Le Royaume de Bretonnie
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Le Royaume de Bretonnie
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 Impardonnables

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La Scalde
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La Scalde


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MessageSujet: Impardonnables   Impardonnables EmptyDim 22 Fév 2009 - 22:51

Bonjour à tous. Je livre à votre lecture ce texte. J'espère que cela vous plaira un minimum. J'attends vos avis. Si le récit vous plait, il y aura une suite.

Bonne lecture, et merci de votre attention.

Dans la noirceur humide d’un lit de terre, quelques pieds sous la surface gelée du sol, un esprit gît. Ses longs soupirs à la langueur de la saison se mêlent. Au-dessus, l’hiver bat son plein. Sur la voûte d’un ciel d’ébène, inquiets de la terre, respectueux du silence, les astres se sont tus. Au détour des arbres lourdement chargés de neige, au bout des sentiers d’une nature à peine entamée par l’homme, qui n’a pas vu la silhouette fugitive d’un voyageur ? Qui, à ses pieds, n’a été troublé par l’emprunte d’un songe romantique ? Et pourtant à la surface de la terre, parmi ces bois, entre ces arbres parcourus de soupirs et de silences inquiets, une disparition a ouvragé son spectre.

Un corbeau sur une branche se pose. Il sait être le spectateur attentif du mouvement des astres, et des langueurs des esprits. Bientôt la représentation aura lieu. Comme tous les carnassiers, il sait attendre son heure. Lentement, il se fond dans le paysage et se fait oublier. Le temps passe sous son petit œil rond et ténébreux. Bien malin qui pourra dire s’il observe le temps ou le silence, ces nappes de brouillard pesantes qui dissimulent d’autres réalités. Soudain, dans un frisson, la terre meuble semble bouger et l’oiseau agite ses ailes d’un battement nerveux. La tension monte et le silence assourdissant se fissure par endroit en craquements imperceptibles. Alors, la terre, sous l’œil attentif des astres, se meut et en surgit une silhouette, noire et humide. Le corbeau bat des ailes puis se calme. Curieux, épie les mouvements de cet esprit aux contours incertains. L’hiver, cette année, n’opèrera pas son reflux sans que certains cœurs ne se glacent.

Il se réveille en sueur. Les draps sont lourds et le feu faiblit. Quel est ce moment de la nuit encore inexploré, in sondé, où les gestes du jour trouvent un nouveau souffle ? S’agit-il d’un instant hors du temps, comme cette éternité qui débutera après la destruction du monde ou est-ce simplement un pas de plus attaché aux travaux et aux jours ? Impossible de dire s’il rêve l’éternité de ses nuits ou s’il est perdu dans le tiers inconnu de son existence. Au-dehors, par l’étroite fenêtre pratiquée dans le mur épais, ce qui reste du monde. La lune révèle ce que l’œil veut bien voir. La lumière ne prétend plus dire ce qui est ; elle suggère. Au loin la mer se signale comme une tache d’huile psalmodiant, murmurant dans son flux et son reflux, et les vents apportent les embruns d’une autre dimension. Sur son visage, le temps ruisselle en goûte de pluie à la sueur mêlée. Le vent fouette son torse. Une vie s’empare de lui, une vie qu’il ne soupçonnait pas même dans ces moments d’égarement les plus complets. Il pense être quelqu’un d’autre, comme l’autre face d’un Janus tournée vers l’ombre.

Les gestes des jours deviennent les travaux de la nuit, en quête d’un autre sens, d’une nouvelle vie. Il se figure la pièce de monnaie qui serait son être, une créature profondément duelle, antinomique ou inversée. Sa réflexion poursuit son cheminement sur l’horizon indéterminé qu’il tente de discerné en vain malgré la lune. La révélation est brutale. Le vent redouble et balaye la lande d’un souffle furieux. La mer en vague lourde s’écrase contre la falaise. Hors du temps, mais hors de l’espace ? Penché à la fenêtre, il ne parvient pas à se rattaché au paysage qu’il observe. Il est impossible de discerner sa position dans le monde. Dedans et dehors, le va et viens de la vague écumeuse est pareil à la vie qui s’inscrit en creux et en relief dans le temps. Reste la courbe de cette écume, le souvenir périssable de ce qui fut. Mais l’aboutissement est proche. Il se réveille dans un souffle nouveau, in sondé et inexploré. La sueur du temps ruisselle en goûtes de feu sur son front. La l’obscurité ne ment plus, elle suggère. Le reste du monde est comme l’écume d’une vie, l’essence de son être. Le vent pénètre en lui. L’embrun glacé le perce de ses aiguillons. La mer d’huile se change en tempête et tente de balayer les murs épais sur la lande. Il est tout. Il n’est rien, comme l’horizon indéterminé, indiscernable. Je, tu, il volent en éclat et tout se mêle. Il rejoint le mouvement du monde.

Haakon avait quitté la demeure tôt le matin, à l’insu de tous au château. Un froid sec plein de l’odeur des feux de cheminées emplissait ses narines, et c’est peut-être parce que ce froid était violent, peut-être à cause de l’impression forte qu’il lui faisait ressentir, comme une douleur, qu’il le trouvait agréable. La souffrance était une preuve incontestable de vie. Un vent léger la lui apportait et elle pénétrait en lui, le remplissait, le défroissait. Lui, quittait sa nuit et le repos de sa couche. Le soleil se levait sur l’horizon, se baignant dans la brume et perçant timidement les nuages. Aujourd’hui serait pareil à hier, et sans s’émouvoir nullement le ciel serait égal à lui-même. Ces journées sans midi, où la terre semble vouloir contraindre le soleil dans son nadir et lui interdire la surface glacée de ses désolantes longueurs, avaient-elles pour vocation de devenir éternelles ?

Derrière lui, Haakon laissait la demeure familiale, et sur sa droite, des chaumières endormies. Timidement, l’écho lointain des vagues caressant la rive lui parvint. La destination était toute trouvée, au moins pour un temps. Il se mettrait en route pour les rivages. Alors, comme un monstre de vapeur, soufflant et marchant sans hâte, le cavalier et sa monture se mirent en route sur un chemin caché, que seule l’habitude leur permettait de deviner. Cette destination, le mouvement même du monde la lui avait révélée, ce chemin, les mécaniques sournoises des réflexes et de l’instinct. Sans surprise, il avait accueilli les propositions faites et c’est avec la même résignation qu’il avait suivi les conseils et les indications du temps, sans contester mais sans reconnaître non plus le bien dans la voie empruntée. Il ne condamnait pas mais ne cautionnait pas non plus et pourtant il était bien lui-même présent dans son corps puisqu’il souffrait du froid. Haakon avait peut-être conscience de son environnement, sans aucun doute même, puisque la plage et les vagues striant mollement la surface de la mer l’avaient appelé. Par delà le sable, les bois, la plaine, l’air, la brume et les falaises, Haakon avait perçu cet horizon qui s’offrait à lui et avait répondu sans le vouloir à son appel. Il avait conscience de l’espace, mais ressentait-il le temps ? Son orientation était clair mais son sens trouble.

A mesure que le château se perdait derrière lui et qu’il plongeait patiemment, sans y songer, sans le vouloir, vers l’avant, dans la souffrance, son corps s’engourdissait. Dans les bois, il entendit les battements d’aile des oiseaux, et le souffle des choses. La neige tombait des branches sur le sol dans des bruits mats. Le temps n’avait plus d’importance. Sous les arbres, levant les yeux autour de lui, Haakon lançait des regards familiers à la terre couverte de feuilles mortes et d’aiguilles de pins. Ici, pas de chemin tracé. La forêt se voulait impénétrable comme au premier jour du monde. Les ronces gelées tendaient leurs doigts crochus vers le voyageur et condamnaient certains itinéraires, ne laissant le passage libre que là où elles n’avaient pas daigné proliférer pour le moment. Haakon avait en lui la conviction que tout, tôt ou tard, il leur appartiendrait, à elles et à leurs congénères. Bientôt, s’entremêlant les ronces, aiguilles et feuilles mortes, arbres décharnés et troncs pourrissants seraient partout, recouvreraient tout, jusqu’à son propre corps. Sans s’en alarmer, il poursuivit.

Le corbeau salua son départ du bois. Ainsi il entra sur la plage. Silencieux tant par habitude que par humilité, Haakon laissa discourir le vent. Il lui rapporta des souvenirs glacés et timides. Le concert des éléments dura. Haakon mit pied à terre et s’allongea sur le sable humide. Une secrète espérance naquit en lui que la mer vienne le reprendre et charrie son corps à sa guise. Pourquoi ne pas se dérober à la face de l’espace et du temps ? Y-a t’il quelque part une issue pratiquée dans le décor de l’être qui permette d’échapper à ces deux glaives imbéciles brandis sur chacun ? Il ne sait pas s’il est là, sur cette plage, bercé par le chant des éléments, dans les bois en compagnie du corbeau, dans son lit au réveil.

Le lit serait un vaisseau aux grandes voiles de drap. La vigie, le corbeau, et la plage… un lieu d’échouage propre à l’abandon, la fin d’un périple à peine commencé. Ensablé dans ses pensées encore humides des sueurs de la nuit, il attend. Sur lui le temps passe et glisse. Il n’a pas de prise parce que, à cet instant, le temps n’est qu’un éternel présent. C’est l’hémorragie du présent, celle des futurs possibles qui prennent la fuite et jaillissent en tourbillon hors de lui. Rien n’a plus lieu d’être que ce qui est. Rien ne s’actualisera plus. La pensée se ferme et le temps redevient cycle. Ce qui est sera éternellement comme dans un rêve. Au ciel, les vaisseaux aux grandes voiles nébuleuses s’éperonnent les uns les autres et la pâle vigie reste aussi muette que ces rayons hivernaux. Les pilotes se sont abandonnés à l’échouage et la pensée s’est ensablée dans les sueurs de la nuit. Elle glisse sur le temps cyclique comme la tangente sur le cercle. Elle s’est faite ligne pour ne pas rester prisonnière du temps en lui correspondant. Ainsi, l’un et l’autre échappent à leurs gravités mutuelles. Dès lors, que reste t-il du monde ?
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Alkandir
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMer 11 Mar 2009 - 2:09

Trés bon texte j'ai beaucoup aimé
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Loec
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMer 11 Mar 2009 - 3:33

c'est une intro. Il faut continuer!
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La Scalde
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La Scalde


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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMer 11 Mar 2009 - 17:03

Merci à vous ! Voilà la suite.

« Cette nuit encore Haakon s’est levé. »
Grimm resta un instant debout sous la voûte de la porte des cuisines avant d’aller s’asseoir à la table de bois massif. Pierrette avait monté le lait et le faisait réchauffer dans l’âtre. Elle écoutait calmement, avec une patience dévouée, comme toujours. En silence, elle cherchait à faire un sort à cette annonce. Quelle réponse le jeune maître attendait-il ? Pierrette était bien au courant des vas et viens de son autre maître et s’en trouvait bien embarrassée. Elle ne pouvait rien y faire. S’autoriserait-elle même le droit d’en penser quelque chose ? Dès lors, son mutisme était pour elle une manière de compatir à la douleur du jeune Grimm, et ce dernier en avait conscience.

Son regard se perdait tantôt dans le lait qui remplissait son bol, tantôt sur les murs de pierre sombre. Le jour était maintenant levé. Il était si radieux qu’il était impossible de regarder par la fenêtre. Grimm était condamné à regarder le mur ou le bol, mais pas la lumière.
« Sir Iowerth pourra peut-être vous indiquer quoi faire messire, murmura poliment la servante en posant une serviette de lin à côté de Grimm. C’est un homme sage et instruit des choses de l’esprit. »
Grimm ne répondait pas. Il soupesait la proposition faite. Encouragée par cet air méditatif, Pierrette poursuivit :
« Il saura sans doute dire quel mal afflige votre frère Haakon au point de le tirer de son lit chaque soir. Ainsi, peut-être fera t’il en sorte d’y remédier…
- Merci Pierrette, interrompit calmement Grimm en posant ses yeux gris plein d’affection sur la tête baissée de la domestique, mais je ne pourrai pas en parler à Edward. Il ne serait pas capable de garder cela pour lui, et je crains que les problèmes de mon frère ne soient trop importants pour qu’on le laisse longtemps tranquille après que la cour les aura appris. »

La servante prit congé de son maître et descendit les escaliers qui menaient à la cour intérieure du château. Grimm scrutait le fond du bol vide en mâchant son pain. Il se leva, se dirigea vers la fenêtre qu’il ouvrit puis s’assis sur l’un des bancs de pierre pratiqués dans les murs. Dehors, la terre baignait dans la lumière d’un jour clément. La couche de neige avait en grande partie fondu, rendant cette journée semblable à celles du printemps, le froid hivernal en plus. A quoi ressemblait cette île avant l’arrivée de ses ancêtres, il y avait plus de cent ans de cela. Le territoire avait été découvert. Les hommes et les fils des hommes avaient bâti des cités et maîtrisé les cours d’eau, la force du vent... Ils avaient tiré le pain de la terre comme le fer qu’ils battaient dans le feu des forges. Cette terre avait été colonisée, mais quels Dieux étaient à l’œuvre dans ces contrées depuis la création ? Lequel d’entre eux avait maudit son frère ?

Des bruits provenant d’en bas l’arrachèrent à ses méditations. Un groupe de cavaliers venait d’entrer dans la place et pénétrait dans la grande salle. Leurs pas lourds faisaient grincer le plancher. Encore des bruits, puis un page vint dans les cuisines prier Grimm de descendre rejoindre son tuteur. Le jeune chevalier soupira puis suivi le page. Ils descendirent.

Les chiens faisaient la fête aux nouveaux arrivants. Trois ou quatre chevaliers restaient près de la porte pour goûter l’air du couloir, deux autres jouaient avec les bêtes et les excitaient à plus de folie. Sir Edward Banning discutait calmement avec un autre chevalier vêtu de blanc et de sinople, que Grimm reconnu comme le sire Oswalt Aberthol qui, si ses souvenirs étaient bons, était membre de la famille de son oncle Neils, le comte d’Entre-Deux-Mers. Edward et Oswalt étaient considérés, à l’instar de bien d’autres membres de leur suite, comme des arrivistes et des nobles de seconde zone par la noblesse originaire de Bretonnie. Ils avaient pour point commun d’être tous descendants d’aristocrates ou de guerriers autochtones liés par mariage à des familles de colons nobles. Pourtant, s’il fallait une preuve qu’ils faisaient honneur à la chevalerie, il suffisait d’observer la vaillance, l’intelligence et la finesse d’esprit d’Edward Banning. Grimm voyait en lui le meilleur chevalier du monde là où le roi Haakon le Taciturne, son père, trouvait un agent efficace et un habile moyen de s’allier les forces vivent des indigènes.
« Bonjour messire Grimm, lança Edward, coupant net sa conversation. Heureux que vous soyez déjà prêt. Aujourd’hui nous ne pourrons peut-être pas nous entraîner, ce qui est une entorse à nos saines habitudes je le conçois. Mais nous avons plus urgent à faire. »
A la surprise succéda l’interrogation. Qu’est-ce qui justifiait que l’on ne s’entraîne pas aujourd’hui ? Que se passait-il ?
« Messire Basset ici présent m’a rapporté que messire votre père se trouvait actuellement à Falkchester, répondit Edward avec enthousiasme. Il souhaite vous y rencontrer, vous et votre frère Haakon. »

Un homme avait fait un signe de la main depuis l’encadrement de la porte à l’énonciation du nom de Basset. Il respirait la force et la vitalité et il émanait de lui une aura de noblesse et de puissance. Grimm le regarda comme pour lire sur ses traits un des récits qu’on aurait pu lui faire à son sujet, en vain. Peut-être un nouveau vassal, un officier ou un capitaine… il n’en savait rien. Cependant, Basset, puisqu’il fallait le nommer ainsi, avait si bonne allure que le jeune prince ne pouvait qu’être rassuré de sa présence.
« … et c’est pour quoi votre frère ne doit pas tarder à se préparer pour que nous nous mettions en route au plus vite. D’ailleurs, où est-il ?
- Excusez-moi, maître Edward, il me semble qu’il doit être dans ses appartements à cette heure, répondit Grimm en secouant la tête comme pour se réveiller. »
S’adressant au page, il fit demander son frère et ordonna qu’on tienne prêts ses effets personnels pour un départ imminent. On voyagerait à peine une journée vers Falkchester et en armes, mais il ne fallait pas négliger les tenues de campagne et de cour au cas où le séjour dans la capitale s’éterniserait. Ainsi fut fait.
« Comment se porte mon père ? L’avez-vous vu Edward ? A t’il vieilli depuis notre dernière rencontre ?
- Je me suis entretenu avec lui il y a un mois de cela environ, répondit Edward avec bonhomie. Il se portait à merveille. Je dirais seulement que, comme tous les hommes de son âge, des rides se sont creusées sur son front de sage. Mais il n’a pas encore atteint l’âge vénérable, rassurez-vous. La guerre a aussi laissé une cicatrice sur sa joue.
- Et comment se porte mon frère Harald, enchaîna Grimm avec curiosité ? A t’il grandi lui aussi ?
- Je crois bien que oui, fit Edward en fronçant les sourcils, doutant de sa propre réponse. Messire Basset pourra peut-être nous en dire plus…
- Oui, reprit l’intéressé avec une légère désinvolture, il a gagné en force et en taille. Vous ne l’avez pas vu depuis trois ans me semble-t-il, n’est-ce pas mon gentil prince ? Eh bien, sachez qu’il a maintenant laissé les robes de ses nourrices pour courir dans les salles d’armes et dans les écuries. Il s’arme, parle et résonne comme un homme de bon sens. Malgré ses huit printemps, il a le port de tête du plus fier des chevaliers. Dans la lice, il promet de faire trembler ses ennemis dans quelques années, et à la cour il récite jusqu’aux rimes les plus obscures des Sagas et des traditions, exhumant des trésors insoupçonnés aux oreilles des érudits. La flûte et la harpe ne lui sont pas inconnues. Il chante d’une voix claire et haute avec les élèves de l’écolâtre et du chantre. La justesse est partout en lui : dans son esprit vif, dans sa lance précise, dans ses mots choisis, dans son chant et dans sa tenue. Malgré tout, ce prodige envoyé par les Dieux pour nous combler souffre d’une faiblesse, puisqu’il trouve un égal en votre personne mon doux prince. »

Comment ne pas rougir à de telles flatteries ? Grimm était resté suspendu aux lèvres de son interlocuteur jusqu’à ce compliment. Désarçonné, il conçut le plus vite qu’il put une répartie pour se délester du fardeau de ce bon verbe de Basset.
« Je vous remercie, noble sire. Sans doute ce trait commun est-il dû au fait qu’à un moment ou à un autre de notre éducation nous ayons eu le même maître, fit le jeune homme avec un sourire malicieux.
- Je ne sais si je dois vous remercier messire Grimm, répliqua Edward qui se raclait la gorge en écartant le compliment des deux mains. Laissons cela je vous prie. Voici le page. Mais il revient seul… »

Le page s’avança jusqu’à Grimm et lui murmura à l’oreille que son jeune frère ne se trouvait ni dans les cuisines ni même ailleurs, mais qu’il n’avait pas osé frapper à la porte de sa chambre en l’absence de Pierrette. Le prince tenta par tous les moyens de ne pas laisser transparaître son inquiétude puis s’excusa auprès de ses visiteurs. Il se dirigea calmement vers les escaliers et, une fois hors de la vue des chevaliers, il gravit quatre à quatre les marches et se précipita vers la chambre de Haakon. En chemin, il dut ralentir un peu pour ne pas éveiller la curiosité des domestiques qui préparaient ses affaires.

Il s’arrêta devant la porte de la chambre de son frère. Levant le poing pour frapper, il attendit. Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu’il se crut au bord du malaise. Essoufflé, il essayait de garder son calme, de se promettre à lui-même que son frère ne pouvait être ailleurs que dans son lit et que, s’il avait pris l’air cette nuit, il était sans doute rentré avant l’aube et se trouvait maintenant trop fatigué pour se lever. Pourtant, rien ne le rassurait. Peut-être n’était-il pas rentré ou lui était-il arrivé quelque chose. Il faudrait alors inventer un stratagème pour cacher cette anomalie à Edward et à ses compagnons en attendant un éventuel retour. Grimm n’osait plus y penser. Il ferma les yeux et frappa à la porte. Aucune réponse. Il frappa à nouveau et sa respiration s’accéléra. Seule sa peur lui répondit. Il abaissa sa main sur la poignée de porte et la tourna. Devant lui s’étendait la chambre de Haakon. Il faisait froid. Le feu était mort. La fenêtre ouverte avait laissé pénétrer la pluie qui formait une flaque sur le plancher. Le rideau jouait dans la brise légère. Evidemment, le lit avait été déserté longtemps avant l’arrivée de Grimm. Il pénétra dans la pièce et en fit le tour plus rapidement qu’un diable ne fait le tour de sa boîte. De rage il tira les draps du lit avant de s’effondrer dessus. L’anxiété le dévorait. Maintenant il faudrait mentir à Edward en attendant le retour de Haakon et il ne voulait pas mentir à son tuteur. Tout ceci retarderait le départ pour la capitale et pousserait sans doute le précepteur à enquêter sur cette disparition momentanée en le questionnant lui et la domesticité du château, avec toutes les conséquences que cela impliquerait. La colère montait en lui.

Grimm se redressa lentement puis arrangea le lit au mieux en passant en revue les différentes possibilités qui s’offraient à lui. Ceci fait, il se résolut à prétexter une prière matinale de Haakon à la chapelle du château, comme il en avait l’habitude par ailleurs. Les longs séjours matinaux que Haakon faisait à la chapelle étaient sans doute liés à ces escapades nocturnes. Qui sait, peut-être était-ce le cas ? Cependant, il était peut probable qu’il s’y trouve aussi tard. Grimm se demandait si son frère avait bien conscience de son état, si dans ses perditions il reprenait parfois le dessus. La raison lui aurait alors livré le spectacle d’un désolant abandon de soi.

La porte refermée derrière lui, il peaufina son mensonge dans les escaliers tout en cherchant à garder son calme. Posant le pied sur les dernières marches donnant sur la grande salle, il annonça qu’il n’avait pas trouvé son frère et ce ne fut qu’au moment où il allait donner son explication qu’il aperçut Haakon entouré des seigneurs. Ils se saluaient et prenaient des nouvelles les uns des autres. Haakon, en habits de campagne, la face pâle et les cheveux un peu broussailleux, esquissait un sourire gêné en voyant son frère. Il parla fort pour masquer son déplaisir :
« Bonjour mon frère. J’étais justement entrain d’expliquer à nos visiteurs pour quoi tu ne m’avais pas trouvé ce matin. Je me suis levé tôt, aux premières lueurs du jour, pour profiter de la fraîcheur du temps. Voyant que personne n’était debout, je suis allé aux écuries prendre mon cheval pour parcourir les terres jusqu’à la plage. Je ne m’y serais pas attardé si j’avais su que messire Edward viendrait aussi tôt ce matin. Il m’a appris que notre père se trouvait présentement à Falkchester et qu’il nous faisait demander afin de participer à un banquet, fit-il avec plus d’assurance maintenant qu’il avait changé de sujet. N’est-ce pas excitant, mon frère, de retrouver ensemble notre père, notre petit frère et toute la noblesse du pays assemblée pour des festivités de retrouvailles entre le peuple d’une capitale et son souverain ? »

Impossible pour Grimm de partager la gaieté de son frère. Il en était encore à se demander où Haakon avait pu trouver le courage de lui mentir ainsi en public. Un instant dans cette pièce, deux personnes avaient conversé. Avec des mots, elles avaient créé du sens pour l’assistance, mais pour elles, il n’y avait eu qu’un échange absurde. Peu à peu, un mur se dresserait entre eux deux et le reste du monde, qui serait fait de ces mensonges. En deçà, la vérité ; au delà, le simulacre. Vivre parmi les hommes, c’était bien l’art de faire semblant. Edward interrompit les réflexions de Grimm en annonçant que, s’ils le voulaient bien, leur départ serait imminent.
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyDim 15 Mar 2009 - 18:08

c'est déjà finit?
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La Scalde
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyDim 15 Mar 2009 - 19:52

Fini ? Oh non, pas du tout. J'attends les réactions et je travaille encore la suite. Je ne veux pas tout balancer d'un coup, ce serait décourageant pour le lecteur. Non ? ^^
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Loec
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyLun 16 Mar 2009 - 1:48

et c'est vraimment toi qui écrit cette histoire?
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La Scalde
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyLun 16 Mar 2009 - 2:02

Euh... Oui. Qui d'autre ? J'me permettrai pas de copier coller l'histoire de quelqu'un d'autre.
Pourquoi cette question ?
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Dangorn de Castagne
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyLun 16 Mar 2009 - 3:17

Ton héros a vraiment un nom à l'Haakon Mr. Green

Outre le fait que ça n'a pas l'air de se dérouler dans le monde de Warhammer (ce n'est pas un mal mais ça surprend Wink ), c'est assez bien écrit.

_________________
Comte Dangorn de Castagne, chevalier du Très-Noble et Respectable Ordre Chevaleresque des Gros Glands Incapables de Terminer leurs Figs à Temps pour les Concours du Foroume, membre fondateur de la Confrérie Très Privée des Trouveurs de Blagues Pourries.
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Loec
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyLun 16 Mar 2009 - 23:26

Je trouve tout simplement que tu as de réelles qualités d'écritures! C'est ultra agréable à lire, les phrases sont bien dosées et le vocabulaire est bien exploité , bref, rien a dire sur le style d'écriture. Reste à voir le scénario en suspense...J'attends la suite avec hâte!
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La Scalde
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyDim 22 Mar 2009 - 13:59

Merci beaucoup à vous tous ! ^^ Vos remarques sont très motivantes. Le simple fait que vous répondiez est motivant ^^. Après une petite absence, je continue. Merci de votre patience et bonne lecture.

Les bagages faites et les hommes équipés, les chevaliers et leurs écuyers se mirent en route formant une chenille de métal multicolore sur la route. La campagne était le théâtre des discussions courtoises entre seigneurs. L’un d’entre eux chantait le mois de mai, souhaitant le revoir. Deux autres se lançaient la rime sur un thème ancien. Au milieu du cortège, messires Basset, Banning et les deux fils du roi chevauchaient en conversant. On demandait des nouvelles de la guerre dans le nord de l’île et Edward répondait que la situation était rétablie et que des forts avaient été édifiés. On s’inquiétait aussi de la dernière réunion des représentants des hommes libres de l’ouest au Thing général de Wuthermoor. Edward, en sa qualité de représentant des communautés qui composaient le Thing, était chargé de rapporter les paroles de l’assemblée au roi. Il dit à ce sujet que les choses se passaient comme à leur habitude, les différents clans se disputant publiquement des terres de pâture et les conflits se réglant par l’arbitrage des officiers du roi. Cela dit, la réunion avait eu lieu en mars dernier, à l’équinoxe, et les survivants de la dernière campagne s’y étaient montrés plus gonflés d’orgueil que jamais. Pourtant, leur seul exploit était souvent d’avoir survécu.

Au détour d’un chemin, le cortège croisa des potences près d’un groupe de chaumières. Chaque gibet était garni d’un condamné à mort, et tous avaient déjà fait le régal des corbeaux.

« Qu’est-ce ceci, demanda Grimm ?
- La mort infamante sir, répondit Basset. Celle des voleurs et des criminels.
- Celle des voleurs, reprit le jeune chevalier, dubitatif ?
- La famine pousse les hommes à plus d’audace dans le vol, et les juges à plus de rigueur, expliqua Edward. Certains des paysans ont succombé aux sirènes de ces fous qui parcourent le pays en proclamant que seuls des remèdes extrêmes suffisent aux grands maux. Des bandes se sont formées et pillent la campagne. Parfois, ils s’attaquent aux maisons fortes.
- Ceux qui disent oui et s’engagent une fois aux côtés d’eux scellent leur sort, renchérit Basset. Ils finiront tous au bout d’une corde ! »

Oui, ils finiront au bout d’une corde parce qu’ils ont fait un pas de trop. Ils se laissent emporter par le courant de leur haine et leurs crimes se font de plus en plus violents et graves jusqu’à ce qu’ils tombent dans les mains de la justice du seigneur. Basset semblait conscient du caractère irrémissible des actes de ces manants, mais après avoir exulté en leur promettant la mort, son visage s’assombrit. Sans doute pensait-il avoir parlé trop vite, où peut-être trouvait-il un nouveau sens à ses propres mots. Edward semblait, quant à lui, plus enclin à la clémence.

« Par ma foi, le peuple est accablé par la faim, messire Basset, et la dernière récolte a été lamentable. Au printemps dernier, la soudure avait été difficile, et l’hiver s’annonce rigoureux. Il est normal que le peuple, plongé dans la détresse, ait recours à de telles extrémités.
- Comment, messire Edward, s’échauffa Basset ? Vous, un homme irréprochable par vos mots et la vigueur de votre bras, vous abaissez à tant de pitié pour des gibiers de potence qui ne savent pas ce qu’ils doivent à leurs protecteurs ? Savez-vous que l’on raconte qu’un homme qui vivait dans les bois près de Shorebury, accueillait les voyageurs pour la nuit. Il ne pouvait certes pas leur proposer le couver, mais au moins, disait-il, la sécurité d’un toit contre ce qui tombe du ciel et ce qui rôde dans les bois. Il attendait enfin que ces hôtes soient endormis pour leur tomber sur le dos, alors qu’ils étaient sans défenses, et à coup de cognée leur fendait le crâne avant de se nourrir de leurs chaires jusqu’à la moelle de leurs os brisés sur le feu pour satisfaire sa faim monstrueuse et sa démence !
- Dieux, s’exclama Grimm, horrifié par cette anecdote ! Et qu’a t-on fait pour cela ?
- Le veneur de Shorebury a découvert des restes humains près de la cabane, répondit Edward. Les hommes du prévôt l’ont arrêté. Il a été écartelé, pendu, démembré et ses restes ont été brûlés en place publique. Les cendres étaient encore chaudes le lendemain matin. » Puis se retournant vers Basset, il reprit : « Je connais cette histoire, messire. Mais vous m’accorderez que vous ne connaissait qu’un seul récit de ce genre ?
- C’est parce qu’on en aura pris qu’un seul, rejeta Basset.
- Même en admettant cela, je ne pense pas que la majorité des habitants de cette île vivent dans les bois à l’affût des voyageurs, guettant leur gibier humain.
- Sans doute, admit-il, mais les bandes armées qui rôdent sont animées par la même haine contre-nature. Elles ne cherchent que le meurtre, le pillage et le renversement du monde.
- Je pense qu’elles cherchent plutôt à manger, et ne trouvent d’autre moyen de subsister qu’en volant et en tuant si nécessaire.
- Alors vous soutenez cette révolte, gronda Basset dont le visage s’empourpra ?
- Au contraire, se défendit Edward.
- Encore un tour de cuistre que cet argumentaire, pesta Basset. Etes-vous donc incapables, vous autres clercs, de nommer les choses par leurs noms ?
- Je n’ai pas dit que je soutenais cette révolte. J’ai dit que le peuple était révolté par la faim et la maladie et qu’il cherchait une solution par ses propres moyens, sans ordre ni raison. Ceci explique la révolte, mais ne la pardonne en aucun cas, fit calmement Edward en tendant la main vers son interlocuteur pour l’apaiser. Ce qui m’attriste chez ce pendu, ce n’est pas la sentence pour le crime qu’il a commis, ni sa faute en elle-même, mais bien ce qui travaille le peuple et le pousse à de tels crimes contre-natures. »

Basset marqua une pause, pour se calmer sans doute. Puis conclu : « Bien des détours pour une même sentence ! ». Edward n’en ajouta pas plus, conscient qu’il ne pourrait faire plier une âme si brute à ses idées. Bien d’autres auraient déjà fini par en appeler aux armes. Cet esprit de justice et de tempérance que Grimm trouvait en son maître aurait pu passer pour de la faiblesse ou de la lâcheté aux yeux d’un autre. Pour lui, c’était une preuve de sagesse.

Poursuivant leur route, Grimm fut inquiété par l’attitude de son frère. S’en était trop cette fois-ci. Une escapade nocturne et maintenant des frissons ! Il prit pourtant son mal en patience, estimant que son frère se calmerait. Mais il n’en fut rien. Il essaya de sourire et se pencha vers Haakon, demandant calmement :
« Qui y a t’il mon cher frère ? Vous tremblez ?
- Quel froid ! C’est toute cette neige qui jonche le sol et couvre tout jusqu’à mon cœur, fit-il doucement, comme pour lui-même. Que faut-il faire pour que le soleil luise à nouveau ?
- Mais, mon frère, la neige est presque fondue et le soleil est généreux en ce jour, répondit nerveusement Grimm qui ne comprenait rien de ce que lui disait Haakon. Le voyage sera bientôt terminé. Un jeune homme si fort que toi et du même sang que moi ne saurait craindre une journée presque printanière alors qu’il n’a pas tremblé face aux piques ou prit dans la tempête des flèches ennemies.
- Oh Grimm, gémit-il tout bas… Emportez ce froid hiver loin de moi je vous prie.
- Allons, ressaisissez-vous, interrompit-il avec exaspération ! »

Bientôt, c’était certain, Haakon attirerait sur lui les soupçons de la cour. Et ces crises d’une angoisse sourde le prenaient alors qu’ils devaient se rendre à la capitale ! Le seul moyen pour que l’attention des curieux ne se reporte pas sur lui serait qu’il reste isolé à la campagne, mais il était fils de roi et en cela il ne pouvait pas se soustraire à la vie mondaine. Grimm, de plus en plus inquiet, réalisait qu’il devrait veiller à protéger son frère bien-aimé des mauvaises intentions des courtisans, le temps que sa folie lui passe. Cet homme de courage, habile et prompt à la lance, succombait à un mal contre lequel le bouclier n’était d’aucun secours. Le heaume de sa foi même semblait défaillir. Quant à détruire cet ennemi par les moyens auxquels il était accoutumé, c’était hors de question. Ce mal intérieur et sournois, rien ne pouvait l’entraver si ce n’était la paisible sécurité d’un foyer, le confort des certitudes, l’apaisement que lui aurait procuré une journée d’été passée en bord de mer sous les chênes. Sans doute, dans son cauchemar, rêvait-il de cette journée où le vent soulève la poussière du sol dans la chaleur étouffante que procure le soleil à son zénith. Les libellules, tournoyant à l’ombre près des étangs, rouges, bleues, vertes et chatoyantes, raviraient son regard et la faune, épuisée par fournaise, se réfugierait sous les fougères ou entre les joncs.

Grimm chercha en vain à reconstituer ces journées paresseuses et champêtres dans son esprit. La colonne poursuivait sa route, sans se presser. Sur le bord du chemin, un village avait été déserté. Une chaumière était effondrée. Dans une autre, un enfant caché sous une table attendait dans l’obscurité le réveil d’une femme allongée par terre dans une position grotesque, lubricité involontaire. Dehors, un vieillard mutilé reposait dans un tonneau. Deux villageois avaient été noyés dans le puit. Une fillette mâchait ses lacets pour tromper sa faim.

La capitale s’étendait près de la mer et des rives d’un des plus grands fleuves du pays. Il n’y avait de faubourgs qu’auprès des portes nord et nord-est. La porte sud-ouest donnait donc directement dans les champs extra-muros. Le prince et sa suite se firent annoncer et demandèrent à ce qu’on leur laisse le passage. Les gardes descendirent de la tour et, dans les grincements de chaînes, la porte s’ouvrit. C’était l’entrée la plus proche des édifices officiels de la cité, c’est pourquoi les bâtisseurs l’avaient placée sous la surveillance de la forteresse toute proche. Noire dans un ciel de nuit, cette silhouette massive et intimidante était la première place forte édifiée après la découverte. Elle avait été agrandie avec le temps. Son caractère défensif était si prononcé qu’elle n’accueillait plus le roi lui-même, celui-ci préférant souvent à la rigueur spartiate du donjon le confort du palais situé au centre de la cité. Pourtant, des fenêtres étroites étaient éclairées ça et là sur la façade, preuve d’une vie mystérieuse dans le géant de pierre. Cela en devenait presque inquiétant pour Grimm qui voyait son hostilité et sa suspicion croître à chaque fois que son regard se posaient sur ce lieu de pouvoir.

Sur la porte, la garde avait été doublée par peur des infiltrations d’agitateurs dans les murs. Le cortège parcourut les rues de la ville qui menaient au palais royal jusqu’à ce que, devant la porte de la cour, les gardes et le chevalier Jasper, chambellan du roi, ne l’interrompent dans sa progression. Edward Banning salua respectueusement son lointain cousin par alliance et celui-ci lui rendit la politesse. Ses cheveux mi-longs et noirs encadraient un visage long et pâle. Un nez franc et fin donnait plus de noblesse à un port humble. Il était apprécié et plutôt discret. C’était un homme généralement accessible et souvent enclin à la plaisanterie mais ses pâles sourires et son regard profond, parfois perdu, lui donnaient un air énigmatique auquel tous n’étaient pas prêts à se confronter. Bien que chambellan, il n’avait pas grande influence auprès de son maître, et faisait figure de maître d’hôtel un peu effacé. Justement, c’était là son meilleur rôle. Loin d’être au centre des préoccupations de la cour, il était l’un des plus fins observateurs et rapporteurs de ce qui s’y passait.

« Mais ne sont-ce pas là messire notre prince et son frère en personne, souffla t’il en posant un grand regard froid sur les nouveaux venus, feignant la surprise ? »
Grimm répondit par un sourire gêné. Il n’avait pas eu l’occasion de côtoyer cet individu étrange, encore moins de nuit. Si, à la lumière du jour, on pouvait prendre ses regards pour des abysses plongeant vers le tumulte des pensées qu’on lui devinait, de nuit, il pouvait provoquer un réel malaise chez ceux qui ne le connaissaient pas. Ce regard scrutateur semblait prêt à déshabiller sa proie.
Le chambellan salua respectueusement les fils de son maître avant de se tourner vers Edward.
« Je regrette mes seigneurs, mais le roi ne peut pas vous recevoir pour le moment. Il faudra patienter jusqu’à demain pour pouvoir vous joindre à lui. On m’a donc demandé de vous attendre et de vous conduire à vos appartements. Demain, avant le début des festivités, vous rejoindrez le roi selon le protocole que vous savez sir Edward.
- Alors nous ne dormons pas au palais, demanda le sire Oswalt ?
- Hum…, non messire », répondit Jasper, circonspect. Sa bouche se tordait légèrement sur la droite, accentuant la sécheresse de ses propos. « Vous serez logés dans la forteresse pour le moment. Rassurez-vous cependant : vous y trouverez tout le confort qui sied à votre rang, conclut-il avec un léger sourire. »

La plaisanterie passa inaperçue alors que Jasper, monté sur son cheval, prenait la tête du cortège. Les bagages et sergents suivirent. Les portes de la forteresse s’ouvrirent devant la suite du Prince et, une fois dans la cour, tous mirent pied à terre et se séparèrent. Les domestiques du donjon vinrent chercher les bahuts et coffres qu’ils montèrent dans les chambres. Les sergents se dirigèrent vers les écuries avec les palefreniers pour y ranger les chevaux. Les seigneurs suivirent Jasper dans les escaliers qui menaient aux étages.

Les gardes de la forteresse saluaient les chevaliers sur leur passage, sans faire plus d’honneur au prince et à son frère qu’aux autres. Comment auraient-ils pu les reconnaître tous les deux ? Equipés de torches et accompagnés de domestiques, la suite gagna les chambres. Grimm reçut la plus grande de l’étage et son frère celle qui lui était voisine. Les autres chevaliers dormiraient dans un dortoir de taille modeste mais bien pourvu en lit, tables, chaises, eau, linge et luminaire. On se souhaita bonne nuit. Jasper redescendit.

Grimm se retrouva seul dans sa chambre. Une pièce pourvue d’une belle cheminée, de bougies en suffisance et d’un lit à baldaquin un peu prétentieux. Une fois allongé, il chercha le sommeil sans succès. Malgré la fatigue du voyage, il ne pouvait s’empêcher de penser à l’attitude étrange de son frère. Dans l’ensemble, ils s’en étaient bien sortis ce matin, mais ses frissons en plein après midi et ses propos désordonnés sur la neige et le froid que personne ne ressentait à part lui… Il ne semblait pourtant pas malade. Perturbé en tout cas, il l’était. En tout état de cause, il faudrait trouver un moyen de tenir Haakon à l’écart dès ce soir. S’il venait à sortir cette nuit, tout serait perdu.

Dans le couloir, de l’autre côté de la porte, des pas légers se firent entendre. Entre le sol et la porte, une lueur apparut. Grimm ne sut pas immédiatement de qui il pouvait s’agir. Il se mit assis sur le bord de son lit. Son frère avait la démarche plus lourde et pesante. Après tout, un chevalier n’avait pas pour première vertu d’être discret. Il s’agissait donc plus probablement d’un domestique. Malgré tout, le jeune prince ne pouvait en aucun cas savoir quand son frère serait frappé de l’envie de sortir. Peut-être était-ce tôt après le coucher. Peut-être plus tard. Il ne pourrait pas veiller toute la nuit ! Il faudrait éviter qu’il ne rencontre des serviteurs dans le couloir, et le mieux pour cela était de l’enfermer dans sa chambre.
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyDim 22 Mar 2009 - 14:02

Grimm se leva doucement, ajusta sa tenue et se dirigea vers la porte. Sur le rebord de la cheminée, il saisit un chandelier. Il posa son oreille contre la porte et cessa de respirer. Aucun bruit de l’autre côté. La voie semblait libre. Il tourna doucement la poignée et ouvrit la porte avec précaution. D’un bout à l’autre, le couloir n’était que ténèbres. Par chance le dortoir des chevaliers était à l’autre bout du corridor, et la porte en était close. Grimm sorti de sa chambre et sentit passer un léger courant d’air au travers de ses vêtements. Plus loin, par là où ils étaient arrivés, une fenêtre donnait sur l’enceinte et la campagne. Il porta la main près de la flamme pour la protéger puis alla frapper discrètement à la porte de son frère qui répondit d’une voix claire. Il entra et trouva son frère allonger, couvert jusqu’au menton. Le regard de Haakon se perdait dans la contemplation de la toile du lit à baldaquin.

« Comment vas-tu mon frère, demanda Grimm ? » Il n’eut pas de réponse. Son inquiétude atteignait des sommets alors qu’il s’approchait de plus en plus du lit, tâchant de ne rien laisser paraître de ses intentions. Il observa Haakon. C’était comme si celui-ci n’avait absolument pas conscience d’une présence étrangère dans la chambre. Au mieux, Grimm aurait pu faire partie du mobilier pour lui. Il en venait presque à se demander si c’était bien lui qui avait répondu lorsqu’il avait frappé. Tout paraissait irréel. Les reflets sur son visage placide, les ombres sur les murs, la situation elle-même étaient presque éthérés. Le prince s’assit sur le rebord du lit et posa sa main sur l’épaule de Haakon pour attirer son attention. Comme fiévreux, celui-ci braqua des yeux cernés et légèrement injectés de sang sur lui. Il était tendu. Cherchant à l’apaiser, Grimm lui demanda ce qui n’allait pas. Haakon pensait être malade, ou n’en savait rien. Tout irait mieux demain. Ne disait-on pas, après tout, que l’air était plus sain ici que dans leur retraite campagnarde. Il acquiesça puis retourna à ses rêveries. Essuyant un échec douloureux, le visiteur s’en alla en souhaitant à nouveau la bonne nuit, sans réponse. Se faisant, il prit soin de subtiliser discrètement la clef dans la serrure puis sortit. Une fois dans le couloir, il ferma la porte à double tour en espérant que le verrou résisterait à une éventuelle démence de son frère. Au moins aurait-il le temps de sortir pour aller le calmer, ce qui le rassurait suffisamment pour lui permettre de trouver le sommeil. Enfin il pouvait aller se coucher et, la clef sous l’oreiller, le sommeil ne tarda pas.

Sur un chemin, dans un champ par une journée d’été, des hommes en arme sautaient. Ils faisaient des bons dans le ciel pour franchir un gouffre dans le fond duquel coulait un ruisseau. Des bois traçaient la ligne d’horizon de part et d’autre de la route, et l’herbe de la prairie répondait aux sollicitations de la brise légère, porteuse d’un air chaud. Dans le ciel, il ne trouvait pas de soleil. Il faisait jour pourtant. Les soldats marchaient en rang par trois ou quatre. Tous allaient à pied, sans couleurs précises. Ils formaient une interminable colonne qui se pressait au bord du gouffre et le franchissait avec rapidité et précipitation, chaque homme manquant de peu de tomber. Mais rien ne ralentissait cette armée étrange à l’attitude joyeuse et déterminée. Les casques de fers luisaient. Arbalète, pique, guisarme sur l’épaule, ils se dirigeaient vers l’horizon au son de musiques étranges, courrant à la guerre dans un élan au volontarisme effrayant. Voulaient-ils tous disparaître ?

Sur le bord du chemin, il se tenait debout, à pied et en arme. Il les regardait défiler devant lui, applaudissant en pensée le saut de chacun d’entre ces hommes. Tel le commandant passant les troupes en revue, il les observait, cherchant les défauts, fier de leur nombre et de leur qualité, choses qui ne dépendaient absolument pas de son fait par ailleurs. Sur le sol, son heaume était tourné vers lui, comme s’il le regardait avec ses yeux vide cernés de métal. A quelque distance de la colonne, il se pencha pour le ramasser. Une fois redressé, il le plaça sous son bras gauche. Son attention fut captée par une étincelle dans l’herbe. Il chercha du regard. Une petite forme se trouvait dans l’herbe à côté de l’emprunte laissée par son heaume. Il se mit accroupi et saisi la petite effigie dans sa main droite. Elle avait l’apparence des fèves de galette à ceci près que figurait sur sa face le protecteur des voyageurs. Vivement colorée, elle était pour le moins charmante. Comment avait-elle atterri dans ce pré ? « Oh ! Quelle merveille !
- Tu en veux d’autres, demanda un étranger penché dans le pré ?
- Pourquoi pas, répondit-il ? Où sont les autres ?
- Cherches dans le pré. Tu trouveras le protecteur des voyageurs. »
Alors, il parcourut la prairie lentement, à petit pas, courbée vers le sol et remuant l’herbe. Il trouvait une nouvelle fève, identique à la première, puis une autre. Encore une autre ! Naturellement, comme une pie, il poursuivait ses investigations. Il trouva une nouvelle fève. Cette fois-ci, c’était une vache qui y figurait. Elle était belle aussi. Il poursuivit et la fève suivante fut encore plus stupéfiante. Sur sa face était représenté César. « L’empereur ? Mais comment ce fait-il que… » Il se redressa lentement. Il était loin de la colonne. L’inconnu n’était plus là. Seul dans la prairie… dans ce coin du monde.
Grimm se réveilla brusquement. Il se frotta les yeux pour reprendre ses esprits. Il se retourna vers la porte. Eclairée par la veilleuse, il distingua la silhouette haute et massive d’un homme en arme, hiératique, le visage vide. César dans la chambre ? Le personnage de pierre ouvrit une bouche démesurée pour parler mais il ne sortit de sa bouche qu’un grondement accompagné de coups.

Grimm sursauta en réprimant un hurlement. De l’autre côté de la porte, quelqu’un s’agitait. Un serviteur devait piétiner dans le couloir, à en croire les bruits légers que faisaient les semelles de cuir sur le plancher. La faible lueur d’une bougie sourdait sous la porte, trahissant l’importun. Le prince garda le silence un instant encore pour s’assurer que ses soupçons étaient bien fondés. Ce fut alors qu’il entendit les légers battements de la porte de son frère. Le verrou cliquetait dans sa charnière et le bois se heurtait régulièrement dans le chambranle. Une panique presque démentielle surgit du fond de l’âme de Grimm et il fut saisi de tremblements nerveux et de suffocations. Il peina à se dresser sur ses jambes, ébranlé par l’angoisse, et se précipita vers la sortie. Dans le couloir, il tomba nez à nez avec le trouble fête. C’était un jeune garçonnet, valet de chambre, que l’adolescence rendait presque androgyne. De peur, le petit valet se cramponna à son chandelier en se plaquant contre le mur. Ses yeux écarquillés passaient successivement du prince à la porte de Haakon.

Le moment que Grimm redoutait le plus était arrivé. Un domestique de la forteresse venait de s’apercevoir que Haakon, parfaitement muet, tentait de forcer la porte de sa propre chambre, verrouillée de l’extérieure. Nul doute qu’il parlerait. Au moins Grimm était-il intervenu à temps, avant que le garçonnet ne prévienne d’autres serviteurs que Haakon était enfermé dans sa chambre. Fort heureusement, les chevaliers du bout du couloir avaient le sommeil lourd. Voyant le jeune valet terrorisé, Grimm ne put songer à autre chose qu’à une éventuelle mort de son frère, enfermé, martyrisé, battu et assassiné pour sa malchance. Il était encore trop jeune pour se défendre seul et n’avait aucune responsabilité qui puisse le rendre vraiment indispensable au royaume. Si le monde apprenait sa folie, il serait condamné à une vie de misère et de captivité dans les murs d’une chapelle ou pire. Il ne pourrait pas profiter de sa vie qui débutait à cause des éventuelles conséquences qu’elle pourrait avoir sur le reste du monde. On l’écarterait parce qu’il serait susceptible de nuire.

Les battements réguliers de la porte se faisaient plus insistants. Le valet comprenait de moins en moins ce qui se passait et glissait lentement le long du mur dans l’espoir de prendre la fuite. Pour Grimm, la colère montait. La position délicate dans laquelle il se trouvait le rendait agressif et faisait bouillir en lui une rage noire de plus en plus mal contenue. Il était impuissant face au mal de son frère tout comme il l’était face au monde extérieur. Désespéré par son incapacité à infléchir le cour des choses, il céda à son désespoir. Le valet était une proie facile, petite, faible, si faible qu’il le sentait à sa disposition à bien des égards. Le manipuler était la seule solution envisageable pour le faire taire, mais aussi pour rassurer Grimm sur sa position dans la société. Evidemment, ce petit corps fluet lui suggérait d’employer la manière forte avant tout. Rapidement, il se saisit de sa dague et se jeta au col du valet qu’il écrasa contre le mur. Il prit le chandelier et racla la main du jeune homme contre le mur pour qu’il lâche prise avant de le précipiter par terre dans sa chambre. Grimm posa le chandelier sur la cheminée et ferma la porte derrière lui. Il entendait le valet ramper sur le plancher en tenant sa main écorchée. Dague en main, il fit volte-face et s’avança jusque devant la face blafarde de sa victime jusqu’à sentir son souffle court sur son visage. La lame toucha la chaire fine sous le cou. Grimm tentait de se calmer pour éviter le pire.

Il exigea des explications au valet, sans lui laisser de répit. Celui-ci balbutia quelque chose d’incompréhensible pour se justifier, mais c’était inutile. Grimm savait pertinemment qu’il était monté pour savoir d’où venaient les bruits qui l’avaient peut-être réveillé. Ou bien passait-il ici par hasard, ça n’avait pas d’importance. Bien sûr, il ne pouvait pas passer par quatre chemins pour mieux faire comprendre ses intentions au jeune homme. La menace tomba soudainement, étouffée dans un murmure : « Si tu parles, je te tuerai ! »
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMar 8 Sep 2009 - 17:38

Bien ! Déjà (je n'ose le dire ^^) six mois que je n'ai pas posté de suite pour ce récit. Le temps et la patience me manquent pour écrire. Disons que c'est une manière de me remettre à l'ouvrage.

Des tentures de velours cramoisi ornaient les murs grisâtres de la forteresse. Grimm les parcourrait des yeux, cherchant des réponses à ses inquiétudes. Elles offraient des plis et des replis d’un rouge plus ou moins sombre et des veines lumineuses striaient par endroit leur lourd drapé. Les ombres creusaient des visages torturés, tissés comme des énigmes sibyllines sur une toile de ténèbres. Assis sur un banc au milieu du grand hall du donjon, il attendait que le jour se lève. Aux deux grandes portes de la salle, des couples de gardes attendaient la relève, figés dans une posture de vivacité feinte. Sous leur regard interdit, Grimm attendait. Mais qu’attendait-il au juste ? A court terme, il attendait que l’on vienne le chercher pour l’emmener auprès de son père et de son jeune frère. Il aurait pu s’en réjouir, mais la perspective que la nuit tomberait à nouveau le troublait plus que toute autre chose. Il redoutait le retour des délires de son frère. La menace qu’il avait proférée hier à l’encontre du valet n’avait presque aucune réalité pour lui. C’était même une erreur. Ce matin, encore embrumé par le sommeil, il se sentait presque incapable de mettre à exécution sa menace. Et pourtant, hier soir, il l’aurait fait sans remord. Du moins c’était ce qu’il pensait. Si l’occasion se présentait, c’était certain, il ne le ferait pas. Il ne tuerait pas. Il renverrait le jeune homme chez lui ou dans un château à l’autre bout de ses terres.

Un garde toussa. L’écho se répercuta dans les voûtes de la pièce. Les fenêtres, étroites et placées juste sous de la charpente du plafond, ne laissaient pénétrer qu’une faible lueur qui peinait à illuminer la vaste salle. Le banc grinça légèrement sous Grimm. Le jour n’apparaîtrait au-dessus des murailles que tardivement. Il attendait aussi les cérémonies du jour. Le tournoi, le banquet… la nuit. Et puis après ? Ce serait un autre jour, une autre nuit. Cela n’en finirait peut-être jamais. Alors, peut-être serait-ce la mort. Finalement, il n’attendait pas quelque chose en particulier. Mieux, il était en état d’attente. Il était tout entier tourné vers une perspective d’attente, vers un futur hypothétique qu’il faudrait subir. Mais aviserait-il le moment venu ? Non. Il réagirait peut-être mais il serait toujours prostré là, sur ce banc, entre deux portes. L’attente s’attendait elle-même. Elle se suffisait à elle-même dans une complétude difficile à appréhender.

Quelqu’un se racla la gorge à côté de Grimm. Perdu dans ses pensées, le jeune prince n’avait pas entendu qu’on venait vers lui. Il releva la tête et aperçu le chambellan vêtu d’un bel habit de cérémonie rouge et blanc. Grimm se redressa d’un bond pour ne rien laisser deviner de son humeur et salua Jasper le plus chaleureusement qu’il put. « Mon bon prince est très matinal en ce jour », fit celui-ci en esquissant un léger sourire. Avec une certaine empathie, Jasper scrutait le visage de son interlocuteur, la tête légèrement incliné sur la droite, et cherchait à se conformer aux traits de celui-ci. Par tâtonnements successifs et rapides, le chambellan reproduisait l’humeur de Grimm. Celui-ci tenta de résister un instant, redoublant d’efforts pour se montrer le plus jovial possible mais il renonça rapidement devant l’insurmontable difficulté qu’il éprouvait à dominer ses émotions.
« Puis-je faire quelque chose pour monseigneur, demanda le chambellan qui tentait de capter le regard de son interlocuteur ?
- Merci, répondit le jeune prince en regardant par la fenêtre. » Il marqua une pose. « Voulez-vous vous asseoir, messire Fielde, proposa t-il enfin de manière plutôt performative ?
- Naturellement, fit Jasper en s’exécutant. Quelque chose qui vous dérange, sir ?
- Avez-vous connu mon grand oncle, le marquis Harald du Watergang ?
- Bien sûr mon Prince, répondit Jasper dans un souffle après une brève pause. Je lui ai prêté hommage pour des terres que ma famille possède dans son marquisat il y a de cela quelque temps. Vous ne l’avez que peu connu, il me semble, et il était déjà fort âgé. Pourquoi cette question ?
- Je me souviens de son enterrement, répondit Grimm en regardant les tentures. N’est-il pas mort un peu avant la reprise de la guerre au nord ? » Jasper, à demi tourné vers le fils de son maître, approuva d’un signe de la tête. Il offrait un visage parfaitement neutre, mais ses grands yeux traduisait son attente curieuse. « Je n’ai jamais su grand chose de sa vie, reprit Grimm. J’espérais que vous pourriez m’en apprendre un peu plus sur celui qu’il fut. »

Le mensonge ne prenait pas vraiment. Jasper savait que Grimm connaissait l’histoire de son propre père, le roi, et par voie de conséquence les liens particuliers qui unissaient ce dernier à son oncle le marquis du Watergang. La question ne portait donc pas sur cette amitié étrange qui avait uni le roi à son oncle, amitié qui s’était quelque peu distendue avec le temps, mais plutôt sur l’esprit du défunt marquis et sur les rumeurs qui courraient à propos de ses humeurs. Jasper parut surpris de ces interrogations mais ne chercha pas pour autant à se dérober.

« Comme vous le savez, sir, votre père a fait ses premières armes avec votre grand oncle et a prit part active dans la conquête de la cité d’Aethelmer au Nord. A cette époque, le marquis Harald et son frère, le roi Haakon Ier, n’étaient pas en bon terme, pour une raison qui m’échappe. La plupart des bonnes gens de ses terres prétendent que cette froideur était due au caractère emporté du marquis. Le roi, votre père, qui avait exprimé le souhait de faire l’expérience de la vie de chevalier avait donc laissé son propre père et avait trouvé auprès d’Harald un homme digne d’être un second maître.
- Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais connu un caractère emporté à mon grand oncle, lança Grimm, dubitatif. »
Le chambellan baissa les yeux et chercha un moyen de répondre le plus efficacement à cette question pour le moins embarrassante.
« Oui. Emporté n’est pas le terme qui convienne le mieux, je l’admets, reprit Jasper dans un pincement de lèvres. Disons plutôt qu’il était particulièrement sujet aux mauvaises influences de la lune.
- Admirable détour pour dire qu’il était fou, rétorqua sèchement Grimm.
- Je ne crois pas que son fils soit heureux d’entendre dire de telles choses, mon prince, s’offensa Jasper dans un mouvement de recul. » Sur le coup, Grimm craignit d’avoir offensé son interlocuteur. Il s’apprêtait à présenter ses excuses quand Jasper poursuivit. « Mais entre nous, je crois qu’effectivement, il s’agissait au moins de cela. Je ne peux pas vous donner beaucoup de détails car je n’ai pas eu souvent l’occasion de le rencontrer. Cela dit, des rumeurs courent parmi les anciens des familles qui l’ont connu. On dit qu’il pouvait passer d’un état normal à une profonde mélancolie en un rien de temps et que, lorsqu’il rendait la justice, il lui arrivait de ne plus être capable de parler. Il s’assombrissait alors et restait prostré dans son fauteuil de telle sorte qu’il fallait interrompre les affaires en cours.
- Mais de quoi est-il mort ? Et comment est-il mort ?
- Mon prince, pardonnez-moi mais il est temps de partir pour retrouver votre père. Les cérémonies débuteront bientôt. »
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMar 8 Sep 2009 - 17:38

Grimm se sentit frustré de ce refus, mais il savait lui-même qu’il était temps. Le chambellan lui apparaissait de plus en plus comme un être étrange, presque surnaturel. Avec ses yeux, il était l’oiseau de proie nocturne qui veille patiemment en l’attente de son gibier. Sa période de prédation débutait à l’instant où celle des autres s’achevait lui assurant par la même une totale maîtrise de l’espace et du temps. Les marges de manœuvre s’élargissaient considérablement alors que tous les courtisans se trouvaient plus vulnérables que des enfants dans son monde. Etait-il aussi à l’aise dans le monde des autres ? Grimm était incapable d’en juger. Cependant qu’il était chasseur par ses yeux et ses oreilles, son esprit faisait de lui une couleuvre insaisissable, luisante sous la clarté lunaire, ondoyante dans les rocailles, coulant sous le couvert des herbes hautes que sont les réalités. Dans la jungle de ce qui ce dit et de ce qui s’offre à l’entendement humain, il était en quête d’un élément non identifié. Son silence laissait ses interlocuteurs libres de lui prêter n’importe quelle pensée ou préoccupation. Etonnamment, être face à lui, c’était un peu discuter avec soi-même tant son attitude semblait laisser d’espace pour s’exprimer. La nature humaine avait-elle autant horreur du vide qu’elle ne puisse supporter la troublante perspective qu’un pan entier d’une rencontre entre deux individus reste inoccupé, vacant, disponible ? Ou peut-être était-ce un indescriptible besoin d’expression personnelle contenu par les règles de la société qui s’engouffrait dans ce qu’il imaginait être un exutoire. Grimm en retira un profond trouble.

Enfin il pourrait revoir ses parents et son frère pour la première fois depuis quelques années. Le père, figure autoritaire et peu familière au demeurant, n’était pas un étranger comme les autres. C’était Haakon II, fils d’Haakon premier du nom. Il était bien plus que cela. Dans sa jeunesse, il avait quitté son père trop austère et routinier pour gagner le nord. Sa fougue et son désir de combattre les ennemis du royaume l’attirèrent dans les filets de Harald le Fou. Avec lui, il avait pris les armes pour porter la guerre dans une ville indépendante. Des années de combats, de sièges et de trahisons successives, ruinèrent la région et les idéaux du jeune chevalier sans doute. Quelques années qui avaient fait d’un fils de prince et prince à son tour. Des secrets s’étaient révélés à lui, mais s’agissait-il d’un mieux ou d’un pis aller ? Loin de son père, il s’était créé.

Dehors, la pluie menaçait de laver la fête à venir, et malgré cette menace, comme un présage, une éventualité à laquelle on songe sans trop y conformer son attitude, l’humaine marée s’agitait dans des préparatifs somptueux et peut-être inutiles. Hors les murs, les pavillons royaux avaient été dressés au petit matin. Les hommes en armes se reposaient encore un peu et les serviteurs polissaient les armes dans le bruit des marteaux et des cris. On roulait les tonneaux vers les tables disposées en carré. Par chariots entiers les victuailles convergeaient vers le lieu du banquet. Comme tout bon seigneur et roi, Haakon II disputerait les joutes comme attaquant, personne ne pouvant s’autoriser de le prendre pour cible. Chacun rêvait de la fête, des dames, des chevaliers, des lauriers des victoires et des modestes récompenses que le roi délivrerait comme des trésors symboliques. Tous oubliaient la misère laissée ailleurs, refoulée loin de la capitale et des esprits impatients. Presque tous oubliaient quel rite on perpétrait ici, dans un champ vert, en pâle réplique des choses vues et mal digérées par des silences pesants. Mais le jour avait chassé la nuit pour un temps et le devoir commandait qu’on s’amuse. Dans les murs, les tribunes et les tables étaient savamment disposées sur la grand place. Les écharpes de couleur se laissaient mollement bercer par le vent. Les premiers invités et la foule se pressaient déjà pour être aux premières loges et recevoir les grâces et bénédictions du prince. Le joyeux tintamarre prenait forme.

Jasper accompagna Grimm jusqu’au palais royal dans lequel il retrouva son frère. Tout deux se saluèrent et restèrent dans un profond mutisme. Pourquoi parler des changements physiques de leur père, demander à Haakon quel souvenir il avait de ses parents ou encore bavarder sur l’exacte durée de son absence ? A quoi bon discuter avec une pierre embrumée de sommeil ? Haakon, les yeux cernés de fatigue, cherchait de son regard presque fiévreux un endroit où s’asseoir. Lord Windford, le chancelier, un quadragénaire balafré taillé dans le roc, vint en habit de cérémonie auprès des fils du roi. Lloyd Llyn de son nom, lui aussi était de noblesse autochtone. Il salua plus qu’il ne convenait au goût de Grimm puis expliqua le déroulement des festivités. Eux resteraient dans la ville. Grimm devrait faire mine d’y être depuis longtemps et de tenir la cité avec sa mère et ses deux frères. Puis le roi reviendrait avec sa garde la plus prestigieuse et une partie de son armée restée pour la montre. Son épouse et Harold, son plus jeune fils, partiraient à sa rencontre en vue de la cité avec quelques grands nobles et notables de la capitale. L’accueil et l’invitation finale auraient lieu devant les portes. Réjouissantes pitreries. Tous deux acquiescèrent d’un signe de tête. Ils avaient déjà assisté à ce genre d’entrée royale en purs spectateurs. La distribution des rôles changeait.
Il y eut des bruits dans la pièce voisine. Des pas, des voix de femmes et les protestations d’un enfant se mêlaient ensemble. « C’est trop serré ! prostesta la voix d’enfant. - Laissez moi faire, répondit une voix féminine. »

La porte s’ouvrit en grand et laissa entrer la lumière et la suite de la reine dans la salle qu’occupaient Haakon et Grimm. C’était comme si une nuée de fées, vêtues d’habits précieux et de bijoux éclatants avaient pénétré dans un monde terne. Toutes flottaient sur le sol et se voilaient les unes les autres, dissimulant les protagonistes de la pièce à venir aux yeux de tous. Ce ballet de couleur ne cessa que lorsque la suite s’aperçue de la présence des deux fils du rois. Le chancelier salua en s’écartant pour laisser les deux ensembles se reconnaître. Les gardes aux portes se redressèrent. Le temps se figea un moment encore, comme pour retenir les retrouvailles. Chacun était en quête de l’attitude à adopter face à l’autre, et ainsi la rencontre se fit icône. Quels sentiments étaient indésirables ? De quoi fallait-il se garder ? Les dames s’interrogèrent du regard puis s’agenouillèrent de concert comme les pétales d’une fleur s’ouvre pour montrer son cœur. Au centre, Irène, reine et mère de Harold, lâchait lentement le col du pourpoint bleu de son fils, qui se tournait avec incompréhension vers l’objet des attentions de sa mère. Lui ne voyait que deux chevaliers un peu particuliers dont l’un avait l’air plus fatigué que l’autre. Avec la perspicacité cruelle et impudique des enfants, il jaugeait les cernes de l’un d’entre eux, le trouvant mal à son aise, le jugeant laid, alors que l’autre lui inspirait une forme d’indifférence teintée de défi. Le second était le dominant, l’étoile qui voudrait diminuer son propre éclat. Pour cela il fallait briller de plus belle. La tâche serait aisée. Après tout, au mieux cet homme serait un fidèle de son père, trop jeune sans doute pour occuper une place importante à la cour.
« Irène, reine d’Albion, est la bien venue dans sa belle ville de Falkchester tout comme l’est aussi son fils, l’aimable Harold, fils d’Haakon deuxième du nom, déclara Grimm d’une voix forte et emprunte d’une certaine componction. »
Harold voulu protester d’on ne sut quoi en se tournant vers sa mère, mais celle-ci l’arrêta net d’un signe de la main en répondant à son interlocuteur d’une voix douce, ferme et posée :
« Grimm, fils de Haakon, mon époux, moi et ton frère te saluons respectueusement. Haakon, fils de mon époux, nous te saluons aimablement de même. Fils très respectés et très redoutés seigneurs, puissiez-vous nous accueillir avec amour et dilection dans vos murs et dans vos corps.
- Dans nos murs, dans notre corps, dans notre coffre nous vous accueillons, répondit Haakon émergeant de sa torpeur et à qui revenait les anciens vers. Ici sont pour vous le toit, le foyer, et l’affection de ceux qui s’y trouvent, et celui auprès de qui vous ne trouverez grâce ne sera pas digne d’y demeurer. Car le toit est trop humble ; car, le foyer trop modeste pour contenir la joie que nous nourrissons pour votre retour et pour égaler la lumière que votre présence nous apporte.
- Il n’y a plus de place pour le ressentiment, conclut Grimm. »
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Southern Knight
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MessageSujet: Re: Impardonnables   Impardonnables EmptyMar 15 Sep 2009 - 2:43

C'est vraiment très agréable à lire. Je t'encourage à poursuivre (et puis c'est une bonne idée d'avoir placé ton récit dans un autre univers que celui de Warhammer).
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