Questions sur les lances, les flèches et tout le tintouin...

Bonjour à toutes et tous,

L'autre jour, en regardant un documentaire historique me sont venues plusieurs questions:

- Dans quelles matières étaient faites les lances des chevaliers ainsi que celles des fantassins (les piques aussi d'ailleurs...).

- Comment les faisaient-ils, avec quel matériel, en combien de temps???

- Qui s'en occupait???

Pour les flèches et autres carreaux d'arbalètes idem avec en plus la notion d'équilibre et de "cintrage"??? Sans parler de l’empennage...    

Salut à toi, compain...

Grosse grippe, d'où mon silence ces quelques jours derniers : mais devine qui a tes réponses ?

Pour ce qui est des lances, comme des flèches, il y a deux sortes de professionnels qui les touchent : les forgerons ou équivalents (pointes, talons) et les menuisiers ou équivalents (hampes, bois).

Ils peuvent travailler sur un même site de fabrication, ou séparément, car dans un convoi "militaire", il est facile de réserver un chariot pour trimballer plusieurs centaines de hampes de lances prêtes à l'emploi, plusieurs milliers de fûts de flèches, ou des billes séchées et fendues à mettre en forme... Pareil pour les fers.

Pour ma part, j'ai retrouvé deux articles intéressants de 1992, parus dans la revue TRADITION Magazine, n°60 : Les lances de Klingenthal en 1811, et n°69 : la pique de 1792. A cette époque, les façons et outils utilisés étaient encore très proches de leurs équivalents médiévaux...

Pour les fers, tu peux trouver des choses intéressantes sur You Tube :
- smithing a roman pila (Fifth Legion) ;
- 1066, how to forge a Norman spearhead (English heritage) ;
- Roman arrowhead (Roman Caerleon)...

On est dans un travail de forge très classique, utilisant les outils et techniques de forge traditionnelle : feu et soufflet, pinces, marteaux, tranches, foret, dressoir, tas à former, auge... avant ponçage et aiguisage.

Pas d'enclume à corne au Moyen Âge, car il a fallu attendre les hauts fourneaux et la fonte pour en fabriquer. On utilisait des tas (blocs de fer chauffés et martelés à grands coups de masse pour le densifier, voire même pierres plates et dures)!

Pour l'empennage, un tour du côté du forum de Webarcherie peut te donner des pistes, sans ça, il y a un pas à pas, un peu long mais très clair intitulé "L'empennage de flèche médiévale", l'un des "tutos des Manches à Couilles".

Pour ce qui est du bois, les gars de Klingenthal utilisaient du "bois de frêne, de droit fil, sans aubier ni défauts". La hampe était d'abord équarrie en prisme octogonal, puis taillée à la râpe et au rabot aux dimensions prescrites. Les encastrements des attaches se faisaient aux ciseaux et à la gouge, après quoi seulement le profil circulaire de la hampe était donné au rabot à lame ronde. Les vis étaient alors placées à force et l'excédent de la tête de celles-ci était limé jusqu'à l'affleurement des attaches. La finition s'exécutait à la râpe et à la lime douce...".

Pour les piques de 1792, on a utilisé d'autres bois à côté du frêne, comme du sapin, du chêne ou de l'orme. Les sarisses macédoniennes étaient faites en cornouiller...

Chose importante, spécifié par une Municipalité du Jura, les billes de bois devaient être fendue à la hache (ou au coin), car si fendues à la scie, elles n'auraient eu aucune solidité (pliage, éclats).

Les outils ? Ceux du travail du bois, sensiblement les mêmes de l'Antiquité au XIXe siècle : hache, herminette, scie, plane, rabot et râpe...

Ma petite connaissance du travail du bois (apprenti-menuisier chez les Compagnons et bonhomme rural) me fait voir clairement le processus de fabrication d'une hampe :

1. Il est vain d'utiliser une forte branche ou un tronc fin au calibre désiré, car il y aura forcément des noeuds, qui seront autant de points faibles, des courbures, qui seront pour certaines redressables à la chaleur mais se retordront avec le temps (soleil, humidité) et des fissures longitudinales qui apparaîtront au séchage. De plus, les parties externes du bois (écorce, aubier) iront en pourrissant.

2. On travaille donc à partir de billes de bois, de tronçons longs, dont on ôtera l'écorce et les parties tendres à l'herminette. Sur un tronçon, le diamètre sera calculé pour tirer quatre hampes.

3. On fend la bille dans le sens de la longueur (deux moitiés) puis chacune des demi-billes (quatre quarts).

4. On rebat les arêtes à la hachette, à l'herminette, ou à la plane (c'est un outil très intéressant à utiliser, au passage) jusqu'à obtenir une section octogonale.

5. On peut laisser la hampe octogonale, ou la terminer, à la râpe et au ciseau, pour qu'elle soit de section bien ronde.

6. Le mieux est de travailler sur un bois écorcé dès la coupe puis séché... pas de fentes surprises.

Une dernière chose : contrairement à nos usages de gosse, le gros bout d'une hampe ou d'un fût de flèche est celui qui est loin devant soi, près du fer, car, étant le plus solide, c'est lui qui est destiné à stopper l'ennemi ou le pénétrer ! C'est d'ailleurs peut-être l'inverse pour une lance de joute, selon toute hypothèse, car elle doit obligatoirement se briser au choc pour ne pas trop blesser...

Temps de fabrication ? Un forgeron qualifié, une fois le foyer chaud, doit pouvoir faire facilement quatre ou cinq fers à l'heure, en série. Les finitions, le montage en bois et la mise en fil prenant une à deux heures de plus (par ses aides)...

A condition d'avoir, bien sûr, le combustible sur place en quantité suffisante (charbon de bois),ainsi que des barres de métal déjà apprêtées (de la loupe de fer à la barre d'acier étirée, prête à l'emploi, il y a plusieurs opérations de chauffe et martelage). Donc des heures de travail en amont !

Pour ce qui est des hampes de bois, quatre à huit à l'heure, sans problème. Là aussi, il y a tout un travail en amont, de la coupe en forêt à la mise en fer, en passant par le séchage.

A vue de nez, la production d'une équipe de base, avec tout sur place, peut être facilement d'une cinquantaine d'unités par jour sur un modèle simple.

Qui s'en occupait ? Tous les hommes de l'art qui suivaient obligatoirement une armée : ceux que l'on a appelé plus tard les "maîtres et ouvriers du train". Comparaison moderne : combien d'hommes, en plus des membres d'équipage au combat, autour d'un hélico, d'un avion ou d'un tank ?

@ Niger: Ok mais, concernant les flèches, comment faisaient-ils pour l'équilibrage en fonction des différents fers de flèches qui devaient tous être d'un poids différent???

Aïe ! question horriblement technique... à laquelle je répondrais que c'était une histoire de savoir-faire transmis d'homme à homme au cours des siècles, conjugué à l'expérience de l'archer, avec ce côté empirique, mais qui fonctionne du feu de dieu, qui est le propre des civilisations anciennes !

De nos jours, on parle d'allonge, de puissance, de spine/flexibilité, etc., avec des mesures hermétiques au tout venant : livres, grains par livres, etc.

Je t'invite à lire l'excellentissime ouvrage de Gery Bonjean et Emmanuel Martin, intitulé "Fabrication des Arcs primitifs", qui est la bible de tout archer roots. Tout y est, de la coupe du bois à l'empennage des flèches, très bien illustré et clair, avec le lexique de l'archerie expliqué...

J'ai vérifié, il est accessible, gratuitement, en format Doc Player... en tapant simplement "pdf - Gery Bonjean".

@ Niger: Merci pour les infos!!! Je vais de ce "pas" m'enquérir de l'ouvrage!!!

Alors, tu as trouvé ?

Pour être honnête, je précise que même si les explications données par Bonjean et Martin semblent limpides, mes second et troisième arcs ont fini par casser (j'ai du mal avec les arrondis près de la prise de main, à la plane : il y a un tour de main que je ne suis pas arrivé à prendre); quant au premier, il est encore vivant, mais a fini par prendre une courbure définitive, qui lui enlève toute puissance...

C'est peut-être seulement parce ce que j'ai utilisé du bois trop jeune ou mal séché...

Par contre, quand on fait des arcs de gamins en suivant la méthode, en promenade dans les bois, à l'opinel, on obtient des arcs avec une portée et une force impressionnantes !!!

J'ai eu également fabriqué des sagaies avec propulseur (atl-atl), suite à la visite du Mas d'Azil, en Ariège, avec mes gamins : avec un empennage en plumes de poules collé à la super glu, c'est absolument délirant.

Quant aux frondes, en usage dans les armées antiques - et médiévales ! - je recommande d'essayer les Baléares, tressées en lin... Là, j'ai le tour de main, et avec des galets arrondis et fuselés de torrent, c'est du pur bonheur.