eu lieu, alors que d’autres étaient tout simplement de fraiches recrues qui résultaient des récentes mesures de renforcement des patrouilles…
Nul ne saurait si ce triste exemple eût été suivi par le gros de la troupe car, au même moment, un autre contingent de cavaliers se joignit à la ligne de front, des ordres furent aboyés et, avant même que les sergents montés ne puissent proprement réagir, ce furent curieusement leurs montures qui firent place là où il fallait : un chevalier traversait les rangs… Son armure ouvragée portait les insignes du Graal, ses couleurs bien connues, de sable et de lys, étaient l’objet de bien des chants populaires dans le Chesnois : Silvère de Castagne, chevalier du Graal, était accouru là où l’alerte avait été donnée.

     Les bois vomirent les mutants qu’ils contenaient ; ils surgissaient par douzaines, beuglant leur mépris à l’humanité ; coupé au beau milieu d’un discours encourageant, Silvère hurla aux sergents montés de sonner la charge. Le chevalier du Graal s’empara aussitôt d’une lance de cavalerie lestement apprêtée par son écuyer, et fut le premier à charger les créatures du Chaos. Aussitôt, la troupe éperonna ses montures, priant pour que la distance qui les séparait des monstruosités soit suffisante pour que leur charge eût suffisamment de puissance…


***


     Au château de Rèmes, où l’esprit de tous et de chacun était à festoyer, l’alerte donnée par les rapports successifs fut progressivement prise avec de plus en de sérieux ; le seigneur du Chesnois lui-même ordonna de seller son meilleur destrier et fit apporter son armure ; l’animosité qui gagnait les nobles n’était guère au goût de tout le monde, tant cela rompait avec l’humeur des réjouissances du tournoi, mais nul n’eut l’outrecuidance de critiquer le branle-bas-de-combat en cours. L’on perdit aussitôt de vue le sire Dangorn de Castagne, que les sentinelles du pont-levis durent laisser passer en premier avec son écuyer, alors même que les chevaliers du Chesnois ne commençaient à peine qu’à mettre leurs pieds aux étriers ; puis, ce fut au tour de la maisonnée de Gransette de quitter le château au grand galop, la baronne ayant mystérieusement disparu au moment de la mobilisation générale. Enfin, le flot de chevaliers enfla et fit trembler le pont-levis sous le poids de la cavalcade : chevaliers du royaume, quelques chevaliers errants, Robin Osbourne qui, en tant que vainqueur du tournoi, eut l’honneur de chevaucher directement aux côtés du roy Louen Léoncœur…


***


     La troupe de sergents montés fondit comme neige au soleil. S’ils parvinrent à mettre en déroute les quelques premières dizaines de mutants, l’afflux de ces derniers ne fit qu’enfler et les cavaliers perdirent hélas beaucoup des leurs avant de pouvoir réorganiser une charge ; lorsqu’ils fondirent une fois de plus sur leurs ennemis, ils durent faire face à des créatures dont la peau était plus épaisse, les armes plus lourdes, les hurlements bien plus féroces. Alors, ce fut la débandade : trop d’âmes courageuses avaient déjà péri, et les survivants ne voyaient qu’une horde de plus en plus nombreuse de monstruosités diverses qui leur fonçaient dessus ; la plupart n’eurent guère même le choix, emportés par leurs chevaux complètement affolés. Silvère de Castagne, tournant autour d’eux tel un chien-berger, tentait tant bien que mal de canaliser la débâcle vers un endroit stratégique : le champ de tir du tournoi.


***


     Sur le champ de tir, Brombür Fière-Barbe poussa un grognement de soulagement lorsque son équipage lui rapporta que leur machine était ENFIN proprement démontée et déposée en pièces détachées sur la charrette de transport. Il n’avait que peu d’attention envers les bruits de beuverie qui retentissaient à quelques centaines de coudées plus loin, une curieuse amitié s’étant formée entre les servants Pat Bowl et Bill Vesey, l’artilleur tiléen Orasio et Founard, l’unique survivant du trébuchet de la Trippe.
     Brombür, en bon nain, préférait savourer sa boisson dans un endroit propre et fermé, et ils avaient déjà fait la moitié du chemin vers la sortie des tribunes au moment où des cors d’alerte retentirent au loin.
     Les nains se dévisagèrent.
     Le destin pouvait être bien cruel quelquefois.
     Mais bon.
     Il y avait pire comme situation que de devoir remonter une machine de guerre que l’on venait à peine de démonter.


***


     Un peu plus haut, sur les gradins, au demeurant vidés de la populace partie fêter la fin de l’événement aux bourg et aux villages avoisinants, un contingent d’archers attendait diligemment les ordres, et ils n’eurent guère à attendre longtemps : Baldwin, le nouveau chef de la sécurité, fut sur les lieux à une vitesse qui ne s’expliquait qu'à l’épuisement de sa monture, qui tenait à peine debout lorsqu’il démonta. Ses ordres furent simples (plus compliqué, ça ne marchait jamais…) – rester en disposition de tir sur les rangs supérieurs des gradins, en direction de là d’où provenait le grabuge. Lui-même était armé de pieds en cap, et sa seule présence inspirait aux gueux à la fois crainte et respect.
     Une fois de plus, l’attente des archers ne fut guère longue : déjà l’on pouvait voir les cavaliers au loin, galopant à travers les champs et les collines, parfois piétinant des récoltes mais se dirigeant résolument en direction du champ de tir. L’on pouvait apercevoir parmi eux un étrange cavalier qui semblait émettre une lumière de plus en plus vive au milieu des ténèbres grandissantes.
     Derrière eux, cependant, les archers aperçurent… ils virent que si les cavaliers se contentaient de traverser les champs, leurs poursuivants, eux, les submergeaient totalement. Comme le tout devait s’approcher à toute allure, aux sons des cors et aux hennissements de chevaux se mêla de plus en plus de bruits inhumains, dont la puissance croissait, croissait…
     Un message fut transmis parmi les rangs des archers : le chef de la sécurité rappelait à tous que les éventuels fuyards connaitraient un sort… horrible… les mots précis de Baldwin étant à chaque fois déformés par des archers au vocabulaire hésitant, mais l’effet escompté fut atteint. Désormais, le contingent entier craignait davantage de rompre les rangs que de se prendre la charge des créatures des bois en pleine figure.


***


     Les tribus réunies dévastaient tout sur leur passage ; ceux qui portaient des torches n’hésitaient pas à mettre le feu aux champs de céréales qu’ils traversaient, quitte à mettre en péril l’existence de ceux qui suivaient derrière ; Gerthor, galvanisé par leur premier succès contre les cavaliers, repu temporairement du sang de ses victimes, beuglait à ses gors de ne pas lâcher la poursuite et de tout détruire au nom des Dieux Sombres… Il avait depuis longtemps été dépassé par des centigors et avait aperçu les dos massifs de quelques minotaures, mais son regard de prédateur demeurait constamment fixé sur les croupes des chevaux qui fuyaient quelques centaines de pas devant lui. Ni lui, ni la plupart des autres créatures présentent ne ressentaient de fatigue par la course ; l’odeur de carnage quintuplait leurs forces.
     Les tribus réunies, poursuivant sans relâche les cavaliers, tournèrent de plus en plus vers l’ouest, au moment-même où une sombre silhouette d’un édifice se découpait dans le ciel nocturne. Ce fut alors qu’un ordre claqua, et qu’une clameur de douleur nouvelle retentit au-dessus des champs : les archers venaient de lâcher leur première salve…

     Les beuglements redoublèrent en intensité, la terre trembla et, en l’espace de quelques instants, un choc effroyable ébranla les tribunes jusqu’à leurs fondations : la horde s’était tout simplement écrasée contre les poutres, et déjà les torches se multipliaient parmi les rangs des mutants ; il y eut cependant un bruit sec, à peine audible dans le chaos ambiant, et une grosse boule enflammée illumina brièvement les gradins et les hommes-bêtes en contre-bas, avant de s’écraser au beau milieu de la horde…
     Fraïn Tête d’Acier maugréa dans sa barbe : le brouillard, c’est une chose, mais les gradins, c’en est encore une autre ! Comment pouvait-on s’assurer d’un bon tir en visant par-dessus ? Et que devait-il dire à Draïn et Glaïrn ? La prompte arrivée de Brombür, qui était allé voir depuis les gradins, eut tôt fait de disperser ses doutes : il y avait tellement de créatures qu’il faudrait se forcer pour en rater !
     Un crissement abject détourna cependant leur attention quelques instants : deux machines bretonniennes venaient également de lâcher leurs salves, chacune, fort heureusement, dans la direction adéquate : il fallait croire que les servants vainqueurs tenaient bien leur liqueur ! Les nains ne pouvaient cependant guère savoir à quel point Orasio se démenait pour pouvoir tirer quelque chose de bénéfique d’un Founard aviné : si la boisson semblait avoir temporairement décuplé ses forces, tous les réglages devaient absolument être faits par le tiléen, sous peine de voir le gueux démolir son propre trébuchet…

     Le soudain barrage d’artillerie n’empêcha cependant guère l’arrivée de quelques torches au contact des poutres des gradins. Les plus agiles des mutants essayaient même d’escalader les poutres, et les archers parvenaient avec grand peine à les faucher avant qu’ils n’en atteignent le sommet. De la direction de la forêt, Baldwin crut entendre des hurlements encore pire que ceux qu’il avait endurés jusqu’à présent… Des sons de cor en provenance de l’ouest, cependant, lui indiquèrent que l’armée du Chesnois était proche, et cette nouvelle fut également transmise parmi les rangs de la gueusaille.

     Dangorn de Castagne et la maisonnée de Gransette percutèrent de plein fouet une foule de centigors ; ces derniers, cependant, ne flanchèrent guère, le nez exercé du chevalier du Graal décelant très clairement la présence d’alcool frelaté dans leur odeur abjecte. Etant lui-même dans un état semblable, Dangorn engagea joyeusement la mêlée, flanqué de part et d’autre de chevaliers anciens et nouveaux…
     Leur audacieuse manœuvre d’avant-garde tourna cependant au vinaigre dès l’instant où des minotaures se joignirent au combat ; bien des braves tombèrent sous leurs coups, tranchés en deux, monture et cavalier à la fois ; il fallut une charge fougueuse de Silvère de Castagne et des sergents montés pour prévenir le massacre complet de la maisonnée de Gransette ; malgré ce renfort, les minotaures survivants ne furent que plus ivres de sang et de carnage, et le combat à l’issue incertaine reprit…

     Jean du Fresnay de Glissois de Montfort eut rendu l’âme, Valmont de Barra fut abattu d’un coup de hache monstrueux, et bien d’autres avaient péri, et Penthésilée elle-même se vidait de son sang…

     « Votre heure n’est pas encore venue, chevaliers. Ni la vôtre, baronne. La Dame en a décidé ainsi. »

     Le bruit harmonieux de cors de guerre inonda les collines – l’armée du Chesnois était enfin arrivée. Le sire Dangorn, qui n’avait jamais douté de sa bonne étoile, euh, de la Dame du Lac, s’esclaffa tout en se défendant contre la montagne de muscles et de cornes qui lui faisait face ; tout autour de lui, une douce lumière blanche gagnait en puissance ; les chevaux des chevaliers abattus hennirent au moment-même où leurs maîtres réalisaient qu’ils venaient d’être arrachés aux griffes de la mort. La maisonnée de Gransette se relevait de la terre où la charge des minotaures venait de les enfoncer, pour se battre une fois de plus. Quelques centaines de pas plus loin, au milieu du fer de lance royal, dame Gaea de Grunere achevait de murmurer ses prières.

     Les deux armées suivirent sans s’en rendre compte l’exemple de la prophétesse : les engeances du chaos mugirent une ultime fois leur allégeance aux Dieux Sombres, les bretonniens adressèrent une ultime prière à la Dame du Lac. Puis, ce fut la charge.


Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Png-cl10

***
***
***
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyJeu 17 Aoû 2023 - 5:14

Le choc de la harde sur les gradins venait de jeter à terre la moitié des archers. Aussi loin que l’obscurité lui permettait de voir, Baldwin ne constata aucune perte humaine, mais les soldats étaient secoués, au sens propre comme au figuré.  

« Y’en a trop ! Y vont nous sup’merger !
Faut s’replier, sinon on est fichus !
Y sont des milliers !
La ferme, Raoul, t’sais t’jours pas comp’ter !
TENEZ VOS POSITIONS ! », coupa court Baldwin, tandis qu’il faisait de même avec la tête d’un ungor.

Ces rejetons du chaos s’empilaient jusqu’à parvenir au sommet des gradins ; or les défenseurs étaient mal équipés pour la mêlée. L’épée de Baldwin avait fort à faire.  

« Rapport ! », lança-t-on sèchement derrière lui.

Le capitaine mit un temps à identifier l’origine de cet ordre. Même la voix lui paraissait étrangère au milieu des cris bestiaux et du choc des armes. Tout doute se dissipa lorsqu’une silhouette boitillante émergea des ténèbres de l’escalier après une pénible ascension.  

« Une attaque d’hommes-bêtes, monseigneur. Nos premières lignes sont en déroute, mais des renforts de cavalerie semblent venir du Chesnois. Quant à l’artillerie...
J’ai vu. Et c’est bien l’une des rares choses que l’on peut voir correctement dans cette nuit noire. »

L’échange fut interrompu par un nouvel assaut. D’odieux faciès cornus menaçaient à nouveau de passer outre leurs maigres défenses. Baldwin se remit à courir d’un côté à l’autre, brisant des crânes, écrasant des pattes griffues sous ses talons, tranchant les membres tendus pour le saisir. Bien plus limité dans ses mouvements, Mictlantecuhtli en était réduit à occire les quelques gors qui avaient le malheur de passer à sa portée, ce qui lui laissait d’avantage de temps pour scruter le champ de bataille.

« Il nous faut à tout prix garder le contrôle des gradins !, cria-t-il à Baldwin par-dessus de nombreuses têtes casquées. Nous sommes l’enclume sur laquelle la chevalerie viendra écraser ces vermines ! Leur nombre n’aura alors plus aucune importance ! Ce rempart doit tenir !
Ca peut fonctionner, approuva l’homme de guerre. Encore faut-il que les renforts perçoivent notre présence au milieu d’un tel désordre ! »  

Il n’avait pas tort : les gradins se résumaient à une ombre parmi les ombres. Pour les bretonniens engagés dans la bataille, rien n’indiquait une position défendue par des alliés. Leur attention devait être tournée vers la marée d’hommes-bêtes occupée à saccager champs et vignobles.

« Il faut trouver un moyen de signaler notre présence, sinon je ne nous donne pas une heure à vivre », songea Aurevallis.

Comme pour donner plus de poids à ce sinistre constat, un énorme guerrier écumant de rage sauta par-dessus la rambarde, étêtant au passage deux archers d’un simple revers de son énorme hache. Distrait par ses pensées, Mictlantecuhtli fut pris au dépourvu. Seul un bond de côté lui évita un trépas prématuré, sans pour autant le laisser indemne, car à défaut d’armure pour le protéger, le tranchant de l’arme rudimentaire marqua son flanc d’une profonde entaille. La douleur le fit basculer, et déjà la créature se positionnait pour lui asséner le coup de grâce.
     
« IUNCTIS VIRIBUS ! »

L’antique cri de guerre de la seigneurie artenaise n’avait plus retenti sur les champs de bataille depuis maintes générations, mais, dans ce moment de détresse, Baldwin le hurla par réflexe tandis qu’il se jetait sans retenue sur l’engeance du chaos. Cette dernière tenta de parer le coup, en vain. Mû par une fureur qui accroissait sa force déjà prodigieuse, le capitaine trancha net le manche de la hache. Dans sa course, l’épée emporta également une corne, arracha une moitié du visage, puis s’enfonça profondément derrière l’épaule. Un hurlement de douleur inhumain fit chanceler la détermination des hommes-bêtes ; juste assez pour permettre aux défenseurs de juguler les débordements. Ils ne furent pas les seuls à en profiter : incapable de se relever, Aurevallis porta un coup horizontal juste au-dessus du sabot de son agresseur. Les tendons sectionnés compromirent son équilibre et l’obligèrent à se réceptionner sur un genou, offrant le buste au prochain coup. La lame enchantée répondit à la colère de son porteur. Le tranchant chauffé à blanc perfora le sternum dans un craquement sourd, fit bouillir les entrailles, et ressortit entre les vertèbres où elle enflamma la longue toison crasseuse. C’en était fait du monstrueux bestigor. Avec un râle d’agonie, il trouva encore la force de se redresser, tituba à reculons jusqu’à buter contre la rambarde, puis chuta de plusieurs mètres.

« Monseigneur ! »        

Baldwin s’était élancé vers le blessé, dont il inspectait à présent la plaie d’un oeil expert.

« Les côtes ne sont pas brisées. Bien que l’entaille soit profonde, vous devriez vous en tirer si l’infection ne s’emmêle pas.
Une infection est bien le dernier de mes soucis en ce moment ! J’en ai quelques milliers d’autres qui font la file en contrebas ! »

Le capitaine ne put réprimer un sourire. Tant qu’Aurevallis conservait son aptitude au sarcasme, le pronostic demeurait bon.

« J’ai l’impression que nos invités surprises ont vu leur ardeur refroidie », observa Mictlantecuhtli, à présent adossé contre une poutre.

Baldwin lança un rapide coup d’œil vers les positions ennemies. En effet, la mort d’un de leurs chefs de guerre, dont le cadavre continuait de se consumer sous leur nez, avait ébranlé la détermination de la harde.

« Ca ne durera guère, monseigneur. Avoir éliminé ce champion nous offre un simple répit, dont nous devrions profiter pour adapter notre stratégie. »

Un silence s’installa entre les deux hommes, tandis qu’ils évaluaient à toute vitesse les possibilités qui s’offraient à eux. Dans le ciel, un nouveau projectile incendiaire lancé par un trébuchet déposa une fugace lumière sur leurs visages.

« Le feu sera notre meilleur allié, observa Aurevallis, soudain inspiré par cette vision. Nous devons les noyer sous un déluge de flammes, qui les affaiblira autant qu’il signalera notre position aux cavaliers du Chesnois.  
Hélas nous ne disposons pas du nécessaire pour embraser des volées de flèches, soupira Baldwin. Quand bien même, nous ne sommes plus assez nombreux. Contenir une nouvelle attaque frontale sera impossible. L’ennemi nous débordera en quelques instants. À moins que..., ajouta-t-il après une courte réflexion
À moins que ?
À moins que nous nous retranchions derrière un mur de feu. Monseigneur, je pense qu’il faut sacrifier les gradins. »                      

Mictlantecuhtli évalua les conséquences d’une mesure aussi radicale. Certes, ils perdraient leur fortification improvisée, mais que vaut une fortification lorsque ses occupants ne sont plus en mesure de la tenir ? Tant que les gradins brûleraient, l’obstacle serait infranchissable.

« Faites-le, finit-il par lâcher sur un ton résolu.
J’aimerais bien, monseigneur, mais je crains que le temps nous fasse défaut. Avec les torches dont nous disposons, nous ne parviendrons pas à démarrer plus de quelques foyers d’incendie avant que nos ennemis reviennent à l’assaut. Je doute que les hommes tiennent jusqu’au déploiement d’une protection efficace. »

Aurevallis afficha un rictus mauvais, annonciateur d’un plan retors.

« Allons, il me semble que nous avons encore une buvette sous notre contrôle. Si vous alliez y faire un tour avec une escouade ? Je gage que vous y trouverez certaines eaux de vie à ne pas approcher d’une étincelle... »

Le visage de Baldwin s’illumina. Ces maudits hommes-bêtes regretteraient bientôt leur tentative d’invasion. Prêt à s’élancer, il constata avec surprise qu’Aurevallis lui tendait la poignée de son épée. Sa propre arme, demeurée fichée dans l’épaule du bestigor, lui avait été arrachée des mains.  
   
« Vous me la rendrez quand tout ceci sera terminé. Et je veux la récupérer sale. Vous m’entendez ? Très sale. »

Baldwin opina et s’empara de la lame antique, dont les symboles mystérieux se mirent aussitôt à luire dans l’obscurité. De longues minutes lui furent nécessaires pour rallier sa destination en compagnie d’une dizaine d’archers soustraits aux défenses déjà affaiblies, les charger de toutes les bouteilles, amphores, outres et pichets qu’ils pouvaient porter, puis regagner le sommet des gradins au pas de charge. Ils n’eurent pas le loisir de reprendre leur souffle, car les cors de guerre appelaient au massacre.

« Vite ! Versez l’alcool sur le garde-corps ! De bout en bout ! Il faut une traînée continue sur toute la longueur des gradins ! »

Chacun de ses ordres alternait avec des coups de taille et d’estoc, dans une laborieuse tentative de repousser la nouvelle vague d’assaillants.

« Dépêchez-vous bon sang ! Le premier que je prends à lamper nos réserves ne verra pas l’aube ! »

Si Baldwin tenait le choc, plusieurs avant-gardes des hommes-bêtes menaçaient de prendre pied au sommet de la structure, là où les archers étaient à bout de force. La bataille allait virer au drame, lorsqu’un signal étouffé lui parvint : le dispositif était prêt.

« ENFLAMMEZ !

Des torches furent mises au contact du bois imbibé. Aussitôt, des rideaux de flammes bleues se déployèrent à grande vitesse dans toutes les directions, jusqu’à former un rempart ardent. Les deux camps se retrouvèrent séparés par une barrière infranchissable, qui ceinturait à présent tout le champ de tir. Les bretonniens exultèrent. Enhardis par ce succès, ils abattirent sans pitié les quelques cornus piégés à l’intérieur du cercle.

« Ce n’est pas encore fini ! Formez la ligne et ne reculez qu’à l’approche du feu ! Continuez de tirer tant que vous voyez ce qui se trouve de l’autre côté ! »

Baldwin accourut vers son maître et le soutint le temps de descendre la longue volée d’escaliers. Arrivés dans le champ creusé de cratères d’impacts, ils s’accordèrent pour dire que le maximum avait été fait. La compagnie d’archers en sous effectifs, bientôt dépourvue de munitions et coupée du conflit, ne pourrait plus contribuer à la victoire. Avec l’espoir que la cavalerie saurait saisir l’opportunité qu’ils leur avaient offerte, le capitaine retourna commander ses hommes.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Essen
Chevalier de la Quête
Essen


Nombre de messages : 442
Age : 28
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 26/12/2015

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyVen 25 Aoû 2023 - 0:38


***


     Les fers de lance bretonniens rentrèrent dans les rangs des hommes-bêtes et écrasèrent un nombre faramineux de mutants. Ils faillirent cependant à leur conception originelle : perforer la ligne ennemie pour mieux la désorganiser. Les créatures étaient simplement trop nombreuses pour la cavalerie réunie à la hâte. Pis encore : les fers de lance se perdirent de vue dans l’obscurité grandissante de la nuit, chaque groupe se retrouvant isolé au beau milieu d’une mer beuglante de mutants ; de temps à autre, la vive lumière d’un projectile enflammé éclairait le champ de bataille, mais la vision qui en résultait ne pouvait être que plus glaçante pour qui n’était pas suffisamment courageux.
     Cependant, les chevaliers étaient suffisamment courageux ; les cors résonnaient par intermittence, défiant les hurlements de leurs ennemis ; la bannière royale émettait une douce lueur qui n’avait rien à voir avec la chiche lumière des gradins enflammés, et le roi lui-même poussait quand il le pouvait un cri de guerre tonitruant pour redonner foi à ses sujets.

     Nul ne put être véritablement témoin d’un affrontement autrement plus formidable, celui qui opposa dame Gaea de Grunere au shaman de la harde des Sabots Fourchus. Les imprécations rageuses de ce dernier auraient depuis longtemps conféré aux mutants une puissance démesurée si les incantations subtiles de la prophétesse ne s’y étaient pas opposées ; l’air vibrait sous l’effet des volontés contraires des thaumaturges, et chaque vie que dame Gaea ne pouvait sauver était le prix à payer pour prévenir plus de morts encore.

***

     A bonne distance de la bataille, une groupuscule de cavaliers en observait scrupuleusement le déroulement : dame Luna, l’épouse du seigneur du Chesnois, était escortée par quelques gens du château, ainsi que par un Reynald de Chantillon passablement affolé par leur proximité avec les belligérants :
     « Dame Luna, vous en avez assez vu comme ça, rentrons !
     Un vent fort soufflait, forçant le chambellan à hausser la voix pour espérer se faire entendre, n’en rajoutant que plus à la crainte d’attirer quelque danger sur leur maigre escorte.
     - Dame Luna –
     - Ils ne sont pas assez nombreux.
     - Que dites-vous ?! Parlez plus fort et fichons le camp, dame, euh, oh, milady, je vous en conjure !!
     - Ils ont besoin de renforts !!
     - ETES-VOUS DONC FOLLE ?!
     - Pas nous, voyons ! Suivez-moi, le temps presse !!
     - Vous n’y pensez pas, milady !!
     Reynald s’était résolument emparé de la bride du cheval de la dame du Chesnois, déterminé à ne pas laisser une telle folie se produire. Il s’en voulait déjà à mort d’avoir autorisé cette sortie du château de Rèmes.
     - Les escargots, sire chambellan !! Les es-car-gots !!
     - Les quoi ?!
     - Les ES-CAR-GOTS !
     Dame Luna s’était vue forcée de crier chaque syllabe à l’oreille du chambellan. Consciente d’avoir affaire à un noble de la capitale peu familier du Chesnois, qui plus est celui qui avait officiellement la responsabilité de sa sécurité en l’absence de son époux et du roi, elle se devait cependant de lui transmettre l’idée qui lui paraissait salutaire dans la situation critique où l’armée du Chesnois se trouvait.
     - Il faut ouvrir leur enclos !
     Justice soit rendue au hasard : si la veille le chambellan n’avait guère pris part à l’extraordinaire tentative de contenir le troupeau d’escargots géants attirés par les vignes, il aurait cru à un quelconque délire et aurait fait saisir dame Luna dans les plus brefs délais. Or, sa main ayant déjà éprouvé leurs coquilles indestructibles, Reynald put saisir à cet instant l’intérêt tactique, aussi minime pût il être, d’une marche d’escargots géants en plein dans le flanc ennemi.
     - SOIT ! Mais promettez-moi de revenir au château au moment-même où ce sera fait !
     - Bien sûr ! »

***
 
     Quelque part dans le chaos ambiant, des ungors trouvèrent enfin une faille dans le cercle de feu que représentaient les gradins – un édifice un peu élancé, une sorte de tour de guet qui, curieusement, résistait à l’incendie. Les hommes-bêtes eurent tôt fait d’en trouver l’entrée, qui s’ouvrit à peine tentèrent-ils de la défoncer à coups de hache. Les mutants s’engouffrèrent immédiatement dans les ténèbres de la tour, se fiant à leur odorat et à leur ouïe pour détecter leurs victimes imminentes. La seule odeur qu’ils perçurent cependant à l’intérieur était une puissante odeur de sang frais.
     Ils n’eurent guère le temps de comprendre le sens des paroles narquoises que leur adressèrent les vampires en les découpant en morceaux.

***

     Au moment où la mêlée s’enlisait et tournait décidément en défaveur des bretonniens, un frémissement parcourut les rangs des hommes-bêtes. Des beuglements de plus en plus rageux provenaient d’un flanc et attiraient de plus en plus de créatures, grandes et petites, chacune étant alarmée par l’étrange cohue qui provoquait ce boucan nouveau. Lorsque ce fut au tour de Gerthor d’y être irrémédiablement attiré, il ne comprit guère ce qu’il vit, et son brame furieux se joignit à tous les autres. Des formes aussi hautes que les arbres de la forêt déambulaient parmi les mutants, à l’odeur que les hommes-bêtes peinaient à identifier, mais surtout dotées de carapaces tellement dures que les armes rudimentaires des mutants se brisaient net contre elles. Les « choses » ne causaient quasiment aucun dégât là où elles passaient – seuls les mutants les moins chanceux se retrouvaient piégés sous leur ventre gluant et tantôt finissaient étouffés, tantôt se faisaient écraser par leurs propres congénères enragés ; tous les autres – ungors, gors, bestigors, minotaures – s’étaient désormais mis en tête de venir absolument à bout de ces créatures importunes qui les défiaient par leur simple présence (et par le fait que même un minotaure ne parvenait guère à arrêter définitivement l’avancée d’un des gastéropodes géants).
     Ailleurs, les bretonniens encerclés s’étaient depuis longtemps ralliés sous la bannière royale et pourfendaient les mutants avec une détermination admirable : « Jusqu’à la mort !! » résonna plus d’une centaine de fois à travers plus d’une centaine de gorges. Puis, les chevaliers vétérans eurent tôt fait d’apercevoir que l’encerclement faiblissait quelque peu, sans en comprendre toutefois la raison exacte. Les cors résonnèrent à l’unisson, et les bretonniens s’engouffrèrent aussitôt dans la brèche, là où l’on pouvait voir l’herbe piétinée au-delà des rangs désorganisés des créatures maudites. Aussitôt l’encerclement se brisa ; les cors résonnèrent de plus belle, commandant la formation d’un ultime fer de lance, le roy et la fine fleur de la chevalerie présente en tête.


chevalier bleu  chevalier jaune  chevalier rouge  CHARRRGEEEEEEEEEEEZ !!!  chevalier bleu  chevalier jaune  chevalier rouge


     Seul le shaman homme-bête et quelques chefs de tribu virent à cet instant que la victoire jusqu’à présent acquise était en train de leur glisser des doigts ; des brames furieux s’élevèrent, en pure perte : une rage aveugle s’était emparée de la horde agglutinée autour des escargots indestructibles, et la charge des bretonniens prit la majorité des mutants par surprise, provoquant toutes sortes de folles rumeurs et de craintes et de brames affolés.
     
     Gerthor fut de ceux-là : par les Dieux Sombres ! Ils sont trop nombreux ! NOUS ne sommes pas assez nombreux !! MA-LE-DIC-TION !!

     Tout ceci défila dans son esprit frustré à la vitesse de l’éclair : l’ennemi était de nouveau plus fort, les Dieux se riaient à nouveau de leurs serviteurs, tout était fichu ; le chef gor mugit de rage, mais abrégea bien vite pour prendre les jambes à son cou, son instinct lui indiquant immanquablement la direction de la forêt d’Arden. Evitant minotaures et gastéropodes géants, abattant toute créature plus petite qui se dressait sur son chemin, Gerthor ne songeait plus qu’à la survie et la vengeance, se disant que s’il survivait, c’est que les Dieux avaient encore besoin de lui pour leurs projets et que, dans le cas contraire, il trouverait bien un moyen de se venger des Dieux quand-même.

     Alors, exception faite de créatures trop enragées pour fuir, ce fut la débâcle.        
     

:bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve: :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  :bavmorve:  
Revenir en haut Aller en bas
Lord del Insula
Membre émérite du Sainct Conseil
Membre émérite du Sainct Conseil
Lord del Insula


Nombre de messages : 1853
Age : 40
Localisation : Reims
Date d'inscription : 24/07/2012

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 5 Sep 2023 - 15:38

Un nouveau banquet fut organisé pour fêter cette victoire contre les créatures des bois. Chacun émit une hypothèse plus ou moins proche de la réalité concernant le retournement de la bataille. D'aucuns assurèrent que le légendaire Silvère fut l'auteur de quelques actes qui désorganisèrent l'ennemi. Ce dernier s'en défendit, et mit en avant le courage indéniable des sergents montés. Mais peu de gentilhomme ne tinrent compte de cela, nonobstant une telle éventualité. De son côté, Dangorn se targuait des quolibets qu'il avait adressé tantôt aux hommes bêtes, ce qui fit rougir certaines dames et glousser d'autres. Du reste, personne n'approchait la vérité, chaque proposition ne manquant pas de faire sourire les quelques rares personnes qui en connaissait la cause.

Parmi eux le Lord et son épouse se gardaient bien de toute vantardise. Celui-ci gardait son flegmatisme coutumier tandis que sa compagne arborait un air narquois. Dame Gaea à qui rien n'échappait s'amusa à quelques allusions sur le fait que la nature du terrain et la disposition des haies était en cause, faisant un clin d’œil à Dame Luna qui le lui rendit.

Au final, le Roy, après un conciliabule avec son chambellan s'adressa à l'ensemble des convives.

- Gente dames et Messires mes gentilshommes, cette journée a vu récompenser d'habiles artilleurs, n'en déplaise à la Dame. Cependant, fort des péripéties que nous dûmes affrontés, il me semble opportun d'adresser nos remerciements aux braves qui combattirent vaillamment au péril de leur vie, et donnèrent leur sang au Royaume. Gloire à nos mort, que la Dame veille sur leur vertu !

- Gloire !!!!   répondit l'assistance à l'unisson.
- Je voudrais également remercier le seigneur d'Aurevallis qui a su bruyamment organisé cet évènement avec le concours de mon chambellan, dans une parfaite harmonie entre eux, poursuivit Louen Leoncoeur dans un exercice fort diplomatique vis à vis des égaux.

À moitié étendu dans un siège débordant de coussins, le buste recouvert de bandages qui lui donnaient des airs de momie nehekharienne, Aurevallis feignit l'approbation modeste. Les dents plantées dans la paume de sa main, il lui fallait déployer de grands efforts pour ne pas éclater de rire. En cela il fut aidé par son flanc meurtri, qui le rappelait douloureusement à l'ordre à la moindre secousse.    

- Ainsi bien sûr, reprit Louen, que nos hôtes pour leur hospitalité sans faille et leur... escargots géants !

Un bruit de trompettes donna suite aux paroles étranges du souverain. La porte de la salle fut alors ouverte et des escargots envahirent les lieux avec leur manque de vivacité coutumière. Les dames s'affolèrent, les hommes se précipitèrent vers leurs armes, Dangorn se resservit une chope. La pagaille allait s'ensuivre lorsque la voix du Roy tonna par dessus le brouhaha.  

- Messires et nobles Dames. Gardez votre calme et regagnez vos places. Ne souffrez nul crainte de ces créatures. Car en vérité nous leur devons tant.

Cette royale intervention calma la tablé intriguée par cette nouvelle. Le Roy put alors donnait la parole à Reynald de Chantillon qui narra le rôle primordiale joué par ces derniers.
À la fin du réçits un tonnerre d'applaudissements et de hourra retentissait à l'adresse des gastéropodes.

- Dame Luna, approchez je vous prie, reprit Louen.

Cette dernière vint auprès du Roy et se fendit d'une référence.

- Dame Luna, en vertu de votre sagesse et de votre remarquable décision qui épargna bien plus que nos vies, moi Louen Léon-Coeur, Roy de Bretonnie, vous déclare bienfaitrice de la Bretonnie et vous accorde le titre honorifique de Milady des Saintes Coquilles. Je compte sur vos talents pour créer pour le Royaume une unité de gastéropode.

- Majesté, vous me couvrez d'honneur. Je remplirai ma tâche avec ferveur.
- Qu'il en soit ainsi. Milord ?
- Majesty ?
- Ces nobles créatures auront besoin d'être guidé au plus fort de la bataille. Pis-je compter sur vous pour diriger cette nouvelle force ?
- Vos désirs sont des ordres, votre Majesty.
- Vous tous ici présent êtes témoin de leurs engagements. Maintenant, récompensons ces nobles animaux !

À ces mots d'immenses plats de salades furent apportés, tandis que tout frais sortis des fourneaux étaient acheminés les fameux pains du nouveaux boulanger du Lord. Ainsi eut lieu la création de la chevalerie de la maison du gastéropode, chevauchant fièrement leur escargots dans des charges qui resteront dans les annales. De mémoire d'homme, ce fut le seul banquet où des escargots y prirent part autrement que dans les assiettes.
:bavmorve: :bavmorve: :bavmorve: :bavmorve: :bavmorve: :bavmorve: :bavmorve:
Revenir en haut Aller en bas
Mictlantecuhtli
Saint vivant
Mictlantecuhtli


Nombre de messages : 1307
Localisation : Tréfonds de la forêt d'Arden
Date d'inscription : 16/06/2016

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 EmptyMar 12 Sep 2023 - 7:35

Aurevallis profita encore une bonne semaine de l’hospitalité du Lord. S’il lui tardait de retrouver son propre domaine et d’y surveiller les grands travaux en cours, sa blessure excluait d’emblée tout déplacement autre que du lit à la salle de banquet. Fort heureusement, les servantes de Shallya opéraient des miracles sur des maux bien plus graves. Trois jours après la bataille, tout risque d’infection était définitivement écarté. Trois de plus, et la plaie se tenait fermée sans l’aide de sutures. Le convalescent n'aspirait qu'à marcher de nouveau. Toutefois, et entre-temps, quatre hommes bien charpentés avaient pour mission de le véhiculer en chaise à porteurs où et quand l’envie lui prenait. Cette période de repos forcée fut mise à profit pour examiner la nouvelle salle de torture du maître des lieux dans les moindres détails, quand elle n’était pas consacrée à de longs entretiens avec le comte de Castagne. Sa méthode d’exécution par trébuchet intriguait Mictlantecuhtli au plus haut point - lui qui n’était pourtant pas en manque d’inventivité dans ce domaine -, et les longues heures passées à en débattre ne semblèrent pas épuiser le sujet.

Enfin arriva le moment du départ. La litière aux coussins rembourrés de frais attendait son occupant dans la cour du château. Les soldats de l’escorte patientaient en échangeant leurs points de vue sur les meilleurs bordels locaux, et Eloi courait en tous sens pour s’assurer qu’aucun des effets de son seigneur n’avait été oublié lors du chargement.

Plusieurs étages au dessus d’eux, dans les appartements d’honneur, le roy Louen était penché sur un rapport arrivé plus tôt de Gasconnie. À son grand soulagement, le bon droit et le calme étaient à présent rétablis dans les régions en crise. La lecture distraite des formules de politesse fut interrompue par quelques coups assurés sur la lourde porte de chêne.

« Entrez ! »

Le battant pivota pour révéler Baldwin, en cotte de mailles et tabard éclatant. Il précédait Aurevallis, toujours installé dans sa chaise à porteurs, et s’inclina donc profondément devant le monarque en son lieu et place.

« Sur le départ, messire organisateur ? interrogea Louen depuis son siège (il n’était pas séant de se lever lorsqu’un vassal demeurait assis en sa présence, qu'importe la raison).
De fait, sire. Je viens prendre congé de vous et m’en retourne sur mes terres. Si je les laisse trop longtemps sans surveillance – même pour le service de votre majesté -, le duc Chilfroy m’en tiendra rigueur. »

Lorsque l’occasion de discuter avec Louen se présentait, Mictlantecuhtli ne manquait jamais de glisser des remarques de ce genre dans la conversation. Assoiffé de pouvoir, et ne souffrant pas d’être commandé, il espérait que le roy l’élèverait un jour à la dignité baronniale en récompense de ses mérites. Ainsi aurait-il pour seul suzerain un homme bien trop occupé par les affaires des quatorze duchés pour se soucier d’un domaine perdu au milieu de la forêt. De quoi le placer virtuellement à la tête d’une principauté indépendante. N’avait-il pas créé les tournois de trébuchets afin d’atteindre ce but ? Hélas, cette fois encore, Louen ne releva pas.

« Avant de vous laisser partir, il y a une petite chose dont nous devons discuter. »
De quel sujet s’agit-il, sire ?
Mais de ma tante voyons. Dame de la Médisance, qui m’a longuement entretenu de vous. »

Aurevallis eut une légère crispation des doigts sur les accoudoirs de sa chaise. Lorsqu’il s’était chargé – à sa façon – d’écarter la gorgone des festivités, il avait tout misé sur l’antipathie du roy pour sa tante. C’était un lancer de dé, et le résultat s’apprêtait à tomber.

« S’il avait prévu une sanction en bonne et due forme, il n’aborderait pas la question en privé, mais face à une assemblée des nobles... », songea l’accusé.

C’était effectivement un point en sa faveur, mais rien n’était joué d’avance.

« Ma bonne tante récupère moins vite que vous. Elle se trouve toujours alitée, et il faut l’encadrer de soins attentifs. Je dois dire que les nombreuses potions prescrites par les médecins ne parviennent qu’à grande peine à calmer ses nerfs éprouvés. »

Oh-oh... Voilà qui se présentait moins bien. Les réflexions d'Aurevallis s'enchaînèrent à toute vitesse. Décidé à prendre d’avantage exemple sur Baldwin, il tourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche, puis renonça à en faire usage : à ce stade, la moindre intervention reviendrait à avouer la faute. Mieux valait s’abstenir de tout commentaire tant qu’il n’y était pas contraint.

« Lors de mes visites, poursuivit Louen, il suffisait que votre personne soit évoquée de près ou de loin pour que ma parente sombre dans un grand état d’agitation, entrecoupé de cris suraigus et d’insultes dont j’ignorais qu’elle avait connaissance. »

Fidèle à la stratégie qu’il venait d’arrêter, Mictlantecuhtli conserva un silence obstiné. Même quand Louen marqua une pause afin de le jauger du regard, il veilla à demeurer aussi impassible qu’une statue de marbre (ce qui n’était guère dans sa nature).

« Bref, souffla le roy en se renversant contre le dossier. Le contenu de votre échange reste pour moi un mystère, car la malheureuse devient incohérente dès qu’elle tente de m’en relater la plus petite bribe. On la jurerait prise de démence. Triste... Très triste à voir », ponctua-t-il en secouant la tête.

Allait-il enfin en venir au fait ? L’impatience rongeait son interlocuteur, qui, sans s’en rendre compte, s’était remis à battre une mesure à deux temps du bout des doigts. D’impassible, il en paraissait presque désinvolte.

« Tout cela pour dire que bien entendu je ne peux pas laisser passer un tel outrage envers un membre de la famille royale, conclut Louen, qui semblait un peu décontenancé par cette absence de réaction. J’ai promis à ma chère tante une sanction exemplaire, que voici : à dater de ce jour, et jusqu’à nouvel ordre, je vous fais défense de paraître à la cour, sinon pour participer aux séances de mon Conseil. »

Mictlantecuhtli parvint à réprimer un brusque élan d’hilarité, mais pas le sourire qui lui fendit le visage. Autant il n’avait que mépris pour toute autorité qui n’était pas la sienne, autant il lui arrivait d’admirer certaines fulgurances chez ses semblables. Louen venait de déployer ses talents de politicien, dans un coup de maître qu’il n’avait pas anticipé. Aurevallis était tout sauf un courtisan. Si certains nobles paissaient leur vie à la cour et confiaient la gestion de leurs domaines à des intendants, lui ne gagnait la capitale qu’en cas d’absolue nécessité, c'est-à-dire exclusivement pour les fameuses séances du Conseil royal. En le privant d’un droit dont il n’avait que faire, Louen donnait satisfaction à sa tante tout en approuvant les actions de son vassal de manière tacite. Du grand art.

« Que ne ferais-je pour le service et la satisfaction de votre majesté ? » dit-il enfin, avec une inflexion particulière sur ces deux mots.

Tous deux s’étaient bien compris. D’un signe de la main, Louen signifia la fin de l’entrevue. Aurevallis inclina légèrement la tête - avec un peu moins de répugnance qu'à l’ordinaire -, claqua des doigts, et les porteurs firent demi-tour.              

La descente des escaliers s’avéra, comme de coutume, un exercice compliqué. Le dispositif de portage était trop encombrant pour les colimaçons de la demeure du Lord, et il fallait en démonter les bras pour transiter d’un étage à l’autre. Enfin parvenus au rez-de-chaussée, ils gagnèrent la cour centrale balayée par une chaude brise estivale.

« FIXES ! », commanda Baldwin.

L’escorte au grand complet forma les rangs en un instant, tandis que les porteurs de bannières improvisaient une haie d’honneur de la porte jusqu’à la litière. Le départ ne fut pas plus longtemps différé. Aurevallis avait déjà pris congé du Lord et de sa dame, à laquelle il avait offert quelques bijoux. Il y avait des avantages à produire de l’or par soi-même, mais, à force de le dépenser pour entretenir de bons rapports avec ses voisins, la trésorerie du domaine ne s’étoffait guère.

Comme il avait sonné l’arrivée au Chesnois, l’oliphant donna le signal du retour, et les bottes battirent en rythme la chaussée pavée menant au bourg de Rèmes.

Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 L_arri11
Le départ du Chesnois - enluminure par Oderic Lethal, dit « le copiste sachant copier ».
 
Le voyage vers Aurevallis s’effectua sans encombre. De retour dans leurs misérables masures, les membres de l’escorte n’eurent rien à raconter à leurs gueuses sur cette partie du voyage, hormis la mystérieuse disparition du capitaine Baldwin à mi-chemin. Celui-ci s’était rendu un soir dans la tente seigneuriale avant de partir au grand galop dans la nuit. Depuis lors, Mictlantecuhtli interrogeait régulièrement les patrouilleurs et guettait le retour de son premier officier.

Le temps passa. Lorsque Baldwin fut enfin annoncé, Mictlantecuhtli était attablé face aux plans des nouvelles fortifications. Malgré tout l’intérêt qu’il leur portait, c’est à peine s’il ne les envoya pas voler, car Baldwin était porteur de nouvelles de premier ordre. Incapable d’accepter son remplacement – même temporaire – par Reynald de Chantillon, il avait missionné Baldwin, en lui donnant toute latitude pour organiser une vengeance digne de ce nom. Débordant d’enthousiasme et de curiosité, c’est en fredonnant qu’il s’adressa au nouvel arrivé, sans lui laisser le temps d’ôter la poussière de ses habits fatigués :

Allons, allons, Baldwin !
Quelles nouvelles ?
Absent depuis tant de jours
Sans plus attendre,
Ou je vous écartèle,
Narrez-moi donc vos mauvais tours.

Tout est fort bien, messire d’Aurevallis,
Tout est fort bien, tout est fort bien.
Ainsi, il faut, il faut que je vous dise :
Le chambellan n’est pas serein.  
Sachez que suite à ma venue,
Il pleure son chien sans retenue,  
Ainsi voilà, messire d’Aurevallis,
Tout est fort bien, tout est fort bien.

Voyons, voyons, Baldwin !
Piètres nouvelles !
Un misérable chien occis ?
Expliquez-vous,
Bras droit bien frêle,
À quoi donc en êtes-vous réduit ?

Cela n’est rien, Messire d’Aurevallis,  
Cela n’est rien, il y a plus fin,
Ainsi il faut, il faut que je vous dise,
Ce qui terrassa le canin :
Il fut occis
Quand le destin,
Fit s’effondrer la cave à vin.
Ainsi voilà, messire d’Aurevallis,
Tout est fort bien, tout est fort bien.

Houlà, houlà, Baldwin !
Quelle géhenne !
Les plus grands crus ainsi gâchés !
Exposez-moi,
Zélé capitaine,
Comment se sont-ils épanchés ?

Cela n’est rien, Messire d’Aurevallis,  
Cela n’est rien, il y a plus fin,
Ainsi il faut, il faut que je vous dise,
Qu’anodine est la perte du vin
Si celui-ci coula, Seigneur,
C’est qu’le domaine accueillait pilleurs,
Ainsi voilà, messire d’Aurevallis,
Tout est fort bien, tout est fort bien.

Alors, alors, Baldwin !
Quelle merveille !
Son beau domaine ravagé !
Détaillez-moi,
Féal sans pareil,
Comment Reynald fut ainsi lésé ?

Eh bien, voilà, Messire d’Aurevallis,
Apprenant qu’il l’avait trompée,
À peine eut-elle hurlé maints maléfices,
Que son épouse s’est déchaînée.
Et c’est en pilonnant l’château
À grand renfort de mangonneaux,
Qu’un rocher bien mal ajusté
Vint défoncer l’toit du cellier ;
Des gueux se ruant pour lamper,
Ecrasèrent tout sous leurs souliers,
Et voilà comment illico
La plèbe eut raison du cabot !
Or donc, voilà, Messire d’Aurevallis,
Tout est fort bien, tout est fort bien !


Mictlantecuhtli ne cacha pas son intense satisfaction, non plus qu’il ne lésina sur les gratifications. Avec pour seuls outils quelques mots murmurés à la bonne oreille et une femme colérique, son capitaine venait d’accomplir la vengeance parfaite. Si une part de lui-même regrettait que Reynald ignore l’origine de son malheur - et que la Bretonnie toute entière ait une raison de plus pour redouter son ire -, il lui fallait admettre qu’agir avec subtilité présentait certains avantages.

Le regard à présent posé sur des portions de muraille en train d’être maçonnées, il méditait en silence sur la mesure de ses ambitions. La baronnie ? Oui... Un jour peut-être... Mais il faudrait progresser pas à pas, pierre après pierre. Il devrait apprendre la patience et la valeur de chaque étape intermédiaire. Le prochain tournoi, instrument de sa politique, ne manquerait pas de l’élever encore d’avantage vers les sommets.

_________________
Seigneur d'Aurevallis, chevaucheur du bourdon géant d'Arden, membre du Saint Conseil, orfèvre du Graal, inventeur cinglé des tournois de trébuchets
Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Hzoral11
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Tournoi de trébuchets du Chesnois   Tournoi de trébuchets du Chesnois - Page 3 Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
Tournoi de trébuchets du Chesnois
Revenir en haut 
Page 3 sur 3Aller à la page : Précédent  1, 2, 3
 Sujets similaires
-
» Discussion : le tournoi de trébuchets du Chesnois
» Tournoi de trébuchets de Couronne.
» Tournoi de trébuchets d'Alsacie.
» Discussion : le tournoi de trébuchets d'Alsacie
» plan de trébuchets !

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Le Royaume de Bretonnie :: En lice ! Concours et tournois :: L'arène-
Sauter vers: