Tournoi de trébuchets de Couronne.

Position de trébuchet du chevalier Cédric le Normand (Kaops) :

Aux alentours du trébuchet de Mélinor, un acte terrible avait été accompli. Mais, puisqu'il était enfin terminé, la normalité des rires alcoolisés et bien gras avait reprise et on pouvait à nouveau en faire la description.

Les verres qui avaient servi à contenir le "liquide" avaient été compactés dans un tonneau qui était prêt à être envoyé dans les airs. Jeannot, Pierrot et Paulot, eux, se tenaient autour de la machine. Si Jeannot et Paulot rigolaient comme avant, Pierrot, lui, avait cet air de la personne qui avait accompli quelque chose d'incroyable mais qui aurait préféré l'oublier en fin de compte.

Comme il ne souhaitait justement plus y penser, le père de la fratrie abaissa le levier, envoyant le projectile dans le firmament, sans le quitter des yeux. Ses deux fils crièrent un holà supplémentaire et repartirent gaiement chercher un autre apéritif, comme si de rien était. Mais Pierrot, lui, il savait. Les deux autres étaient trop avinés pour s'en souvenir, mais, lui, il avait dessoulé aussi sec en comprenant. Oh ça, il savait très bien ce qu'il avait réussi à créer à partir de ce bête caillou.

Et c'est cette vision qu'il partit aussitôt noyer dans la vinasse avec ses enfants, la mine mortifère et le regard dans le vague.

Position de trébuchet du Lord del Insula (le Vioque - Maître charpentier, Georges - dit le Borgne, Lenny - dit le Benêt, une vache) :

Le charpentier : Mais ?
La vache : Meeeuuh !!!
Georges : La vache ! Qu'est t'y encore que s'bazard ?
Lenny (en haut du trébuchet) : J'en vois d'autres qui se baladent... c'est tout un troupeau.
La vache : Meeeuuh !!!
Le charpentier : Avec ce foutoir, pas moyen de se concentrer. Toi là haut ! Dit moi si ça c'est dégagé à l'est depuis tout à l'heure ?
George (montrant la direction au guetteur) : Par-là qui veut dire !
Lenny : Ah ouais... ben non, ça a pas changé de ce côté.
Le charpentier : Parfait. On va tirer par là. Commencez à charger !
La vache : Meeeuuh !!!
Le charpentier : Mildiou ! Cette vache va m'rendre chèvre !
Lenny (descendant du trébuchet) : C'est possible ça ?
George : C'est une expression.
La vache (s'approchant de l'engin et commençant à se gratter contre son bois et à renifler les cordages) : Meeeuuh !!!
Le charpentier (s'énervant) : Punaise, elle va nous gêner cette grosse vache. Faudrait s'en débarrasser.
George : Oui, mais comment ?
Lenny : Z'avions qu'à la balancer comme faisait l'autre équipe !
Le charpentier et George (à l'unisson) : Mais oui !!!
La vache : Meeeuuh !!!

Position de trébuchet du comte Guillaume d'Alsacie (MagnanXXIII) :

- René ! T'as fu cha ! Ils se sont entretués René !
- Ja Alphonste, cha ch'est une ponne noufelle.
- On les aura René ! Quand ils auront tous pouffer notre Sauerkraut on retournera en Elsassland René !
- Ja Alphonste, mais on fait quoi maintenant ? Il n'y a plus de ciple...
- On tire au pif René. T'occupe et palance das kri de kuerre !

Aussi planc, aussi toux, aussi Bibeleskass !

Position de trébuchet du grand seigneur de Nehepalà (Sekhesh) :

- Un peu trop de tirs au même endroit ... on est arrivé après la bataille !

- Un peu comme d'habitude en fin de compte vu notre dextérité ... nan ?


Sur les six concurrents initiaux, seuls quatre étaient encore en état de tirer lorsque retentirent les trompettes du sixième tour.

Il apparu rapidement que les artilleurs avaient été attirés par une même zone - encore relativement inexplorée - à l'est du champ de bataille, car tous les projectiles sans exception prirent cette direction.  

A la surprise générale, une nouvelle vache s'était envolée. Le trébuchet de Guyenne ayant été neutralisé lors du tour précédent, chacun s'interrogeait sur l'origine du lancer. Quelque part sur le terrain, un groupe de servants avait dû faire main basse sur un animal et le préférer au traditionnel rocher. Plusieurs têtes se tournèrent vers l'estrade du commentateur, dans l'attente d'un éclaircissement. Arès une brève concertation avec les juges de la compétition, le crieur annonça :

— La vache est envoyée par le trébuchet du Lord !  

Si l'équipage de la machine avait eu conscience de la terrible malédiction qui accompagnait le tir de bêtes à cornes, il aurait très probablement revu sa stratégie. Et pour cause : ce projectile meuglant et gesticulant dévia très vite de sa trajectoire pour ne s'écraser qu'à plusieurs mètres de sa destination première.
Confortablement installé dans son siège, le duc de Guyenne arborait un sourire en coin et tentait d'étouffer un ricanement : il était ravi que ce genre de déboire ne lui soit pas réservé.

S'il permit de dégager quelques mètres carrés supplémentaires, ce tir manqué n'eut pas d'autre effet.

Le public, toujours en attente de nouveautés et de sensations fortes, avait déjà reporté son attention sur un rocher et un énorme tonneau, respectivement catapultés par les équipages du seigneur de Nehepalà et du chevalier Cédric le Normand.
Parmi les nombreuses formes de paris qui fleurissaient un peu partout depuis l'ouverture du tournoi, l'une consistait à miser sur d'éventuelles collisions entre projectiles. Tandis que ces deux tirs se rapprochaient dangereusement l'un de l'autre, les amateurs jubilaient à la perspective de l'argent qu'ils s'apprêtaient à empocher. La distance s'amenuisant, ils étaient de plus en plus nombreux à se lever pour crier leurs encouragements :

— Allez ! Allez !
— Mais vas-y !
— Encore un peu !
— Oui ! Oui ! Oui ! Oui !
— Plus prèèèèès ! Encore plus prèèèèèèès !

Puis les voix conclurent à l'unisson :

— ET MEEEEEEEEEERDE !  

Peu avant d'atteindre le sol, il apparu clairement que le rocher et le tonneau allaient s'écraser côte à côte et non l'un sur l'autre. Des centaines de fessiers churent lourdement sur les bancs dans un grand tintamarre. Ce boucan ne parvint pourtant pas à occulter de grands cris en provenances du terrain ainsi que les beuglements pitoyables d'un animal frappé à mort.        

Distraits par leur déception, de nombreux spectateurs n'avaient pas eu le temps d'observer les deux impacts qui semblaient avoir semé une belle pagaille. Le résumé de l'action ne se fit pas attendre et combla leurs lacunes :

— Une vache a été atteinte et c'est le chevalier Cédric le Normand qui remporte le point ! Le rocher du seigneur de Nehepalà est arrivé un instant après, il s'en est fallu de peu ! Le trébuchet de Mélinor conserve donc la tête du classement et gagne un avantage en cas d'égalité !

Le commentateur marqua une pause pour observer attentivement la zone avant de compléter :

— On dénombre aussi à vue de nez les corps démembrés de deuuuuux ... Non ! Trois gueux ! Il y a une troisième tête à moitié écrasée par là-bas. À serrer de trop près l'animal, ils ont payé le prix fort ! Rappelons cependant que leur élimination ne rapporte aucun point.  

Au sein des grands évènements, il s'en passe souvent de plus petits que personne ne remarque mais qui sont lourds de conséquences. Dans les gradins où s'étaient installés des paysans plus aisés que la moyenne, un tenancier de taverne scrutait le carnage au moyen de jumelles rudimentaires. Alors qu'il balayait la zone, il finit par se figer tel un chien d'arrêt devant une vision inspiratrice. Au milieu des débris, une choppe initialement enfermée dans le tonneau du Normand avait été projetée à bonne distance du point d'impact. Elle reposait désormais sagement sur sa base, emplie d'un mélange peu ragoûtant d'entrailles dans lequel deux doigts arrachés étaient venus se ficher à la verticale. Le concept de la verrine était né. Dans les mois suivants, il se répandrait tel un fléau dans tous les établissements de bouche du royaume, faisant enrager tous les dîneurs qui voulaient avant tout être rassasiés.

En revanche - et très curieusement -, le principe de la munition à fragmentation passa relativement inaperçu.

Pendant ce temps, ne restait plus dans les airs que la redoutable choucroute d'Alsacie. Ce fut peut-être le résultat d'une erreur de calcul, d'un mauvais tassement du choux ou des conditions météo, mais le tir d'ordinaire très précis de cet équipage dévia largement au nord-est jusqu'à s'écraser à la limite orientale du terrain.

Nul hurlement ne se fit entendre, mais les oreilles exercées reconnurent instantanément le craquement caractéristique de l'os brisé. Des vétérans de campagnes d'Arabie crurent même bon de préciser qu'il s'agissait d'os sec ; curieusement sec. La particularité sonore fut cependant attribuée au régime strict de la paysannerie du royaume et l'affaire n'alla pas plus loin. Du haut de son estrade, le crieur reprit son commentaire, avec une pointe d'excitation :

— Oyez ! Oyez ! C'est absolument incroyable, mais nous avons une nouvelle victime ! Les pronostics penchaient pour une nouvelle phase d'exploration du terrain, mais il n'en est rien ! Un servant de trébuchet vient d'être éliminé ! C'est une fois encore le comte d'Alsacie qui parvient à mettre au jour un de ses adversaires ! Rappelons qu'il a précédemment débusqué le baron de Joli-Tonneau et causé la première perte de ce tournoi !

Sur le panneau des scores, le personnel s'affairait déjà à apporter les modifications nécessaires. Le commentateur poursuivit :

— La victime porte une livrée verte ! Elle appartient donc au grand seigneur de Nehepalà, celui là même dont le score est à présent égalisé par le comte d'Alsacie.

La foule applaudissait à cette belle surprise, tandis que le commanditaire de l'équipage amputé restait curieusement impassible. À l'observer, on eut pu croire que cette perte ne signifiait rien à ses yeux ; comme s'il pouvait la remplacer d'un simple claquement de doigts.          

De joyeux commentaires reprirent de plus belle dans l'assistance avec la fin de ce sixième tour. Chacun était visiblement très satisfait de l'enchaînement des actions.

Dans la tribune d'honneur, le seigneur Mictlantecuhtli était pour une fois d'un calme olympien. Comme à son habitude, il s'évertuait à envisager la suite des évènements tout en remuant doucement son verre de vin pour en tirer les plus subtiles fragrances. Une fois encore, il fut tiré de ses réflexions par l'arrivée du capitaine de sa garde.

— Le nouveau commentateur est-il à votre convenance, monseigneur ?

— Il est très bien, capitaine.

Puis, attrapant le lobe d'oreille de ce dernier entre le pouce et l'index :

— Je suis content de vous.

— Grand merci mon maître. Je suis heureux que tout semble suivre vos plans.

— Pour le moment, oui. Attendons de voir ce que la suite nous réserve. Il y a tant de variables qui échappent à mon contrôle dans ce tournoi ...

— J'espère que l'écrasement des quelques gueux qui poursuivaient la vache ne vous a pas trop contrarié, messire. Les gardes ayant failli ont été châtiés selon vos ordres, mais il doit encore rester des intrus sur le terrain. Dois-je les faire appréhender ?

— Oh que non. Bien au contraire, laissez-les là. Leur présence sert fort bien mes desseins pour le moment. A-t-on bien exécuté mes ordres concernant le neveu du comte de Miche-Où ?

— Dans les moindres détails, monseigneur.

— Excellent. A présent capitaine, conviez donc les musiciens à sonner le début du prochain tour. L'impatience de la plèbe est presque palpable.  




Impacts :

Kaops : N24 => Hit ! => N24
Lord del Insula : O23 => déviation sud-ouest de 2 cases => Q21
MagnanXXIII : N24 => déviation nord-est de 2 cases => L26
Sekhesh : O25 => déviation ouest de 1 case => O24

Pointage :

Calidus5 : 4
Kaops : 5
Lord del Insula : 0
MagnanXXIII : 2
Paps : 0
Sekhesh : 2

Vaches :

Kaops : 1


Le sixième tour est mort ! Vive le septième tour !

Notre nouvelle échéance nous amène au dimanche 27 août. Avec la fin des vacances, la diminution du nombre de joueurs et le dénouement du concours du slip, nous pourrons envisager de raccourcir le laps de temps entre deux tours.

A vous les réactions.

Malgré la forte consommation de verres de Bordeleaux, L e Lord était au comble de l'exaspération. À cause de ce projectile improvisé par son équipage, il était désormais la cible des piques du Duc de Guyenne. Et en plus, ces ploucs n'avait encore rien touché, même pas une vache ou un de ces gueux errant dans le pré.

Et en plus, il s'agissait d'une initiative, faite sans ordre de sa part. Depuis quand la roture prenait-elle des décisions par elle-même ? Cela était non seulement inconcevable, mais surtout effrayant. On commence par décider par soi-même, puis ça finit par contester les ordres, et enfin, terrifique perspective, par réclamer du pouvoir politique.

Le Lord conclut qu'il fallait sans plus tarder garder à l’œil sur ce trio. Apercevant le fameux garde zélé, il le héla :

- Holà mon brave, puis-je vous confier une mission de la plus haute importance ?

- Je suis à vos ordres, mon Seigneur - répondit cérémonieusement ce dernier.

- Cela demande de la vigilance et de la discrétion. Avec toute cette agitation, mon équipage ne m'inspire guère confiance. Je voudrais que vous les teniez discrètement à l’œil, et que vous me rapportiez ensuite les propos qu'ils pourraient tenir.

- Yes my Lord ! Mais sur quel genre de propos dois-je centrer ma vigilance discréteuse ?

- C'est un peu délicat à expliquer - tenta d'éluder le Lord - Disons que s'il vous semble qu'ils expriment ou réalisent des choses qui n'aient pas de lien avec ce tournoi, il faudrait me le signaler. Suis-je assez clair.

- Sir yes Sir ! Quand voulez-vous que je commence ma disgracieuse diligence ?

- Eh bien tout de suite, ma foy.

Alors que le soldat s'éloignait en marchant d'un pas militaire, le Lord resta un moment songeur. Entre la bêtise de ce garde et la perspective d'un coup au but sur son trébuchet, les perspectives restaient favorables. Il lui restait à voir comment la situation allait évoluer. Il reprit un verre, sans se douter que cette consommation mettait à mal sa lucidité déjà sérieusement compromise.

Jacques et ses hommes se firent arrêter par les gardes qui surveillaient les abords Est du terrain de tir.

- Halte ! On n’passe pas !
- Je travaille pour le seigneur de Joli-Tonneau, laisse nous passer !
- Et moi ch’travaille pour l’seigneur Mictlantecuhtli et il va m’empaler sur un pieu si quelqu'un rentre.
- Et si tu ne me laisse pas passer tout de suite, je te colle un carreau entre les deux yeux.

Menacés, les gardes abaissèrent leurs lances. Ce à quoi Jacques et ses hommes répondirent en braquant leurs arbalètes. C'est alors que le capitaine de la garde se souvint que ses hommes et lui n’avaient pas de bouclier. Il réalisa qu’ils seraient abattus d’une seule volée de carreau. De grosses gouttes dévalèrent de son front alors que son cerveau, habituellement fort peu sollicité, cherchait désespérément un moyen de rester en vie.

- Et vous v’nez pour quoi ?
- Je viens récupérer ce qui reste du trébuchet de mon baron.
- Bon d’accord mais moi et mes hommes on va vous surveiller pour être sûr qu’vous faites que ça.

Jacques haussa les épaules en baissant son arbalète.
- Comme tu veux. Allez les gars, on remplit la charrette.

L’opération fut plus compliquée que prévu. Le Couillard avait été réduit en miettes qui s’étaient perdues dans une immonde bouillasse composée de pierres, de choucroute impériale douteuse, de chair animale et humaine, de bouses de vache visiblement fraîches et le tout lié par la terre labourée par les impacts.

Haletant, transpirant si c'était encore possible, le Hiéingénieur revenait du poste d'observation.

- Mon seigneur ! Ils ont eu un de nos balistaire !

- Noooon ! ... ça fait depuis les premiers tirs de ce tour que je le sais espèce de scorpion des sables !!!

Faisant fi de l'insulte qui lui était adressée :

- Quels sont les ordres maintenant ?

- On continue comme s'il ne s'était rien passé, ils ont l'habitude non ? Cependant, renseigne toi sur ce "comte d'Alsacie"...peut-être qu'on ira visiter son fief avec de quoi "attendrir" son accueil !

Le Hiéingénieur se disait bien que la stoïcité de son frère était inhabituelle...

Position de trébuchet du chevalier Cédric le Normand (Kaops) :

L'équipage du trébuchet de Mélinor venait de retrouver une certaine allégresse car même Pierrot, qui tirait pourtant une gueule longue de huit pieds, avait finit par rejoindre les rires gras qui caractérisait la famille venant de Bordeleaux.

Mais, alors qu'ils étaient en train d'armer le trébuchet, un homme d'arme sortit mystérieusement du brouillard en agitant les bras dans tous les sens.

"Stooop ! Arrêtez-tout, vous dis-je !
- Mais qu'est-ce qui veut l'austre ? s'insurgea Jeannot dont le nez était tellement rouge qu'il luait.
- Vostre seigneur vous demande d'utiliser un nouveau projectile ! Donc vous me sortez ce tonneau de mardre de là et vous vous bougez le fessier pour t'y monter l'austre !"

Les trois membres de l'équipage se regardèrent avec circonspection mais finirent par hausser les épaules en acquiescant. L'homme d'arme sembla souffler de soulagement de ne pas avoir à convaincre plus avant cette bande de poivrot dont les relents alcoolisés étaient reconnaissables à des lieues à la ronde. Puis, peu de temps après, trois autres hommes d'armes amenèrent sur un petit chariot une sorte de grande jarre. Ils la posèrent à côté du trébuchet et souhaitèrent bonne chance aux trois gaillards.

Ces derniers observèrent le nouvel objet et se dirent que cela ressemblait beaucoup à un tonneau contenant un liquide. Une lueur de malice brilla dans les yeux des membres de la fratrie et d'un commun accord ils ouvrirent le contenant suspect. Mais en sentant les fortes odeurs d'huile et de pois qui jaillirent aussitôt le couvercle levé, ils se dirent que, finalement, non, en fait les bon vieux tonneaux de vinasse, cela marchait mieux.

Voulant se débarrasser au plus vite de l'odieuse mixture imbuvable - une honte franchement, un liquide qui ne se boit pas en Bretonnie, mais où allait le Vieux Monde - les trois bonhommes passablement avinés chargèrent le vase sur le trébuchet et, ayant remarqué une trouée un peu bizarre dans le lointain, le lancèrent aussitôt la corne de brume entendue après avoir embrasé la surface du liquide comme demandé par les instructions inscrites sur le vase. Celui-ci n'eut cependant pas droit à un holà comme les précédents, seulement un soupir plaintif de la part de Paulot :

"Quand même, ça rendait mieux avec un tonneau."

Position de trébuchet du Lord del Insula (George dit le Bigleux, Lenny dit le Benêt, le Charpentier dit le Vioque, des gueux de passage) :

Lenny : Y a encore eu un gars d'écrasé par là.
George : T'as eu raison de tirer à l'est le Vioque.
le Charpentier : Sauf que c'est pas nous qui l'avons estourbi. J'suis pas sûr qu'on puisse gagner sur c'coup. Où ce qu'y a encore de la brume.
Un gueux : Z'auriez pas vu une vache les gars ?
Lenny (montrant l'ouest): Y en a encore par là.
Le gueux : Merci mon gars (il part dans la direction)
Le charpentier : Et ailleurs ?
Lenny : Y en aussi par ici et par là. (D'autres gueux émergeant à ce moment, suivent les directions indiquées)
Le charpentier : Bon, ben on va cibler ces zones les unes après les autres, on verra ben ce qu'on y découvre.

Position de trébuchet du comte Guillaume d'Alsacie (MagnanXXIII) :

- René, il y a tes faches dans le tomaine ! Motifie le kri de kuerre si tu feux pien.
- Ja Alphonste, c'est parti !

Aussi fache, aussi chaud, aussi Paeckeoffe !

Position de trébuchet du grand seigneur de Nehepalà (Sekhesh) :

- On devrait attendre qu'il se relève non ?

- Normalement oui mais il me semble que ça pourrait "perturber" le public.

- Alala ! Aucune dignité envers les gens morts ici...


Au son habituel des trompettes les quatre projectiles des machines encore actives prirent leur envol. Il ne fallu pas longtemps au public pour constater que certains allaient poser problème : la choucroute garnie d'Alsacie et le rocher de Nehepalà filaient dangereusement vers la bordure du terrain. Fort heureusement, les gradins étaient disposés le long de la limite sud afin que les spectateurs aient le soleil dans le dos et ne soient pas gênés par ses rayons. Confortés dans leur sentiment de sécurité, ils eurent tout le loisir d'apprécier le fracas des atterrissages qui emporta quelques membres du personnel de sécurité postés en périphérie.

Ces deux tirs n'eurent donc qu'une efficacité très relative dans l'exploration du terrain, quoi qu'ils permirent de dégager quelques mètres carrés supplémentaires. Chaque impact permettait de resserrer l'étau sur la position des quatre équipes restantes. Certaines n'allaient pas tarder à en faire les frais.

Une remarquable boule de feu s'éleva majestueusement de la position du Normand. Le grand seigneur de Nehepalà ayant été découvert lors du tour précédent, le féal de Mélinor semblait bien décidé à user des armes les plus sophistiquées à sa disposition pour évincer son adversaire. Laissant derrière elle un épais panache de fumée noire, la jarre emplie du liquide incendiaire piqua vers la position supposée de Nehepalà mais une erreur de calcul la fit éclater à distance suffisante du trébuchet ennemi. Si l'engin était sauf pour l'instant, on ne pouvait en dire autant d'un de ses deux servants : la gerbe de flammes le recouvrit dans un terrible bruit d'éclaboussure. Le malheureux se consuma à une vitesse fulgurante, comme s'il était fait de bois sec, et ne laissa bientôt derrière lui qu'un petit tas de cendres chaudes.

— Une nouvelle perte à porter au tableau des scores ! L'équipage du chevalier Cédric le Normand empoche un point supplémentaire pour l'élimination du second servant du seigneur de Nehepalà ! Ce dernier se retrouve dans une situation ... snif, snif ... pour le moins ... snif ? ... dangereuse ... snif, snif, snif ... Pardonnez-moi gentes dames et nobles seigneurs, quelqu'un aurait-il commencé à cuire des grillades ? Un alléchante odeur semble se propager dans les gradins ...

Si grillades il y avaient, elles étaient pour le moins fortuites. Lors de son explosion, le contenu de la jarre incendiaire semblait avoir recouvert les restes de la vache démembrées lors du tour précédent. Les effluves de cette cuisson fortuite envahissant peu à peu les rangées de sièges, le public se fit tumultueux. Plusieurs gueux réitérèrent leur tentative de passer le cordon de sécurité et des renforts furent nécessaires pour contenir leur élan.

Sur le terrain, certains paysans ayant coursé les bovins se laissèrent guider par leur odorat et parvinrent à rejoindre le site de l'impact. Bravant les flaques de liquide enflammé, ils furent quelques-uns à gagner un casse-croûte qu'il emportèrent jalousement dans le brouillard. Bien plus enflammaient par inadvertance un pan de leurs vêtements et se mettaient à gesticuler comme des possédés pour éviter de brûler vifs.

Depuis le confort de la tribune d'honneur, le seigneur Mictlantecuhtli songea avec un sourire que le décompte des victimes de ce tournoi serait décidément bien compliqué.

Ces évènements faillirent occulter le dernier coup d'éclat de ce tour. Mais tandis que les torches humaines dansaient à l'est, un drame se préparait à l'ouest. Le rocher lancé par l'équipage du Lord del Insula vint s'y écraser, au beau milieu d'une zone inexplorée du champ de bataille. De brefs hurlements interrompus par un abominable fracas appelèrent jusqu'au dernier des distraits à tourner la tête dans cette direction. Une fois les débris retombés et la vision devenue claire, le commentateur reprit d'un ton hésitant :

— Euh ... cher public ... je ne sais que dire. C'est une terrible destruction à laquelle nous venons d'assister. Un trébuchet vient d'être fauché de plein fouet par le rocher du Lord ... Je distingue ... C'est une livrée orange ! Bon sang, c'est le trébuchet d'Alsacie ! L'équipage du sieur De La Tour vient d'être intégralement balayé sans avoir le temps de réagir ! Quel terrible revers de fortune !

L'assistance fut parcourue de nombreux murmures de surprise : personne n'aurait imaginé voir disparaître ainsi le célèbre lanceur de choucroute d'Alsacie. Haussant le ton, le commentateur poursuivit :

— C'est la première fois qu'un tel coup se produit. Rappelons que tous les trébuchets ont été repérés par la perte d'un de leurs servants avant que d'autres tirs ne les détruisent. Ce coup inspiré ou très chanceux du Lord vient de priver la compétition d'un troisième concurrent !

Les conversations reprirent de plus belle. Le crieur en profita pour consulter rapidement les juges et faire le point avec les responsables du tableau des scores avant d'empoigner son porte-voix :

— Votre attention s'il vous plaît ! Les dernières actions viennent de bouleverser l'état des lieu. Pour l'heure, le Lord réalise une remontée spectaculaire depuis le bas du classement en gagnant 6 points d'un seul coup pour la destruction du trébuchet d'Alsacie et la perte de ses servants. Il rejoint donc le chevalier le Normand à la première place ex-aequo. Ce dernier totalise 6 points pour l'élimination d'un servant du seigneur de Nehepalà, mais conserve tout de même un avantage grâce à la vache éliminée précédemment.

Marquant une pause, il laissa le temps aux responsables du tableau de modifier les scores.

— Cette perte est également le signal annonciateur du terme de la compétition ! Sauf retournement de situation très inattendu, le seigneur de Nehepalà semble condamné à plus ou moins brève échéance ! Le duel final devrait donc avoir lieu entre le Lord et le Normand, dont les positions respectives sont toujours inconnues !  
                 
A cette conclusion, les étals improvisés des preneurs de paris furent assaillis par les joueurs. Certains avaient misé depuis le début sur l'un de ces deux concurrents, d'autres plus prudents n'engageaient leur argent que maintenant.

Du côté de la tribune d'honneur, la fin du récapitulatif fut l'occasion d'une nouvelle salve d'applaudissements, adressée cette fois au comte d'Alsacie. Beaucoup compatirent et maudirent la malchance d'un candidat dont l'équipage s'était évertué à débusquer ses adversaires plutôt qu'à les achever. Ayant salué ses admirateurs, le comte fut presque aussitôt assailli par le groupe de vieux connétables, désireux de débattre des tenants et des aboutissants de sa stratégie.

Quoique réputé pour son caractère très flegmatique, le Lord n'avait pas vraiment réussi à masquer sa satisfaction à l'annonce du résultat de son équipe. Etant passée inaperçue jusqu'à ce stade de la compétition, elle se décidait enfin à faire honneur à son seigneur. Ce superbe coup le rapprochait non seulement de la première place, mais il écartait également un dangereux concurrent. Tout à son contentement, il fut cependant interpellé par le commentateur :

— Je rappelle à sa seigneurie le Lord del Insula qu'un projectile spécial est désormais à la disposition de son équipe ! Merci de faire votre choix parmi les quatre propositions : le roc, la pierraille, le feu grégeois ou l'assistance médicale !  

Dans la confusion de cette fin de tour, personne n'avait remarqué que l'organisateur avait quitté sa place. Constatant la réduction prochaine de l'effectif à deux équipes, il était décidé à mettre en branle un plan qu'il méditait depuis quelques tours. Gagnant un auvent sous lequel patientaient plusieurs membres du personnel technique, il alpagua le responsable d'équipe :

— Vous là. Oui, vous. Venez par ici.

La cible s'exécuta avec diligence et répondit à la convocation avec force courbettes.

— Quesqu'y j'poui faire por vô servir m'seigneur ?

— Reculer d'un bon mètre serait déjà une bonne chose. Vous empestez mon pauvre.

Confus, l'homme s'exécuta en trébuchant sur ses propres chausses.

— S'cuzez m'seigneur ! Ca fait trois ô quatre ans qu'j'oublie d'prendre mon bain annuel ...

— A vue de nez - et ce n'est pas qu'une figure de style - je dirais plutôt huit ou dix.

— C'possible m'seigneur.

— Bref, peu importe. Ecoutez moi bien : d'ici peu, il est probable que seuls deux concurrents soient encore debout sur le champ de bataille. Quand ce moment là viendra, je veux que vous dépêchiez des équipes de quelques hommes auprès de chacun des survivants. Leur rôle se bornera à les aider pour réarmer leur machine. Ils devront quitter le terrain avant le lancer et revenir juste après pour recommencer la procédure jusqu'à l'élimination d'une des deux équipes. C'est clair ?

— Point trop m'seigneur ...

— Que la Dame me préserve de tous ces décérébrés de la plèbe ! CAPITAIIIIIINE !!!  

A ce cri, l'officier qui ne se tenait jamais loin de son employeur - comme tout garde du corps qui se respecte - accouru :

— Des problèmes monseigneur ? Un nouveau candidat pour le pal ?

— Pas tout de suite. Dites moi, vous parlez toujours couramment le langage du peuple ?

— Oui, mon maître. J'ai pris l'option langues étrangères à l'école des officiers.

— Bon. Dans ce cas, expliquez à ces énergumènes la marche à suivre pour le duel final. Ma patience a déjà été suffisamment éprouvée pour aujourd'hui.

— Je m'y mets tout de suite. Vous êtes donc décidé à accélérer la cadence des tirs ?

— Certes. J'estime que la moitié de la surface du terrain n'a pas encore été dégagée, même si les zones pouvant accueillir un trébuchet tendent à se réduire. Avec de moins en moins d'équipes pour achever le travail, il faudra leur apporter un peu d'aide. Il n'est pas question de prendre le risque que le public meure d'ennui en attendant de nouvelles pertes.

Prenant congé du bas peuple, l'organisateur repris le chemin de sa place. Après un bref crochet par le débit de boissons, il passa devant les musiciens à qui il donna le signal pour lancer le huitième tour et s'affala enfin dans son siège. Les choses n'allaient pas trop mal pour le moment, mais l'ultime confrontation était la phase la plus risquée. Il fallait espérer que tout se déroule selon le plan.            




Impacts :

Kaops : K25 => déviation sud-ouest de 2 cases => M23
Lord del Insula : M4 => Hit ! => M4
MagnanXXIII : C18 => déviation nord-est de 3 cases => A'21 (case fantôme ; seules des projections se trouvent dans le terrain)
Sekhesh : F2 => déviation nord-ouest de 2 cases => D0 (case fantôme ; seules des projections se trouvent dans le terrain)

Pointage :

Calidus5 : 4
Kaops : 6
Lord del Insula : 6
MagnanXXIII : 2
Paps : 0
Sekhesh : 2

Vaches :

Kaops : 1


C'est ici que nous concluons l'un des tours les plus meurtriers du tournoi. Un joueur supplémentaire nous quitte et un autre se retrouve sur la sellette !

Pour les trois concurrents encore en état de tirer, la nouvelle date à respecter pour l'envoi des coordonnées et des textes est celle du dimanche 3 septembre.  

Bonne chance à eux !

- Encore une perte mon seigneur ! Sur un tir hasardeux qui plus est. A ce rythme, le tour prochain sera le dernier...

Le Hiéingénieur attendait une réaction de son monarque (et pas nécessairement la plus calme) mais il semblait étrangement calme.

- Préviens Semnêsh, mon Héraut. Qu'il retourne à la flotte et qu'il prépare mes troupes. Je vais tout raser et récupèrer ce trébuchet en or...je vais tout raser, calmement.

Le sorcier de Sekhesh voulait préciser qu'au début du tournoi son seigneur parlait de compétition et de fair-play mais il était encore plus terrifiant dans son attitude calme et posée...et dans c'est moment là, Dieux seuls savent de quoi il était capable !

Voyant son trébuchet être mis hors service en un seul tir, le comte d'Alsacie mit un peu de temps à comprendre la situation. Il finit par faire une grimace et s’allongea du mieux qu'il put sur les gradins, les mains croisées dernière la tête.

"Bah !" fit-il...

On s'attendait à ce qu'il ajoute quelque chose, mais rien d'autre sortit de sa bouche dans l'immédiat. Il eut un petit temps de pause puis il reprit:

"Sûrement un coup des Mousillonais..."

On sentait un peu d'amertume dans sa voix. Bien qu'au départ il trouvait l'idée du tournoi de trébuchet complètement idiot, il avait finalement pris goût à la compétition. La compétition reprenait son cours et lui devenait un simple spectateur, un peu comme avant, mais avec de la tension en moins.

En entendant son vieil ami se plaindre encore une fois de l'intervention de mousillonais inexistants, Cédric failli bien balancer un coup de hache dans les hauberts de son ami. Après tout, vu qu'il en portait trois il ne risquait pas grand-chose... Mais son éducation le retint alors qu'il avait déjà porté sa main sur le manche de son arme. Or, il fallait tout de même qu'il lui apprenne une leçon.

"Guillaume... grogna donc le chevalier Brionnais."

Ainsi, au moment où le Gasconnais tourna la tête pour s'enquérir des intentions de son camarade, le revers d'un gant en métal rencontra son heaume. Le coup était léger et sans danger, mais suffisamment dosé pour étourdir la personne pendant quelques secondes.

"Vous feriez mieux de retirer votre dernière phrase à moins que vous ne souhaitiez attirer sur vous les foudres du Lord del Insula, lui murmura Cédric. Je veux dire, traiter un de vos adversaires de Mousillonais ! J'imagine bien votre frustration, mais essayer d'éviter l'incident diplomatique..."

Le chevalier se retourna en grommelant et lâcha un dernier :

"Et arrêtez avec ces mousillonais !"

Maintenant un peu calmé, Cédric le Normand regarda à nouveau le champ de tir. Décidément, en voyant le score étonnamment élevé de son équipage, le chevalier se demanda bien comment cela pouvait être possible. Le seigneur Valmond aurait-il donc l'œil pour dénicher des talents dans le domaine de l'artillerie ou ces poivrots étaient diablement chanceux ?

Le comte d'Alsacie grommela:

"Par tous les dieux, détendez vous, c'était de l'humour... Jamais je n'aurais traité le Lord d'une telle façon."

Guillaume réfléchit quelques secondes,

"Non, je ne crois pas qu'il soit mousillonnais, c'est certain même. Par contre il se pourrait bien qu'on soit tous victimes d'un complot plus grand. Par exemple, un mousillonnais aurait bien pu révéler ma position à l'équipage du Lord justement parce que..."

Cédric posa sa main sur sa hache. Le comte stoppa immédiatement sa réflexion.

"Tu as raison, c'est idiot. Une fois le tournoi terminé je féliciterai le Lord del Insula pour ce magnifique tir. Il a quand même réussi à remonter son score grâce à ça. D’ailleurs, vous êtes a égalité maintenant, enfin presque, il faut compter la heu... vache".

Le nom du boviné sonna drôle dans la bouche de Guillaume, on sentait une prise de conscience soudaine de l'absurdité des règles de ce jeu.

Le baron de Joli-Tonneau regardait le tableau des scores. Il avait perdu une place et était désormais troisième. Pour dire vrai il s'y attendait, mais cela ne l'empêchait pas d’être contrarié.
Par contre, il avait de bonnes chances de rester troisième.

Il chercha le Lord, et le trouvant à la buvette, se dit qu'il n’était en rien déshonorant de se faire prendre une place par un vrai chevalier Bretonnien. Par contre son choix de vignobles était fort convenu ! Joli-Tonneau alla donc à la rencontre du Lord pour le féliciter, mais surtout lui faire découvrir des crus mal connus qui valaient le détour.


Jacques, le limier de Joli-Tonneau, arriva aux abords des tribus avec sa charrette remplie de bois trié en petits fagots. Il aborda un jeune page du baron qui terminait de monter un petit étal.

- Apodemus, je t’apporte la marchandise.

- Bien m’sieur, j’presque fini m’sieur.

- Ton langage Apodemus !

- Mille excuses mon seigneur, je finis prestement de monter votre enseigne. Je vous serais infiniment redevable si vous pouviez déposer ici la marchandise en attendant.

- C'est mieux Apodemus, mais n’en fait pas trop non plus. Adapte-toi à ton public.

- Bien monsieur. Et combien dois-je en tirer.


Jacques afficha un grand sourire carnassier.

- Si tu en tires plus du double de la valeur de feu le Couillard, je te paie un coup à boire à la buvette des nobles.

- C'est comme si c'était fait m’sieur ! Répondit Apodemus.

Jacques s’en alla satisfait alors qu’Apodemus accrochait un grand panneau où l'on pouvait lire « bois de chauffage en chêne véritable ».

Jacques avait ramassé Apodemus enfant dans le ruisseau du bourg de Joli-Tonneau, après qu’il eût réussi à convaincre un de ses hommes de lui acheter une brique. Le jeune homme avait un incroyable don pour vous faire acheter tout et n'importe quoi à des prix élevés.
Son nom lui venait d’un érudit qui voyant un petit garçon sale en haillons dans le ruisseau, l’avait désigné à sa compagne comme un « apodemus ». Le petit orphelin sans nom qu’il était alors avait trouvé le nom joli et l’avait gardé comme prénom.
Jacques ne lui avait jamais avoué que son nom désignait les mulots, quant à ses hommes… ça l’étonnerai beaucoup qu’ils sachent ce que « apodemus » veut dire.

Position de trébuchet du chevalier Cédric le Normand (Kaops) :

Maintenant qu'il avait un peu desaoulé, Pierrot commençait se poser quelques questions. Certes, les quelques grammes de vin qui circulaient toujours dans son système sanguin ne l'avaient pas aidé à réfléchir, mais maintenant qu'il avait vu une vache passer à côté du trébuchet en étant poursuivie par des gueux en furie... Et qu'une odeur de plat d'Alsacie planait dans l'air... Eh bien, il réalisait doucement qu'il était sur un champ de bataille en fait.

Un regard rapide vers ses deux fistons lui fit comprendre qu'ils étaient eux aussi en train de comprendre la situation, ou plutôt de s'en rappeler. Les trois se regardèrent donc longuement... puis décidèrent d'oublier à nouveau. Ainsi, pour fêter ce nouvel oubli de leur situation précaire, ils ouvrirent un de leurs derniers tonneaux et en envoyèrent un autre sur la même position que les tirs précédents avec la rituelle holà. En même temps, ils avaient oubliés de changer les réglages entre temps.

Position de trébuchet du Lord del Insula (George dit le Bigleux, Lenny dit le Benêt, le Charpentier dit le Vioque, Le garde zélé - espionnant en cachette) :

Lenny : C'est par là qu'on a tiré tantôt ?
Le charpentier : Ouais mon gars. Alors ?
Lenny : Ben on a touché un trébuchet et tous les gars autour !
George : Bien joué le vioque. Grâce à toi on évite le risque de se retrouver dans la panade vis à vis du Lord.
Le charpentier : Ne criez pas victoire trop vite. Aidez-moi à monter, j'veux y voir de mes propres yeux.

Les deux hommes aident le charpentier à escalader le trébuchet.
Le charpentier (en haut du trébuchet) : Voyons y voir... C'est pas joli joli... Bon on en est donc là. Y a pas trente six choses à faire. Vous pouvez me descendre vous autre.

La scène se répète en sens inverse.

George : On fait quoi du coup ?
Le Charpentier : On liquide l'équipe qu'on voit. Ça fera toujours moins de risque de se prendre un coup de caillasse sur le pif. Et puis on essaye de contacter le Lord pour le choix du projectile spéciale. J'ai ma petite idée sur le choix à faire, mais c'est notre Seigneur qui doit le faire.
George : Comment qu'on fait ? On peut point se bouger de là.
Le Garde zélé (sortant de sa cachette) : Une mission. À vot' service les gars. Dis moi ce que je dois dire à ton Lord, et je lui transmettrai manu militari.
Lenny : Ben y a qu'à demander George.

Position de trébuchet du grand seigneur de Nehepalà (Sekhesh) :

- Mais...mais...d'habitude ils sont toujours relevés !!!

Hurlant à l'intention de son seigneur mais oubliant le fait qu'accessoirement sans cordes vocales, la voix ne va pas bien haut :

- J'OBSERVE JUSTE MOI ! J'SAIS MEME PAS M'EN SERVIR DE CE TRUC !!!
(je vous retranscris ici en gras ce que ça aurait donné pour quelqu'un étant encore en état de marche mais à part un "hhhhhh..." rien ne sortit de sa mâchoire)

De toute manière il fallait bien faire quelque chose donc tant pis, il actionnerait tout ça, il se passera bien quelque chose !


Au signal de tir du huitième tour, ce ne furent plus que trois projectiles qui s'extirpèrent des brumes du champ de bataille. A cette vue, de nombreux spectateurs furent saisis d'une bouffée de nostalgie : le trébuchet d'Alsacie s'était tu après une fin aussi brutale qu'imprévisible. Sa choucroute unique en son genre ne sèmerait plus la terreur parmi ses adversaires et n'assaillerait plus les gradins de ses abominables effluves. Mais ce que les gueux regrettaient par dessus tout, c'était de ne pas avoir plus de victuailles à ramasser sur le terrain à la fin de la compétition.

Hors donc, les deux rochers du Lord et du seigneur de Nehepalà côtoyaient l'habituel tonneau du Normand dans le ciel rougissant de cette fin d'après-midi. La majeure partie de l'attention du public était une fois encore portée vers la cible la plus évidente : la position très compromise de l'équipage de Nehepalà. Quelques stratèges dans l'assistance avaient bien spéculé sur les possibilités que ses deux adversaires l'épargne afin qu'il participe au dégagement du terrain, il n'en était rien. Le tonneau et un rocher semblaient destinés à mettre un terme à l'aventure de l'équipe venue expressément des contrées du sud.

Le tonneau frappa le sol le premier, après avoir manifestement dévié de sa trajectoire dans de larges proportions, car il atteint une zone déjà amplement explorée, bien au delà de la position supposée de la machine de guerre ennemie. Un proverbe courrait au sein de l'équipe de Mélinor : un tonneau de perdu, dix autres à vider. A ce stade, il est fort probable que le chevalier n'espérait plus récupérer ses hommes en état de fonctionnement.

Le rocher suivit peu après. Son tir était visiblement bien mieux ajusté, puisqu'il parvint à s'insérer juste entre les corps ravagés des deux servants précédemment éliminés. Hélas, cette démonstration de rigueur balistique fut sans conséquence, aucun servant à livrée verte n'occupant la zone de déflagration. Cependant, pour tous les artilleurs encore actifs, la position exacte de la machine de guerre était désormais connue avec certitude.

Le crieur s'empressa de remplir ses fonctions et commenta l'action :

— Voila qui est surprenant cher public ! Mal en point comme elle l'était, nous nous attendions tous à ce que l'équipe de Nehepalà soit éliminée durant ce tour. Un rebondissement de plus ! Quelle longévité exceptionnelle ! Les observateurs de la compétition me confirment à l'instant qu'aucune autre machine n'a survécu aussi longtemps après sa découverte ! Elle reste donc avec nous pour le tour 9 ! Mais voyons ce qu'il advient du tir de ce miraculé qui semble amorcer sa descente vers l'angle sud-ouest du champ de bataille.

Le dernier rocher était en effet sur le point de toucher terre. A l'instar d'un caillou jeté dans une mare, le roc traversa la brouillard en produisant des ondes à sa surface. Se confondirent ensuite le raz-de-marée de brume provoqué par la collision, le bruit d'éclatement du bloc de pierre et un pathétique :

— AAAAAA ... hips ! ... RGH !        

Dans leur empressement à connaître l'identité de la victime, de nombreux spectateurs quittèrent à nouveau leur siège, sautillant quelques fois pour permettre à leur tête de dépasser la masse dense de l'assistance. Vaines démarches, car le commentateur était généralement le premier et le mieux informé grâce à sa position et à sa longue-vue. Quelques instants plus tard, il annonçait à la ronde :

— Nouvelle découverte ! Il ne s'agit pas d'un intrus errant sur le terrain, mais bien d'une autre équipe ! Le seigneur de Nehepalà découvre la position de, non pas un, mais deux servants du trébuchet de Mélinor ! Ses malheureuses victimes gisent à présent parmi les débris, opportunément recouvertes du tissus noir de leur livrée ! Les deux points supplémentaires octroyés par ce massacre mettent Nehepalà à égalité avec le baron de Joli-Tonneau : 4 points au total. Méfiez-vous toujours de l'ultime piqûre du scorpion blessé mesdames et messieurs !

Voila qui était une fois encore très inattendu. Ce tournoi défiait décidément la logique, jusque dans les pronostics de ses phases de jeu.

Dans la tribune royale, des commentaires très surpris s'échangeaient et le comte d'Alsacie tapotait l'épaule de son ami le Normand en lui demandant s'il acceptait de reconsidérer l'hypothèse d'un complot mousillonais.

De son côté, l'enchanteresse s'enquérait de la suite des évènements auprès de l'organisateur :    

— Et bien, il me semble que les jeux sont faits à présent.

— Pas tout à fait, madame. Personne n'aurait pu prévoir cette situation, mais elle offre un large panel de perspectives. Au vu des résultats du tour précédent, chacun s'attendait à ce qu'un duel final ait lieu entre le Lord et le chevalier le Normand. Nous sommes à présent face à deux blessés qui sont des cibles faciles. Pour peu que l'un ou l'autre manque son adversaire, le classement pourrait une fois encore être bouleversé. Si le Lord est presque assuré de gagner en tant que dernier survivant, rien n'est encore assuré pour le gagnant au score.  

— Je vous sens joyeux et investi dans le jeu pour la première fois de la journée ! Auriez-vous par hasard parié sur la victoire du Lord ?

— En ma qualité d'organisateur, je me dois de respecter une parfaite neutralité envers tous les participants. Un pari est donc proscrit, aussi insignifiant soit-il. Non. Si je suis en effet enjoué, c'est que mes pires craintes ne se sont pas réalisées : depuis la découverte de la première équipe, chaque tour a été riche en évènements et il n'y a pas eu le moindre temps mort. Bien que je compatisse avec le chevalier Cédric pour la perte de deux de ses servants et la découverte de sa position, force est de reconnaître qu'elle évite un long jeu de chat et de souris entre lui et le Lord. C'aura été du grand spectacle de bout en bout, quelle que puisse être sa conclusion. On peut dire que je respire enfin.

— Et bien faites moi plaisir et profitez des ultimes actions. Vous aurez besoin de vos dernières réserves d'énergie pour décerner les récompenses aux vainqueurs.

La magicienne était de bon conseil et l'organisateur s'empressa de le suivre. Ses dernières directives avaient été données et le personnel technique n'avait plus besoin de sa vigilance. S'enfonçant dans son siège avec délectation, Mictlantecuhtli se détendit enfin et prit toute la mesure de la fatigue que ces dernières heures avaient déposée sur ses épaules. Aucun doute à avoir : cette nuit, il dormirait comme un pierre.

Le soleil couchant imprimait des nuances fauves sur l'herbe de la campagne alentours et une agréable brise du sud continuait de souffler, désormais débarrassée des lourdes chaleurs de l'après-midi. Le seigneur Mictlantecuhtli s'abandonna à cette vision reposante et c'est une oreille presque totalement assourdie par les rêveries que rencontra l'écho des trompettes du neuvième tour.  

Dans le même temps que son employeur et l'enchanteresse devisaient, le capitaine d'Aurevallis était à l'ouvrage pour exécuter les plans préalablement établis par son maître afin de magnifier la cérémonie de clôture. Ayant rassemblé quelques membres inoccupés du personnel derrière les gradins, il s'appliqua à leur répartir les tâches :

— Vous deux, rendez-vous sous la tente technique D. Vous y trouverez une grande vasque sur un trépied. Emmenez-la jusqu'aux tentes de notre seigneur.

— Vous quatre, direction la tente technique F. On y a entreposé une grande réserve de flambeaux pour le cas où le tournoi s'achèverait en soirée ; une sage précaution. Devant les tentes d'Aurevallis, un grand espace a été laissé vide pour accueillir la remise des trophées. Vous ficherez ces éclairages sur tout son pourtour en les espaçant d'un mètre. Conservez tout de même une respectable distance de sécurité avec les tentes elles-mêmes : les hommes qui en ont la garde vous fracasseraient la tête sans somation s'ils estiment que vous êtes trop proches.

Les intéressés déglutirent avec difficulté et échangèrent quelques regards inquiets. La garde rapprochée d'Aurevallis n'était composée que des plus durs des durs. Selon la rumeur, seuls ceux capables de démembrer un homme à mains nues pouvaient espérer intégrer ce corps d'élite. Au prix d'une dévotion aveugle - et d'un examen pratique sur paysan contestataire - ces soldats étaient engagés et recevaient un traitement royal. Certains prétendaient par exemple qu'ils avaient droit à une portion de viande deux fois par semaine. Des faits aussi incroyables rendaient la frontière entre la fiction et la réalité très difficile à cerner.  

Au sein du groupe, un paysan moins effarouché que les autres voulu se faire remarquer par une initiative de son cru :

— Cap' ! Cap' ! J'ai une idée !

— CAPITAINE ! Bougre d'idiot.

— D'solé capitaine, j'trouvois ça tendance ... J'voulais juste dir' qu'j'a croisé un gars super sympa - Apodemus qui s'nomme - qu'a proposé d'supers bouts d'bois qui brûlent du tonnerre ! Seul'ment une pièce de bronze l'bout qui dit !

— Vous suggérez donc que je laisse un stock de torches parfaitement fonctionnelles prendre la poussière et que je ponctionne plusieurs dizaines de pièces de bronze dans les coffres de mon maître pour acquérir du bois d'allumage ?

— Bah, si ça flamb' mieux qu'nos trucs zabituels ? C'vaut l'coup non ? Pour faire plézir au roi, aux zotes nobles ? Voyez ? Non ? Non ?

Sans s'en rendre compte, l'ouvrier mal inspiré s'était retrouvé isolé en tête à tête avec l'officier qui le dévisageait à présent sans piper mot. Tous ses camarades s'étaient sagement et subrepticement écartés, de peur de subir les effets de quelques retombées. Avec une vitesse prodigieuse compte tenu de sa stature, le capitaine assena un coup de poing au sommet du crâne de l'importun. La violence du choc lui fit craquer les os et l'enfonça de plusieurs centimètres dans le sol meuble. Perdant instantanément connaissance, sa victime resta fichée en place et tomba lentement en arrière en pliant les genoux. Si le spectacle n'avait pas été aussi terrifiant pour ses collègues, il eut presque prêté à rire. L'officier reprit comme s'il n'avait jamais été interrompu :          

— Et pour finir, ceux qui restent empoignent fissa des balais et s'assurent que la place soit propre et nette. Tenez-vous également prêts à déplacer les fauteuils d'apparat en bordure de piste dès que leurs occupants auront quitté la loge royale.

Espérant ne pas subir le même sort que son camarade, un ouvrier concerné par cet ordre risqua tout de même une timide question :

— On boug' ôssi les bancs pour l'rest des d'gens ?

— Ce serait trop long. Le peuple peut bien rester debout. Allez, chacun à son poste et du nerf ! Tout doit être en ordre avant la fin de la compétition.

Telle une volée de moineaux, les membres du groupe se dispersèrent et coururent en direction des postes qui leurs avaient été assignés. Tout se mettait en place en vue du grand final.




Impacts :

Kaops : L25 => déviation sud de 3 cases => O25
Lord del Insula : L25 => Hit ! => L25
Sekhesh : Y2 => déviation nord de 1 case => X2

Pointage :

Calidus5 : 4
Kaops : 6
Lord del Insula : 6
MagnanXXIII : 2
Paps : 0
Sekhesh : 4

Vaches :

Kaops : 1


Avec la fin du huitième tour, chacun peut voir venir le terme du tournoi de trébuchets de Couronne.

Puisque contre toute attente il nous reste encore trois joueurs, nous maintiendrons une fois de plus un délai de décision d'une semaine ; ce qui nous porte au dimanche 10 septembre.

Bonne chance à tous, mais surtout aux deux qui en ont le plus besoin !

- Ce baroud d'honneur devrait vous redonner du baume au coeur momifié mon seigneur !

Ainsi s'était exprimé le Hiéingénieur, enthousiaste quant au dernier tour. On pouvait dire qu'il avait été au delà de toute espérance pour l'équipe à la livrée sinople.

- Ce n'est pas un simple baroud d'honneur, tu te trompes encore mon cher frère ! C'est la vengeance d'Usirian sur nos ennemis, ils meurent à nos pieds et il ne reste que les derniers tirs pour vaincre de manière éblouissante et prouver notre supériorité ! Ce n'est pas un baroud d'honneur mais la dernière ligne droite vers la victoire !

Face à ce discours, il fallait reconnaître que la bipolarité de Sekhesh n'était pas exagérée. Et tenir une journée dehors, à l'étranger, sans se reposer dans son magnifique sarcophage, n'aidait en rien.

- Ne crions pas victoi...

Le regard noir de son roi le découragea d'aller plus loin. Il était arrogant, c'était déjà la meilleure humeur qu'il avait eu de la journée, il faudrait s'en contenter jusqu'aux résultats prochains.

Après avoir entendu le comte d'Alsacie mentionner une nouvelle fois les mousillonais, Cédric le Normand lui adressa un regard si noir qu'on pouvait le deviner sans peine à travers son heaume ailé. Puis, le chevalier aux couleurs de Brionne finit par soupirer longuement. Son ami était définitivement irrécupérable, alors pourquoi essayait-il encore de s'énerver...

Par pur respect, le Normand se tourna vers le seigneur de Nehepalà et s'inclina légèrement pour lui signaler que son tir fut bien beau. Ce dernier semblait tellement agité qu'il ne remarqua peut-être pas la chose, mais cela valait le coup d'essayer d'être courtois.

Enfin, Cédric le Normand appela un des quelques gardes du domaine de Mélinor qui l'avaient suivis jusqu'ici. Il avait bien fallu un peu de main d'oeuvre pour déplacer un trébuchet et surveiller les trois poivrots en chemin. Comme ces derniers n'avaient pas été sollicités du tournoi, il fallut un moment à Cédric avant d'arriver à leur parler. Ainsi après quelques minutes passées à faire le tri dans la bien trop grande garde personelle du comte d'Alsacie, le seigneur de brestnorrois finit par atteindre un de ses suivants.

''Oui m'seigneur ? lança le garde bariolé de gueule et d'argent, les couleurs du domaine de Mélinor.
-Je pense que vous l'avez remarqué, mais ce tournoi est bientôt terminé. Et, par je ne sais quel miracle, notre équipage, bien qu'amoindri, est toujours dans la course.
-Heuu, ouais m'seigneur... Et ?
-Et bien tu vas aller dire au survivant qu'il est privé de vinasse jusqu'à nouvel ordre. Ses derniers tirs ont été d'une précision déplorable, alors essayons de régler ce défaut."

Cet ordre donné, le garde sembla étonnament gêné.

"M'seigneur, vous allez pas le croire mais...
-Quoi ? gronda Cédric dont la patience diminuait avec son envie pressante de retourner dans son domaine.
-...Mais ça fait bien trois tours qu'ils ne boivent plus que d'l'eau.
-Vous voulez dire qu'ils visaient mieux en étant ronds comme des queues de pelles??
-Faut croire m'seigneur. L'seigneur de Mélinor avait d'viné qu'ils allaient boire comme des trous. Du coup, il demandé à remplacer les tonneaux par d'leau. On s'est rendu compte que plus tard qu'ils en avaient cachés d'autres..."

Abasourdi par cette nouvelle, le chevalier normand resta sans bouger pendant quelques secondes, toisant de sa haute taille le garde qui ne savait plus trop où se mettre. Puis, sans prévenir, le chevalier prit une petite gourde à sa ceinture et la fourra dans les mains du garde.

"Tu vas aller donner ça au dernier servant, dans l'instant. S'il se plaint, fourre-lui dans le gosier quand même. Et aide-le à monter son projectile en place.
-Heum, mais le seig...
-Pas de mais, le seigneur Valmond n'est pas ici et il m'a donné les pleins pouvoirs pour la durée de ce maudit tournoi. Donc tu-y-vas. Et si on te pose des questions, dis-leur que c'est juste de quoi requinquer le survivant... Ce qui est le cas en fait.
-Mais...
-Tu préfères expliquer à dame Constance pourquoi tu as désobéi à un ordre direct ?"

L'homme d'arme blanchit aussitôt devant cette terrible menace et acquiesça alors pour signaler qu'il allait se mettre à la tâche avec assiduité. Sa frayeur passée, il resta tout de même quelque peu étonné par la suite des évènements et entrouvrit le récipient pour tenter de deviner son contenu. L'odeur de pomme et d'alcool fort qui en sortit fut si puissante qu'elle lui fit fermer la chose aussitôt.

"Gnh ! fit l'homme d'arme.
-C'est une petite boisson distillée à Brestnorrois. D'habitude je m'en sers une lichette pour faire passer les migraines et les norses qui passent dans mon domaine font des concours de boissons avec de petites portions.
-Et ça marche ? fit le garde avec une moue de dégoût.
-Le record actuel est à trois gorgées. Là-dedans, il y devrait y en avoir pour un régiment. Donnez-lui le tout."

Comprenant ce que ça impliquait, le garde fit signe à deux autres de ses camarades de venir avec lui pour accomplir ladite mission. Ils ne seraient pas trop à trois pour assurer leurs arrières une fois que le servant aurait fini de boire ça. Alors qu'ils commencaient à partir, le normand les arrêta une nouvelle fois.

"Oh, et faites bien attention à ce que ça ne touche pas un métal ou du bois. Vous ne voulez pas savoir ce que ça peut engendrer."

Cédric le Normand regarda donc les trois gardes qui partaient vers le champ de tir en tenant à présent la gourde à bout de bras. C'était un risque certain, mais si ce servant visait mieux en étant alcoolisé, autant essayer le niveau encore au-dessus. Maintenant, il fallait juste espérer qu'il n'y était pas allé trop fort.

Le Lord del Insula semblait prendre du temps à réaliser sa situation. Était-ce dû à sa nature flegmatique ou à la consommation excessive de Bordeleaux ? Dans tous les cas, le tenancier de la buvette pouvait voir la physionomie du visage de ce grand seigneur évoluer au fur et à mesure que ce dernier comprenait qu'il avait de grandes chances d'emporter le tournoi. Cette perspective provoqua un dégrisement progressif du Lord qui commençait à imaginer l'avantage que la récompense pouvait lui apporter : prestige, richesse, pouvoir militaire, et surtout la perspective de narguer le Duc d'Alebamie. Tout cela était à porter de main.

- Je mande pardon pour le dérangement my Lord, mais y a un garde qui gesticule dans vot' direction - l'interrompit le tenancier.

- Hein ? Ah, oui ! Merci mon brave. Tenez, voici pour ma consommation - répondit le noble seigneur en posant quelques piécettes sur l'établi.

Puis il se dirigea vers le garde zélé, fort curieux de savoir quelles nouvelles ce dernier lui apportait.

- Lord, my Lord, je vous apporte un message de la plus haute importance ! - salua le soldat.
- Je suis tout ouïe. Allez-y.
- My Lord, vos gars m'ont chargé de vous transiter un recommandé par rapport au truc spécial : ils vous suggestionnent de choisir la pierraille si tel est votre désidérata. Pour déloger plus rapidement les autres coquins m'ont-ils expliquationné, My Lord.
- D'accord. Quoi d'autre ? - demanda le Lord en soupirant.
- C'est tout my Lord - conclut le Garde.

Del Insula réfléchit rapidement, analysant la situation. Ce conseil venant de son charpentier lui semblait mauvais au regard de la situation. De plus, il doutait de la capacité du messager à retranscrire fidèlement le message.

- Dîtes-moi mon bon, quand avez-vous reçu ce message à transmettre ? - questionna-t-il de nouveau - Avant ou après le dernier tir ?

- Avant my Lord. Je ne reste pas là-bas avec ces caillasses qu'on expéditionne dans tous les sens !

- Alors, ne croyez-vous pas que ce message soit désormais obsolète ?

- Soit quoi ?

- ... Laissez tomber, ça ira - éluda del Insula qui sentait un mal de tête survenir soudainement.

Le Lord se laissa aller à une intense réflexion. Étudiant le terrain attentivement, il se fit mentalement un bilan situationnelle :
Pas besoin de la pierraille, vu que les positions des machines concurrentes étaient désormais localisées.
Pas nécessaire non plus d'utiliser l'assistance médicale, son équipage étant saint et sauf.
Restez le choix entre le roc qui couvrait une plus grande surface ou le feu grégois pour augmenter les chances de détruire un trébuchet.
Les deux options avaient leurs atouts mais del Insula décida que le nombre de servants encore en vie ne justifiait pas la première option.

- Cramer des gens ça égaye toujours les spectateurs - pensa-t-il.

Ayant arrêté son choix, il s'adressa au garde qui attendait toujours à ses côtés.

- J'aurais de nouveau besoin de vos services pour apporter le projectile spécial à mon équipage.
- My Lord, Yes my Lord - répondit le soldat qui improvisa un garde à vous.


Avançant de manière théâtrale au milieu de la tribune, le Lord del Insula fit tout son possible pour retenir l'attention de l'assemblée, ce qui n'était guère difficile dans la mesure où son statut de favori faisait de lui le centre d'intérêt de tous.
Arrivé au pied des gradins, le Lord prit une posture solennel et déclara :

- Moi Lord del Insula, souhaite utiliser céans la possibilité de tirer le feu grégeois, en espérant ravir l'assistance par ce choix pyrotechnique.

La liesse s'empara de nouveau des tribunes, tandis que cette perspective enchantait les spectateurs. Du côté des parieurs, des pièces changeaient de mains, certains ayant misé fort à propos soit sur le moment où le Lord utiliserait son bonus, soit sur la nature de ce dernier.
Le Lord retourna à sa place, satisfait de la tournure que prenaient les évènements.

Il régnait dans l'infirmerie une odeur de sang, de viscères, de fumier et de choucroute. Autour des lits s'affairaient de jeunes adeptes du Temple de Shallya, supervisés par un homme appuyé sur une canne : le Docteur Maison.

Sur un de ces lits gisait un Albionnais horriblement mutilé. Il avait perdu bras et jambes, et se retrouvait réduit à l'état d'homme-tronc. Il était aussi passablement énervé, et on avait dû appeler en urgence un de ses compatriotes pour tenter de le calmer afin qu'on puisse lui administrer ses médicaments.

"Je vais très bien, merci ! Je veux me battre ! Je pète dans votre direction ! J'exhibe mes parties génitales à vos tantines ! Bande de mauviettes !", vociférait Brian, car tel était le nom de l'Albionnais blessé. Un chevalier grand et maigre, Albionnais lui aussi, faisait de son mieux pour raisonner l'agité.
- Voyons, mon vieux, calmez-vous. Gardez votre lèvre supérieure rigide !
- Personne ne me traite de mauviette… marmonna un jeune soigneur.

Soudain, un garde fit irruption sous la tente, interrompant les plaintes du mutilé.
"Sire Robin, vous êtes demandé ! Un des participants souhaite utiliser du feu grégeois sur l'un de ses projectiles !"
- Enfin ! répondit le chevalier en se fendant d'un sourire vaguement malsain. "J'ai bien cru que personne ne voudrait s'en servir".
- En fait, quelqu'un en a déjà utilisé, messire. Mais la régie a fait une erreur, ils ont oublié de vous prévenir.
- Qu'ils sont stupides, ces régisseurs. Il ne faut pas faire n'importe quoi avec les munitions incendiaires, c'est dangereux. Il faut faire appel à un professionnel. Enfin, allons-y.

Position de trébuchet du chevalier Cédric le Normand (Kaops) :

Les hommes d'armes de Mélinor étaient à présent en train de courir vers les tribunes pour se mettre à l'abri. Lorsqu'ils étaient arrivés plus tôt au trébuchet, ce dernier portait un bon nombre d'impacts de roche et Pierrot, le dernier survivant, était en train de taper du pied les deux autres pour qu'ils l'aident à monter le prochain tonneau. Apparemment, le servant était trop alcoolisé pour comprendre que ses deux fistons avaient passé l'arme à gauche juste avant.

Ne voulant pas perdre plus de temps, les gardes du sieur Cédric avaient récupéré un tonneau encore plein, l'avaient mis en place sous les invectives de Pierrot qui leur disait qu'ils "faisaient ça n'importe comment d'abord" et s'étaient ensuite tourné vers le servant. Le chef des gardes avait ordonné que l'intéressé soit tenu en place, une tâche fort peu compliquée au vu de l'état hasardeux de l'intéressé. Une fois chose faite, ledit chef avait ouvert la gourde avec précaution pour la verser dans le gosier de l'autre.

"Tu fais de ton mieux et t'en aura d'autres d'la comme ça, glissa-t-il avant de commencer à courir en voyant que le servant avait commencé à trembler."

A présent le chef des gardes se demandait si ce plan allait vraiment marcher. Mais en entendant une série de bruis étranges puis le craquement caractéristique du trébuchet de Mélinor mis en branle, il fut aussi bien étonné qu'impressionné. D'ailleurs, il avait cru entendre le servant crier un "Pour Albéric d'Bordelaux !" suivit d'un holà solitaire, mais ça devait être son imagination.

Position de trébuchet du Lord del Insula (George dit le Bigleux, Lenny dit le Benêt, le Charpentier dit le Vioque, Le garde zélé, Sire Robin) :

Le charpentier (perplexe) : J'comprends pas. J'étais sûr d'avoir visé juste.
George : Bah, c'est pas passé loin en tout cas.
Lenny (à son poste de guetteur) : Y a un autre gars qu'est écrasé là bas !
Le charpentier : Au sud ouest ! Merdre ! Ce que j'avions demandé au Lord n'est plus valable !
Le garde (arrivant avec un chariot) : Garde à vous les amirales, je vous déporte le truc spécial.
George : Hein ?
Le charpentier : La pierraille ?
Sire Robin (sortant du chariot) : Nenni mes braves ! Je vous apporte le feu grégeois, et mon expertise en sus.
Lenny : Z'êtes qui Monseigneur ?
Le garde (cérémonial) : Baissez le chef devant le grand délinquant Sire Robin Osbourne, grand héros de nostre Royaume.
Sire Robin (imperturbable) : Vous voulez sans doute dire grandiloquent ?
Le garde : Comme je dis !
Sire Robin : Passons ! Messieurs, votre Seigneur et Maître le Lord del Insula eut le bon goût de choisir le feu grégeois. Aussi, afin de garantir les conditions optimales de réussite du tir, je viens superviser l'appareillage du projectile. Charge à vous d'en faire meilleur usage que vos concurrents.

George et Lenny déchargent un tonneau que Sire Robin couve d'un œil attendri. Puis il les guide pour installer celui-ci de manière sécurisée, tandis que le charpentier effectue quelques réglages en rouspétant contre lui-même.

Sire Robin : Voilà qui est fait. Honorable charpentier, excusez ma curiosité, mais je brûle de savoir dans quelle direction vous souhaitez tirer.
Le charpentier : À l'est Messire. J'ai encore en travers le gosier d'avoir raté mon coup tantôt. J'va rectifier le tir.
Sire Robin : Fort bien. Je ne puis que vous souhaiter de toucher au but. Sur ce, je prends congé de vous mes braves. (Au garde) En route, et prestement. Je ne veux pas rater le spectacle !

Sire Robin et le garde disparaissent dans la brume, emportés par la charrette.

Position de trébuchet du grand seigneur de Nehepalà (Sekhesh) :

- Bon, c'était pas si compliqué que ça...même si c'est pas nécessairement par ma volonté que le tir soit parti.

Il remercia la déesse Aspic d'avoir su guider son projectile vers ses ennemis. Il avait plus l'habitude qu'elle s'intéresse aux arcs habituellement, mais ce n'était qu'une autre manière d'envoyer les munitions ... certes plus grosses et plus lourdes et certes d'une manière différente mais les voies de la déesse sont impénétrables.


Le moment que chacun attendait était enfin arrivé : trois concurrents, trois tirs, deux positions dévoilées, la possibilité d'une conclusion.

Depuis l'annonce des résultats du huitième tour, les stands de paris avaient été le siège d'une intense réflexion et de calculs effrénés. Leurs tenanciers en étaient arrivés à la conclusion que chaque équipe encore active disposait de chances de gagner grâce au plus haut score. Le Lord del Insula et le chevalier Cédric étaient les grands favoris, mais les adeptes des paris risqués préféraient miser sur l'équipe de Nehepalà qui, en cas de victoire, leur rapporterait une petite fortune. Pour disposer du plus haut score, il lui fallait à la fois détruire le trébuchet du Normand et se faire éliminer par l'un de ses adversaires en ne perdant lui-même que son dernier servant. Accumulant alors 8 points contre 7 pour celui qui l'aurait mis hors-jeu, la victoire serait entre ses mains. Peu osaient miser sur une configuration aussi complexe, mais chaque compétition amène son lot de têtes brûlées.

Au fond de la vallée, les différentes équipes étaient soumises à une incroyable tension. Pendant de longues minutes, les servants gardèrent nerveusement la main au dessus du levier de tir de leur machine. Leurs doigts battaient presque la mesure dans l'air, au son d'une musique imaginaire lancinante et dramatique. Incapable de localiser précisément ses adversaires à cause de la brume qui l'entourait, chaque maître artilleur lançait de longs regards appuyés dans le vide en plissant les paupières. Sous peu allait se jouer le dernier acte entre le Lent, le Tonnelier et le Branlant.  

Dans le silence absolu qui précédait le lancer, un cri retentit :

— J'aurai ta peau Blondin !  

Personne ne su jamais quel artilleur avait pu éructer cette menace, pas plus qu'il ne fut possible d'identifier son destinataire. On s'accorda donc pour la mettre sur le compte de l'inspiration du moment.  

C'est alors que le signal retentit. Les projectiles furent envoyés avec un synchronisme presque parfait. Si les cibles des équipages de Mélinor et de Nehepalà ne faisaient aucun doute, le choix du Lord était l'objet de toutes les spéculations. Fendant les airs, le récipient rempli à ras bord de feu grégeois fila en droite ligne vers l'équipe verte. La suite fut un magnifique exemple de confusion absolue ou - dans le langage technique - de beau bordel. Des bruits de machine écrasée occultaient presque des hurlements d'agonie, tandis que l'épais nuage noir généré par l'éclatement du projectile incendiaire rendait l'observation du terrain presque impossible.    

Une indescriptible agitation s'empara des gradins. Sans même connaître les résultats, des parieurs se ruaient pour être les premiers à empocher leurs gains et chacun tentait de crier plus fort que son voisin pour imposer sa version des faits.

Il fallu plusieurs minutes pour que le commentateur soit en mesure de faire le point sur la situation avec les juges, et plus encore pour qu'il puisse examiner les impacts sur le terrain. Ayant attentivement promené sa longue-vue sur les différentes positions de trébuchets, il finit par se tourner vers l'organisateur de l'évènement. Le tumulte était si intense qu'il rendait toute communication verbale impossible, aussi le crieur se contenta-t-il d'adresser à son employeur un hochement de tête lourd de sens.

Le seigneur Mictlantecuhtli comprit immédiatement que le dénouement tant attendu était arrivé. Se levant avec une lenteur qu'il espérait pleine de majesté, il s'avança jusqu'à la rambarde de la tribune d'honneur et tendit cérémonieusement le bras vers les musiciens. Reconnaissant le signal convenu, ces derniers délaissèrent leurs trompettes cabossées pour de grandes cornes ouvragées dans des dents de dragon. Les notes graves et profondes qu'ils en tirèrent eurent tôt fait d'imposer le calme à la plèbe surexcitée. Ces sons étranges semblaient véhiculer à la fois le triomphe de la victoire et le chagrin du deuil. Les esprits simples en étaient comme hypnotisés et attendaient à présent les paroles de l'annonceur dans un silence quasi religieux. Ce dernier ne se fit pas prier :

— Nobles dames, gentils seigneurs, bon peuple de Bretonnie ... nous avons nos vainqueurs !  

Ces mots rompirent instantanément le charme musical et c'est l'exultation qui lui succéda. Les gradins n'étaient plus que le théâtre d'embrassades, de danses improvisées et de cris de joie, alors même que personne ne connaissait encore l'identité de ces fameux vainqueurs.

Sur un nouveau signal assez discret de l'organisateur, les servants du trébuchet de démonstration envoyèrent un gros récipient sphérique vers le coeur de la vallée. C'était grâce à sire Robin - qui s'était proposé comme intermédiaire avec des marchands nains - que Mictlantecuhtli avait pu faire l'acquisition de cette "sphère pyrotechnique". A l'impact, un savant mécanisme interne était supposé offrir au public un mémorable bouquet final.

Dans les jours qui suivirent, quelques oreilles affûtées jurèrent avoir entendu quelqu'un crier "Détachez-moi tout de suite, je suis le comte de ...", avant que l'engin ne vienne s'écraser en plein sur une vache qui passait par là.    

Le spectacle fut néanmoins de toute beauté. Des spirales d'étincelles multicolores partirent dans toutes les directions. De petites cartouches furent projetées dans le ciel, déjà assombri par la nuit qui tombait, avant d'éclater en autant de gerbes d'or et d'argent. Après deux minutes de cette fascinante démonstration du savoir-faire des ingénieurs nains, six dernières fusées filèrent en éventail vers les étoiles naissantes. En six explosions simultanées, elles dévoilèrent les couleurs des concurrents qui avaient pris part à ce tournoi.

L'assistance applaudit à tout rompre. Même les nobles devaient reconnaître que machines de guerre et poudre noire pouvaient occasionnellement donner des résultats intéressants.

Après un nouvel appel de cornes, le commentateur fut en mesure de communiquer les résultats du neuvième et dernier tour :

— Mesdames et messieurs, seul un équipage reste encore sur le champ de bataille à l'issue de ce dernier tour. Veuillez réserver une chaleureuse ovation au dernier survivant : le Lord del Insula !  

C'est sous une nouvelle pluie d'applaudissements que l'intéressé se leva - légèrement chancelant sous l'effet de la boisson -, afin de saluer la foule en délire. Suite à quoi, le crieur poursuivit :

— Bien que tout ait été très vite, en accord avec les juges de compétition, voici le résultat des actions : le dernier servant du trébuchet de Mélinor a été éliminé par le tir du seigneur de Nehepalà, portant son score à 5 points. La machine de guerre a par contre été épargnée par le projectile.

Les quelques parieurs ambitieux qui avaient misé sur la victoire de Nehepalà jetèrent rageusement à terre le ticket qui ne symbolisait plus qu'une monumentale perte d'argent.    

— Le feu grégeois du Lord a subi une déviation au moment de sa descente, ce qui l'a déporté au nord de la position de Nehepalà. Bien que le déluge de feu ait carbonisé un servant, il ne s'agissait hélas que de sa dépouille, car le rocher du trébuchet de Mélinor est tombé sur la machine de guerre un instant auparavant ! Pour l'élimination de ce servant et la destruction du trébuchet, le chevalier Cédric empoche 4 points supplémentaires, ce qui porte son score à un total de 10 points ! Mesdames et messieurs, le Normand est déclaré vainqueur par les points !

Imitant son collègue victorieux, le chevalier quitta son siège pour répondre aux acclamations des spectateurs. Se rejoignant sur le devant de la scène pour échanger une sportive poignée de main, les deux champions entreprirent ensuite d'aller saluer en personne les autres concurrents moins chanceux.

Dans la liesse générale, personne ne prêtait plus vraiment attention à l'organisateur. Rejoignant l'enchanteresse, il lui tendit une main pour l'aider à se lever et l'invita à dissiper les restes de son enchantement. Comme si elle chassait la buée qui s'était accumulée sur une vitre, la magicienne fit un geste ample en direction du champ de bataille. Les brumes restantes commencèrent aussitôt à se dissiper. Peu de temps après, la totalité du terrain était redevenue visible, révélant la position de l'équipage victorieux. Quelques vaches hébétées traînaient encore dans des zones inexplorées, poursuivies par des gueux qui n'avaient pas l'air plus éveillés. Après un instant de doute, l'équipage du Lord comprit enfin qu'il avait survécu à cette dangereuse compétition. Abandonnant leur machine, les servants coururent en direction du sud pour se mêler à la foule et y jouir de leur statut de héros.  

Les dernières lumières du jour eurent tôt fait de disparaître, ce qui eu l'avantage de soustraire le charnier à la vue des plus délicats. L'allégresse était de mise et les célébrations allaient bon train. Il restait cependant à procéder à la remise des trophées. Aussi, plusieurs membres du personnel furent-ils dépêchés à des endroits stratégiques pour annoncer à grands cris que la cérémonie de clôture aurait lieu face aux tentes d'Aurevallis. L'attrait de l'or fin eu raison des plus dissipés et, peu à peu, une marée humaine convergea vers un large espace cerné de flambeaux.




Impacts :

Kaops : K25 => Hit ! => K25
Lord del Insula : K25 => déviation nord de 2 cases => I25
Sekhesh : X4 => Hit ! => X4

Pointage :

Calidus5 : 4
Kaops : 10
Lord del Insula : 6
MagnanXXIII : 2
Paps : 0
Sekhesh : 5

Vaches :

Kaops : 1


Ici prend fin le tournoi de trébuchets de Couronne.

Les vainqueurs étant désignés, chacun est libre de poster une réaction au dernier tour de jeu, qu'il soit finaliste, joueur éliminé ou spectateur.

La date limite est celle du mercredi 13 septembre. Dans la nuit du 13 au 14, l'épilogue sera publié.

Félicitations aux vainqueurs, bravo à tous les concurrents !

Le baron de Joli-Tonneau jeta un coup d'œil au tableau des scores avant de suivre le mouvement de la foule.

- Hips ! Fichu Nehepalà. Pensa t-il. Pouvait pas s’faire éliminer comme prévu. Hips ! Avec son baroud d’honneur il m'a relégué à la quatrième place aux scores. Hips !

- Faites attention mon seigneur, vous pensez à voix haute ! Signala Jacques à l’oreille de son seigneur.

- Ta-ta raison, Mon bon Jacques. Du tact ! Hips ! Fais lui parvenir une bouteille de m’ma part. Hips ! Pour le féééliciter. Hop ! Hips !

le comte Guillaume se releva pour suivre les acclamations et les applaudissements de la tribune. Il donna un léger coup de coude à son voisin et le félicita pour sa victoire. Cédric lui répondit de la même manière mais avec plus de force ce qui déstabilisa le comte et lui fit perdre l'équilibre, il finit par chuter au milieu de ses hommes d'arme dans un bruit terrible de plusieurs cotte de maille s'entrechoquant.

Une fois debout, Guillaume annonça précipitamment :
"Je vais rapidement féliciter le Lord avant qu'une marée de Pèlerins du Graal ne l'entoure pour, heu... lui demander des autographes..."

Accompagné de sa petite garde, le comte zigzagua dans les tribunes fortement mouvementées pour rejoindre le Lord, s'excusant sur son passage.
"Excusez moi ! Pardon ! Je ne fais que passer ! Désolé pour vos pieds !"...

La liesse générale qui entourait le Lord del Insula n'était pas pour lui déplaire, si ce n'est que le boucan ainsi provoqué lui donnait un mal de crâne épouvantable. Il était bien incapable de concevoir une pensée directrice claire alors qu'il en avait bien besoin. Peut-être serait-il amené à clamer un discourt, à donner des consignes pour apprêter les trébuchets, voire même à s'entretenir avec Sa Majesté... De guerre las, il prit le partie de se laisser porter par la cohue.

Après avoir pu échanger rapidement avec un Baron de Joli Tonneau passablement ivre, puis un Robin de Osbourne passablement déçu par les effets pyrotechniques tentés, le hasard le mit sur le chemin du Comte d'Alsacie et de son escorte. Ce curieux cortège réussissait l'incroyable exploit de provoquer plus de trouble que l'enthousiasme de la foule et laissa del Insula pantois.

- Monsieur le Lord ! - l'interpella le Comte depuis le centre de sa troupe - Je viens vous féliciter pour votre belle performance.
-  Merci à vous, Monsieur le Duc - répondit aimablement del Insula en tendant la main à ce dernier. - Toutes mes félicitations à vous aussi pour les performances de votre équipage.

La main tendue par le Lord provoqua une réaction immédiate de la part des gardes.

- Alerte !!! tentative caractérisée d'agression sur le Comte !!! - s'exclama le garde le plus proche.
- Mise en place du protocole de protection !!! - annonça celui qui semblait commander.
- Comment ? - s’interrogea del Insula.
- Mais... ? - protesta le Comte.

Celui-ci ne put terminer sa phrase. Habilement préparés et promptes à réagir, les hommes d'armes mirent le Comte d'Alsacie à la ventre puis firent barrage de leur corps. Il en résulta une pyramide de chair et de métal tout à fait originale qui fit grande impression.

- Et maintenant ? - demanda un garde.
- On attend que la menace passe - répondit le chef de la troupe.
- Hmm, hmm, hmm !!! - tenta d'exprimer le Comte.
- Ce qui devait arriver s'est donc produit - conclu en soupirant le chevalier Cédric qui avait atteint la scène.

Après que la garde eut été convaincu de l'absence de menace à l'encontre du Comte d'Alsacie, il fallut encore réussir à relever ce dernier. Cela n'était point une mince affaire, le sur-équipement alourdissant grandement le poids de l'illustre personnage. Il fallut enlever entreprendre d'enlever les pièces d'armure, ce qui provoqua ses plus
vives protestation.

- Peut-être préférez-vous que nous vous laissions gire à même le sol, à la merci du moindre attentat , - suggéra Cédric.

Cette proposition stoppa net les protestation du seigneur bretonnien qui grommela néanmoins :

- Encore un coup des Moussilonnais, c'est moi qui vous le dit !

- La défaite ne fait plus aucun doute mais il faut reconnaître qu'être à la troisième position n'est pas si mal mon seigneur.

Ainsi s'était exprimé le Hiéingénieur, afin surtout d'essayer d'apaiser le monarque à l'humeur changeante.
Celui-ci restait toutefois étrangement impassible.

- Une bataille perdue oui, je confirme mais la guerre ne fait que commencer ! Prépare mes...

A bout de nerfs, le Hiéingénieur s'insurgea (enfin !) :

- Bon mon frère, ce n'est que du sport et si tu veux cramer des villages bretonniens et prendre d'assaut tout leur château, d'accord mais ça sera sans moi et tu devras te débrouiller tout seul à taper sur les murailles avec ton épée comme ces abrutis du Graal ! Et ce n'est pas un sphinx, un cheval voire un lapin de bois qui va venir t'aider !

Sekhesh resta bouche bée devant la verve de son sorcier (ce qui, entre nous, ne changea pas grand chose à sa physionomie).
C'était la première fois que son frère le remettait en question. On peut d'ailleurs se dire qu'au bout de quelques millénaires, c'était étonnant et flegmatique de la part du hiéro de tenir aussi longtemps !

- Hmmm...bon oui, on attendra d'être rentré pour planifier tout cela et...

Il fut coupé par un homme d'arme s'approchant d'eux :

- M'seigneur n'est pas là mais je vous ai quand même trouvé hé ! L'homme était assez fier de son calembour et continua.
 J'ai pour vous une excellente bouteille d'vin, de la part d'mon seigneur le baron de Joli-Tonneau ! Pour votre glorieux baroud de l'honneur. M'félicitations !

C'était aussi inattendu qu'improbable mais cela eu quand même le mérite de réveiller les instincts de Sekhesh.

- Une belle attention de la part de votre seigneur de m'envoyer deux cadeaux !

...Deux ? Le Hiéingénieur comprenait que tout se finissait comme cela avait commencé en fin de compte...

Alors que la ferveur restait constante et que l'on apprêtait une estrade en vue de remettre solennellement les honneurs au Chevalier Cédric, pour le compte du Seigneur de Mélinor, ainsi qu'au Lord del Insula, ce dernier profita d'un moment de répit pour s’éclipser furtivement. Il avait une dernière chose à régler. Repérant le garde qui lui avait servi d'estafette il lui fit signe afin d'attirer son attention.

- À vos ordre my Lord ! Que puissions-nous pour votre seigneurie ?

Le Lord l'attira à l'écart afin de pouvoir s'entretenir loin d'oreilles indiscrètes.

- Concernant ce que je vous avez demandé tout à l'heure, mes hommes vous ont-ils paru suspect d'une quelconque manière ? - l'interrogea-t-il.
- Non Milord. Je n'ai point obervassé le moindre suspection de corde ou de linge de leur part.
- Pardon ? Vous dîtes ?
- Qu'ils ont rien suspecté milord. En tout cas rien en dehors du trébuchet.
- ...
- Il y a quelque chose qui ne va pas, milord.
- C'est suspension que vous voulez dire.
- C'est bien ce que j'ai dit, milord.
- Non, vous avez dit suspection, ce qui d'ailleurs n'existe pas dans la langue bretonnienne.
- Toutes mes excusailles milord - s'excusa le garde - j'ai dû confusionner avec un syllogisme.
- Synonyme - corrigea le Lord.
- Hein ? - ne comprit pas le soldat.

Le Lord soupira. Sortir de cette conversation avec toutes ses capacités cérébrales s'annonçait peu probable. Qu'allait-il faire dans cette galère ?


Pendant ce temps, les trois servants avait quitté leur trébuchet pour jouir un peu de leur prestige, et surtout pour prendre un bon gueuleton. Ce repas permit d'ailleurs au vieux charpentier d'oublier son aigreur de n'avoir pas toucher au but.
Ils en étaient de leurs réjouissance qu'en le fameux garde vient les trouver.

- Garde à vous ! Le Lord m'envoie vous perquisitionner pour la remise des prix.
- Pour quoi y faire ?- s'exclama le bigleux.
- Apparemment, votre Seigneur souhaitent que vous fassiez une démonstrature avec le trébuchet d'or. -informa le garde.
- Vraiment ? - s'émerveilla le charpentier - Et avec quoi donc qu'il souhaite que nous fassions tirer l'engin ?
- J'en sais trop rien. Tout ce que je peux en dire, c'est qu'il m'a chargé de vérifier la nacelle avant le tir - s'enorgueillit le soldat - Par contre, il m'a remis une missive pour instructionner vos consignes.

Se faisant, il tendit un morceau de parchemin à Lenny qui, ne sachant pas lire, le tendit à George qui, ne pouvant plus lire, le tendit au charpentier qui prit connaissance du texte suivant :

Spoiler:

Près d'une heure s'était déjà écoulée depuis que le projectile de la victoire avait atteint sa cible. Il n'en avait pas fallu moins pour que les grandes effusions de joie consécutives à l'élimination du dernier concurrent du Lord retombent et laissent place à une impatiente curiosité. La foule s'était enfin rassemblée en un immense arc de cercle face aux deux grandes tentes laissées à la garde des troupes d'Aurevallis.

Les nobles avaient pris place dans les sièges réarrangés au premier rang par l'équipe technique et nul membre de la plèbe n'osait poser un pied à l'intérieur du périmètre délimité par les flambeaux. Tous les regards étaient à présent fixés sur ces frêles abris de toile qui devaient cacher l'une des plus formidables accumulations de richesses de tout le vieux monde.  

Soudain, un homme en pleine course fendit la foule depuis les rangées arrières en brandissant une torche enflammée. Les rangs s'ouvraient sur son passage et se refermaient derrière lui, ce qui lui permit de rallier sans difficulté l'espace centrale où une grande vasque emplie de liquide inflammable avait été disposée. L'ayant atteinte, le coureur fit face au roi et s'inclina avant de tendre sa torche vers le réceptacle. Sitôt qu'il eut effleuré la surface du liquide, une grande flamme claire en jaillit et illumina les alentours. Quelques érudits crurent bon de préciser en murmurant qu'il s'agissait d'une fort ancienne coutume provenant de régions barbares et plutôt destinée à marquer l'ouverture de grands évènements sportifs. Des esprits plus terre à terre rétorquèrent que c'était avant tout une sage mesure pour qu'on y voit quelque chose avec la nuit qui tombait.        

Quittant son siège où il avait patienté jusqu'à l'allumage de la vasque, Mictlantecuhtli vint se tenir à côté du feu, de façon à être visible de tous. L'heure de distribuer les récompenses était venue. C'était l'instant fatidique qui allait voir l'aboutissement ou l'échec retentissant du plan qu'il avait patiemment mis au point durant des mois.  

Le roi était bien entendu présent au premier rang, entouré de toute la fine fleur de la noblesse. Mictlantecuhtli plia brièvement l'échine face au monarque et prit une grande inspiration avant d'entamer :

— Cher et estimé public, c'est ici que prend fin notre tournoi de trébuchets. J'espère que cette distraction a agréablement meublé votre après-midi.

Des cris enthousiastes s'élevèrent de toutes les directions. Il fut nécessaire de patienter une bonne minute avant de reprendre.

— Comme pour toute compétition, il nous faut conclure par la distribution des récompenses !

Une fois encore, des cris d'exultation couvrirent toute tentative d'aller plus loin. L'orateur leva les mains et plusieurs membres du personnel d'encadrement en appelèrent au calme. Le dévoilement des fameux trébuchets d'or était l'une des étapes les plus attendues de cet évènement d'un genre si particulier. Nul ne voulait rater ça. Les têtes dardaient au dessus des premières rangées, quelques gueux se hissaient sur des estrades ou des empilements de bancs et les enfants se pressaient de grimper sur les épaules de leurs parents.

— Je sens votre impatience ! Sans plus de cérémonie, je vais donc remettre au Lord del Insula et au chevalier Cédric leurs trébuchets d'or. Si ces nobles seigneurs veulent bien s'avancer.

Fiers comme des paons, les vainqueurs firent quelques pas en avant sous les applaudissements nourris de l'assemblée. L'organisateur de l'évènement vint à leur rencontre afin de leur serrer la main et leur adresser quelques félicitations supplémentaires.

Les premiers pas de Mictlantecuhtli en direction des tentes ne firent qu'augmenter l'agitation de la foule. La situation risquait de tourner à l'émeute si la plèbe devait attendre plus longtemps. Désignant deux hommes de sa garde pour l'accompagner, le seigneur d'Aurevallis pénétra sous l'une des tentes. Chacun s'attendait à ce que les toiles qui les recouvraient s'affaissent rapidement pour dévoiler les trophées, mais il n'en fut rien. Quelques instants après, Mictlantecuhtli ressortait, suivi des deux gardes qui transportaient chacun un petit coffret de bois ouvragé. Plongé dans la perplexité, le public se tut, si bien que les paroles de l'organisateur n'eurent aucun mal à atteindre les derniers rangs :

— Messeigneurs, comme promis, voici vos trébuchets en or massif, parfaitement fonctionnels !

Réglés comme des horloges, les gardes ouvrirent simultanément les boites en les présentant au regard médusé des deux vainqueurs. A l'intérieur, deux minuscules instruments capables de tenir dans une main reposaient sur un rembourrage de velours rouge. Le Lord prit la parole, presque balbutiant :

— Mais ... mais ... qu'est-ce que c'est que ça ?

— Je viens de vous le dire, ce sont vos trébuchets*.    

*TREBUCHET [treby∫e] n. m. : Petite balance de précision destinée à la pesée de très faibles quantités de matière. Employée notamment en pharmacie ou dans l'examen des unités monétaires. 

Pour mieux les présenter à l'assistance, chaque soldat sortit l'instrument dont il avait la garde de son écrin et le brandit bien haut sur une paume tendue.

Mictlantecuhtli était au bord de la crise cardiaque. Il lui fallut toute la force de sa volonté pour présenter un visage impassible, tandis qu'il attendait la réaction d'un personnage qui allait décider de l'issue de son plan.

Il ne s'écoula peut-être pas plus de deux ou trois secondes, mais ce laps de temps lui parut des siècles. Puis, alors qu'il sentait que ses jambes allaient se dérober sous lui, le miracle tant attendu advint : le roi éclata de rire. Comme si elles n'attendaient que l'autorisation de leur souverain, la noblesse et la roture lui emboîtèrent le pas. En un instant, le public s'était littéralement plié en deux d'hilarité. Le roi continuait de s'esclaffer en tambourinant l'accoudoir de son siège avec son poing fermé. L'enchanteresse semblait presque étouffer à défaut de pouvoir reprendre son souffle et se tamponnait régulièrement les yeux avec un mouchoir pour en dégager les larmes qui menaçaient de lui noyer le visage. Le peuple, très sensible au comique qui, pour une fois, ne s'exerçait pas à son dépend, alternait entre le rire gras du paysan, le pouffement contenu des gueuses et le babillement des enfants.      

Cette surprise finale semblait être un réservoir d'humour presque inépuisable, mais pendant tout ce temps, le Lord del Insula et Cédric le Normand affichaient l'horrible rictus du sourire forcé. Le chevalier intervint quand il fut enfin en mesure de se faire entendre :

— Mais ... et les tentes ? Que cachaient-elles ?

— Cacher ? Je crains que vous ne vous mépreniez messire. Ce ne sont rien d'autre que mes quartiers. Aurevallis n'est pas la porte à côté et j'aime avoir mes aises quand je voyage.  

Le Lord prit la suite de son collègue :

— C'est que, aussi improbable que cela paraisse, nous nous attendions à de véritables machines de guerre, pas à ces ... euh ... ustensiles.

— Ce genre de trébuchets ? En or massif ? Je crains que vous ne surestimiez largement les ressources de mon domaine, ô Lord ! Aurevallis, le Val d'Or, mérite bien son nom, car on y trouve en effet de l'or. Mais il ne s'agit que de dépôts alluvionnaires qui demandent beaucoup de temps et d'énergie pour un maigre rendement. Avec une quantité suffisante d'orpailleurs, je suis juste en mesure de retirer l'équivalent d'une vingtaine de pièces en plusieurs mois de travail intensif. Le duc Chilfroy prélève bien sûr une part là dessus, sans compter les taxes royales. En déduisant encore les frais pour l'organisation de ce tournoi, tout le reste de mes réserves est passé dans la confection de vos deux récompenses.

Le Lord et le Normand reçurent enfin leurs petites balances et passèrent encore un long moment à les observer, l'air de ne pas trop y croire et passablement dépités.


A l'hilarité un peu calmée s'était désormais jointe la joie d'une fête populaire. Avec la remise des prix, les dernières réserves des débits de boissons furent prises d'assaut et promptement asséchées. Des groupes de paysans improvisèrent danses et farandoles, profitant au maximum des derniers instants d'une journée de congé pour célébrer leurs rares moments de liberté.

De leur côté, les nobles de tout le royaume discutaient sans façons des évènements de la journée. Mictlantecuhtli allait d'un groupe à l'autre, sondant ses interlocuteurs sur leurs impressions. Les retours étaient assez élogieux, certains appelant même de leurs voeux à répéter l'expérience dans un avenir pas trop lointain.

Tandis qu'il observait satisfait et enfin détendu la liesse du peuple, Mictlantecuhtli fut interpellé par une voix dans son dos :

— Messire ?

Se retournant, il constata que le roi en personne était venu à sa rencontre, le visage toujours marqué d'une mine affable et d'un large sourire. S'empressant d'honorer le protocole, l'organisateur s'inclina avant de répondre :

— Que puis-je pour votre majesté ?

— Rien en particulier. Je tenais juste à vous voir pour vous remercier de ce divertissement très ... original.

— Votre majesté m'honore de cette attention. J'estime avoir pleinement rempli mes objectifs si j'ai égayé sa journée.  

— Sans aucun doute. Il me plairait d'ailleurs de m'entretenir plus longuement avec vous. Avant de retourner sur vos terres, faites donc un détour par la cour, nous y discuterons de votre avenir.

— Comme il plaira à votre majesté.

Autour des deux personnages, un cercle de courtisans curieux s'était formé et suivait avidement la conversation, dans l'attente de pouvoir récupérer l'attention du monarque. Conscient que les devoirs de sa charge l'appelaient à se manifester auprès de chacun en de pareilles occasions, le roi salua son interlocuteur et repartit, non sans conclure :

— Vous ne vous êtes sûrement pas fait que des amis aujourd'hui, mais vous m'avez bien diverti.

Alors que le roi prenait congé, Mictlantecuhtli, le regard perdu dans le vague, songea pour lui-même : Si tu savais à quel point l'opinion des flagorneurs qui t'entourent m'indiffère ... Pour l'heure, ton soutien me suffit et m'apporte plus que l'amitié de tous les grands du royaume réunis. En me témoignant publiquement ta faveur, tu empêches quiconque de m'évincer discrètement. Plus personne désormais n'osera contester ma suzeraineté sur Aurevallis. Ca valait bien toute cette mascarade et le sacrifice de quelques pièces d'or ...  

Mais l'heure de l'introspection n'était pas encore arrivée. Slalomant entre les différents groupes, le duc de Guyenne le rejoignit rapidement. Après avoir jeté quelques regards alentours à la recherche d'oreilles indiscrètes, il entama sur un air de conspiration :

— J'ai craint un instant que notre ... petit arrangement ... concernant le comte de Miche-Où ne puisse aboutir.

— Moi aussi messire duc, moi aussi. Les derniers concurrents se sont éliminés bien plus vite que je ne l'avais prévu, sans faucher la satanée vache sur laquelle nous l'avions attaché.

— Une chance que le tir de la sphère pyrotechnique ait fait mouche.

— Chance ? Pas exactement. Au cas où, j'avais pris soin de soudoyer quelques gueux afin qu'ils donnent la chasse à cet animal et le maintienne dans la zone visée par la machine. Il n'était pas question que le comte s'en sorte en vie.

—  Excellente précaution. A présent qu'il est pulvérisé et éparpillé sur le champ de tir, nul ne pourra l'identifier ou remonter jusqu'à nous.

— Je dois admettre que vous avez eu là une riche idée, messire duc.

— Mais à propos, qu'en est-il de son neveu ? Le jeune commentateur qui vous avait un brin excédé ?  

— Une vache a toujours deux flancs messire ...

Sans rien ajouter de plus, les deux conspirateurs se séparèrent sur un hochement de tête et un sourire entendu.    

Le vacarme de la foule lui faisant poindre un mal de tête, Mictlantecuhtli s'en écarta jusqu'à parvenir à la limite du terrain. Le lieu était quasiment désert, nul n'étant particulièrement intéressé par l'examen d'un pré constellé de cratères, de restes humains et - pire que tout - de choucroute d'Alsacie. Il n'était pourtant pas seul : s'approchant péniblement d'un pas clopinant, un vieillard cacochyme courbé par le poids des ans et le menton garni d'une longue barbe grise osa engager la conversation :

— Vot' excellence excellentissime et très bonne ?

— Père Fourzac, je vous avais presque oublié.

— J'peux pas v'z-en vouloir m'seigneur. Les gens ben nés z'oublient vit' l'père Fourzac. Les mals nés aussi, notez ben.

— Mmmh. Alors, que dites vous du résultat de notre petit arrangement ?

— Tudieu m'seigneur ! Z'aviez ben raison. C'est une drôl' de façon d'labourer un champ, mais l'résultat est là ! J'regrette point d'vous l'avoir prêté pour l'tournoi. L'moitié d'boulot l'est d'jà faite. Dès qu'on aura r'tiré l'bouts d'caillasses, on pourra commencer à planter l'choux pour l'prochain hiver.

— De grâce, épargnez moi toute mention de ce légume infernal ! J'en ai vu assez aujourd'hui que pour en être dégoûté jusqu'à mon dernier souffle.    

— S'cuzez m'seigneur. Bon bah, j'ai r'mis l'cochon d'lait à vos zommes, comme conv'nu. C'est point cher payé pour plusieurs jours d'labours en moins. Si j'peux disposer m'seigneur ?

D'un hochement de tête, Mictlantecuhtli lui donna congé.    

A peine cette entrevue terminée, le capitaine d'Aurevallis vint prendre le relais auprès de son employeur afin de lui adresser son dernier rapport :

— Vos sentences ont été exécutées, monseigneur. L'équipage du Lord n'est plus un souci et leur maître a été informé que ses artilleurs avaient fait une chute malencontreuse alors qu'ils visitaient votre réserve de pals. Nous avons découvert sur l'un d'eux une note émanant du Lord. Elle les enjoignait à se débarrasser d'un garde qui leur collait au train par des moyens expéditifs. Je me suis donc permis de le faire exécuter par la même occasion.      

— Bien. Si en plus nous pouvons rendre service ... En ce qui concerne les trois pièces d'argent dues aux vainqueurs ?

— Distribuées à la fin du tournoi selon vos ordres. Reprises post-mortem à titre de frais d'exécution.

— Bien. Très bien. Allons jetez un oeil à ce beau carnage. Où se trouve le coin des mis à mort ?

— En bordure de la route qui permet au peuple de quitter le site, seigneur. Pour l'exemple. Les nobles ne seront pas indisposés : ils emprunteront une autre sortie pour rallier la capitale.

— C'est parfait. Allons voir ça. Après avoir été comptable du score des autres, j'aimerais connaître le mien pour cette journée.

Afin d'apporter des réponses à cette demande qui ne lui était pas spécialement adressée, l'officier tira de sa poche un petit paquet de parchemins griffonnés qu'il se mit à feuilleter avec fébrilité.  

— Vos résultats sont excellents mon maître. Vous n'êtes pas loin de la cinquantaine de suppliciés. Une bonne partie du personnel d'encadrement y est passée, mais c'est loin d'égaler votre record personnel.

— Rafraîchissez-moi la mémoire ...

— Le village de Trefontaines, monseigneur. À mi-chemin d'Aurevallis et de Couronne.

— Ah oui. Maintenant que vous le dites.

— Toute la population mise à mort en une seule après-midi, monseigneur. Une région entière dépeuplée ! Il a fallu démonter la charpente des maisons pour avoir suffisamment de pals.

— Certes. Le voyage avait été déplaisant et la bière servie à l'auberge était tiède.  

— Un juste châtiment, mon maître.

Devisant ainsi tandis qu'ils marchaient, ils traversèrent les allées qui se vidaient suite à la fin des festivités et parvinrent jusqu'au lieu d'exécution. Parmi tous les empalés, Bwian - le vendeur de snacks contestataire - sortait du lot : attaché sur sa croix, il sifflotait une chanson sur le bon côté de la mort.

— Il est irrécupérable celui-là ... Dites moi capitaine, il me semble que vos estimations étaient bien en dessous de la réalité : je compte encore une vingtaine d'hommes éventrés au pied de la croix en plus de ceux que vous avez mentionnés.

— Ah euh ... Ceux-là ne sont pas à vous monseigneur. Je ne sais pas trop quoi dire. Ils sont sortis de nulle part pendant que les bourreaux s'occupaient des derniers condamnés et ils se sont embrochés sur leurs propres épées en disant que ça nous apprendrait ...  

Pendant un instant, Mictlantecuhtli se massa les tempes dans un vain effort pour comprendre la logique des évènements qui venaient de lui être rapportés. Laissant là une tâche impossible qui menaçait de raviver son mal de tête, il se détourna du spectacle des morts et des agonisants.  

— Bon, ça suffit comme ça. Un rapide détour par la cour et nous rentrons chez nous. Il me tarde de quitter ce duché de fous. Faites seller mon bourdon capitaine.

— J'y vais de ce pas, monseigneur.

Mictlantecuhtli prit son temps pour revenir vers ses quartiers. Déambulant dans le complexe désormais presque désert, il constata le désordre que ce genre d'évènement sportif laissait derrière lui. La tête renversée en arrière, les yeux perdus dans le ciel presque totalement obscurci, il savoura quelques profondes bouffées d'air frais. Son grand oeuvre était achevé et il éprouvait une terrible fatigue.  

A l'approche des tentes, l'organisateur enfin relevé de son fardeau constata que plusieurs soldats étaient déjà à pied d'oeuvre pour charger ses coffres dans des chariots. Le convoi pour Aurevallis n'allait pas tarder à se mettre en marche. Il lui faudrait le rattraper en chemin après avoir répondu à l'invitation du roi à le rejoindre en son palais de Couronne.

En pénétrant sous une tente, Mictlantecuhtli fut accueilli par le bourdonnement caractéristique de sa monture. Reconnaissant son maître, le bourdon géant trotta jusqu'à lui. L'insecte vint coller son énorme tête contre la poitrine de son propriétaire et entreprit de lui lécher la main à l'aide de sa longue langue effilée. Le seigneur d'Aurevallis répondit à cette marque d'affection en passant son autre main dans le poil dense et étonnement soyeux qui recouvrait la carapace du bourdon. Sans traîner d'avantage, il se saisit des rênes qui pendaient le long des flancs de l'animal et le conduisit à l'extérieur avant de monter en selle. D'excitation, le bourdon se mit à agiter ses grandes ailes membraneuses, compliquant particulièrement la tâche de ceux chargés de replier les tentes. Avant de décoller, Mictlantecuhtli adressa d'ultimes directives au capitaine de sa garde :

— A nous revoir sous peu, capitaine. Prenez la route du sud sans m'attendre. Il me faudra certainement passer un jour où deux auprès du roi, mais je vous rattraperai en chemin. Du ciel, le convoi devrait être assez facile à repérer.

— A vos ordres seigneur.

Sur une légère traction des rênes, la plus curieuse des montures du royaume s'éleva lentement vers le firmament étoilé. A l'ouest, les toutes dernières couleurs du crépuscule disparaissaient sur l'horizon. A l'est, Couronne se dressait tel un îlot lumineux sur une mer d'ombres. Ayant imposé le cap voulu à son bourdon, Mictlantecuhtli jeta un dernier regard en arrière. Une petite colonne éclairée de flambeaux commençait à s'éloigner du site du tournoi. Bientôt, les structures de bois montées à la hâte seraient intégralement abandonnées à la nuit et oubliées de tous. Seuls quelques paysans du coin y prendraient peut-être encore garde et montreraient à leurs enfants ce témoignage pourrissant du premier tournoi de trébuchets du royaume.