(Et voilà la suite. Avouez que vous ne l'avez pas attendue longtemps.)
Pas de Repos pour les Braves, de James Wallis
Deux agents des Lices -sorte de super-flicaille d'Altdorf- découvrent au hasard d'une enquête que l'on tente d'assassiner le comte du Middenland. S'ensuit tout ce que vous pouvez imaginer : complots alambiqués à la cour du comte, attentats à la magie flamboyante... le moins qu'on puisse dire est que la nouvelle ne brille pas par son originalité sur ce point. Mais ce n'est pas forcément un tort. Ce qui en revanche est très remarquable, c'est la façon qu'a James Wallis de traiter ces deux agents impériaux comme des flics américains de série télé. Tout y passe : on consulte des fichiers, on se renseigne auprès du parrain de la mafia tiléenne locale pendant qu'il se tape un plat de spaghettis dans son resto, on fait des conneries qui pourrait signer l'arrêt de mort du département des Lices (ça, c'est un truc qu'on retrouve très souvent dans les séries policières merdiques : le service est toujours menacé de disparition par les actions téméraires des impétueux héros), on fait même analyser (là, c'est franchement grotesque
) un carreau d'arbalète par le département alchémico-légal (je n'invente rien) pour découvrir que le bois vient du sud de la Tilée... Bref, n'étant pas grand amateur de ce genre de séries, j'ai peu apprécié ces espèces d'anachronismes (je sais, je sais, on est dans un monde fantastique, mais entre le fantastique et la fête du slip, il y a une nuance à laquelle je tiens).
Cela dit, à part ce côté Starsky et Hutch (les héros sont deux, d'ailleurs), c'est plutôt une lecture agréable. Certes, le flouffe n'en sort pas tout à fait indemne, mais prendre des libertés quand on écrit par ailleurs une histoire valable, ça ne mérite sans doute pas la potence.
La Cloche de Nagenhof, de Jonathan Green
Très en-deçà du reste. Une histoire sans grand intérêt de mercenaires qui sauvent la ville de Nagenhof après qu'un vilain mutant bossu, vaguement cousin du Quasimodo de
Notre-Dame de Paris (à lire si vous n'avez pas froid aux yeux), a installé dans le temple de Morr une cloche (à fromage ?) démoniaque qui appelle une horde de skavens (surprise !) On peut, soit dit en passant, se demander pourquoi les skavens ont attendu qu'on les appelle, s'ils avaient tellement envie d'envahir la ville.
Je ne m'étendrai pas sur le sujet, car j'ai peu à en dire, sinon que ça m'a paru aussi médiocre qu'ennuyeux, le tout baignant dans une ambiance tragique venue d'on ne sait où. C'est sinistre sans raison apparente. La conclusion de la nouvelle achève de décevoir, montrant que celle-ci n'est qu'une introduction au roman
Morts ou Damnés du même Jonathan Green. A ce propos, je signale que ce titre est idiot, car on peut fort bien être mort
et damné ; j'irai jusqu'à dire qu'on ne peut être damné que si l'on est mort. Sur ce, je passe à un sujet plus intéressant.
Les Epées de l'Empire, de Dan Abnett
Et en fait de sujet intéressant, nous sommes servis :
Les Epées de l'Empire dominent très nettement le recueil (hasard troublant, la nouvelle lui donne son nom, en plus d'être stratégiquement placée en sa fin). On sent une réelle maîtrise dans l'écriture de Dan Abnett, qui ne néglige ni l'ambiance, ni la psychologie (j'aime assez peu ce terme, mais je l'emploie quand même, par facilité
) de ses personnages, ni même la narration, qui est fort bien menée et originale.
Résumons grossièrement : Jozef von Kassen, chevalier de la Reiksguard, reçoit pour mission d'escorter le sorcier de l'Ordre Lumineux Udo Jochrund dans les terres de Kislev, où ledit sorcier compte étudier la magie des chamans kislévites, pensant qu'elle peut apporter une aide précieuse à l'Empire dans sa lutte contre le Chaos (je précise que l'histoire se déroule un peu avant l'invasion d'Archaon -soit dit en passant, il n'y avait vraiment pas lieu de s'inquiéter
). Accompagné de von Kassen et de ses hommes, Jochrund apprend moult secrets, si bien qu'il insiste pour prolonger leur périple, malgré l'approche de l'hiver et les protestations de von Kassen. Les rapports entre les deux hommes ne vont guère s'améliorer quand Jochrund tentera de faire revivre un ancien rituel un peu douteux dans un village perdu...
De tout point de vue, cette nouvelle est une réussite. Les Kislévites, leur pays et leurs coutumes sont fort bien décrits (le flouffiste peut même y trouver son compte), les personnages principaux sont convaincants, et l'histoire est captivante du début à la fin, alors même qu'il ne se passe finalement pas grand-chose (signe que l'auteur connaît son boulot). On retrouve un peu l'ambiance à la fois paisible et tendue de la première nouvelle du recueil,
Les Chasseurs de Vampire, mais elle est ici mieux maîtrisée, et étroitement liée à l'histoire elle-même, à la frustration de von Kassen, réduit à attendre que Jochrund se décide à s'en retourner vers l'Empire -d'où une atmosphère mêlant désoeuvrement (l'escorte de Jochrund se tourne les pouces) et urgence (l'hiver approche, et bientôt il sera trop tard pour rentrer chez soi).
La narration choisie par Dan Abnett mérite que l'on s'y arrête. C'est von Kassel lui-même qui écrit, sur quelques peaux de chèvres, l'histoire de sa mission, craignant de ne pas survivre à l'hiver et tenant à en laisser un témoignage. S'ensuit un début assez amusant, où il hésite, ne sait comment entamer son récit, se maudit pour avoir gâché sa précieuse peau (l'espace lui en est compté)... et ce faisant, bien sûr, continue à la gaspiller. Etant un écrivain novice, il a également du mal à ne pas faire référence à des évènements ou des personnages que le lecteur ne connaît pas encore (vieux truc pour aiguiller la curiosité dudit lecteur). Message subliminal : raconter une histoire, c'est pas facile ; surtout quand, comme von Kassen, on ne peut pas trop s'étendre (ce qui rappelle le fait que Dan Abnett est entrain d'écrire une nouvelle, donc un texte nécessairement court et dense ; subtil, hein ?
). J'ai été agréablement surpris de trouver une telle façon d'entamer un récit dans une nouvelle inspirée du monde de Warhammer. C'est orignal en plus d'être accrocheur.
L'évocation des rapports entre von Kassen et Jochrund vaut également le détour : l'un est un jeune officier quand l'autre est un vieux sorcier, et le jeune officier n'apprécie guère d'être traité en gamin par le vieux sorcier. Ajoutons à cela qu'il s'en méfie instinctivement (le réflexe du bûcher, pour un chevalier, c'est dur à éliminer) ; ainsi, la narration de von Kassen est très partiale, et tente de démontrer au lecteur les torts de Jochrund. Mais, comme il le dit lui-même, von Kassen n'est pas un écrivain, et il arrive seulement à nous faire douter des intentions de Jochrund, dont on ne sait toujours pas à la fin de la nouvelle qui il est vraiment. Et bien entendu, le fait que von Kassen répète sans cesse être persuadé d'avoir eu raison de s'opposer à lui renforce encore le doute du lecteur (c'est un warhammerisme : on ne sait jamais vraiment de quel côté se ranger), qui peut se demander si le chevalier ne se laisse pas aveugler par sa rancoeur envers un sorcier un peu trop condescendant.
C'est donc une nouvelle de qualité, que l'on peut, ce me semble, apprécier pour elle-même, éventuellement sans rien connaître au monde de Warhammer. Par principe, je vais relever un ou deux trucs qui m'ont paru un peu en-dessous de l'ensemble, mais ne vous y trompez pas, c'est par amour (car qui aime bien châtie bien).
Je commence par les remarques flouffiques, ne serait-ce que pour rester fidèle à ma réputation. Dan Abnett a une vision de l'Empire que je n'aime pas trop (c'est plus net dans
Les Cavaliers de la Mort, mais on le sent quand même un peu dans
Les Epées de l'Empire) : il a l'air de penser que c'est un pays uni. Ainsi, Jochrund est en mission pour les Comtes Electeurs (au pluriel), ce qui est un peu idiot, quand on sait qu'ils passent leur temps à se tirer dans les pattes. Mieux vaut penser qu'il est envoyé en Kislev par son ordre, donc plus ou moins par l'Empereur. Autre détail (moins négligeable
), Dan Abnett donne au mot Reik le sens de Reich en Allemand. Précisons-le à tout hasard, le Reik est un fleuve, et ne désigne pas l'Empire dans son ensemble. La Reiksguard est la garde de l'Empereur parce que celui-ci tient sa cour à Altdorf, capitale du Reikland, et le Reiksmarschall n'est le chef suprême des armées impériales que parce que l'Empereur est prince du Reikland (il existe un Middenmarschall pour le Middenland, du reste).
Entre parenthèses, j'ai remarqué une autre erreur un peu bête, cette fois dans
Les Cavaliers de la Mort (oui, oui, j'en ferai une critique, un jour) : les Joueurs d'Epée de Carroburg sont présentés comme venant de Carroburg... alors que c'est faux. Il s'agit d'un régiment du Reikland qui livra, il y a fort longtemps, une bataille héroïque devant la ville de Carroburg (au sud du Middenland). A la fin du combat, leurs habits étaient trempés de sang, et ils ont conservé cette teinte depuis, ainsi que le surnom de Joueurs d'Epée de Carroburg. Mais ce sont bien des Reiklandais, et les soldats de Carroburg, eux, n'ont aucune raison de porter du rouge. Dan Abnett devrait réviser un peu...
Fermons la parenthèse.
On pourra regretter une dernière chose : von Kassen est tro forre, et il poutre tout sur son passage (lors d'un affrontement, trois de ses hommes en tout meurent face à l'ennemi, et lui en massacre le double). Mais je le répète, c'est vraiment une bonne nouvelle (pas mal, celle-là, hein ?) ; j'aimerais seulement savoir pourquoi Dan Abnett a choisi un titre qui a aussi peu de rapport avec l'histoire.
En guise de conclusion, je vais dire un peu de mal du traducteur. Il nous parle de maïs, alors que je suis prêt à parier que Dan Abnett parle de « corn ». Le maïs venant d'Amérique dans le monde-réel-de-la-vraie-vie, mieux vaut considérer que dans le monde de Warhammer, il vient de Lustrie -et se rappeler que corn signifie blé pour un Anglais, et maïs pour un Américain. Plus sérieusement, il est assez curieux de parler sans cesse de hongre et non de cheval. Je sais que ça fait classe de connaître ce mot, mais n'oublions pas qu'il a une signification : un hongre, c'est un cheval châtré. Or dans les bouquins de la Bibliothèque Interdite, tous les chevaux ou presque sont des hongres, y compris les chevaux de guerre les plus fougueux. Dernière chose, après, promis, j'arrête, il est assez discutable d'appeler caparaçon un vêtement porté par un homme.
Le plus drôle, c'est qu'il me semble avoir vu que tous ces bouquins sont d'abord traduits, puis
réécrits par quelqu'un d'autre. Je me permets de ricaner méchamment.
Bon, j'en ai fini avec
Les Epées de l'Empire. Dans un avenir plus ou moins lointain et nébuleux, je vous ferai sans doute part de mon sentiment sur
Les Cavaliers de la Mort, ou encore sur
L'Ascension d'Horus (si l'un des deux bouquins vous tient à coeur, n'hésitez pas à me le dire, je le traiterai en priorité).