J'ai l'impression qu'il faudrait, en plus d'un éclairage théorique, un éclairage pratique pour répondre à toutes ces questions : mais difficile de demander, de nos jours, à une centaine de gars de courir 200 mètres, à cheval, contre un nombre équivalent d'archers...
Notre regard est également déformé par la vision cinématographique, où tous les archers excellent en leur art et font mouche à tout coup, avec des traits qui vont toujours droit au coeur à travers matelassures, cuirs, mailles et plates...
Il y a quelques temps de ça, je regardais "Fury" : pas à dire, ils étaient forts ces tankistes US, capables avec un seul tank amoché et quelques armes de poing, de stopper peut être 300 ou 400 SS ! Avec quelques dizaines d'équipages de cet acabit, on aurait bouclé la 2e GM en fort peu de temps...
Au cinéma, chaque balle ou obus touche, blesse ou tue, mais la réalité est très loin de ça : en 1944, les Russes ont produit 7,4 milliards de cartouches contre 5,3 milliards pour les Allemands, ou 184 millions d'obus contre 371 millions. Si chaque coup avait fait mouche, on l'aurait su ! (cf. La guerre germano-soviétique, 1943-1945, Nicolas Bernard).
Je pense qu'au Moyen Âge, l'on était dans quelque chose de cet ordre en conditions de bataille : sur 100 flèches lancées, une douzaine blessaient et deux ou trois seulement tuaient, l'important étant la saturation et la rapidité des volées plutôt que leur précision...
On cherchait sans doute plus à briser l'élan d'une charge (chevaux qui tombent et forcent les autres à s'écarter, ouvrant les rangs) ou à disloquer la formation ennemie, à créer un choc subit, un sentiment de panique. En ce sens, des flèches qui tombent par le haut, en pluie, sont plus difficiles à encaisser pour le moral : on ne les voit pas venir et pour s'en protéger, il faut découvrir le reste du corps, détourner le regard de l'objectif devant soi. Hors dans un élan de charge, une hésitation, un doute peut faire la différence.
Il faudrait pouvoir prendre en compte le fait que toute cuirasse a ses défauts et points faibles (articulations) et que les chevaux sont globalement plus exposés que les hommes...
Il faudrait pouvoir prendre en compte la santé, le moral, le sang-froid, la volonté de vaincre, la fatigue des combattants, individuellement et collectivement...
En escrime antique, avec glaive et grands boucliers, on n'arrive que très rarement à toucher un point vital au premier coup. Par contre, on peut faire de multiples petites entailles (mains, bras, cuisses, aine) et donner des coups multiples et répétés (bleus et bosses, nez, mâchoire, etc). Le but du jeu est de porter progressivement l'adversaire jusqu'à l'état de choc, l'état de panique. Comme dans un combat de boxe : les KO secs sont relativement rares, par contre, l'accumulation des coups portés amène obligatoirement l'un des adversaires à céder du terrain, à renoncer, à tomber d'épuisement...
Victor Davis Hanson, dans "Le modèle occidental de la guerre" décrit très bien cette logique pour les combattants de la Grèce ancienne, insistant très bien et justement sur le fait que le premier qui commence à reculer ou qui ouvre les rangs a généralement perdu la bataille. Etonnant de voir que la majorité des pertes résulte non pas du combat lui-même mais de la poursuite des fuyards !
Pas besoin de percer une armure pour abattre un chevalier : il suffit de l'enfoncer. On assiste, avec le développement des armures de plates, à un développement parallèle des masses, fléaux et marteaux, le but du jeu étant de fausser les articulations, d'enfoncer les parties planes pour forcer l'adversaire à s'en débarrasser ou pour entraver sa capacité à se mouvoir avec aisance.
Pour ce qui est de la proportion des chevaliers intégralement protégés, difficile de répondre, mais on peut avancer un ordre d'idée. Sous Charles VIII (XVe s.), l'unité de base était la Lance, de trois à une quinzaine hommes : un chevalier banneret (en armure), un écuyer (prob. en armure), un ou deux pages (combattants ou non) et un nombre variable d'hommes d'armes à pied et à cheval, porteurs d'armes d'hast ou de trait (avec seulement quelques pièces d'armures : au moins un casque et une jacque renforcée). On est de l'ordre d'un homme en armure sur dix, au grand maximum, soit 10 à 20% des combattants...
La question reste ouverte.