Pour la première fois depuis mon inscription, j'ai abandonné le foroume une longue semaine. La raison en était simple : j'avais la chance d'être en vacances à New-York !
Si je poste aujourd'hui, c'est pas (uniquement
) pour vous en mettre plein la vue. Plutôt pour que vous sachiez que, même là bas, il est possible pour un passionné du moyen-âge de trouver son bonheur. J'ai trouvé le mien aux "Cloisters", un musée au nord de Manhattan. Voici le récit de ma matinée américaine :
L'arrivée est assez surprenante après les buildings du centre de New-York. Le métro me dépose au centre d'un parc en bordure de l'Hudson, des arbres à perte de vue. Je suis un sentier qui longe la rivière et une abbaye digne du "nom de la rose" apparaît entre les arbres.
Pas un chat à l'extérieur. Coincé devant une porte récalcitrante je crains un moment d'être tombé sur le jour de fermeture !
Je parviens malgré tout à rentrer et découvre le principe du musée : le milliardaire Rockfeller, après avoir pillé (contre monnaie sonnante et trébuchante) des cloîtres médiévaux et des églises en Europe, principalement France et Espagne, à créé un bâtiment pour mettre ces vestiges en valeur. A priori, quand je lis ça, je pars en courant, mais force est de constater que le résultat est impressionnant. Un parcours sur deux niveaux à travers quatre cloitres, un jardin et de multiples salles va me faire traverser le moyen-âge.
La visite débute par une petite chapelle XIIe dont l'abside a été démonté pierre à pierre pour être transportée ici. La nef a "simplement" été construite pour restituer l'ambiance du lieu d'origine.
On attaque ensuite le premier cloitre : celui de Saint-Guilhem* le désert. Là, j'avoue que j'ai été complètement bluffé : l'atmosphère est lumineuse, calme et paisible, sentiment renforcé par les plantes odoriférantes placées sous la verrière qui protège la cour. Les colonnes sont parmi les plus jolies qu'il m'ait été donné de voir, bref, je suis sous le charme.
Ce charme ne sera plus rompu avant la fin de ma visite : je travers d'abord une galerie contenant de belles pièces du haut moyen-âge.
Galerie qui va m'amener au second des cloitres : celui de Saint Michel de Cuxa, qui n'a rien à envier au premier, même atmosphère calme et même très haut niveau des sculptures. Pour compléter les pièces de maçonnerie manquantes notre milliardaire n'a pas hésité à faire rouvrir, en Gascogne, la carrière de marbre rose abandonnée depuis le moyen-âge !
Je descends dans une chapelle gothique (chouette, je me rapproche de mon époque favorite !) pour admirer le gisant de Jean d'Alluye. Une plaque nous conte son histoire : étant parti en croisade en 1241, il en ramena un morceau de la vrai croix (puisqu'on vous le dit ...) et selon toute vraisemblance une épée asiatique. En tout cas la forme de la poignée figurée sur le gisant évoque les épées chinoises de l'époque. Voilà le genre d'anecdote qui me mets en joie ...
Suit une galerie plus classique où sont exposés des objets de la vie courante : verrerie, carreaux, céramiques, vitraux ...
Dans une vitrine, quelques pièces d'échec. Si elles sont moins impressionnantes que celles qu'on peut admirer au British Muséum, celle de droite m'évoque furieusement une de nos figurines ...
Bon d'accord, l'échelle est un peu grande, on doit pas être loin du 45mm, mais avouez qu'elle est jolie !
Au fond, une porte s'ouvre sur le trésor du musée. Je m'attends à une exposition classique de ciboires et de reliquaires en or, objets qui généralement me laissent assez froid. Il y a ça, bien sur, mais pas que !
Dans une petite salle repose les lames d'un jeu de cartes complet du XVeme siècle.
Je me remets à peine de la surprise et de l'admiration devant la forme étrangement arrondie des lames, le tracé très fin à la plume, les étranges signes remplaçant nos carreaux et nos trèfles, qu'en me retournant je tombe en arrêt devant une série de manuscrits somptueux. Parmi eux une merveille absolue, les "belle heures du duc de Berry"**. Un manuscrit des frères Limbourg, le seul effectivement terminé par ces trois artistes qui doivent représenter le summum de la production parisienne de l'époque, donc un des plus beaux manuscrits du monde. Et, contrairement aux "très riches heures du duc de Berry" conservées au château de Chantilly, il est possible de voir le manuscrit et pas un modeste fac-similé.
Je reste de longues minutes le nez à dix centimètre de l'objet avant de me rafraichir les idées dans le jardin. Des simples y sont plantées et des jardiniers s'affairent à confectionner un treillis avec ce que je pense être des osiers. Encore une fois un lieu magique qui surplombe l'Hudson.
Je remonte à l'étage où m'attendent les dernières salles, plutôt consacrées à l'art gothique d'une demeure civile. Je suis d'abord un peu déçu par les deux séries de tapisseries, une sur les preux, une autre sur une chasse à la licorne. Certes, elles sont belles, mais la "chasse à la licorne" était présentée comme le clou du musée, je la trouve pour ma part bien inférieure à celle de "notre" musée du moyen-âge !
Cette déception sera de courte durée : dans une salle voisine se trouve un triptyque représentant une annonciation par Robert Campin.
Ma photo ne rend absolument pas grâce à ce chef d’œuvre. Il est, encore une fois, parfaitement présenté et mis en valeur. Et me voila de nouveau hypnotisé, scotchè devant cette petite merveille ...
J'approche de la fin de ma visite, je néglige la cafétéria, pourtant installée sous les arcades d'un autre cloitre, pour me précipiter vers la boutique, mes dollars à la main***. Je compte y faire une razzia sur cartes postales, livres et revues sur les merveilles admirées aujourd'hui. J'en suis pour mes frais : rien sur Robert Campin, rien de sérieux sur la tapisserie, encore moins sur le manuscrit des frères Limbourg !
Voilà pour ma matinée aux "Cloisters". Quelques jours auparavant, alors que je pestais contre le département médiéval du "Metroplitan Muséum of Art" ****, mon épouse se demandait en riant si je trouverai un jour un musée sur le Moyen-âge qui ne me fasse pas râler. Ce musée existe et il est à New-York ...
Si vous avez l'occasion de passer quelques temps à New-York, prévoyez d'y passer une demi-journée, l'endroit vaut vraiment le détour.
* Très joli prénom, au demeurant.
** Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur
ce manuscrit, un article lui est justement consacré dans le numéro avril-mai 2014 de la revue "Histoire et Images Médiévales" qu'on trouve facilement en kiosque.
*** C'est une image, hein, dans la vraie vie, je fais comme tout le monde, je les planque !
**** Si ça intéresse quelqu'un, j'ai quelques photos et je peux vous les commenter. Mais je serai nettement moins enthousiaste.