Matière de Castagne

Sujet: Matière de Castagne Mar 26 Jan 2021 - 0:51

◊ De l'Histoire, de la Géographie et des Habitants du Comté de Castagne ◊
◊ De Historia, Geographia Et Homines Cvjvslibet Comitatvm Castagnae ◊
sous la dictée de Benjamaud Brillin, historien royal.

I. Localisation et présentation générale.

Le Comté de Castagne se situe tout près de la frontière orientale du duché de Moussillon, à la lisière de la forêt d'Arden au nord et bordé par le Marais des Goules. Le fief est traversé à l'est par la Soivre, un affluent de la Grismerrie. Au-delà de la frontière ouest se trouve le fameux Cercle de Guérac et la cité d'Yrémy au sud-est.

Le comté n'est pas bien grand en superficie, et on peut le traverser de part en part en guère plus d'une journée de marche, ou vingt minutes environ pour une hirondelle non-chargée. Le climat y est peu clément et très humide, comme partout en Moussillon. Comme le ciel y est gris et couvert en permanence, le paysan castagnet moyen (oui, on appelle un habitant de Castagne un castagnet, ou une castagnette si c'est une femme) serait bien en peine de décrire à quoi ressemble le soleil, quand bien même il connaîtrait le sens de ce mot.

Il est composé de quatre baronnies, elles-mêmes découpées en une multitude de paroisses et de châtellenies. L'un des barons porte le titre de comte, de ce fait il est le suzerain des trois autres qui doivent lui prêter allégeance. Des différends entre les baronnies ont souvent dégénéré en guerres par le passé, et à l'occasion il a pu arriver que le comte soit renversé par l'un de ses vassaux, qui devient alors le nouveau comte s'il réussit à soumettre les barons rivaux à son autorité.

L'actuel comte de Castagne, Dangorn, est le seigneur de la baronnie du même nom. Pratiquement le seul chevalier du Graal de tout le comté, c'est presque sans surprise qu'il accéda au rang de comte au retour de sa quête du Graal, après avoir mis fin à la guerre civile qui déchirait sa terre natale depuis son départ (les faits qui se sont déroulés cette période sont narrés dans La Guerre des Trois Comtes). Il existe en effet un paradoxe bien connu en Bretonnie, que les chevaliers ayant bu au Graal se désintéressent des richesses matérielles, de la politique et des intrigues de cour et choisissent pour la plupart une vie d'ermite à l'écart de la société, pourtant tous les ducs et une bonne partie des seigneurs à la tête des armées bretonniennes sont des chevaliers du Graal, et leur statut requiert nécessairement de s'intéresser à ces choses, sous peine de faire un piètre suzerain.

La vérité est que boire au Graal ne libère en aucun cas un chevalier de ses devoirs liés à son rang de naissance. Le fils aîné d'une famille ducale reste l'héritier du duc, et lorsque le temps viendra, le titre de duc lui sera transmis automatiquement qu'il soit chevalier du Graal ou non, qu'il le désire ou non. Les ducs, comtes et barons qui ont prêté le serment du Graal exhortent ainsi leur progéniture mâle à partir également en quête et à revenir à la cour après avoir bu au saint calice, afin d'assurer sa légitimité aux yeux de ses futurs vassaux et de ses pairs quand viendra le moment de choisir un successeur. Si le fils aîné revient en vie, les fils cadets qui ont aussi prêté le serment du Graal pourront alors choisir de passer le reste de leur vie dans une chapelle délabrée au milieu de la forêt s'ils le souhaitent, mais si plus tard leur frère aîné trépasse sans héritier mâle adulte, le second plus âgé sera obligé de mettre fin à sa réclusion solitaire pour prendre le relais, ou du moins s'occuper de la régence.

Le père de Dangorn n'était point chevalier du Graal, pas plus que le précédent comte, Élias de Mortecquouille. Mais Godefroy de Créfieu, qui fut le régent de Castagne pendant que le jeune baron grandissait et faisait ses armes comme chevalier errant, était sous serment du Graal et c'est donc lui qui poussa naguère Dangorn, tout juste adoubé, à partir accomplir sa quête, car il pressentait qu'il ferait un meilleur comte que l'héritier de Mortecquouille.

Mais délaissons un moment la politique du comté pour présenter les lieux qui le composent.

II. La Baronnie de Castagne.

II.a) Le Castel de Castagne

Les armes de Castagne: écartelé-cousu d'azur et de sable à lys d'argent et filière du même.

Près de la frontière est du Comté se dresse le Castel de Castagne. Imposant et entouré de douves alimentées par l'eau viciée des marécages qui l'entourent et de la Soivre, il fut cependant érigé sur un sol meuble et quelque peu instable. En conséquence de quoi il faut régulièrement reconstruire une tour ou un pan de mur qui s'est effondré.

Ces travaux coûtent cher à la longue. Le résident du château est donc obligé de lever des taxes assez absurdes pour couvrir les frais de réparations, et de punir injustement quelques gueux pour s'occuper de cette corvée.

Ainsi, Dangorn de Castagne a dû récemment instaurer une taxe sur le nombre de doigts de pied. Or la plupart des paysans ne sachant pas compter, ils se font régulièrement escroquer par les prévôts-percepteurs, qui leur dénombrent entre treize et quatorze orteils alors qu'ils n'en possèdent souvent pas plus que douze, et parfois moins que huit (les malformations sont monnaie courante chez les gueux de Moussillon). Le supplément ainsi perçu ne va malheureusement pas dans les caisses du comte, mais dans les besaces des prévôts-percepteurs, qui le dépensent en vinasse et ~~dans les bor~~ dans les maisons fermées, les enfants, haha bien sûr, ce sont des maisons où il fait tout noir car les volets sont toujours fermés, voilà haha, allez dormir maintenant et arrêtez de déranger papy. Bon, où en étais-je...

Dans la populace une rumeur circule que sous les fondations du château se trouverait un souterrain secret, malgré le fait que réussir à creuser un souterrain dans des marécages et l'empêcher de se remplir d'eau et de de vase relèverait de l'exploit, voire de la pure sorcellerie. Nul autre que Dangorn et son fidèle bouffon-cuisinier ne saurait où se trouve l'entrée, et ils seraient les seuls à en posséder la clé. Nul ne sait non plus où peut mener ce souterrain, même si les racontars parlent d'un tunnel qui mènerait directement à la Saincte Cave de Havras, ou bien un cachot dans lequel il aurait enfermé des petits chats très mignons et avec lesquels il se livrerait, entièrement nu, à des pratiques que la morale réprouve. Il y a beaucoup de théories, le plus souvent infondées. Pour ces raisons, le cuisinier-bouffon jouit d'une aura mystique auprès des autres gueux, car il est le seul à connaître la vérité, et donc il est craint et respecté autant qu'envié. Bien entendu celui-ci s'est bien gardé de nier ou de faire taire ces rumeurs, pour préserver son statut.

Les chevaliers sous les ordres du comte Dangorn proviennent tous de la région, mais à part les autres barons et leurs frères ou cousins qui ont reçu les fiefs les plus importants, tous n'ont pas la chance de vivre une vie de château. Certains ne possèdent qu'un bout de champart, avec un seul paysan sous leur protection pour le cultiver. D'autres règnent sur un étang ou une parcelle de marécage, bien évidemment inhabités, ou en tout cas pas par des humains, et vivent de la pêche et de la chasse ou se mettent au service d'un chevalier plus aisé qui lui offre gîte et couvert.

II.b) Sainct-Landouin.

Les armes de Sainct-Landouin : écartelé-cousu d'azur et de sable à limaçon contourné d'argent

Comme beaucoup de paysans, les habitants de Sainct-Landouin ne savent même pas qu'il existe un monde au-delà de leur village. Et ils ne vous croiraient pas si vous le leur disiez. Cela dit, ils sont dans l'ensemble gentils et accueillants. A première vue, c'est un village tout à fait banal, mais si vous regardez bien certains détails, vous verrez qu'il y a quelque chose d'étrange. Point de fleur de lys, point d'effigie de la Dame du Lac, même dans la petite chapelle qui tient lieu d'église. Au lieu de cela, les vitraux et les statuettes de bois qui la décorent représentent tous un énorme escargot.

Les villageois de Sainct-Landouin sont généralement plutôt gentils et accueillants.

En effet, en dépit du fait que le village porte le nom du plus dévoué serviteur de la Dame qui ait jamais existé après Gilles le Breton lui-même, les villageois de Sainct-Landouin ne savent même pas qui est la Dame du Lac. Ils ont depuis longtemps oublié la déesse de Bretonnie, et elle-même les a oublié depuis des lustres. À la place, les paysans de Sainct-Landouin se sont mis à vénérer une énorme coquille vide, vraisemblablement tout ce qu'il reste d'un ancien gastéropode géant depuis longtemps disparu, qu'ils nomment Bavmorve, le Dieu-Escargot. Cette carapace hélicoïdale aussi haute qu'un homme, portée sur un palanquin par ses plus fervents adorateurs, offre un spectacle plutôt impressionnant et en la voyant on imagine volontiers que la nature seule n'aurait pu créer mollusque aussi monstrueux.

Cela comporte au moins un avantage : sur ses terres, Dangorn n'a rien à craindre des pélerins du Graal qui chercheraient à le dépecer. Les pélerins de Bavmorve se contentent de ramasser toutes les coquilles d'escargot qu'ils trouvent pour s'en faire des reliques, et de marcher très lentement tout en bavant abondamment. Leur langue est cependant très râpeuse et ils s'en servent à la guerre pour attaquer les ennemis. La plupart du temps ces derniers préfèrent rompre le combat et fuir, extrêmement gênés par cette expérience peu ragoûtante.

Gravure représentant le tout-puissant Bavmorve terrassant un soldat mécréant.

Prenez garde toutefois, si d'aventure vous passez par Sainct-Landouin et que vous n'êtes pas un adepte du Dieu-Escargot, voire que vous êtes athée, ne le dites pas à haute voix ! En effet malgré leur comportement amical et accueillant envers les étrangers (c'est-à-dire tous ceux qui habitent à plus d'une lieue du village), les sainct-landouinois sont très croyants en leur divinité, au point de vouer une haine fanatique à tous ceux qui blasphèment contre le tout-puissant Bavmorve. On a déjà vu des voyageurs de passage se faire lapider de coquilles d'escargot puis lécher à mort par une horde de paysans frénétiques car ils avaient eu l'outrecuidance de dire qu'un tel dieu ridicule ne pouvait exister.

II.c) La Trippe.

Les armes de La Trippe : écartelé d'azur et d'or.

La Trippe est peut-être le village dont les habitants sont les plus instruits et les mieux éduqués de tout le comté, bien qu'ils ne soient pas non plus spécialement brillants, il ne faut pas abuser. Ils font montre d'une certaine curiosité et d'une inventivité surprenante chez de simples gueux. La preuve en est qu'ils ont réussi à construire un trébuchet sans aucune aide ni supervision d'un noble, et le bourgmestre en est particulièrement fier. En attendant le jour où ils pourront le tester sur le champ de bataille, les Trippois s'entraînent à tirer des rochers, des troncs d'arbres et des même des animaux (parfois vivants) sur les zombies qui errent dans les marais de l'autre côté de la rivière. Le trébuchet est aussi très pratique pour les exécutions, offrant un spectacle bien plus divertissant qu'une simple pendaison, et les condamnés les plus aérodynamiques ont en plus une chance de finir sur le tableau des records de distance affiché sur la place publique.

Le Trébuchet de la Trippe a beaucoup d'usages.

II.d) Le Marais des Goules.

La baronnie de Castagne est très humide et la majeure partie de sa superficie est un immense marécage. Comme son nom l'indique, le Marais des Goules est régulièrement infesté de goules et autres bestioles peu recommandables. Fort heureusement, les chevaliers de Castagne sont toujours présents quand il s'agit d'exterminer ces abjectes créatures, c'en est presque devenu une façon de s'entraîner comme une autre. Il est courant d'entendre l'expression "ça lui a pris comme une envie de chasser les goules".

Le marais fut autrefois la demeure du vampire Morgueil, terrassé par le chevalier Godefroy de Créfieu alors que Dangorn n'était encore qu'un jeune chevalier errant.

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Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.

Sujet: Re: Matière de Castagne Jeu 28 Jan 2021 - 4:17

III. La Baronnie du Puy Le Fol.

III.a) Le Castel du Puy Le Fol.

Les armes du Puy Le Fol : d'argent à trois macles d'azur.

Située au sud-ouest du comté, la baronnie du Puy Le Fol est une région de bocage assez monotone. Il n'y a que des collines, des chênes têtards et des hêtres dans ce fief. La seule chose vraiment intéressante est le château du Puy Le Fol, construit sur la base d'une très ancienne arche elfique, comme en témoignent ses deux tours à l'aspect élancé, transformée en manoir et réparée au fil des siècles selon les goûts des barons qui se sont succédé à la tête de ce domaine.

C'est là que réside le baron Fulgent, un bon vivant qui aime y organiser de grands spectacles avec moult troubadours, cracheurs de feu et jongleurs.

III.b) Fulgent de la Banderole.

Fulgent du Puy Le Fol, dit "de la Banderole", est le porte-étendard de l'armée du comte Dangorn. En effet les relations entre le Puy Le Fol et Castagne sont très bonnes, c'est sans doute grâce au fait que Fulgent possède des vignes et qu'il produit son propre vin, la Pissetrounette, dont il fait généreusement profiter les voisins. Comparé au vin de Bordeleaux dont Dangorn est friand mais qu'il ne peut se procurer qu'en faible quantité à cause du cordon sanitaire, c'est un vin assez mauvais et très âpre à cause du faible ensoleillement (le ciel est en permanence couvert au-dessus du Duché de Moussillon, et Castagne ne fait guère exception), mais les vignerons ont depuis longtemps trouvé la parade : il suffit de masquer son goût avec force jus de baies bien mûres et d'épices puis de réhausser son niveau d'alcool. Le résultat ne peut pas vraiment revendiquer l’appellation de "vin" mais fait un apéritif tout à fait convenable.

Le raisin du Puy Le Fol pousse sans soleil et est pressé par des paysans en slip (rarement propre) et pieds nus, ce qui donne un goût peu conventionnel au vin qui en résulte.

III.c) Les Herpesses.

Les armes des Herpesses : D'azur à quatre burelles d'or, au franc-canton d'argent à trois macles d'azur.

La ville des Herpesses, en contrebas de la motte du Puy Le Fol, concentre la majeure partie de la population de la baronnie. Elle est surtout connue pour son moulin à vent et ses nombreux évènements festifs où les jeunes damoiselles et damoiseaux attrapent des maladies vénériennes.

Le moulin, en particulier, cristallise les relations houleuses entre Mortecquouille et Puy Le Fol. Depuis fort longtemps il existe une certaine hostilité et un dédain réciproque entre ces deux baronnies. L'origine exacte de cette tension s'est perdue dans les limbes du passé, mais l'on raconte que pour une raison inconnue, le moulin à vent des Herpesses aurait été construit à partir de rondins coupés dans la forêt de Mortecquouille, bien qu'il aurait été plus logique que les matériaux de construction viennent du bois des Herpesses, situé à proximité. Pour se venger, le baron de Mortecquouille aurait alors envoyé ses hommes d'armes incendier le moulin, mais ils furent interceptés par les chevaliers du Puy Le Fol. On raconte également que longtemps après cela, le seigneur de Mortecquouille aurait gracieusement invité le baron du Puy Le Fol à un banquet pour tenter d'apaiser les tensions, mais que ce dernier avait détruit sans vergogne les latrines de son rival. Mais l'on dit aussi que lors de ce banquet, le baron de Mortecquouille aurait tenté sans succès d'empoisonner son invité, ce qui lui aurait causé une diarrhée explosive. Il y a beaucoup d'autres légendes à propos des inimités qui opposent le Puy Le Fol et Mortecquouille et il est souvent difficile de savoir qui est vraiment la victime ou le coupable dans l'histoire.

Le moulin des Herpesses est le sujet de l'un des nombreux conflits entre Puy Le Fol et Mortecquouille.

Tous ces dires ne sont que des rumeurs, néanmoins cette tension belliqueuse entre ces deux domaines existe bel et bien et a atteint son paroxysme après la mort du comte Élias de Mortecquouille, ce qui déboucha sur la fameuse Guerre des Trois Comtes, nous en reparlerons plus loin.

III.d) Maulièvre.

Les armes de Maulièvre : d'or à lys d'azur à la bordure du même chargée de huit besants d'or.

Plus petite châtellenie de la baronnie, Maulièvre se distingue néanmoins par son ancien donjon, et sa position stratégique sur la Soivre qui lui valut d'être conquise tour-à-tour par Mortecquouille, puis par Castagne puis reconquise par le Puy Le Fol. Son seigneur actuel est le chevalier La Trémouille, fidèle au baron Fulgent.

III.e) Ploucauges

Les armes de Ploucauges : d'or à une épée abaissée de sable, accompagnée en chef de deux lys du même.

Située dans la gâtine, c'est-à-dire une terre acide, infertile et rocailleuse, et entourée de collines, Ploucauges n'a pas vraiment d'intérêt si ce n'est que c'est le village le plus peuplé de la baronnie après les Herpesses.

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Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.

Sujet: Re: Matière de Castagne Dim 31 Jan 2021 - 15:24

IV. La Baronnie de Tyffoges.

IV.a) Aimery de Tyffoges.

Les armes de Tyffoges: d'or à la croix de sable, à bordure d'azur semée de fleurs de lys d'or.

Le baron de Tyffoges est un enfant de cinq ans, comme Dangorn le découvrit à son retour en Bretonnie. Il s'appelle Aimery et succéda sans régence à son père qui mourut de la Malepeste un an plus tôt. Dangorn proposa de l'aider à s'occuper des "affaires ennuyeuses d'adulte", comme les affaires administratives et militaires, si Aimery acceptait de lui prêter allégeance, et celui-ci accepta, préférant jouer avec ses nombreux soldats de plomb plutôt que de s'occuper de l'intendance de sa baronnie.
Le seigneur Aimery occupe la fameuse Tour de Barbe-Verte, aussi surnommée la Tour du Borgne ou encore la Tourette, un imposant donjon construit sur les collines surmontant la ville de Tyffoges.

IV.b) La Motte de Tyffoges et la Tour de Barbe-Verte.

La légende raconte qu'autrefois vivait à Tyffoges un vieux sorcier. Et comme tout sorcier qui se respecte, il habitait dans une tour perchée sur une colline, du haut de laquelle il pouvait observer l'alignement des orbes célestes et guetter l'arrivée d'éventuels ennemis sur lesquels il pouvait lancer des sorts en toute sécurité perché au sommet de son donjon.

Ce sorcier était un alchimiste du nom de Gilles Derez, dont la sœur était la Damoiselle Odile. Le peuple-fée ayant déjà enlevé sa sœur aînée avant qu'il ne naisse et ne voulant pas perdre leur second enfant, ses parents mirent une poupée de cire à son effigie dans son berceau, et c'est la poupée que les fées enlevèrent à sa place. Il fut admis au Collège Doré d'Altdorf lorsque ses pouvoirs latents se manifestèrent et y termina ses études, mais il revint s'installer à Tyffoges après avoir gagné assez d'argent en transmutant des métaux banals en métaux précieux. Gilles fut plus tard surnommé Barbe-Verte car à cause d'un accident qui faillit détruire son laboratoire et lui coûta un œil, sa barbe avait pris une teinte vert-de-gris. On raconte que suite à cet incident il se fabriqua un œil magique d'or et de cobalt et se le greffa dans son orbite vide pour lui permettre de mieux percer les secrets de l'univers. On dit que cet œil ensorcelé pouvait percevoir les minuscules vibrations des grains élémentaires invisibles qui constituent la matière, aussi pouvait-il prédire le résultat de ses expériences avec une extraordinaire acuité. Barbe-Verte est mort depuis longtemps, sa prescience ne lui ayant point servi à éviter son inéluctable fin. On lui arracha son œil magique du crâne et il fut brûlé vif sur un bûcher par les tyffogeois qui en avaient assez qu'il fasse des expériences dangereuses sur eux (comme les jeter du haut de sa tour pour étudier la chute des corps).

Son œil fut serti dans l'un des créneaux au sommet de la tour. Depuis cette époque, quiconque regarde du haut de la Tour de Tyffoges peut voir non seulement plus loin grâce à la position surélevée, mais aussi légèrement plus loin dans le temps, ce qui permet de prévoir à l'avance l'arrivée de tout envahisseur. Et en effet, plusieurs siècles même après la mort de Barbe-Verte, les guetteurs positionnés sur cette tour ont maintes fois averti leur seigneur que des ennemis venaient avant même que ces derniers aient atteint la frontière de la baronnie. Les jours où il n'y a ni pluie ni brouillard (ce qui est fort rare), il est possible d'apercevoir depuis la tour le Cordon Sanitaire à la frontière entre Lyonesse et Moussillon.

Les chevaliers de la joute du Brigandin n'ont d'ailleurs rencontré aucune patrouille alors qu'ils traversaient la baronnie de Tyffoges sur les traces de l'usurpateur car le baron Aimery était déjà au courant de leur présence et du but de leur visite (voir À La Poursuite du Faux Astrabell), et aussi parce que c'était l'heure du goûter.

La légende raconte que quiconque regarde du haut de la Tour de Tyffoges voit non seulement plus loin en distance mais aussi dans l'avenir.

IV.c) Créfieu.

Les armes de Créfieu: d'argent à la croix d'azur.

Le village de Créfieu est un hameau de pécheurs situé au bord du lac du même nom. C'est ce hameau sans prétention qui a vu naître le chevalier Godefroy, l'ancient régent de Castagne aujourd'hui décédé. Godefroy était extrêmement humble et n'a jamais raconté à quiconque comment il avait trouvé le Graal, mais il était l'un de ceux qui ont vu et affronté le Chevalier de Sinople lors de leur quête. Il avait un frère, Bérendouin de Créfieu, également parti en quête du Graal, bien que nul ne l'a vu revenir et tout porte à croire qu'il est mort ou bien qu'il a disparu pour toujours.

C'est également à Créfieu que se trouve le quartier général de l'Ordre de la Croix d'Azur. Beaucoup de jeunes chevaliers errants de la région choisissent de faire leurs armes dans cet ordre religieux, dont les rites commémorent les faits d'armes de feu Godefroy de Créfieu. Ils abandonnent alors temporairement leur blason pour porter les armes de l'ordre: d'argent à croix d'azur à bordure de sable.

IV.d) L'Étang de Créfieu.

C'est le domaine du vieux Béren, ainsi qu'il se fait appeler, qui a autorité sur les poissons qui vivent dans cet étang. Malheureusement les poissons ne l'entendent pas tout à fait de cette oreille, et restent sourds à ses ordres. Il porte semble-t-il des pièces d'une armure rouillée probablement pêchée au fond de l'eau, et il n'a plus vraiment toute sa tête. En effet, il passe le plus clair de son temps dans une barque, à sillonner de long en large son étang, et à hurler aux poissons de lui obéir. Des rumeurs racontent qu'il s'agirait de Bérendouin, le frère disparu de Godefroy de Créfieu, et qu'il aurait bu au Graal, mais cela semble peu plausible. Le vieux Béren ne va jamais sur la terre ferme, préférant rester dans sa barque, et se nourrit exclusivement de poissons qu'il pêche avec une lance en bois flotté ou qui sautent occasionnellement dans son embarcation.

V. La Baronnie de Mortecquouille.

V.b) Le Castel et la ville de Mortecquouille.

Les armes de Mortecquouille: Parti d'or et de sable à fleur de lys de l'un en l'autre.

Le château de Mortecquouille, demeure du baron Malfeust se situe à la lisière de la forêt du même nom. Ses murs sont couverts de lierre, si bien qu'il serait aisé pour un ennemi d'escalader ses murailles. Cependant la meilleure défense du château n'est point sa muraille, mais les archers qui sont dessus. En effet, les archers de Mortecquouille comptent parmi les plus habiles du comté, car ils sont habitués à tirer non pas sur des sangliers (puisque c'est interdit), mais sur des corbeaux et des pigeons, les seuls animaux qu'ils ont le droit de chasser sur leurs terres. Les meilleurs archers de Mortecquouille peuvent transpercer un corbeau en plein vol à plusieurs yards. Ce sont aussi des tirailleurs expérimentés, habitués à courir dans les bois pour échapper aux chevaliers du baron.

En effet, même si c'est interdit, beaucoup d'habitants de Mortecquouille se rendent dans les bois pour ramasser des branches mortes et des bûches afin de se chauffer l'hiver.

V.a) La Forêt de Mortecquouille.

Mortecquouille, contrairement à la baronnie de Tyffoges, est une région très boisée. Le baron de Mortecquouille interdit à quiconque de couper les arbres, car c'est un grand amateur de chasse à courre, et il ne tient pas à ce que son terrain de chasse soit diminué sous prétexte que ses serfs meurent de faim et qu'ils voudraient plus de terres pour cultiver, ou simplement couper du bois pour se chauffer. Pour cette même raison, le braconnage est interdit, et tout paysan tuant un sanglier, que ce soit dans la forêt ou bien dans son propre champ, risque au moins le pilori, sinon la peine de mort. Ces lois ne datent pas d'hier, il en a toujours été ainsi en Mortecquouille.

Ce gueux imprudent a osé tuer un sanglier qui ravageait ses cultures.

Malfeust de Mortecquouille n'a cependant pas assez de chevaliers pour surveiller toute la forêt. Traverser les bois en évitant les chemins reste donc assez peu risqué.

V.c) Malfeust de Mortecquouille

Le baron Malfeust aime avant tout chasser le sanglier. Il organise de grandes battues et chasses à cour dans la forêt de Mortecquouille, où il possède plusieurs pavillons de chasse. Parfois lorsque le gibier vient à manquer, il punit un gueux en le forçant à se déguiser en sanglier et à courir dans la forêt. Le pauvre finit généralement déchiqueté par les chiens ou trucidé d'un coup de lance.

Le père de Malfeust, Élias de Mortecquouille, portait le titre de comte avant que Dangorn ne lui succède. Malfeust pense que c'est lui qui à qui aurait dû échoir ce titre, mais il est trop occupé à chasser et est trop fainéant pour partir en quête du Graal, de plus il sait que s'il veut devenir comte il lui faudra aussi combattre à nouveau les barons Fulgent et Aimery, dont Dangorn a déjà gagné le respect.

Il existe une dispute ancestrale entre les baronnies de Mortecquouille et du Puy Le Fol, ainsi les barons Fulgent et Malfeust ne se parlent plus depuis la Guerre des Trois Comtes.

V.d) La Verrue

Les armes de La Verrue : Écartelé, d'azur à une fleur de lys d'or, et d'argent plain.

À la Verrue vivent les gueux les plus laids et les plus difformes du comté. Le nom du patelin viendrait soit de la forme de la colline sur laquelle il est sis, soit des excroissances cutannées qui ornent les nez de la plupart de ses habitants.

C'est à la Verrue que le comte ordonna au baron Malfeust de faire construire un pégasodrome, où ses chevaliers-pégases s'entraînent en temps de paix à faire des tours de piste, de la voltige et des joutes aériennes, effrayant au passage les habitants des environs qui se plaignent régulièrement qu'ils volent trop bas ou qu'il pleut du crottin lorsque les pégases ont été trop nourri. Le pégasodrome est constitué d'écuries où dorment les pégases, d'une grosse tour ronde, d'une longue piste en herbe servant aux décollages et aux atterrissages, et d'une grange remplie de foin que les chevaliers-pégases surnomment "la pompe", où ils gardent également quelques tonneaux de Pissetrounette.

La grosse tour à côté de la piste de décollage sert à signaler, par un jeu de gonfanons et d'oriflammes de différentes formes et couleurs, les ordres de priorité pour l'utilisation de la piste, et d'autres informations importantes pour les chevaliers-pégases en approche. L'une des oriflammes est surnommé "la biroute". De gueules à deux fasces d'argent, elle est enroulé sur elle-même en forme de manchon et ses deux bords sont cousus ensemble, ainsi quand le vent s'y engouffre elle se dresse en partie à l'horizontale. Sa direction indique alors la direction du vent, et le nombre de fasces gonflées indique sa force.

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Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.

◊ La Guerre des Trois Comtes ◊
◊ De Bello Trivm Comitvm, Avt Adventvs Castagnae ◊
sous la dictée de Benjamaud Brillin, historien royal.

Chapitre Prime: Tyffoges.

Rentrer dans le duché maudit de Moussillon n’avait pas été chose aisée, les gardes du cordon sanitaire se demandaient bien ce qu’un chevalier du Graal - car il en était désormais un - voulait faire au-delà de cette frontière qui protégeait le reste de la Bretonne des morts-vivants et créatures mutantes qui rôdaient de l’autre côté. Mais Dangorn savait que ce n’était pas la seule chose que l’on trouvait au sein de cette inquiétante étendue. Il y avait là-bas ses terres et ses gueux, ses vassaux et son château, qui lui manquaient après toutes ces années de quête dans de lointaines contrées pour prouver sa valeur à la Dame du Lac. Afin de se faire autoriser le passage en toute discrétion, le chevalier albinos avait dû se départir de cinq couronnes d’or - ce qui représentait quasiment une solde annuelle pour ces hommes d’armes. C’était certes cher payé, mais au moins cette fois il n’aurait pas les hommes du duc de Lyonesse à ses trousses et sa tête mise à prix dans tout le royaume, contrairement à lors de son départ.

Chevauchant à travers la forêt d’Arden et le Cercle de Guérac, il arriva finalement en vue de la Tour de Barbe-Verte, qui surveillait la frontière occidentale de la baronnie de Tyffoges. Étonnamment, il ne croisa aucun garde, aucune patrouille alors qu’il atteignit et entra dans la ville fortifiée. Cela ne lui dit rien qui vaille, il y avait soit du laisser-aller de la part du baron Tugdual, soit quelque chose de terrible était arrivé pour que la baronnie soit laissée ainsi à la merci des horreurs de Moussillon.

« Où est votre seigneur ? » demanda Dangorn à une vieille femme qui époussetait une tapisserie en la frappant avec un chat devant sa maison. Elle arrêta de frapper le chat sur la tapisserie et celui-ci s’arrêta de miauler.
« Mais bédame, dans son chastel, où voulez-vous donc qu’il soye ? »
« Je n’ai oncques croisé gardes ni chevaliers en arrivant ici. S’il est en son château, que font ses hommes censés le garder ? »
« Pour sûr ils sont à jouer à cache-cache, comme le baron l’a ordonné ! »
Le teint d’habitude blafard de Dangorn se teinta de rouge alors qu’il contenait sa colère.
« Vous moqueriez-vous de moi, la gueuse ? »
« Bédame non, noble sire ! J’vous ai ben dit qu’la vérité vraie ! Allez causer au baron si vous m’croivez point ! »

Un tonneau plus loin dans la ruelle toussa, puis renifla. Dangorn alla prestement en retirer le couvercle, et à son grand étonnement y trouva un homme d’arme recroquevillé.

« Messire, veuillez refermer ce clapet, ou notre seigneur le baron va me trouver ! »

« Je n’avais point idée que le baron Tugdual s’adonnait à ce genre d’enfantillages. »

« Feu le baron est mort l’hiver dernier messire, c’est son jeune fils Aimery qui lui succéda. Nous sommes à jouer à cache-cache sous ses ordres, et le dernier qu’il trouvera recevra une part de far aux pruneaux. »

L’homme d’armes éternua, toussa, puis continua :

« Ayez pitié, messire. Je n’ai guère mangé depuis douze jours, car à cause de mon rhume je suis à chaque fois découvert dans les premiers. Pour l’amour de la Dame, refermez ce couvercle ! »

Dangorn referma le tonneau et se dirigea d’un pas déterminé vers le donjon de Tyffoges, la fameuse Tour de Barbe-Verte.

Bien entendu, aucun soldat n’était posté à la barbacane pour l’empêcher d’entrer, et personne ne gardait la porte, qu’il ouvrit en poussant simplement dessus. Il monta les escaliers qui menaient à la grande salle, où il trouva un enfant qui lui tournait le dos, la tête posée sur ses mains elles-mêmes appuyées sur une colonnade. Il comptait, ou plutôt il faisait semblant.

« …Neuf cent quarante-seize, trente vingt-et-un douze, mille ! »
Il se retourna brusquement et pointa Dangorn du doigt. « Haha, je t’ai trouvé ! Nulle ta cachette, t’auras pas de gâteau ce soir ! »
« Je ne veux point de gâteau. Dis-moi mon garçon, où se trouve le seigneur Aimery ? »
« Ben, c’est moi ! Et toi t’es qui ? »
« Comment ça, euh... je suis... j’étais un ami de ton père. J’ai appris ce qu’il lui est arrivé, et je suis venu te dire que je suis désolé pour toi. »
« Oh c’est pas grave, il était tout le temps à la guerre et je le voyais jamais. Maintenant que je suis baron, je fais tout qu’est-c’que j’veux, d’abord. »
« D’accord. » soupira Dangorn, l’air pensif. Un demi-sourire vint soudain éclairer son visage fatigué.
« Dis-moi, Aimery, arrives-tu à t’occuper des corvées administratives de ta baronnie ? C’est important de les faire, tu sais. Faire les comptes des dépenses du domaine, étudier les nouveaux édits du roy et les faire appliquer, gérer les vassaux, superviser l’intendance du château, faire l'inventaire des troupes et de leurs dotations… »
« Oh non alors, c’est vraiment trop nul, je préfère jouer ! C’est vrai qu’il faut faire tout ça ? »
« Oui. Mais que dirais-tu si je m’occupais de toutes ces corvées et que tu pouvais jouer tout le temps sans jamais t’ennuyer avec ces choses ? »
« C’est vrai ? Je peux ? Ce serait génial ! »
« Tu n’as qu’à me prêter allégeance, c’est-à-dire prononcer une phrase magique à voix haute en pliant un genou devant moi, et j’exaucerai ton souhait. »

C’est ainsi que le baron Aimery de Tyffoges prêta serment d’allégeance à Dangorn de Castagne, le reconnaissant comme suzerain, régent et comte.

Sujet: Re: Matière de Castagne Lun 1 Mar 2021 - 2:05

Chapitre Second: Créfieu

Dangorn pouvait sentir que quelque chose n'allait pas dans le comté. Peu après avoir accepté l'hommage du baron Aimery, il se rendit au sommet de la Tour de Barbe-Verte et regarda au loin. Au sud-est il vit qu'une bataille faisait rage, et des troupes convergeaient de chaque côté vers les collines entre Mortecquouille et Puy-Le-Fol, lui coupant le passage vers sa propre baronnie.

Cela le fit s'inquiéter pour son château et pour Godefroy, à qui il avait confié toutes ces années la charge de s'occuper de son domaine. C'était une armée qu'il lui fallait s'il voulait rejoindre Castagne au plus vite. Le jeune Aimery de Tyffoges avait déjà fini de trouver tous les hommes d'armes qui se cachaient dans les environs du château. Dangorn tenta de lui demander s'il pouvait les emprunter quelques jours.

« Nan ! Pas envie. Ils sont à moi, d'abord, et j'ai le droit de jouer avec eux. »
« Écoute gamin, je suis ton suzerain maintenant, alors tu vas... » Dangorn s'interrompit alors qu'une idée lui vint.
« Tout compte fait... D'accord Aimery, tu veux jouer à quoi ? »
« Chais pas, j'm'ennuie. Et les soldats sont nuls à cache-cache. »
« Quant à moi, je suis très bon à cache-cache, vois-tu. Je parie un énorme gâteau aux framboises que tu ne me trouveras pas. »
« Pari tenu ! Je connais par cœur toutes les cachettes. Interdit de se cacher dans les maisons ! Attention je commence à compter jusqu'à mille ! UN... DEUX... ONZE... »

C'était tout ce que Dangorn espérait. Il regroupa les hommes d'armes de Tyffoges, pris une monture et une lance de cavalerie aux écuries et leur ordonna de le suivre.

« Mais, seigneur comte... et le baron ? S'il apprend que nous sommes allés nous cacher hors les murs, il va nous punir. »
« N'ayez crainte, c'est juste un détour pour brouiller les pistes. Par ici se trouve la meilleure cachette, je vous y emmène. »

Deux heures plus tard, Dangorn et sa troupe d'hommes d'armes atteignirent l'étang de Créfieu. Dangorn fit boire sa monture dans l'eau de l'étang. Ils virent une barque au loin sur l'eau, avec un homme en armure se tenant dessus.

« Serait-ce un chevalier sur cette barque ? » se demanda Dangorn.
« Par ma merdre, c'est l'vieil Béren, li seigneur du lac ! Fuyons, il va invoquer ses poissons de guerre et nous faire boire la tasse avec moult violence ! » gémit le prévôt.
« Personne ne fuit ou JE leur fais boire la tasse. Je vais parler à ce sire Béren et le convaincre de nous rejoindre. »
« Il n'a plus toute sa tête, messire, ce serait plus prudent de... »

« QUI VA LÀ ?"

Surpris, Dangorn recula brusquement, puis se ressaisit.
« Holà messire chevalier, nous marchons à la bataille qui menace vos terres. Voulez-vous vous joindre à notre armée ? »
« Mes terres sont icelles dont votre destrier s'abreuve impunément ! C'est vous la menace ! Vous le paierez de votre vie ! MES FIDÈLES CARPES, TRUITES ET BROCHETS, CHAAAAAARGEZ ! »

Rien ne se passa. Les hommes d'armes pointaient leurs lances nerveusement vers l'étang, s'attendant à une soudaine attaque de poissons guerriers, qui de toute évidence n'existaient que dans le délire du vieux Béren.

« CHARGEEEEZ, VOUS DIS-JE ! BANDE DE PLEUTRES ! J'ARRACHERAI VOS ÉCAILLES UNE PAR UNE ! »

« Laissons donc ce vieillard fol dans sa barque, j'ai comme l'intuition qu'il ne nous sera d'aucune aide » conclut Dangorn, en se dirigeant vers le village. Les hommes d'armes de Tyffoges le suivirent, lançant de temps à autres des regards inquiets vers l'étang.

Le village de Créfieu n'était habité que par quelques pêcheurs, qui attendaient que le vieux Béren soit endormi ou soit occupé à naviguer de l'autre côté de l'étang pour poser leurs lignes et attraper quelques prises, et le comte ne s'attendait pas à y voir une unité de chevaliers qui préparaient leurs armes et armures pour vraisemblablement se rendre à la bataille entre Mortecquouille et Puy Le Fol.

Ceux-ci étaient tous dans leurs seize à vingt-cinq printemps et portaient tous le même blason: d'argent à croix d'azur. La croix d'azur était le blason de Godefroy de Créfieu, mais Dangorn n'avait nul souvenir que le vieux chevalier du Graal possédait descendance aussi nombreuse. Les chevaliers regardèrent approcher le comte et et les hommes d'armes avec méfiance et se rangèrent même en ordre de bataille, comme s'ils se préparaient à les charger. Avant que les choses ne dégénèrent, Dangorn décida d'aller seul en émissaire négocier avec quiconque menait ce fer de lance. Il s'adressa au prévôt:

« Tenez la position et resserrez les rangs, je vais aux pourparlers. »
« Bien, messire. »

Alors qu'il se dirigeait vers le fer de lance, un des chevaliers, le plus vieux d'entre eux, se détacha de l'unité d'en face pour venir à sa rencontre. Arrivés assez près l'un de l'autre pour pouvoir se parler sans crier, les deux ralentirent et relevèrent la visière de leurs heaumes. Le chevalier à la croix d'azur commença:

« Je reconnais les armes de Castagne sur votre écu mais vos hommes d'armes portent la livrée de Tyffoges. De quel côté combattez-vous ? Et à qui avez-vous dérobé cet écu ? Nul ne l'a porté depuis le départ du baron Dangorn. »
« Je ne l'ai point dérobé, je suis Dangorn de Castagne, et j'ai sollicité l'aide militaire du baron de Tyffoges pour venir réclamer le titre de comte qui me revient de droit. »
« Par la Dame ! Le seigneur Dangorn, lui-même ! Pardonnez, nous vous croyions mort. En ces temps troublés, il faut cependant se méfier des apparences. Il est étrange que vous disiez être comte, le seigneur de Mortecquouille dit également mériter ce titre, et son adversaire du Puy Le Fol le revendique de même... Je perds le compte des comtes. »
« Quant à vous ? Pourquoi tous vos chevaliers portent les mêmes armoiries ? Seriez-vous tous de la maison de sire Godefroy ? »
« Hélas si vous arrivez à l'instant, il me peine de vous apprendre que feu le sainct sire Godefroy de Créfieu est mort il y a trois ans. Notre sainct ordre fut fondé en sa mémoire. Les chevaliers errants qui le composent proviennent de tout le comté et ont juré de prouver leur valeur en imitant les exploits de Sainct Godefroy et en suivant à la lettre ses enseignements posthumes qu'il écrivit dans ses Sainctes Mémoires peu avant son trépas. Cela passe par une période initiatique où chaque nouvel aspirant chevalier arbore l'argent à la croix d'azur et délaisse ses armes personnelles jusqu'au terme de son errance, après quoi il peut de nouveau porter ses propres couleurs. »
« Godefroy fut mon régent et mestre d'armes et la nouvelle de son trépas me touche au cœur. Il aurait souhaité que je devienne comte. Si vous vous joignez à moi, quand j'aurai fini de réunifier le comté, mes serfs construiront une basilique en son nom, et votre ordre ne manquera de rien, j'en fais serment. »
« Il semble que nos idéaux convergent dans ce cas, bien que les Sainctes Mémoires de Sainct Godefroy ne mentionnent nulle part qu'il vous souhaitait prendre la tête du comté. Et même si Tyffoges vous reconnaît comte, il reste encore à persuader les deux autres barons. »
« Fi de Mortecquouille et de Puy Le Fol, car point encore n'ont-ils eu vent de mon retour. Ainsi, de par la loi graalique, comme je suis le seul baron du comté ayant bu au Graal, ils me doivent allégeance. »
« D'aussi loin que je m'en souvienne, oncques n'ai-je entendu parler d'une loi graalique, mais je vous crois. Un chevalier du Graal ne peut point mentir, si ? »

Les deux hommes se jaugèrent du regard. Dangorn ne cligna pas des yeux. Au bout d'une interminable seconde, sur son ton le plus neutre possible il répondit:

« Hm... Non, bien entendu. »

Le chevalier errant éclata de rire.

« Hahaha bien évidemment que non, puisque Sainct Godefroy l'avait écrit ! Alors c'est décidé, nous vous suivrons. »

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Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.